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OUI Il faut déshabiller Pierre pour habiller Paul et Paulette

Commission parlementaire sur le projet de loi 112 Mémoire de l’ADDS de Hull

mardi 24 septembre 2002

Il y a beaucoup de richesse sur la terre,
suffisamment pour assurer une qualité de vie pour tous les êtres
humains, pour tous les peuples, pour chaque enfant, chaque femme et chaque homme.

Il y a beaucoup de richesse sur la terre,
mais elle est mal répartie et plus on en a, plus on en veut, ce qui est
source de conflits entre les sociétés et à l’intérieur
de celles-ci.

Cette énorme richesse que nous avons
produit grâce à notre grande créativité et extraordinaire
maîtrise de la technique va demeurer un cadeau empoisonné tant
et aussi longtemps qu’elle ne sera pas partagée équitablement.

À la fin de la deuxième guerre
mondiale, les peuples de la terre ont commencé à comprendre qu’il
fallait non seulement maîtriser la technique, mais également leur
propre bêtise autodestructrice.

Dans le préambule de la Déclaration
universelle des droits de l’homme ils ont solennellement affirmé :

Considérant que la reconnaissance
de la dignité inhérente à tous les membres de la famille
humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le
fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde.

    Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité et que l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme.
    ()
    L’Assemblée Générale proclame la présente Déclaration Universelle des Droits de l’Homme comme l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations1

Il y a 54 ans, avec l’adoption de cette
déclaration, l’humanité a commencé à écrire
un nouveau chapitre dans l’histoire universelle. L’idée que la paix implique
nécessairement la justice sociale a émergé autour de la
notion de droits humains. Mais cette idée demeure encore une abstraction
qu’il faut incarner dans notre vie collective.

L’Association pour la défense
des droits sociaux de Hull (ADDS), dans son nom, sa raison d’être et son
action, partage ce point de vue. Elle s’est donnée comme mission de lutter
pour l’élimination de la pauvreté. Elle regroupe des personnes
à faible revenu dans la Ville de Gatineau qui ont décidé
de se regrouper pour faire valoir leurs droits.

C’était donc naturel que les membres
de l’ADDS décident d’appuyer l’initiative du Collectif pour une loi cadre
sur l’élimination de la pauvreté. Ils ont participé à
la mobilisation populaire qui a fini par inciter le gouvernement à faire
quelque chose. Mais ce n’est pas parce que l’État décide de faire
quelque chose que c’est la bonne.

Dans sa première réponse
à la demande du Collectif pour une loi sur l’élimination de la
pauvreté, l’État n’a pas fait quelque chose de bien. Lors de la
tournée ministérielle du mois de novembre dernier, l’avant projet
de stratégie proposé par le gouvernement dans le document :
« Ne laisser personne de côté2
 »
a été sévèrement critiqué dans plusieurs
régions du Québec. La réaction des membres de l’ADDS était
d’envoyer le gouvernement refaire ses devoirs parce que les orientations et
perspectives d’action mises de l’avant n’étaient pas susceptibles de
lutter contre la pauvreté et encore moins d’éliminer la pauvreté.

Aujourd’hui l’ADDS se prononce sur la
nouvelle version de cette stratégie que le gouvernement a rendue public
au mois de juin dans le projet de loi 1123

et l’énoncé de politique4

qui l’a accompagné.

 

Critique de l’ADDS de la stratégie
nationale de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale

Dans le projet de loi 112, le gouvernement
propose une stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, mais
il voudrait en débattre sans que les détails soient rendus public.
En effet selon l’article 12, ces détails seront précisés
dans un plan d’action qui ne fait pas partie du projet de loi et qui sera rendu
public et adopté ultérieurement, c’est à dire dans les
soixante jours suivant l’entrée en vigueur de cet article.5

Le projet de loi 112 est donc une coquille
vide qui sera remplie après son adoption en dehors du débat législatif
et peut-être même par le prochain gouvernement.

Une autre particularité du projet
de loi 112 est le fait qu’il a été rendu public en même
temps que l’énoncé de politique qui fait une présentation
sommaire de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté
et l’exclusion. Le projet de loi a pour effet d’instituer cette stratégie.

À la lecture du chapitre II du
projet de loi 112 et du chapitre III de l’énoncé de politique,
l’ADDS comprend que le plan d’action prévu dans le projet de loi sera
confectionné à partir des éléments proposés
dans l’énoncé de politique.

Malgré que le gouvernement refuse
de rendre public les détails du futur plan d’action, qui donnera de la
substance à sa proposition de stratégie, une idée générale
se dégage à partir de l’architecture présentée dans
le projet de loi 112 et des éléments de contenu présentés
dans l’énoncé de politique.

Selon l’ADDS, cette nouvelle version
de la stratégie gouvernementale :

  • ne prévoit pas une loi cadre ;
  • ne vise pas l’élimination de la pauvreté ;
  • ne s’appuie pas sur la reconnaissance des droits sociaux économiques ;
  • ne permettra pas une répartition plus équitable de la richesse ;
  • ne reconnaît pas la gravité de la situation des personnes qui sont les plus pauvres ;
  • ne réussira même pas à lutter contre la pauvreté.

     

La stratégie proposée par
le gouvernement ne prévoit pas une loi cadre

Le gouvernement sait ce que c’est qu’une
loi cadre. À la toute fin de l’année internationale sur l’élimination
de la pauvreté le gouvernement a adopté une telle loi6

pour atteindre non pas « pauvreté zéro »
mais « déficit zéro ».

Pour ce qui est du projet de loi 112,
il n’est surtout pas question d’une loi cadre. L’article 59 l’interdit formellement
en affirmant que « La présente loi ne doit pas être
interprétée de manière à étendre, restreindre
ou modifier la portée d’une disposition d’une autre loi
. »7

D’autre part, la clause d’impact annoncé
dans l’énoncé de politique ne paraît nulle part dans le
projet de loi 112.8
Il n’est donc plus question de présenter les effets des lois et règlements
sur les personnes en situation de pauvreté avant leur adoption.

 

La stratégie proposée par
le gouvernement ne vise pas l’élimination de la pauvreté

Lorsqu’il s’agissait de s’attaquer au déficit
le gouvernement n’a eu aucune difficulté à légiférer
en ce sens. L’article 6 de cette loi était limpide : « Aucun
déficit ne pourra être encouru à partir de l’année
financière 1999-2000
. »9

Pour ce qui est de la stratégie nationale
de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, la cible est plutôt
modeste. Ce que propose le gouvernement est « d’amener progressivement
le Québec, d’ici dix ans, au nombre des nations industrialisées
comptant le moins de personnes pauvres
 ».10

L’ADDS est plutôt sceptique concernant
la valeur d’une telle cible. Au cours des dernières décennies,
les nations industrialisées se rencontrent régulièrement
pour échanger sur leurs politiques économiques et sociales. Avec
de l’aide des organisations comme l’OCDE, ils définissent les grandes
lignes d’une voie commune qui n’a rien à voir avec l’élimination
de la pauvreté.

D’autre part avec le dépérissement
de l’État nation au profit des instances antidémocratiques comme
l’Organisation mondiale de commerce, il y a de plus en plus d’homogénéité
dans les politiques économiques et sociales et de moins en moins de partage
de la richesse.

Le seul objectif identifié dans la
stratégie proposée porte sur la situation de 200 000 ménages.
Le gouvernement voudrait étudier la possibilité de les accorder
un revenu de solidarité d’ici 3 à 5 ans dont le montant doit reposer
sur un solide consensus.11

 

La stratégie proposée par
le gouvernement ne s’appuie pas sur la reconnaissance des droits économiques
et sociaux

Malgré le titre prétentieux
au point 1.2 dans la table des matières de l’énoncé de
politique, 12 force
est de constater qu’il ne s’agit pas d’une stratégie qui s’appuie sur
la reconnaissance des droits économiques et sociaux.

Rappelons encore une fois que la reconnaissance
de ces droits a commencé avec l’adoption par l’assemblée générale
des Nations unies de la Déclaration universelle des droits de l’homme
en 1948.

Afin d’assurer la mise en uvre de
cette reconnaissance, l’ONU a élaboré le Pacte international relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels.13
Le Québec a ratifié ce pacte le 21 avril 1976.

Il y vingt-six ans le Québec s’est
donc engagé « à agir, tant par son effort propre
que par l’assistance et la coopération internationales, notamment sur
les plans économique et technique, au maximum de ses ressources disponibles,
en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans
le présent Pacte par tous les moyens appropriés, y compris en
particulier l’adoption de mesures législatives
. »14

Et le plein exercice de ces droits devait
inclure notamment : « le droit de toute personne à
un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une
nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une
amélioration constante de ses conditions d’existence
. »15

Par contre, quand le gouvernement du Québec
a adopté la Charte des droits et libertés16
il s’est bien gardé de reconnaître le plein exercice des droits
économiques et sociaux. Selon l’article 51 de la Charte, il n’est pas
question de interpréter ces droits « de manière
à augmenter, restreindre ou modifier la portée d’une disposition
de la loi
 ».17
Et lorsqu’il s’agit de reconnaître le droit à un niveau de vie
suffisant à l’article 45 de la Charte, c’est par « les
mesures sociales prévues par la loi
 ».18

C’est ainsi que le Québec a créé
une échappatoire pour s’extirper de ses responsabilités en matière
de droits économiques et sociaux. Il ne fait pas de doute que l’aide
sociale condamne les prestataires à un niveau de vie très insuffisant,
mais comme les montants des allocations sont prévus par la loi, ils ne
peuvent pas faire valoir leurs droits. Ils ne peuvent pas forcer le gouvernement
à augmenter leurs prestations d’aide sociale afin d’obtenir un niveau
de vie suffisant. L’exercice des droits économiques et sociaux au Québec
dépend de ce qui est prévu par la loi.

Dans le projet de loi 112, il n’y a absolument
rien de prévu pour changer cet état de situation de sorte qu’on
peut dire que la stratégie proposée par le gouvernement ne s’appuie
pas sur la reconnaissance des droits économiques et sociaux.

 

La stratégie proposée par
le gouvernement ne permettra pas une répartition plus équitable
de la richesse

Lutter contre la pauvreté présuppose
une répartition plus équitable de la richesse ce qui veut nécessairement
dire des modifications au niveau de la fiscalité. Oui, il faut déshabiller
Pierre pour habiller Paul et Paulette, parce qu’autrement ils ne pourront jamais
s’habiller. Et de toute façon Pierre n’a pas besoin d’autant de linge.

Dans la première version de sa stratégie,
le gouvernement s’est vanté d’avoir « rétabli l’équilibre
des finances
 » et « réduit le fardeau fiscal
afin de ne pas affecter la position concurrentielle du Québec
 ».19
Concrètement, ça voulait dire que le gouvernement a non seulement
éliminé le déficit par les coupures dans la protection
sociale, mais de plus il a réduit davantage la capacité de l’État
à redistribuer la richesse en effectuant d’importantes baisses d’impôt
de l’ordre de 11 milliards de dollars.

Un an plus tard dans son projet de stratégie
nationale de lutte contre la pauvreté, le gouvernement affirme que l’amélioration
des revenus des personnes en situation de pauvreté suivra le « rythme
de l’enrichissement collectif
 ».20

Avec la loi anti-déficit et les nouveaux
paramètres fiscaux adoptés par le gouvernement, le rythme de l’enrichissement
collectif permettra à peine au gouvernement de garder sa tête au-dessus
de l’eau.

Sans une modification en profondeur de la
fiscalité, Pierre va continuer à s’habiller aux dépens
de Paul et Paulette.

 

La stratégie proposée par
le gouvernement ne reconnaît pas la gravité de la situation des
personnes qui sont les plus pauvres

Une des plus grandes ironies de la proposition
de stratégie du gouvernement est la non reconnaissance de la gravité
de la situation des personnes qui sont les plus pauvres. Nulle part dans l’état
de la situation présenté dans l’énoncé de politique
est-il question des revenus dérisoires accordés à plus
de 144 000 ménages québécois qui reçoivent les plus
petites prestations d’aide sociale.21

Le gouvernement n’a pas voulu crier sur
tous les toits qu’une personne qui est sans emploi et à l’aide sociale
reçoit une prestation de seulement 515$ par mois, ce qui est 239$ ou
31% de moins que la prestation maximum accordée aux personnes avec des
contraintes sévères à l’emploi.

Si le gouvernement ne voulait pas faire
état de la situation de ces personnes qui sont les plus pauvres du Québec,
c’est parce qu’il n’avait pas l’intention de leur venir en aide dans sa stratégie
nationale de lutte contre la pauvreté. Et pour confirmer le tout, les
propositions mises de l’avant dans le projet de loi 112 et dans l’énoncé
de politique ne font aucune mention d’augmenter la prestation de base à
l’aide sociale.

 

La stratégie proposée par
le gouvernement ne réussira même pas à lutter contre la
pauvreté

Depuis près de vingt ans les gouvernements
successifs toutes couleurs confondues ont chanté la même chanson.
Pour partager la richesse, il faut d’abord la créer. Et depuis près
de vingt ans la société québécoise s’est enrichie,
mais pour ce qui est du partage de la richesse créée, c’est une
autre histoire. C’est l’histoire des sacrifices nécessaires à
la création de cette richesse. C’est l’histoire de la remise en question
de l’universalité dans les programmes sociaux. C’est l’histoire d’une
fiscalité de moins en moins équitable. C’est l’histoire d’une
réduction dans la protection sociale. C’est l’histoire de la privatisation
et de la déréglementation. C’est l’histoire d’une augmentation
honteuse dans les écarts entre les trop bien nantis et les personnes
à revenu modeste, entre les Pierres et les Paul et les Paulette de ce
monde.

C’est à l’intérieur d’un tel
paradigme que le gouvernement a élaboré sa stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et l’exclusion. De toute évidence,
il n’a aucunement l’intention de changer les règles du jeu, de revoir
la répartition de la richesse abondante. Et c’est pour cette raison que
l’ADDS affirme que la stratégie du gouvernement ne réussira même
pas à lutter contre la pauvreté.

 

Les deux revendications de l’ADDS

L’ADDS revendique toujours une loi, non
pas seulement pour lutter contre la pauvreté, mais pour éliminer
la pauvreté. Une telle loi doit être une loi cadre, fondée
sur les droits humains et les principes de l’universalité.

Le problème de la pauvreté
n’a rien à voir avec la création de la richesse. La richesse,
il y en a assez pour tout le monde. C’est la répartition de cette richesse
abondante qui fait défaut. Selon l’ADDS, il est illusoire de penser qu’on
peut lutter contre ou éliminer la pauvreté sans remettre cette
grande injustice en question. Il faut dire à Pierre de partager avec
Paul et Paulette. Il faut obliger Pierre à partager avec Paul et Paulette.

L’ADDS comprend qu’une loi sur l’élimination
de la pauvreté doit reposer sur une vision globale et qu’une telle vision
présuppose un ensemble de changements économiques, sociaux et
politiques. Les deux recommandations qu’elle voudrait proposer dans le cadre
de cette commission parlementaire ne visent pas à faire le tour de la
question. L’objectif plus modeste est de montrer le chemin, d’indiquer à
l’aide de deux exemples le genre de changements nécessaires pour créer
un Québec sans pauvreté.

1 000,00 $ par mois, un minimum décent

Aucun débat sérieux sur la
pauvreté ne peut faire l’économie d’une réflexion honnête
sur les ressources nécessaires pour atteindre une qualité de vie
minimale. Dans l’énoncé de politique le gouvernement s’engage
timidement sur ce terrain en avançant que « Le niveau de
revenu demeure à convenir. Dans un premier temps, on pourrait viser à
permettre à (une partie des personnes en situation de pauvreté)
d’atteindre le niveau de la MFR
. » 22

Selon cette proposition, le revenu d’une
personne à l’aide sociale avec des contraintes sévères
à l’emploi verra sa prestation mensuelle passer de 754,00 $ à
882,25 $, tandis que la personne à l’aide sociale sans contraintes à
l’emploi n’aura aucune augmentation. Elle continuera de recevoir une prestation
mensuelle de 515,00 $.

Cette proposition ne fera rien non plus
pour les travailleuses ou travailleurs au salaire minimum en chômage qui
disposent de moins de 580,00 $ pour faire le mois. Pour l’ADDS cette proposition
manque de crédibilité parce qu’elle ne vise pas les personnes
qui en ont le plus besoin.

D’autre part concernant les personnes âgées,
le gouvernement affirme dans son énoncé de politique que : « les
revenus disponibles sont fréquemment limités aux seules pensions
de l’État et deux femmes aînées sur trois sont admissibles
au supplément de revenu garanti compte tenu de leur situation précaire.
 »
et encore « Les aînés et leur bien-être constituent
certainement une priorité pour le Québec.
. »23

Malgré ses beaux mots de tendresse
en faveur des personnes âgées qui sont pauvres, le gouvernement
ne propose pas une augmentation de leurs revenus, ce qui est dommage parce qu’elles
sont également nécessiteuses. Avec la pension de vieillesse et
le supplément de revenu garanti, une personne seule âgée
de plus de 65 ans n’a que 934,15 $ par mois en revenu disponible. C’est insuffisant
et c’est cette insuffisance qui est à la base de la proposition de l’ADDS.

Il ne serait pas du tout exagéré
d’assurer à ces personnes un revenu mensuel net de 1 000,00 $. À
12 000,00 $ par année, elles vont demeurer des personnes à faible
revenu, mais avec 65 dollars supplémentaires dans leurs poches par mois,
elles pourront améliorer leur qualité de vie.

Voilà le point de départ de
la réflexion des membres de l’ADDS. Ensuite une question surgit
Est-ce que les besoins d’une personne âgée de 64 ou 60 ou 55 ou
30 ans sont moindres que ceux d’une personne de 65 ans ?

Il ne faut pas être diplômé
de l’ÉNAP pour répondre à cette question. Tout le monde
paye le même prix pour le papier de toilette. Le loyer ne coûte
pas moins cher pour les personnes qui n’ont pas franchi le cap de 65 ans. Les
besoins de base en matière de transport, communication et loisirs ne
changent pas avec l’âge.

Non, il n’est pas raisonnable d’accorder
moins de ressources aux personnes âgées de moins de 65 ans pour
couvrir les mêmes besoins. La Déclaration universelle des droits
de l’homme et le Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels, ne limitent pas le droit à un niveau de vie suffisant
aux seules personnes de 65 ans et plus.

Alors ce que propose l’ADDS est de bonifier
légèrement les prestations accordées aux personnes âgées
à faible revenu et d’harmoniser vers le haut les revenus des autres personnes
à faible revenu. C’est le sens de sa revendication de 1 000,00$ par mois
pour toute personne dans le besoin.

Il est significatif de rappeler que les
besoins essentiels, ou le minimum vital reconnu par le Bureau du surintendant
des faillites dépasse considérablement la revendication de l’ADDS.
En effet, selon les normes du surintendant qui ont été élaborées
à partir des données de Statistiques Canada, c’est 1 602,00 $
par mois qui sont protégés pour une personne seule qui fait faillite.24

L’ADDS ne considère pas que le Bureau
du surintendant exagère dans son évaluation des besoins essentiels.
Elle devrait d’ailleurs être prise en considération dans un éventuel
débat sur l’établissement d’un revenu garanti, mais pour l’immédiat,
l’ADDS limite sa demande à 1 000,00 $ par mois.

Cette proposition de l’ADDS est différente
à celle du gouvernement sur deux points. Premièrement, elle monte
la barre plus haut, au-dessus du seuil de la survie afin d’offrir un minimum
de qualité de vie aux personnes à faible revenu. Deuxièmement,
elle traite tout le monde sur un pied d’égalité. Elle ne fait
pas de distinction sur la base de l’âge, ou entre les bons pauvres méritants
et les autres qui sont jugés coupables d’être sans emploi.

Pour l’ADDS, 1 000,00 $ par mois est un
minimum, un premier pas vers un revenu garanti, vers une véritable répartition
de la richesse. Il ne fait pas de doute qu’une telle prestation minimale impliquerait
que Pierre devrait se déshabiller un peu. Ça va lui faire mal,
parce qu’il veut toujours en avoir plus, mais il y a un prix à payer
pour la justice sociale et comme l’argent ne tombe pas du ciel, il faut aller
le chercher là où il est, dans les poches de ceux qui en ont.

Si Pierre crie à l’injustice parce
qu’il trouve que 1 000,00 $ par mois est exagéré, l’ADDS voudrait
lui poser deux petites questions.

1- De combien d’argent dispose-t-il par
mois ?

2- Serait-il capable de vivre avec seulement
1 000,00 $ par mois ?

 

Personnes seules dans diverses situations Revenu net25
Aide sociale sans contraintes à l’emploi avec sanction de 150$ 365,00 $
Aide sociale sans contraintes à l’emploi 515,00 $
Assurance chômage (7$ de l’heures/35 heures) 579,43 $
Aide sociale avec contraintes temporaires à l’emploi 624,00 $
Aide sociale avec contraintes sévères à l’emploi 754,00 $
Assurance chômage (10$ de l’heure/35 heures) 808,15 $
Mesure de faible revenu 882,25 $
Salaire net à 7$ de l’heure/35 heures 918,74 $
Pensions de vieillesse avec le supplément de revenu garanti 934,15 $
Salaire net à 10$ de l’heure/35 heures 1 211,78 $
Besoins essentiels en cas de faillite 1 602,00 $

 

Salaire minimum à 10$ de l’heure

Le salaire minimum qui est présentement
sept dollars de l’heure sera augmenté de vingt cents de l’heure le 1er
octobre prochain et de dix cents de l’heure le 1er février
2003. Selon la stratégie gouvernementale « la majoration périodique,
en lien avec la progression des revenus de la moyenne des travailleuses et des
travailleurs, doit aussi faire partie d’une stratégie globale de lutte
contre la pauvre
té ».26

Cette référence au rapport
du Comité interministériel sur les critères de détermination
du salaire minimum27
entériné par le gouvernement ne donne pas pour autant le contenu
de celui-ci.

Il faut dire que cette importante réflexion
sur l’avenir du salaire minimum au Québec n’a pas fait l’objet d’un débat
public. Il a été plutôt laissé entre les mains de
dix intellectuels de service provenant de quatre ministères. Après
neuf rencontres en douze mois ils ont répondu à la commande et
le tour était joué.28

Mais ont-ils rencontré des personnes
qui travaillent au salaire minimum ? Était-il question d’analyser la valeur
du travail rémunéré au salaire minimum ? De considérer
les besoins de celles et de ceux qui font ce travail ? Le gouvernement a-t-il
soumis cette savante analyse à une consultation publique ? Bien sûr
que non.

La méthodologie choisie pour analyser
le problème des salaires de Paul et de Paulette reposait sur 4 axes29 :

  1. Le pouvoir d’achat de Paul et de Paulette et sur leur participation à l’enrichissement collectif ;
  2. l’impact de leurs salaires sur la compétitivité des entreprises ;
  3. l’impact de leurs salaires sur l’emploi ;
  4. l’impact du salaire minimum sur leur incitation au travail.

La méthodologie choisie ne visait pas
l’identification de solutions pour sortir Paul et Paulette de la pauvreté
ou pour leur accorder un salaire décent.

La solution proposée et retenue était
d’une simplicité volontaire. Un seul indicateur a été retenu
pour définir l’avenir du salaire minimum, soit « le ratio
entre le salaire minimum et le salaire horaire moyen de l’ensemble des travailleurs
rémunérés à l’heure au Québec
 ».30

D’autre part, les augmentations futures
du salaire minimum ne seront pas automatiques. « La méthode
proposée devait donc conserver une certaine souplesse dans son application 
 »
parce que « la revue documentaire portant sur les processus de
révision en vigueur dans d’autres pays ou provinces a permis de constater
que la plupart d’entre eux reposent sur une évaluation discrétionnaire
 »31

Finalement, cette grande largesse gouvernementale
implique même la possibilité de baisser le salaire minimum. Advenant
que le salaire de Paul et de Paulette s’approche trop du salaire horaire moyen
« le comité interministériel permanent pourrait
également suggérer, s’il y a lieu, la méthode la plus appropriée
pour
ramener le ratio à 0,47 ou moins ».32

Alors la majoration périodique
des salaires de Paul et de Paulette, n’est, ni plus ni moins, qu’une camisole
de force qui va maintenir les écarts salariaux qui les condamnent à
la pauvreté.

Ironiquement, le rapport interministériel
sur le salaire minimum fait état d’une lourde tendance qui affecte non
pas seulement les salariés à faible revenu, mais l’ensemble de
la classe ouvrière. Selon leur analyse « L’ensemble des salariés
rémunérés à l’heure a  subi une perte de pouvoir
d’achat (entre octobre 1998 et août 2001 de l’ordre de 0,8%) »
et « pendant cette même période, le salaire minimum
a quant à lui diminué de 5,1 % (en dollars constants)
. »
Mais « contrairement à la rémunération réelle
des salariés, le produit intérieur brut par habitant s’est fortement
accru depuis 1998. Exprimé en dollars constants de 1997, il est passé
de 26 720 $ en 1998 à 29 275 $ au troisième trimestre de 2001,
en hausse de 9,6 %. Cet enrichissement collectif ne s’est donc pas répercuté
sur la rémunération des salariés
 ».33

En analysant deux graphiques présentées
à l’annexe IV du rapport34
,
il est possible de confirmer que l’augmentation de la richesse créée
au Québec entre 1991 et 2001 n’a pas profité aux travailleuses
et aux travailleurs qui l’ont produit. Selon les graphiques V et VI, le salaire
industriel moyen en dollars constants a diminué légèrement
au cours de cette décennie alors que pour cette même période
la valeur de la richesse créée a augmenté de près
de 6 000,00 $ par habitant.

Curieusement, cette confirmation que
la croissance de la richesse et la répartition de celle-ci ne vont pas
de pair dans notre société, n’a pas incité les auteurs
du rapport interministériel à proposer des correctifs. Pour ce
qui est du gouvernement, il a fait son nid en incluant dans sa stratégie
de lutte contre la pauvreté une politique sur le salaire minimum qui
est en réalité une politique de main-d’uvre à bon
marché.

L’ADDS rejette complètement ce
dogme de l’économiste Pierre Fortin repris par le gouvernement à
l’effet que « L’état actuel des connaissances concernant l’incidence
du salaire minimum sur l’emploi en Amérique du Nord, et au Québec
en particulier, conduit à la conclusion qu’un salaire minimum supérieur
à 50 % du salaire moyen est nuisible à l’emploi des petits salariés
 ».35

Ce qui est nuisible pour les petits salariés
est leurs petits salaires qui ne leur permettent pas de vivre convenablement.
Ce qui leur est nuisible est de rationaliser le maintien de cette injustice.

Selon l’ADDS il faut élaborer
une politique de salaire minimum fondé sur des principes d’équité
comme le gouvernement a fait dans sa politique d’équité salariale
pour assurer un salaire égal pour un travail d’une valeur égale
au sein d’une même entreprise. Ce gain historique était motivé
par une volonté de corriger une injustice envers les femmes.

Il y a une autre injustice salariale
qui s’exerce envers les personnes qui travaillent au salaire minimum dont la
grande majorité sont encore une fois les femmes. Il n’est pas normal
que deux personnes, qui font le même travail ou un travail d’une valeur
égale pour deux employeurs distincts, soient rémunérées
si différemment à cause de l’imposition d’un salaire minimum qui
n’a pas d’allure.

L’ADDS a analysé les emplois du
gouvernement qui s’apparentent au travail effectué par des milliers de
femmes et d’hommes pour un piètre 7,00$ de l’heure. Ces salariés
de l’État, qui travaillent très fort pour gagner leur croûte,
ne gagnent pas des salaires exorbitants. Ils rapportent considérablement
moins d’argent à la maison que leurs patrons comme en témoignent
les échelles salariales du Conseil du trésor.

 

Poste36 Salaire annuel Heures semaine Salaire horaire Salaire minimum %
Préposé-e à la cafétéria 28 794,48 $ 38,75 14,29 $ 48,98 %
Préposé-e à la lingerie 27 968,20 $ 38,75 13,88 $ 50,04 %
Préposé-e à l’entretien 28 794,48 $ 38,75 14,29 $ 48,98 %
Préposé-e aux légumes 30 849,52 $ 38,75 15,31 $ 45,72 %
Réceptioniste 26 608,40 $ 35,00 14,62 $ 47,87 %
Commis 25 261,60 $ 35,00 13,88 $ 50,43 %
Aide général-e de cuisine 28 794,35 $ 38,75 14,29 $ 48,98 %
Manuvre 29 459,30 $ 38,75 14,62 $ 47,87 %
Aide de métiers 30 849,65 $ 38,75 15,31 $ 45,72 %
Gardien-ne d’animaux 30 849,65 $ 38,75 15,31 $ 45,72 %
Aide domestique 27 968,20 $ 38,75 13,88 $ 50,43 %
Ouvrier de voirie 30 164,55 $ 38,75 14,97 $ 46,76 %
Aide générale 29 459,30 $ 38,75 14,62 $ 47,88 %
          
Cadre supérieur Classe I 122 701,00 $      
Cadre supérieur Classe II 108 571,00 $      
Cadre supérieur Classe III 96 891,00 $      
Cadre supérieur Classe IV 86 467,00 $      
Cadre supérieur Classe V 77 165,00 $      

Mais l’ADDS voudrait surtout porter l’attention
au fait que des personnes qui travaillent au salaire minimum font très
souvent le même travail ou un travail d’une valeur égale au bas
salariés de l’État et elles sont payées la moitié
du salaire. À titre d’exemple une personne engagée au salaire
minimum (7,00 $ de l’heure) comme manuvre, gagne 47,87 % du salaire (14,62
$ de l’heure) d’une personne qui travaille comme manuvre au gouvernement.
Une proposée à l’entretien rémunérée au salaire
minimum gagne 48,98 % du 14,29 $ de l’heure payé par le gouvernement.

Comment le gouvernement peut-il justifier
un tel écart ? Paul et Paulette font les mêmes efforts que d’autres
travailleurs et travailleuses. Ils font fréquemment le même travail
sauf que leur employeur n’est pas le gouvernement et le gouvernement a décidé
que leur employeur peut les payer seulement 7,00 $ de l’heure.

En acceptant de payer ses propres employés
dans les échelons inférieurs entre 13,88$ et 15,31$ de l’heure,
le gouvernement reconnaît certainement que leur travail vaut autant. Selon
l’ADDS le salaire minimum devrait être calqué sur et tendre vers
la moyenne des salaires au gouvernement pour un travail d’une valeur égale.

Un premier pas vers de l’équité
pour les personnes qui travaillent au salaire minimum serait l’établissement
d’un salaire de base de 10,00 $ de l’heure. Ce salaire devrait minimalement
suivre l’évolution des salaires de référence pour les années
futures.

L’ADDS rejette la proposition du gouvernement
de baser le salaire minimum sur le salaire horaire moyen de l’ensemble des travailleurs
rémunérés à l’heure au Québec et de maintenir
l’écart entre les deux. Elle propose plutôt de baser le salaire
minimum sur la moyenne des salaires payés par le gouvernement pour un
travail d’une valeur égale et de réduire l’écart entre
les deux.

 

Conclusion

L’ADDS a choisi de promouvoir seulement
deux idées dans le cadre du débat public sur le projet de loi
112 instituant la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté.
Mais contrairement au contenu de cette stratégie proposée dans
l’énoncé de politique, la mise en application des propositions
de l’ADDS amènerait une amélioration significative dans la qualité
de vie des personnes en situation de pauvreté. De plus, l’établissement
d’une prestation minimale de 1 000,00 $ par mois et l’augmentation du salaire
minimum à 10,00 $ de l’heure ne pourront se réaliser sans remettre
en question les orientations économiques et sociales du gouvernement
du Québec.

Selon l’ADDS le contenu de la proposition
de stratégie du gouvernement ne contient pas ce qu’il faut pour justifier
une loi pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion. La stratégie
proposée ne remet pas en question les règles du jeu qui sont responsables
de la redistribution inéquitable de la richesse. C’est justement ce que
propose l’ADDS Enlever à Pierre pour donner à Paul et Paulette.

Recommandations

  1. Introduire dans le projet de loi 112 un article prévoyant l’établissement d’une prestation minimale de 1 000,00$ par mois, indexée annuellement comme premier pas dans l’établissement d’un garantie de revenu pour toute personne dans le besoin.

    2. Introduire dans le projet de loi
    112 un article prévoyant l’augmentation du salaire minimum à
    dix dollars de l’heure et un mécanisme permettant au salaire minimum de tendre vers ou, à tout le moins, suivre l’évolution des salaires
    payéspar le gouvernement pour un travail d’une valeur égale.




1 Nations Unies, Déclaration universelle des droits de l’homme, résolution 217 A (III) du décembre 1948, Préambule

2 Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, Gouvernement du Québec, Ne laisser personne de côté ! Orientations et

perspectives d’action en matière de lutte contre la pauvreté, juin 2001.

3 Éditeur officiel du Québec, Projet de loi 112 : Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, juin 2002

4 Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, La volonté d’agir la force de réussir : Stratégie nationale de lutte

contre la pauvreté et l’exclusion sociale, juin 2002

5 Idem. Article 12

6 Éditeur officiel du Québec, Loi sur l’Élimination du déficit et l’équilibre budgétaire, décembre 1996

7 idem. Article 59

8 idem. p. 55

9 idem. Article 6

10 idem. p. 57

11 idem. pp. 35-36

12 idem. p. 7

13 Nation Unies, Pacte internationale relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, résolution 2200 A (XXI)

du 16 décembre 1966

14 idem. Article 2.1

15 idem. Article 11.1

16 Éditeur officiel du Québec, « Charte des droits et libertés » juin 1975

17 idem. Article 51

18 idem. Article 51

19 idem. p. 17

20 idem. p. 35

21 Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Rapport statistiques sur les prestataires du programme

d’assistance-emploi, juin 2002, p. 2

22 idem. p. 35

23 idem. p. 19

24 Bureau du surintendant des faillites Canada, Revenu excédentaire Instructions No. 11R annexe A, 2002

25 Les revenus nets ici et ailleurs dans le mémoire ne tiennent pas compte des crédits pour la TVQ et la TPS

26 idem. p. 48

27 Gouvernement du Québec, Rapport du comité interministériel sur la révision des critères de détermination du

salaire minimum, Mars 2002

28 idem. p. 1 et p. 69

29 idem. p. 32

30 idem. p. 54

31 idem. p. 53

32 idem. p. 55

33 idem. pp. 35-36

34 idem. p. 109

35 idem. p. 12

36 http://www.tresor.gouv.qc.ca/resource/echel/echelles.htm

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