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Philippines : la politique du pire à Mindanao

vendredi 10 octobre 2008, par Pierre Rousset

Nous reproduisons ci-dessous un premier article, paru dans Rouge, sur l’aggravation brutale de la situation dans le sud de l’archipel philippin. Il sera suivi d’un deuxième, beaucoup plus développé, qui inclura des questions qui n’ont pu être abordées ici (rôle des Etats-Unis, débats dans la gauche...).

Philippines : la politique du pire à Mindanao
ROUSSET Pierre

Tiré de Rouge n° 2265, 11/09/2008


Des négociations de paix entre le gouvernement philippin et les organisations musulmanes ont brutalement laissé place à une situation de guerre.

Début août, après onze ans de négociations (1997-2008), un accord semblait sur le point d’être conclu entre le gouvernement philippin et le Front islamique moro de libération (MILF, dans son sigle anglais). Il s’agissait du mémorandum d’accord sur le domaine ancestral (MOA-AD). Les ambassadeurs des États-Unis et de l’Organisation de la conférence islamique se rendaient à Kuala Lumpur, capitale de la Malaisie, pour assister à la cérémonie de signature, quand la Cour suprême des Philippines a bloqué à la dernière minute le processus.

À Mindanao, île du sud de l’archipel, là où vivent les populations musulmanes – les Moros –, la situation a brusquement basculé. La présidente Gloria Arroyo a pris ses distances par rapport au mémorandum. Se sentant trahis, trois commandants du MILF ont mené, en rétorsion, de violentes attaques contre des populations chrétiennes. L’armée gouvernementale a lancé une grande offensive contre la plupart des camps du Front islamique, causant, elle aussi, beaucoup de pertes civiles. Les combats ont rapidement fait quelque 300 morts et 300 000 réfugiés.

Comment comprendre ce retournement de situation ?

Les négociations de paix ont été menées dans le plus grand secret. Les populations concernées par l’extension de la région sous autorité moro n’ont pas été informées et consultées. Quand des « fuites » ont révélé la teneur du mémorandum, elles ont provoqué un violent mouvement de rejet, tant au sein de l’élite philippine que parmi les villageois non musulmans. La Cour suprême a alors eu beau jeu de dénoncer le caractère anticonstitutionnel de l’accord.

La présidence philippine ne pouvait ignorer que la crise était inévitable. De nombreux analystes pensent donc que Gloria Arroyo avait préparé l’échec des négociations. Ne pouvant légalement se présenter à un nouveau scrutin présidentiel, elle cherche actuellement les moyens de rester au pouvoir, ne serait-ce que pour échapper aux accusations de fraude et de corruption. Le chaos dans le sud de l’archipel peut l’y aider.

Le Front islamique contrôle mal certains de ses commandants sur le terrain. À son tour, la réaction extrêmement brutale de trois d’entre eux, qui ont commis de véritables massacres à l’encontre de villages chrétiens, a alimenté l’engrenage de la guerre. Quant à l’armée, elle en profite pour militariser plus encore la société, créant de nouveaux groupes paramilitaires dans les populations non musulmanes.

La présidence et l’armée philippines jouent la politique du pire : les affrontements à caractère intercommunautaire. Le patient travail mené par les mouvements de la paix pour tisser des solidarités entre les « trois peuples » de Mindanao (musulmans, chrétiens et Lumads) est ainsi remis en question. Des négociations secrètes ne permettent pas de construire une relation de confiance entre communautés et de préparer la paix. Nos camarades du Parti révolutionnaire des travailleurs de Mindanao (RPM-M) l’ont compris. Eux-mêmes engagés dans des pourparlers avec le gouvernement, ils associent directement les communautés villageoises et tribales aux négociations dans les territoires où ils sont implantés.

On ne peut pas non plus construire la paix à Mindanao en ignorant les Lumads, tribus montagnardes dont les domaines ancestraux se trouvent souvent au sein du territoire administré ou revendiqué par les Moros. Un double droit à l’autodétermination doit ainsi être reconnu. C’est aussi là-dessus qu’insistent nos camarades du RPM-M. Or, les analystes, les militants philippins, le gouvernement et le MILF ne mentionnent généralement pas cette question.

Le combat pour la paix à Mindanao se mène aujourd’hui dans des conditions très difficiles et dangereuses. Il mérite de recevoir le soutien de la solidarité internationale.

ROUSSET Pierre
* Paru dans Rouge n° 2265, 11/09/2008.