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Non à la crispation identitaire du nationalisme québécois !

samedi 9 mai 2009, par Bernard Rioux


mardi 2 septembre 2008


La réponse de Françoise David et d’Amir Khadir aux personnes outrées de leur refus de la théorie de la convergence culturelle autour du nous francophone défini comme le coeur de la nation, a été d’affirmer que seule l’indépendance pourrait nous permettre de sortir de l’impasse actuelle. En cela, ils ont dit l’essentiel. Leur allégeance à l’interculturalisme était une réaction saine à la crispation nationaliste portée par le PQ. Mais c’est une alternative insuffisante. C’est ce que nous voudrions maintenant démontrer.


Depuis la déclaration de Parizeau au soir du référendum de 1995, alors que dominait une conception civique de la nation au sein du nationalisme québécois, il y a eu remise en cause d’une approche purement civique au profit une approche de plus en plus culturaliste de la nation.

« … nous ne devons plus être gênés ou avoir peur de dire qu’au Québec, la majorité francophone veut être reconnue et qu’elle est le cœur de la nation. À ceux, nombreux, qui ont fait du Québec leur terre d’adoption, nous disons aussi que l’histoire est un train en marche. Chacun y monte depuis la gare qui est la sienne et fait partie du voyage. Il n’est pas nécessaire d’être né ici pour être passager de notre histoire. (ALLOCUTION DE MME PAULINE MAROIS, CHEF DU PARTI QUÉBÉCOIS, À L’OCCASION DE SON ASSEMBLÉE DE NOMINATION CENTRE COMMUNAUTAIRE DE BEAUPRÉ MERCREDI 29 AOÛT 2007)

« Dire « nous », c’est en réalité affirmer deux choses : qu’il existe au Québec une majorité que l’histoire a fabriquée dans sa singularité et son originalité et que cette majorité aspire, légitimement, à l’affirmation d’elle-même au nom d’une identité, d’une langue et de valeurs qu’elle conçoit comme étant les siennes. Dire « nous », c’est aussi inviter toutes celles et ceux qui ne se réclament pas de quatre siècles d’histoire à rejoindre la majorité dans ses espérances et dans l’édification d’une société démocratique et ouverte en Amérique. » CONFÉRENCE NATIONALE DES PRÉSIDENTES ET PRÉSIDENTS : DISCOURS DE PAULINE MAROIS, La Loi sur l’identité québécoise, samedi 20 octobre 2007

Le nous, cœur de la nation, a vite débouché sur la définition d’une citoyenneté québécoise qui impliquait la naturalisation canadienne pour tout candidat ou toute candidate à la citoyenneté québécoise à laquelle on surajoutait, un examen de passage… pour démontrer la maîtrise du français… Puis, cela préparait sans doute le serment d’allégeance aux « valeurs fondamentales » de la société québécoise…

Le Parti québécois rebascule d’un nationalisme civique vers un nationalisme resubstantialisé

L’identité québécoise ne serait pas le fruit d’une histoire toujours inachevé, mais une identité substantielle se fondant sur l’adhésion à des valeurs déterminées. La majorité francophone devrait être reconnue comme le cœur de la nation. Il ne s’agit pas bien sûr de revenir à un nationalisme ethnique (on peut devenir québécois-e. On ne dit pas qu’il est nécessaire d’être né ici pour être passager de notre histoire). Mais, ce qui est dessiné c’est un modèle d’intégration moins marqué par l’interculturalité (plusieurs façon d’être Québécois-e) que par une redéfinition plus précises des marqueurs identitaires et d’une plus grande conformité culturelle aux valeurs de la majorité francophone : (égalité des hommes et des femmes présupposée, laïcité identitaire, bonne maîtrise de la langue française…) On assiste donc à un passage d’un modèle interculturaliste à la réaffirmation d’un modèle assimilationniste qui refuse de se reconnaître comme tel.

Le modèle interculturaliste est insuffisant

Dans le modèle interculturaliste, on parle de convergence culturelle autour de la langue française et de la culture franco-québécoise. On veut éviter le meeting pot américain d’une part et le cloisonnement ethnique d’autre part, se distinguant par là de la légèreté du multiculturalisme à cet égard. Ce modèle d’intégration avance l’idée d’un contrat moral : choix d’intégrer la collectivité, d’en partager la langue commune et les valeurs fondamentales et de s’attendre à pouvoir y participer librement. Mais le modèle est interculturel, car la tradition française doit « servir de foyer de convergence pour les diverses communautés qui continuent par ailleurs à manifester ici leur présence et leurs valeurs propres. (Ministère d’État au développement culturel, politique culturel, 1978, p. 46) Dans ce modèle, les apports culturels contribuent à définir une nouvelle « culture québécoise ».

Au contraire du multiculturalisme, l’interculturalisme insiste, au cœur même de son approche, sur la problématique des échanges interculturels. Et le contrat moral est le garant d’une intégration réussie : on forme une société dont le français est la langue commune de la vie publique ; une société où la participation et la contribution de tous sont attendus et favorisées par une société ouverte aux multiples apports dans les limites du respect des valeurs démocratiques fondamentales. (MCCI, 1990, p. 15)

Mais le modèle interculturaliste, en postulant l’influence déterminante de la culture sur les attitudes et comportements, envisage la transformation de l’ordre en laissant intacte la structure socio-économique et politique existante qui elle n’est pas passive pour autant.

Contre le repli identitaire et au-delà de l’interculturalisme, faire de fragments épars une mosaïque recomposée

Premièrement, il faut reconnaître la diversité comme une des caractéristiques constitutives du peuple québécois. Cela va au-delà de l’interculturalisme et de l’intégration au cœur de la nation québécoise. La diversité et le pluralisme ne sont pas seulement respectés, mais ils représentent des éléments qui contribuent à définir le peuple québécois. La langue est présentée, non d’abord sous l’aspect de la culture française mais comme l’instrument d’un projet démocratique, comme langue publique qui vise à faciliter la participation à la chose publique.

Il est vrai qu’une nation est d’abord une collectivité dont les membres partagent une histoire commune, une langue, une culture, des mœurs communes et une communauté de destin. Mais une nation est un produit social et historique. Elle n’a rien d’essentialiste et d’immuable. Elle est en permanente reconstruction.

Si toutes les personnes résidant au Québec sont des citoyens et des citoyennes du Québec, le sentiment d’appartenir à une collectivité nationale est toujours le produit d’une histoire complexe, particulièrement dans un État fédéral comme le Canada, où les projets d’affirmation nationale sont multiples et contradictoires. Les anglophones du Québec sont des citoyennes ou des citoyens au Québec. C’est une minorité nationale historique partie prenante d’une nation majoritaire dans l’État canadien. Cette minorité nationale peut adopter une nationalité québécoise dans des conditions déterminées. Au Canada, la nation québécoise est une minorité nationale, comme les nations autochtones, acadienne ou métis. Et les identités peuvent se combiner. On peut parfaitement ressentir son appartenance personnelle à plusieurs identités nationales. On parle alors d’identités nationales emboitées où des nations sur un territoire donné adoptent une identité nationale fragmentée : celle de la nation minoritaire aussi bien que celle de la nation majoritaire.

La nation majoritaire dominante – ici canadienne- adhère, elle, à une seule nationalité, allant jusqu’à nier l’existence des nations minoritaires. C’est le propre des nations dominantes de ne pas vivre une crise identitaire. Trudeau aimait répéter qu’il n’y avait qu’une seule nation au Canada, la nation canadienne.

Les communautés culturelles ne sont pas que des nous minoritaires à moins d’avoir une vision assimilationniste, les populations immigrantes –et les communautés culturelles qu’elles fondent- n’ont pas qu’à s’adapter à la culture d’ici. Cela va dans les deux sens. La diversité ethnoculturelle est lourde d’apports culturels qui amènent la société d’accueil à se transformer. La reconstruction identitaire est aussi posée pour la nation d’accueil. C’est un facteur parmi d’autres d’une permanente reconstruction de l’identité nationale. S’il y a intégration, ce n’est pas une intégration/assimilation mais une intégration/dépassement (cointégration) de l’identité présente de la société d’accueil.

Les ultimatums ne peuvent constituer une politique intégratrice

Donc, l’intégration des minorités culturelles ou mêmes de minorités nationales à la nation québécoise ne sera pas le produit d’ultimatums. Si on peut proclamer des conditions de la citoyenneté québécoise, dans le cadre d’une lutte pour l’indépendance du Québec, citoyenneté qui ne peut se construire et se développer qu’en opposition et non pas en continuité avec la citoyenneté canadienne, le sentiment identitaire d’appartenance à la nation sera le produit d’une ouverture démocratique, de combats communs pour un projet social émancipateur.

L’identification à la nation québécoise de la part des membres des communautés culturelles et des personnes immigrantes comme identification nationale essentielle sinon unique ne sera pas le fruit d’une démarche juridique mais d’une expérience historique, de luttes communes et partagées pour une société plus juste, plus démocratique, plus intégratrice, qui élargit la démocratie citoyenne sur une perspective indépendantiste…

Dans cette optique, la citoyenneté québécoise ne prendra un sens que si elle se fait avant l’obtention de la citoyenneté canadienne, si elle est sans condition autre que la résidence et qu’elle manifeste une volonté radicale de la société d’accueil de créer les conditions économiques, sociales et culturelles de cette cointégration citoyenne. C’est dans le creuset de ces luttes qu’une nouvelle identité nationale (et tout à la fois internationaliste) pourra se définir et que la solidarité avec le projet d’indépendance pourra être construite.

Les fondements d’une politique intégratrice passe par la mise en évidence de la fracture de classe entre la classe dominante et les classes dominées et de la fracture de genre qui traverse dans des formes spécifiques l’ensemble de la société québécoise. Pour se battre contre la fracture entre nationaux et étrangers, il faut faire prévaloir ces fractures de classe et de genre dans la définition même de la nation dominée. Il faut lier une orientation d’égalité sociale, démocratique et de genre de toutes les composantes de la société à une véritable politique de redéfinition culturelle de la nation par l’apport de l’ensemble de ces cultures. Il ne s’agit pas de multiculturalisme qui renferme les personnes immigrantes dans leurs communautés d’origine. Il s’agit, au contraire, d’un véritable métissage citoyen et démocratique qui seul porte le dépassement des divisions communautaires. Il ne s’agit pas non plus de défendre un universalisme abstrait qui se contente d’assurer l’égalité des droits sans s’attaquer à l’inégalité de fait. Il s’agit, dans le projet, dans le droit et dans les luttes concrètes de construire les conditions de cette égalité réelle.

Cette approche nécessite de rejeter avec force la grille de lecture dominante aujourd’hui d’une guerre des civilisations. Cette grille de lecture du réel a pour fin de nous empêcher d’interpréter notre réalité sociale et nationale en termes de confrontations de classe et de genre.

En somme, il s’agit de réduire les écarts entre égalité citoyenne proclamée et la réalité des inégalités et des discriminations. Il s’agit de refuser de stigmatiser des populations entières et de montrer que ce sont des luttes sociales concrètes qui peuvent fournir le creuset efficace d’un partage mutuel et d’une véritable transformation des mœurs, sources concrètes de nouvelles solidarités.

C’est ainsi qu’il faut pouvoir démontrer l’articulation entre la lutte des classes et les luttes identitaires. Comme socialistes, on ne peut mobiliser massivement pour l’identité nationale que dans une perspective d’égalité. Comme socialistes, nous pouvons soutenir une revendication identitaire pourvu qu’elle manifeste une aspiration à l’égalité réelle. Une prolétaire qui entre dans un mouvement national identitaire à vocation égalitariste n’est pas en contradiction avec sa position sociale. Un bourgeois qui fait de même est en contradiction avec son intérêt de classe dans l’État dominant. C’est pourquoi les péquistes néolibéraux ne sont toujours retournés aux moments cruciaux contre les revendications nationales d’indépendance et les ont travesties dans des revendications acceptables (selon eux) par l’État de la nation dominante. En quoi, ils ont sans cesse mené le mouvement national dans les concessions et dans l’impasse.

La grande contradiction dans la lutte nationale au Québec ne se retrouve pas entre les revendications ouvrières et populaires d’une part et les revendications nationales d’autre part mais entre l’existence d’une majorité sociale des classes ouvrières et populaires et l’inexistence d’une majorité politique représentant ces classes. Pour pouvoir assumer pleinement la question, il faut permettre aux gens de s’exprimer tels qu’ils sont avec leur identité. Mais pour que cette approche prenne vraiment sens, il faut distinguer égalité sociale et politique réelle d’une égalité abstraite qui affirme que la proclamation d’un droit suffirait en elle-même pour corriger les inégalités.

La solution aux problèmes véritables qui se posent à la population du Québec sera politique. Elle se fondera sur l’articulation démocratique d’un projet de transformation sociale véritable et d’indépendance nationale. C’est dans la mesure où les forces de gauche tant au niveau politique que des mouvements sociaux pourront trouver les voies de la remobilisation sociale et nationale qu’il sera possible de dépasser la situation actuelle. Les discours fumeux sur les valeurs communes apparaîtront pour ce qu’ils sont vraiment : une erreur de perception et… d’analyse.