Accueil > Politique canadienne > L’ampleur du déficit social et le rapport Romanow

L’ampleur du déficit social et le rapport Romanow

lundi 30 décembre 2002, par Marc Bonhomme

Selon le tableau ci-après :
1. Les dépenses fédérales au Québec (et au Canada) de 1992-93 ne sont pas dépassées en 2001-02 soit 10 ans plus tard. Mais pendant ce temps, les revenus fédéraux issus du Québec ont approximativement augmenté de 13 milliards $ (pour le Canada, ils augmentent exactement de 52 milliards $).
2. Pour le gouvernement du Québec, les dépenses de 1992-93 ne sont dépassées qu’en 1998-99 (en ordre de grandeur). Depuis ce temps, les dépenses de santé augmentent plus vite que l’ensemble des dépenses du gouvernement Québec et surtout celles du gouvernement fédéral. Durant cette période, les revenus autonomes du Québec ont cependant augmenté de plus de 10 milliards $.
3. Pour les deux niveaux de gouvernement combinés, en 2001-02 par rapport à 1992-931, les dépenses de programme ont donc approximativement augmenté au Québec de 7 milliards $ pendant que les revenus augmentaient d’à peu près 26 milliards $. Il s’agit donc d’un déficit social d’environ 19 milliards $ en 2001-02 par rapport à 1992-93, soit environ 8% de la valeur de la production faite au Québec (PIB) en 2001.
4. On arrive au même déficit social si l’on applique le ratio (dépenses publiques / PIB du Québec) de 1992-93 à 2001-02. Si le gouvernement fédéral dépensait 14.4% du PIB québécois en 2001-02 comme il le faisait en 1992-93, ses dépenses au Québec seraient de 32.9 milliards $ et non de 22.4 soit 10.5 milliards $ de plus. De même, si le gouvernement du Québec dépensait 22.8% du PIB québécois en 2001-02 comme il le faisait en 1992-93, ses dépenses seraient de 52.1 milliards $ et non de 44.0 soit 8.1 milliards $ de plus.
5. Ce déficit social se répétera année après année même si dorénavant les dépenses devaient progresser au même rythme que les revenus pour maintenir le déficit zéro.
6. On remarque qu’au Québec entre 1999-2000 et 2001-02, les dépenses de programme progressent en moyenne d’un peu plus de 2 milliards $ par année. Donc la revendication imprécise d’un réinvestissement massif dans les dépenses sociales est tout à fait récupérable tout en pouvant suggérer une augmentation bien en deçà du déficit social.
7. Il faut plutôt revendiquer un réinvestissement social immédiat d’au moins 20 milliards $ pour combler le déficit social.
8. Il faut noter que ces 20 milliards $ sont déjà payés chaque année aux deux paliers de gouvernement. Mais ils servent plutôt à payer les intérêts des dettes publiques. Pour le récupérer afin de combler le déficit social, il faut soit geler ces paiements d’intérêt soit imposer profits, revenus élevés et consommation de luxe à hauteur équivalente.

Revenus et dépenses du gouvernement fédéral au Québec et du gouvernement du Québec2 ajustés en fonction de comparaisons intertemporelles.

En milliards de $ courants

Année
fiscale
92-93 93-94 94-95 95-96 96-97 97-98 98-99 99-00 00-01 01-02
Revenus3
Féd-Qué
30.1 29.0 30.8 32.6 35.2 38.7 39.0 41.5 44.9 43.34
Dépenses5
Féd-Qué
23.0 22.3 22.2 19.9 19.3 21.2 19.8 21.7 21.7 22.4
% Dép / PIB 14.4% 9.8%
Revenus6
Québec
28.2 28.9 29.5 30.7 31.3 35.9 38.6 41.1 42.9 41.07
Dépenses8
Québec
36.3 36.3 37.0 36.8 35.3 36.7 39.4 40.0 42.1 44.0
% Dép / PIB 22.8% 19.3%
Santé
Québec
12.8 13.1 13.2 13.1 13.0 12.9 14.6 14.4 16.0 17.2

Déficit social et Rapport Romanow

1. En contre-partie d’une prise de contrôle fédérale sur le secteur de la santé, le rapport Romanow propose, par rapport à 2001-02, de ne rien rajouter à la santé en 2002-03, de rajouter 3.5 milliards $ en 2003-04, 5 milliards $ en 2004-05 et 6.5 milliards $ récurrents en 2005-06. Si, bon prince, on ajoute la croissance du Transfert social canadien promise en 2000, transfert qui couvre aussi la contribution fédérale à l’assistance sociale et à l’éducation post-secondaire, la croissance totale promise sera, toujours par rapport à 2001-02, respectivement de 0.8, 5.0, 7.1 et 9.2 milliards $ de 2002-03 à 2005-06.

2. En pratique, cependant, le Premier ministre a déjà déclaré que les sommes injectées par le gouvernement fédéral seront moindres que les propositions du rapport Romanow. Tant le gouvernement fédéral que la commission Romanow s’entendent en effet que ce financement supplémentaire ne peut venir que des surplus fédéraux et nullement de hausses d’impôt ni d’une remise en question des rabais d’impôts consentis depuis 1999. Ce financement dépend donc de la continuation d’une croissance économique soutenue et de la priorité donnée à la santé par rapport aux dépenses militaires, à celles en environnement (pour inciter entreprises et consommateurs à respecter l’entente de Kyoto) et à la lutte contre la pauvreté. On devine la foire d’empoigne qui s’annonce.

3. En ce qui concerne le déficit social fédéral de 52 milliards $, en 2001-02 par rapport à 1992-93, au mieux le fédéral ne comblera que 1.5% de ce déficit en 2002-03 et 18% en 2005-06. Même là, on ne tient pas compte ni de l’inflation (actuellement de 3%), ni de la croissance de la population (1% pour le Canada), ni du vieillissement de la population ni d’ailleurs de la croissance de la richesse collective due à la hausse de la productivité du travail (environ 1.5% l’an) qui justifierait une amélioration des services et non seulement un rattrapage par rapport au déficit social.

4. Le ministre de la santé du Québec admet lui-même qu’il faut augmenter le budget de la santé de 5.2% l’an pour simplement maintenir le statu-quo, ce qui équivaut pour le Canada (75 milliards $ en dépenses publiques pour la santé) à une augmentation de 4 milliards $ l’an chaque année soit, par rapport à 2001-02, 4 milliards $ de plus en 2002-03, 8 milliards $ de plus en 2003-04, 12 milliards $ de plus en 2004-05 et 16 milliards $ de plus en 2005-06. On constate donc que les augmentations proposées ne permettront même pas de maintenir le statu-quo. Il s’ensuit que les pressions pour privatiser vont continuer quoi qu’en dise le rapport Romanow.

5. Somme toute, le rapport Romanow c’est un hold-up constitutionnel pour quelques miettes dont l’abondance reste à voir. Inutile de dire que la stratégie fédérale de l’asphyxie des dépenses sociales dans les années 90, soutenue par le gouvernement péquiste, a créé de tels besoins que le peuple québécois n’est en mesure de ne rien refuser. Mais accepter n’est pas consentir. La stratégie duplessiste de refuser les miettes d’Ottawa pour affirmer « l’autonomie provinciale », comme le suggère le PQ, ne punira que le peuple québécois. Vivement l’indépendance pour ce sortir de cet humiliant guet-apens.

Marc Bonhomme, 30 novembre 2002

1 Comme les deux années repères sont deux années de faible croissance réelle au Québec, soit entre 1 et 2%, la comparaison n’est pas ou est très peu influencée par le cycle économique.
2 Tous les chiffres ont été pris à même les documents budgétaires du fédéral et du Québec en utilisant les données historiques après révision sauf bien sûr pour les données les plus récentes.
3 Revenus fédéraux totaux divisés par 4 sur la base que la population du Québec est environ le quart de la population canadienne. Le revenu national per capita québécois étant moindre que l’équivalent canadien, il y a un biais vers le haut. Cependant, l’allure générale des tendances intertemporelles analysées n’en est pas ou peu affectée puisque ce biais est relativement stable à travers le temps.
4 On remarque la baisse des revenus par rapport à l’année précédente qui s’explique tant par la faible croissance réelle du PIB que par les rabais d’impôt.
5 Dépenses totales moins le service de la dette : souvent appelées dépenses de programme ou d’opérations. De ces dépenses de programmes sont soustraits les transferts fédéraux au Québec pour éviter le double compte dans le total gouvernement fédéral plus gouvernement du Québec. Ces dépenses fédérales ajustés sont divisées par 4 sur la base que la population du Québec est le quart de la population canadienne. Comme la part du Québec dans les dépenses totales fédérales est à peu près équivalente aux revenus perçus par le fédéral au Québec, il y a un biais vers le haut. Cependant, l’allure générale des tendances intemporelles n’en est pas ou peu affectée puisque ce biais est relativement stable à travers le temps. Mais à cause de ces ajustements, toute comparaison entre revenus et dépenses est non valable.
6 Revenus autonomes : revenus totales moins les transferts fédéraux. Pour éviter le double compte dans le total gouvernement fédéral plus gouvernement du Québec.
7 On remarque la baisse des revenus par rapport à l’année précédente qui s’explique tant par la faible croissance réelle du PIB que par les rabais d’impôt.
8 Dépenses totales moins le service de la dette : souvent appelées dépenses de programme ou d’opérations.