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France : Interview d’Olivier Besancenot à Têtu sur le mouvement gay et lesbien

vendredi 10 octobre 2008

Interview d’Olivier Besancenot à Têtu
Paru dans le numéro 135 du 25 juin 2008. Par Marc Endeweld.

A la base de votre engagement,dans les années 1980,vous vous êtes « nourri d’antiracisme à SOS Racisme. Le mouvement gay et lesbien et le féminisme faisaient-ils aussi partie de vos références ?

Non, pas à la base. Pour ne pas bluffer, je dirais que c’est venu par mon engagement politique. Des militants de la LCR étaient investis dans le féminisme, dans le combat gay et lesbien, avec des hauts et des bas dans notre courant. A la fin des années 1980, lors d’une de nos rencontres internationales de jeunes en Espagne, j’ai découvert le sujet avec les espaces non mixtes et d’autres initiatives des commissions homos. J’avais 14 ans, avec dans la tête Che Guevara et l’envie de faire la révolution sans pouvoir blairer les fachos. Ça s’arrêtait à peu près là. Tu te prends une claque. Puis tu commences à comprendre les choses au fur et à mesure ...

Pourquoi soutenez-vous les revendications des gays et des lesbiennes concernant le mariage et l’adoption ? Ne les trouvez-vous pas trop bourgeoises ?

Notre principe de base est de combattre pour l’égalité des droits intégrale homos-hétéros. Tant qu’il y a des inégalités, on les combat. C’est le cadre global pour comprendre le reste. Ça n’empêche pas qu’on peut avoir tel ou tel avis sur le mariage en tant qu’institution. On ne le valorise pas particulièrement. Ça, c’est clair. Mais nous revendiquons les mêmes droits en termes de filiation, de mariage, d’adoption, qu’on soit homo ou hétéro.

Avant d’aller à l’émission de Michel Drucker, vous avez déclaré : "Je joue un rôle dans le système médiatique, mais l’important c’est ce que j’en fais." Les médias ont joué un grand rôle dans l’affirmation gay et lesbienne ...

Le point commun, c’est la visibilité, avec sa force et sa faiblesse. La force d’une visibilité à travers les médias, c’est de pouvoir s’adresser à des millions de personnes, d’être un point de repère. La gauche anticapitaliste n’a pas vocation à rester dans une réserve d’Indiens. La révolution, on ne pourra la faire qu’avec la majorité de la population. Ça implique d’intégrer la multitude d’exploités et d’opprimés. Du coup, la visibilité compte. La faiblesse, c’est que ça ne suffit pas. Au final, rien ne remplace le travail de fourmi, quotidien, qui se fait souvent dans l’anonymat. J’allais dire au ras du sol. De la même manière, la Gay Pride, la Marche des Fiertés, ça ne suffit pas. C’est un moment important, qui a une histoire, qui vient d’un moment de révolte, et c’est pour ça qu’il faut continuer à y participer, mais ça ne suffit pas. Il ne faut pas retenir que le moment qui reste dans la rétine ...

À gauche, il y a parfois des réticences à l’égard des coups médiatiques. On pourrait évoquer le mariage de Bègles de Noël Mamère ...

Dans l’entreprise où je travaille, La Poste, c’est la première fois qu’il y a eu un débat à cette échelle-là. C’est là où j’ai entendu tous les poncifs que je pensais ne plus entendre, en termes de stéréotypes, d’homophobie. Pour moi, il y a les revendications, et puis, il y a un processus de conscientisation. C’est même la base d’un engagement : tout ne se règle pas par des lois, des mesures administratives, même s’il en faut. Après le mariage de Bègles que j’ai soutenu, Noël a même été suspendu pendant un mois par la préfecture ! Au-delà du coup médiatique, c’était bien une action de désobéissance civile.

Concernant le coming-out et la politique du « je », s’affirmer en tant qu’homosexuel, ce n’est pas très habituel dans la tradition des collectifs ...

Oui, depuis 1969,ces questions ont percuté le mouvement social, la gauche traditionnelle et la gauche révolutionnaire. Celles-ci ont posé la question de la fierté, qui n’est pas quelque chose de « comptable ». Or, certaines organisations progressistes sont entrées dans des logiques comptables ; dans le sens « que peut-on gagner, que peut-on arracher ». Aujourd’hui, dans les luttes sociales, la dignité, la fierté, c’est quelque chose de super important. Des personnes qui vont au carton face à Sarkozy disent : "Je pense qu’on ne va pas gagner, mais j’y vais, parce que je suis digne, et je veux rester debout." Lorsqu’on retire tout aux travailleurs, il leur reste la fierté, disait Marx. Ensuite, l’articulation entre l’engagement militant et la vie personnelle pose le rapport du collectif à l’individu. La liberté de l’individu, nous devrions la contester au libéralisme et au capitalisme. Ce système prétend être le champion de ces libertés-là, alors qu’en vérité la société qui suscite chez l’individu des besoins, des aspirations, des désirs n’est pas capable de les satisfaire.

Mais on a un peu l’impression que, d’un côté, il y a une égalité abstraite, et de l’autre, des luttes particulières ...

Aimé Césaire expliquait par la négritude qu’on pouvait être fier d’être noir, sans être raciste pour autant, tout en ayant une vision universelle et vivre avec les autres peuples. Nous sommes pour que les communautés s’organisent sur leurs propres bases, que ceux qui subissent un sujet d’oppression et de domination résistent eux-mêmes. Ce qui n’est pas synonyme de « communautarisme », lequel commence quand il n’y a pas de jonction avec le restant du mouvement progressiste. Par le passé, les milieux révolutionnaires ont mis du temps à prendre en compte les luttes des gays et des lesbiennes, comme si celles-ci étaient secondaires, par rapport à la grande lutte ouvrière, et l’idée du « grand soir » ... Je pense que la page a été tournée. On est dans un nouveau contexte. Le vrai prolétariat, c’est ceux qui vendent leur force de travail, manuelle ou intellectuelle, pour vivre. En vérité, nous n’avons jamais été aussi nombreux.

D’où l’idée d’un nouveau parti ... Mais quels liens avec les associations LGBT ?

Dès le départ, on a dit qu’on voulait construire une force qui soit anticapitaliste, internationaliste, écologiste, féministe, et qui lutte contre l’homophobie. Concrètement, on s’adresse aux militants de ces mouvements-là. Le gouvernement lâche quelques miettes ici ou là. Est-ce que l’on s’en contente ? La France est à la traîne par rapport à d’autres pays comme les Pays-Bas, la Belgique, l’Espagne. Nous serons donc présents à la Marche des fiertés, on y distribuera un appel spécifique LGBTI (lesbiennes, gays, bis, trans, intersexué[e]s), pour sortir d’une logique de parcellisation, en cherchant à unifier les luttes. C’est une question qui se pose au mouvement LGBTI aujourd’hui, et au nouveau parti : on ne peut pas se sentir libre, affranchi d’une servitude sexuelle, tant que restera pour d’autres une servitude sexiste, raciste ou sociale. Il s’agit d’inscrire son combat dans un combat plus large. Concernant la lutte contre l’homophobie, c’est à l’Education nationale et sur les lieux de travail qu’il y a beaucoup de retard. Un jour, un collègue m’avait dit : « De toute façon, il n’y en a pas à La Poste », avec le stéréotype, « les homos vivent dans le Marais, donc c’est des riches ». Il faut qu’on arrive à faire entrer davantage ces questions-là dans le mouvement social …

Justement, quelles sont les limites du travail syndical contre l’homophobie ?

Déjà, je vois rarement des campagnes d’information, ou elles sont ponctuelles. Ce qui manque, c’est une campagne unitaire. Concernant les discriminations, ce n’est pas que le problème des collègues. Les hiérarchies comptent. Et le rapport employeur-employé n’est pas égalitaire contrairement à ce que dit Sarkozy dans sa volonté d’individualiser le rapport au travail. Avec le nouveau contrat social qu’il propose entre l’employeur et l’employé, qui consiste à casser les conventions collectives pour avoir un rapport en tête à tête, faut savoir que c’est un boulevard offert à toutes les discriminations, et à l’homophobie ...

Avec le développement du harcèlement sexuel, du harcèlement moral ?

Absolument, et pour le coup, c’est typiquement quelque chose qui devrait interpeler en même temps les militantes et militants LGBTI et le mouvement syndical. Voilà une jonction entre la lutte contre l’homophobie et un combat plus global. .. Nous sommes pour accorder de nouveaux droits, y compris aux comités d’entreprise, dans la lutte contre les discriminations, qu’elles aient lieu à l’embauche ou dans l’évolution de carrière.

Pour vous, y a-t-il un milieu plus homophobe qu’un autre ?

Il y a de l’homophobie dans la société française, et je pense qu’aucune sphère de la société n’est épargnée. Or, aujourd’hui, il y a un discours qui consiste à stigmatiser, pour faire vite, les prolos et les jeunes des quartiers, en expliquant que l’homophobie n’existe que là. Mais moi, je ne le pense pas. L’homophobie existe aussi là, mais elle est présente dans tous les secteurs de la société. Quand j’évoque le monde du travail, ce n’est pas pour stigmatiser les classes populaires, c’est que celui-ci est un lieu de socialisation où existe l’homophobie.

Justement, pourquoi à une peur, l’homophobie, faudrait-il répondre par une autre peur, la « bande de jeunes » ?

Effectivement, c’est le discours de la peur, de la division. Et comment oppose-t-on à la peur une logique fondée sur l’espoir ? Par le travail militant : notre rapport au mouvement LGBTI n’est pas électoraliste. Des politiques pensent que c’est une formidable réserve de voix, et ne s’investissent que lors des élections. Notre vision militante implique au contraire d’établir des passerelles pour que les différents groupes discriminés arrêtent de se tirer dans les pattes, les uns les autres. Je dis ça autant aux associations LGBTI qu’aux associations de quartier. Les adversaires ne sont pas là : les jeunes des quartiers ne sont pas particulièrement plus homophobes que tel patron, que tel journaliste ou responsable politique ...

Evidemment, une fois parties les caméras ! Pareil, il n’y a pas une religion qui aurait le monopole de l’homophobie. Il n’y a qu’à voir le pape, la Pologne, ce qui s’est passé en Russie : il n’y a pas que l’Egypte ! Du coup, il est nécessaire de voir à quoi sert l’homophobie dans la société actuelle, et au niveau international. Car les puissants savent instrumentaliser les luttes pour maintenir la division. Aucun mouvement luttant contre une discrimination ne doit tomber dans le panneau.

Dans le collectif Devoirs de mémoires, Joey Star, qui en fait partie comme vous, s’était prononcé contre l’homophobie ...

Oui, chacun doit comprendre, militants LGBTI, féministes, antiracistes, écologistes, que le pouvoir souffle le chaud et le froid sur nos différentes luttes. C’est diviser pour mieux régner, c’est vieux comme le monde, mais n’empêche, en ce moment, ça marche trop bien. Or, on ne peut être à la fois une victime de l’homophobie et un salarié floué ... Sur les « franchises médicales », dans notre meeting d’octobre, des séropositifs qui militaient dans des collectifs contre les franchises sont intervenus pour expliquer leur situation.

Le PS est bien silencieux sur ce sujet ...

Il faut arrêter de pleurnicher en demandant au PS de faire un truc qu’il n’a plus envie de faire. Face à une droite de droite, il faut une gauche de gauche, décomplexée. D’où l’idée d’un nouveau parti plus adapté à notre temps. Car le souffle militant n’a pas disparu, et le renouvellement est là : la commission LGBTI de la Ligue, c’est des jeunes. Ce souffle-là, il continue et nous fait garder l’espoir.