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Venezuela

La rage raciste de l’élite de Caracas

vendredi 27 décembre 2002

Richard Gott

Pilin Leon, l’ancienne Miss Venezuela, était occupée à être juge dans le concours de Miss Londres qui se tenait à Londres le samedi 7 décembre quand le pétrolier portant son nom a illégalement jeté l’encre dans le lac Maracaibo, la principale zone pétrolière du Venezuela. C’est alors que les marines [soldats] vénézuéliens sont montés à bord. La fin de l’histoire était supposée signifier la fin de la lutte de classes. Mais le conflit politique à l’úuvre aujourd’hui au Venezuela suggère qu’elle est vivante et fort bien vivante.

Lorsque le capitaine du Pilin-Leon a jeté l’encre, il exprimait sa solidarité avec la grève antigouvernementale lancée à Caracas [par le patronat et la bureaucratie syndicale du pétrole]. Mais l’équipage du pétrolier était opposé à cette grève et à l’action décidée par le capitaine. Lorsque les soldats sont montés à bord du pétrolier, sur les ordres du président Hugo Chavez en habit militaire, seul le capitaine a dû être remplacé.

Au cours de la dernière année, et même plus, les classes élevées et moyennes du Venezuela, opposées au gouvernement Chavez, ont protesté dans les nouveaux quartiers riches de Caracas, alors que les pauvres - c’est-à-dire la vaste majorité de la population de cette ville - venaient au centre depuis leurs bidonvilles afin de manifester en défense de « leur » président.

Chavez a célébré, les 9 et 10 décembre, sa large victoire électorale d’il y a quatre ans. Il l’a fait au moment où se développait depuis une semaine une grève insurrectionnelle visant à ce qu’il démissionne. Jusqu’à maintenant, il a manifesté une capacité à la Houdini [prestidigitateur français qui se sortait de toutes les situations les plus difficiles] d’échapper aux situations les plus difficiles. En avril 2002, un scénario assez similaire à l’actuel avait conduit à un bref coup d’Etat dont Chavez a réchappé grâce à une alliance entre les pauvres et les forces armées. Cette fois, le président Chavez dit qu’il ne sera pas pris par surprise.

L’opposition espère répéter en décembre 2002 ce qu’elle a échoué à mener à bien en avril. Mais la situation n’est plus identique. Les forces armées sont actuellement plus solidement derrière le président qu’antérieurement. Les généraux les plus conservateurs n’ont plus de positions importantes de commandement. Ceux qui étaient partie prenante de la tentative de coup d’Etat d’avril ont tous été mis à la retraite.

La situation internationale est de même différente. Les Etats-Unis avaient bien accueilli le coup d’avril ; mais, cette fois, ayant d’autres problèmes plus importants ailleurs, Washington est plus circonspect. Washington a publiquement soutenu la négociation conduite par Cesar Gaviria, l’ex-président colombien qui dirige l’Organisation des Etats américains [Gaviria est censé établir un dialoague entre le gouvernement Chavez et les représentants de l’opposition ; l’OEA, dans laquelle les Etats-Unis ont un rôle prépondérant, lui a donné une fonction de médiateur].

Peut-être, un élément plus important que les changements d’attitude au sein des militaires et de l’administration américaine réside dans la mobilisation plus déterminée, aujourd’hui, des masses paupérisées ; à tel point qu’existent des débats sur une possible guerre civile. Jusqu’au coup d’avril 2002, les pauvres avaient voté pour Chavez à diverses reprises ; mais son programme révolutionnaire était dirigé depuis en haut, sans grande participation populaire.

Après la tentative de coup, qui révéla que l’opposition visait à imposer un régime à la Pinochet, les couches plébéiennes ont réalisé qu’elles disposaient d’un gouvernement qu’elles avaient besoin de défendre. Les marches de protestation de l’opposition ont stimulé un processus social que la majorité des classes moyennes et élevées auraient préféré qu’il reste dormant : le spectre d’une guerre de classes et de races [la majorité des couches pauvres sont noires ou métisses, alors que les manifestations de l’opposition démontrent non seulement dans l’habillement mais la couleur de la peau l’extraction blanche et privilégiée].

Les porte-parole de l’opposition se plaignent que Chavez est un gauchiste qui conduit le pays au chaos économique. Mais la crainte haineuse sous-jacente est liée à la terreur de l’élite blanche du pays qui fait face aux masses populaires mobilisées qui sont noires, métisses ou indiennes. Seul un racisme qui plonge ses racines il y a cinq siècles - celui des colons européens envers les habitants indigènes du Venezuela et les esclaves noirs - peut expliquer de façon adéquate le degré de haine qui a surgi. Chavez - qui est plus noir et indien que blanc et qui ne fait pas secret de sa volonté d’être le président des pauvres - est la cible de cette rage raciste.

La carte truquée utilisée par l’opposition, en avril comme en décembre 2002, est constituée par les déclarations de la compagnie pétrolière, Petroleos de Venezuela, souvent décrite comme le cinquième plus important exportateur de pétrole dans le monde et important pourvoyeur de pétrole pour les Etats-Unis [à hauteur d’environ 15% des importations pétrolière américaines]. Petroleos de Venezuela, nationalisée il y a plus de vingt-cinq ans, a été dirigée au cours des années au bénéfice exclusif de ses managers et d’une couche de ses employés. Ses bénéfices ont été réinvestis partout, à l’exception du Venezuela. Avant l’arrivée de Chavez, la privatisation de la société était en voie de préparation, cela à la grande satisfaction des ingénieurs et directeurs qui auraient tiré les bénéfices de l’opération. Mais, avec l’interdiction de la privatisation que la nouvelle Constitution vénézuélienne [proposée par Chavez et adoptée] confirme, les classes moyennes et les élites prospères liées au secteur pétrolier ont été toutes disposées à jouer le rôle de dirigeant d’une opposition de style Pinochet contre Chavez. C’est pour cela qu’elles cherchent à bloquer la totalité de l’industrie pétrolière, suscitant une crise financière et de ressources massive.

La tâche décisive pour Chavez est de conduire le bateau du pétrole sous le contrôle du gouvernement, remplaçant le management conservateur par des dirigeants plus radicaux qui ont été écartés de la société lors de conflits antérieurs. S’il veut soutenir, pour faire image, l’équipage, fidèle au gouvernement, du pétrolier Pilin-Leon, il sera peut-être contraint d’imposer un état d’urgence lui permettant de reprendre le contrôle du secteur pétrolier.

* Richard Gott est l’auteur de l’ouvrage In the Shadow of the Liberateur : Hugo Chavez and the Transformation of Venezuela, Ed. Verso, Londres, septembre 2001.

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(tiré du site À l’encontre)