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Déchaînement du Mal

jeudi 3 janvier 2002

Dans le discours politique dominant, les atrocités commises récemment par Israël sont présentées comme des « mesures de représailles » - en réponse à la dernière vague d’attaques terroristes visant des civils israéliens. Mais en fait, cette politique de « représailles » avait été soigneusement préparée de longue date.

Par Tanya Reinhart

Déjà en octobre 2000, au début du soulèvement palestinien, les milieux militaires tenaient prêts des plans opérationnels détaillés en vue de renverser Arafat et l’Autorité Palestinienne. C’était avant que les attaques terroristes palestiniennes ne commencent. (La première attaque touchant des civils israéliens s’est produite le 3 novembre 2000 sur un marché de Jérusalem.) Un document élaboré par les services de sécurité à la demande d’Ehoud Barak, alors premier ministre, affirme le 15 octobre 2000 que « la personne d’Arafat constitue une grave menace pour la sécurité de l’État [d’Israël] et le préjudice que causera sa disparition est moindre que celui causé par son existence ». (Des extraits de ce document ont été publiés par le quotidien Ma’ariv en date du 6 juillet 2001.) Le plan opérationnel, connu sous le nom de code « Chemins d’épines », remonte à 1996, et a été actualisé pendant l’Intifada. (Amir Oren, Ha’aretz, 23 novembre 2001). Ce plan comprend tout ce qu’Israël a mis à exécution par la suite, et plus [1].
L’échelon politique (l’entourage de Barak) a, quant à lui, travaillé à préparer l’opinion publique au renversement d’Arafat. Le 20 novembre 2000, Nahman Shai, alors coordinateur des affaires publiques du gouvernement Barak, rendit public au cours d’une conférence de presse un document de 60 pages intitulé « Non-conformité de l’Autorité Palestinienne... Un catalogue de mauvaise foi et de mauvaise gestion ». Le document, connu familièrement sous le nom de « Livre Blanc », a été préparé par l’assistant de Barak, Danny Yatom [2]. Selon le « Livre Blanc », le crime actuel d’Arafat - celui d’« orchestrer l’Intifada » - n’est que le dernier d’une longue liste de preuves montrant qu’il n’a jamais abandonné l’« option de la violence et de la ’lutte’ ». « Déjà, le discours d’Arafat sur le gazon de la Maison Blanche le 13 septembre 1993, portait à croire que pour lui, la Déclaration de Principes ne signifiait pas nécessairement la fin du conflit. À aucun moment il n’a renoncé à son uniforme, symbole de son statut de commandant révolutionnaire. » (Section 2). Cet uniforme, soit dit en passant, est la seule « indication » que fournisse le rapport sur les intentions cachées d’Arafat, à cette occasion.
Une section importante du document est consacrée à établir l’« ambivalence et l’acquiescement » d’Arafat concernant le terrorisme. « En mars 1997 on peut déceler une nouvelle fois plus qu’une allusion à un ’feu vert’ d’Arafat au Hamas, peu avant l’attentat à la bombe de Tel Aviv... Cela ressort implicitement d’une déclaration faite par Imad Faluji, un membre du cabinet d’Arafat affilié au Hamas, à un quotidien américain (Miami Herald, 5 avril 1997). » Aucune autre indication n’est fournie sur le lien que cela permettrait d’établir entre Arafat et l’attentat de Tel Aviv, mais c’est le thème du « feu vert au terrorisme » que les services de renseignement de l’armée (Ama"n) ont défendu depuis 1997, lorsque leur orientation anti-Oslo s’est renforcée. Depuis lors, ce thème a été rabâché tant et plus par les milieux militaires, et a fini par devenir un mantra de la propagande israélienne - Arafat est toujours un terroriste, et sa responsabilité personnelle est engagée pour toute action de tout groupe, du Hamas et du Jihad islamique au Hezbollah.
Dans son numéro du 12 juillet 2001, le Foreign Report (Jane’s Information) révélait que l’armée israélienne (sous le gouvernement Sharon) avait réactualisé ses plans en vue d’un « assaut total pour détruire l’Autorité Palestinienne, éliminer son dirigeant Yasser Arafat, et tuer ou faire prisonnier son armée ». Le plan, intitulé « Destruction de l’Autorité Palestinienne et désarmement de toutes les forces armées », a été présenté le 8 juillet au gouvernement israélien par le chef d’état-major Shaul Mofaz. L’assaut devait être donné, à la discrétion du gouvernement, à la suite d’un attentat-suicide de grande ampleur en Israël, causant de nombreux morts et blessés, ce bain de sang constituant une justification.
Nombreux en Israël sont ceux qui soupçonnent que l’assassinat du terroriste du Hamas Mahmoud Abu Hanoud, survenant précisément alors que le Hamas respectait depuis deux mois son engagement envers Arafat de ne mener aucune action à l’intérieur d’Israël, était conçu pour entraîner le « bain de sang justificatif », à la veille de la visite de Sharon aux États-Unis (Alex Fishman - correspondant en chef pour la sécurité du Yediot Aharonot - observait que « quiconque a décidé la liquidation d’Abu Hanoud savait d’avance quel en serait le prix. La question a été discutée en profondeur tant dans les milieux militaires israéliens qu’à l’échelon politique, avant de donner le feu vert à cette liquidation. » (Yediot Aharonot, 25 novembre 2001))
La démarche d’Israël en vue de détruire l’Autorité Palestinienne ne doit donc pas être considérée comme un « acte de représailles » spontané. C’est un plan calculé, élaboré de longue date. Son exécution exige, tout d’abord, d’affaiblir la résistance des Palestiniens, ce à quoi Israël s’emploie systématiquement depuis octobre 2000, par les massacres, le bombardement des infrastructures, l’emprisonnement des gens dans leurs propres cités, en les conduisant au bord de la famine. Tout cela en attendant que les conditions internationales « mûrissent » assez que pour autoriser les étapes les plus hardies du plan.

Maintenant, les conditions paraissent avoir « mûri ». Dans l’atmosphère politique qui règne aux États-Unis, ivre de puissance, tout est permis. S’il semblait au premier abord que les États-Unis chercheraient à mettre le monde arabe de leur côté par quelques signes de persuasion, comme ils l’avaient fait pendant la guerre du Golfe, il est clair aujourd’hui qu’ils s’en fichent pas mal. La « victoire » écrasante en Afghanistan a envoyé au tiers-monde le message clair que rien ne peut empêcher les États-Unis de prendre une nation pour cible jusqu’à l’anéantissement. Ils semblent croire que les armes les plus sophistiquées du vingt-et-unième siècle, combinées à une absence totale de considération envers les principes moraux, les lois internationales et l’opinion publique, les autorisent à régner à jamais sur le monde. À partir de maintenant, la peur devrait être une condition suffisante d’obédience.

Les faucons américains, qui poussent à étendre la guerre à l’Iraq et au-delà, voient en Israël un atout - il existe peu de régimes dans le monde qui, comme Israël, soient aussi impatients de risquer la vie de leurs citoyens dans quelque nouvelle guerre régionale. Comme le professeur Alain Joxe, président du CIRPES (Centre interdisciplinaire de recherches sur la paix et d’études stratégiques), l’observait dans Le Monde, « le leadership américain [est] actuellement modulé par une extrême droite sudiste assez dangereuse, qui cherche à instrumentaliser Israël comme un outil offensif, déstabilisateur de toute la région sud-méditerranéenne. » (17 décembre 2001). Les mêmes faucons parlent aussi d’étendre le futur théâtre d’opérations à des cibles figurant au programme d’Israël, comme le Hezbollah ou la Syrie.
Dans ces circonstances, Sharon a obtenu le feu vert de Washington. Comme ne cessent de le mentionner avec enthousiasme les médias israéliens, « Bush en a assez de son caractère [à Arafat] », « Powell a déclaré qu’Arafat devait en finir avec ses mensonges » (Barnea et Schiffer, Yediot Aharonot, 7 décembre 2001). Tandis qu’Arafat est retranché dans son bunker, que les bombardiers F-16 israéliens sillonnent le ciel, et que la brutalité d’Israël engendre, chaque jour, de nouvelles bombes humaines désespérées, les États-Unis, accompagnés pendant un temps par l’Union Européenne, continuent de presser Arafat à « agir ».

Mais sur quel raisonnement se fonde ce besoin systématique d’Israël d’éliminer l’Autorité Palestinienne et de défaire les accords d’Oslo ? Certainement pas sur une « déception » à propos des résultats obtenus par Arafat, comme on le prétend généralement. Le fait est que, dans la perspective des intérêts d’Israël à poursuivre l’occupation, Arafat a répondu aux attentes d’Israël tout au long de ces dernières années.

En ce qui concerne la sécurité d’Israël, rien n’est plus éloigné de la vérité que les fausses accusations du « Livre Blanc », ou de la propagande israélienne qui s’en est ensuivie. Pour ne prendre qu’un exemple, en 1997 - l’année mentionnée dans le « Livre Blanc » comme l’un des cas de « feu vert au terrorisme » de la part d’Arafat - un « accord de sécurité » était signé entre Israël et l’Autorité Palestinienne, sous les auspices du chef de l’antenne de la CIA à Tel Aviv, Stan Muskovitz. L’accord confiait à l’Autorité Palestinienne une participation active à la sécurité d’Israël - pour combattre « les terroristes, les bases terroristes, et les conditions environnementales menant au soutien du terrorisme », en coopération avec Israël, y compris sous la forme d’« échange mutuel d’informations, d’idées, et de coopération militaire » (Clause 1). [Traduit du texte hébreu paru dans Ha’aretz, 12 décembre 1997]. Les services de sécurité d’Arafat se sont acquittés fidèlement de cette tâche, par l’assassinat de terroristes du Hamas (déguisés en « accidents »), et l’arrestation de dirigeants politiques du Hamas. [3]

Des informations ont été amplement publiées dans les médias israéliens à propos de ces activités, et les « sources de sécurité » étaient pleines de louanges pour les accomplissements d’Arafat. Par exemple, Ami Ayalon, alors à la tête des services secrets israéliens (Shab"ak), annonça au cours d’une réunion du gouvernement en date du 5 avril 1998, qu’« Arafat fait son travail - il combat le terrorisme et pèse de tout son poids contre le Hamas » (Ha’aretz, 6 avril 1998). Le taux de réussite des services de sécurité israéliens en matière de réduction du terrorisme n’avait jamais été aussi élevé que celui obtenu par Arafat ; en réalité, nettement moindre.
Au sein de la gauche et des milieux d’opposition, on peine à trouver de la compassion pour le destin personnel d’Arafat (au contraire de la tragédie du peuple palestinien). Comme David Hirst l’écrit dans le Guardian, lorsqu’Arafat est retourné dans les Territoires occupés en 1994, « il venait en collaborateur tout autant qu’en libérateur. Pour les Israéliens, la sécurité - la leur, pas celle des Palestiniens - était le but suprême d’Oslo. Sa mission était de la leur fournir en leur nom. Mais il ne pouvait jouer ce rôle de collaborateur que s’il gagnait le quiproquo politique qui, par le biais d’une série d’« accords intérimaires », était sensé aboutir. Il n’a jamais pu... [Tout au long de la route], il a acquiescé, en accumulant les concessions qui ne faisaient qu’élargir le fossé entre ce qu’il accomplissait réellement, et ce qu’il promettait à son peuple qui serait accompli, à la fin, grâce à cette méthode. Il était toujours Monsieur Palestine, avec un charisme et une légitimité historique qui n’appartenaient qu’à lui. Mais il s’est avéré qu’il manquait cruellement à cette autre tâche importante et complémentaire, celle de construire son État en devenir. La misère économique, la corruption, les violations des droits humains, la création d’un vaste appareil répressif - tout cela découlait, en tout ou en partie, de l’Autorité qu’il présidait. » (Hirst, « Arafat’s last stand ? », The Guardian, 14 décembre 2001).

Mais dans la perspective de l’occupation israélienne, tout ceci indique que le processus d’Oslo était, pour l’essentiel, un succès. Arafat parvint à contenir, par le biais de sévères mesures d’oppression, la frustration de son peuple, et à garantir la sécurité des colons, pendant qu’Israël poursuivait imperturbablement la construction de nouvelles colonies et l’appropriation de plus de terres palestiniennes. L’appareil oppressif - les diverses forces de sécurité d’Arafat -, étaient formé et entraîné en collaboration avec Israël. Beaucoup d’énergie et de ressources ont été consacrées à l’édification de ce complexe appareil d’Oslo. Il est généralement admis que les forces de sécurité israéliennes ne peuvent prévenir le terrorisme mieux qu’Arafat n’y parvient. Pourquoi, alors, les échelons militaire et politique étaient-ils si déterminés à détruire tout cela, dès octobre 2000, avant même que ne commencent les vagues de terrorisme ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire de revenir en arrière.

Dès le début du processus d’Oslo, en septembre 1993, deux conceptions s’affrontaient dans les milieux politiques et militaires israéliens. L’une d’elles, conduite par Yossi Beilin, s’efforçait de mettre en œuvre une version du plan Alon, que le parti travailliste avait défendu pendant des années. Le plan d’origine prévoyait l’annexion à Israël d’environ 35% des territoires, et une juridiction jordanienne, ou quelque forme de juridiction autonome pour le reste - la terre sur laquelle vivent actuellement les Palestiniens. Aux yeux de ses promoteurs, ce plan représentait un compromis nécessaire, comparé aux alternatives qui soit restituaient l’ensemble des territoires, soit conduisaient à un bain de sang sans issue (comme nous le voyons aujourd’hui). Il semble bien que Rabin était prêt à suivre cette ligne, du moins au début, et qu’en retour à l’engagement d’Arafat de contrôler la frustration de son peuple et de garantir la sécurité d’Israël, il permettrait à l’Autorité Palestinienne de gouverner les enclaves dans lesquelles les Palestiniens continuent aujourd’hui d’habiter, jouissant d’une certaine forme d’autonomie qui pourrait même être qualifiée d’« État » palestinien.

Mais l’autre tendance s’opposait à tant de concessions. C’était particulièrement notable dans les cercles militaires, dont le porte-parole le plus énergique dans les premières années d’Oslo était Ehoud Barak, alors chef de l’état-major. Un autre centre d’opposition était, bien sûr, Sharon et l’extrême-droite, qui s’opposaient depuis le début au processus d’Oslo. Cette affinité entre les milieux militaires et Sharon est évidemment sans surprise. Sharon - le dernier des dirigeants de la « génération 1948 », était une figure légendaire dans l’armée, et nombre de généraux furent ses disciples, comme Barak. Comme l’écrivait Amir Oren, « L’admiration profonde et constante de Barak pour les idées militaires d’Ariel Sharon est une autre indication de ses opinions ; Barak et Sharon appartiennent tous deux à une lignée de généraux politiques qui a commencé avec Moshe Dayan. » (Ha’aretz, 8 janvier 1999).

Cette race de généraux a été élevée dans le mythe de la rédemption du pays. Une interview de Sharon par Ari Shavit offre un aperçu de cette vision du monde (Ha’aretz, supplément du week-end, 13 avril 2001). Tout y est emmêlé dans un cadre romantique : les champs, les vergers en fleurs, les labours et les guerres. Le cœur de cette idéologie est constitué par le caractère sacré de la terre. Dans une interview de 1976, Moshe Dayan, qui avait été ministre de la défense en 1967, expliquait ce qui avait mené, à l’époque, à la décision d’attaquer la Syrie. Dans la conscience collective israélienne de cette période, la Syrie était considérée comme une menace grave pour la sécurité d’Israël, et l’instigatrice d’agressions constantes contre les habitants du nord d’Israël. Mais selon Dayan, c’est de la « foutaise » - la Syrie ne constituait pas une menace avant 1967 : « Laissez tomber... Je sais comment au moins 80% de tous les incidents avec la Syrie ont commencé. Nous envoyions un tracteur dans une zone démilitarisée et nous savions que les Syriens allaient tirer. » Selon l’interview, il avouait quelques regrets. Ce qui a poussé Israël à provoquer la Syrie de cette manière, c’était l’appât de la terre - l’idée qu’il est possible « d’accaparer une parcelle de terre et de la garder, jusqu’à ce que l’ennemi soit fatigué et nous l’abandonne ». (Yediot Aharonot, 27 avril 1997)

À la veille d’Oslo, la société israélienne dans sa majorité était fatiguée des guerres. À ses yeux, les combats pour la terre et les ressources naturelles étaient dépassés. La plupart des Israéliens pensaient que la guerre d’indépendance de 1948, avec ses conséquences horribles pour les Palestiniens, avait été nécessaire pour établir un État pour les Juifs, hantés par la mémoire de l’Holocauste. Mais maintenant qu’ils avaient un État, ils aspiraient à mener tout simplement une vie normale avec ce qu’ils avaient. Cependant, l’idéologie de la rédemption de la terre ne s’est jamais éteinte au sein de l’armée, ni dans le cercle des « généraux politiques », qui passaient de l’armée au gouvernement. À leurs yeux, l’alternative de Sharon, de combattre les Palestiniens jusqu’au bout et d’imposer un nouvel ordre régional - comme il l’avait tenté au Liban en 1982 - pouvait avoir échoué en raison de la faiblesse d’une société israélienne gâtée. Mais, compte tenu de la nouvelle philosophie de guerre instaurée en Iraq, au Kosovo et en Afghanistan, ils pensent qu’avec la supériorité massive de la force aérienne israélienne, il reste toujours possible de gagner cette bataille dans le futur.

Alors que le parti de Sharon était dans l’opposition à l’époque d’Oslo, Barak, au titre de chef de l’état-major, participa aux négociations et y joua un rôle crucial dans la formulation des accords, et dans l’attitude adoptée par Israël à l’égard de l’Autorité Palestinienne. Je cite un article que j’écrivais en février 1994, parce qu’il reflète ce que quiconque lit attentivement les médias israéliens pouvait voir à l’époque : « Depuis le début, il est possible d’identifier deux conceptions qui sous-tendent le processus d’Oslo. L’une est que cela va permettre de réduire le coût de l’occupation, par le biais d’un régime palestinien d’influence, avec Arafat comme flic en chef, responsable de la sécurité d’Israël. L’autre est que le processus devrait mener à l’effondrement d’Arafat et de l’OLP. L’humiliation d’Arafat, et l’amplification de sa capitulation, conduira progressivement à la perte de tout soutien populaire. En conséquence de quoi l’OLP s’effondrera, ou s’engagera dans la voie des conflits pour le pouvoir. Dès lors, la société palestinienne perdra ses dirigeants laïques et ses institutions. Dans l’esprit de logique de pouvoir de ceux qui ont envie de poursuivre l’occupation israélienne, l’effondrement du pouvoir laïque constitue un aboutissement, parce qu’il faudra longtemps à la société palestinienne pour se réorganiser à nouveau et que, de toute façon, il est bien plus aisé de justifier les pires actes d’oppression lorsque l’ennemi est une organisation islamiste fanatique. Très probablement, le confit entre ces deux conceptions en compétition n’est pas encore réglé, mais pour l’instant, la seconde semble plus dominante : afin que la première l’emporte, le statut d’Arafat aurait dû être renforcé, avec quelques réalisations qui pourraient entraîner le soutien des Palestiniens, au lieu de la politique actuelle d’Israël, faite d’humiliation constante et de manquement aux promesses. » [4]

Néanmoins, le scénario de l’effondrement de l’Autorité Palestinienne ne s’est pas concrétisé. Une fois de plus, la société palestinienne a eu recours à sa merveilleuse stratégie de « Sumud » - s’accrocher à la terre et supporter la pression. Depuis le début, la direction politique du Hamas, et d’autres, mettaient en garde contre les tentatives d’Israël de mener les Palestiniens vers une guerre civile, dans laquelle la nation s’anéantirait elle-même. Toutes les fractions de la société ont coopéré en vue de prévenir ce danger, et de calmer les conflits dès qu’ils dégénéraient en combats armés. Elles sont aussi parvenues, en dépit du gouvernement tyrannique d’Arafat, à mettre en place un ensemble impressionnant d’institutions et d’infrastructures. L’Autorité Palestinienne ne consiste pas seulement en dirigeants corrompus et en diverses forces de police. Le Conseil législatif palestinien, élu, qui fonctionne en dépit de restrictions sans fin, continue d’être un cadre politique représentatif, la base pour les institutions démocratiques du futur. Pour ceux qui se donnaient pour but la destruction de l’identité palestinienne et la rédemption finale de leur pays, Oslo aura été un échec.

En 1999, l’armée est revenue au pouvoir, par le biais des « généraux politiques » - Barak d’abord, Sharon ensuite. (Ils ont collaboré, lors des dernières élections, pour faire en sorte qu’aucun autre candidat, civil, ne puisse les emporter.) La route s’est ouverte pour corriger ce qu’ils considéraient comme la grande erreur d’Oslo. Pour y parvenir, il était d’abord nécessaire de convaincre la société israélienne gâtée que les Palestiniens ne veulent pas vivre en paix et menacent notre existence même. Sharon seul n’aurait sans doute pu y parvenir, mais Barak a réussi, grâce à son escroquerie des « offres généreuses ». Après un an d’attaques terroristes horribles, jointes à une propagande massive et mensongère, Sharon et l’armée estiment que rien ne peut les arrêter sur la voie de l’exécution totale.

Pourquoi est-il si urgent de renverser Arafat ? Shabtai Shavit, ancien chef des forces de sécurité (« Mossad »), qui n’est pas lié par la retenue imposée aux sources officielles, l’explique ouvertement : « Dans les quelque trente années qu’il [Arafat] a été au pouvoir, il est parvenu à remporter quelques véritables succès dans la sphère politique et internationale... Il a obtenu le prix Nobel de la paix, et sur un simple appel téléphonique, il peut obtenir une rencontre avec n’importe quel dirigeant dans le monde. Dans ce contexte international, il n’existe personne de sa pointure dans le monde politique palestinien. S’ils [les Palestiniens] perdent cet atout, cela représente pour nous une avancée énorme. La question palestinienne disparaîtra des agendas. » (interview dans le supplément week-end du Yediot Aharonot, 7 décembre 2001).

Leur objectif immédiat étant de faire disparaître les Palestiniens de l’agenda international, le massacre, la famine, l’évacuation forcée et la « migration » peuvent se poursuivre imperturbablement, aboutissant si possible à la vision à long terme de Sharon, concrétisée dans les plans militaires. L’objectif immédiat de quiconque se sent concerné par l’avenir du monde, doit être de faire cesser ce processus de déchaînement du mal. Comme l’écrivait Alain Joxe en conclusion de son article dans Le Monde : « Il serait donc temps pour les opinions publiques occidentales de reprendre le contrôle de ce débat et d’obliger les gouvernements à plus de conscience morale et politique, face au désastre qui se précise, à savoir un état de guerre permanent contre les peuples et les nations arabes et musulmanes, la réalisation du double fantasme de Ben Laden et de Sharon. » (17 décembre 2001).

Notes
1. Pour les détails de ce plan opérationnel, consulter Anthony Cordesman, « Peace and War : Israel versus the Palestinians A second Intifada ? » Center for Strategic and International Studies (CSIS), décembre 2000, et le résumé par Shraga Eilam, « Peace With Violence or Transfer », Between The Lines, décembre 2000.
2. Ce document peut être consulté sur http://www.gamla.org.il/english/feature/intro.htm.
3. Pour une vue d’ensemble sur les assassinats de terrosistes du Hamas par l’Autorité Palestinienne, lire mon article « The A-Sherif affair », Yediot Aharonot, 14 avril 1998, et http://www.tau.ac.il/~reinhart/political/A_Sharif.html.
4. L’article (en hébreu) peut être consulté sur http://www.tau.ac.il/~reinhart/political/01GovmntObstacleToPeace.doc.
[ Traduit de l’anglais par Giorgio Basile ]
31 décembre 2001 Éditeur : © Giorgio BASILE, E-mail : webmaster@solidarite-palestine.org
(tiré du site www.solidarité-palestine.org)


Tanya Reinhart enseigne la linguistique à l’université de Tel Aviv. Le texte anglais de cet article, Evil Unleashed, paru le 19 décembre 2001, peut être consulté sur http://www.mediamonitors.net/tanya11.html.

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