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Iran : le rapport de forces

lundi 15 février 2010, par Babak Kia


’’Tout est à nous !’’
Hebdo du NPA
jeudi 7 janvier 2010


La violence du régime iranien n’a pas empêché la mobilisation populaire de s’étendre et de s’approfondir depuis la réélection truquée d’Ahmadinejad, le 12 juin 2009.

Avec une surprenante régularité, la population détourne chaque commémoration officielle et la transforme en journée de protestation contre le régime. Ainsi, le 27 décembre dernier, lors de la journée de l’Achoura1, l’ensemble du pays a connu une vague de mobilisation immense. À de nombreuses occasions, les bassidji et les voltigeurs ont dû fuir face aux manifestants. Certains quartiers de Téhéran et de Tabriz ont échappé pendant des heures durant au contrôle du régime. Plus de mille personnes ont été arrêtées suite aux dernières manifestations et au moins 36 personnes ont été tuées. Depuis, le pouvoir multiplie les arrestations et ses nervis ont même attaqué des mosquées pour en déloger des religieux favorables au candidat Moussavi.

L’ampleur de la résistance populaire divise désormais le clan au pouvoir qui s’articule autour du Guide Khameneï, du Sepah et d’Ahmadinejad. Trois positions s’y dessinent. La plus forte aujourd’hui entend écraser la mobilisation dans le sang. Une autre voudrait trouver un terrain d’entente avec Moussavi et enrayer la dynamique jugée périlleuse. La troisième, incarnée par le Guide, fait la balance entre les deux précédentes. Les hauts commandants des pasdaran ont opté pour la confrontation mais sont pour le moment freinés par les divisions internes au pouvoir. Car les tenants du régime le savent : écraser le mouvement dans le sang soulèverait l’hostilité totale de l’immense majorité et fermerait définitivement la porte à un éventuel compromis avec les dirigeants « verts » ou à « l’émergence » d’un homme providentiel. Enfin, cela accroîtrait les divisions au sein du pouvoir et des forces répressives, ce qui rend hypothétique l’instauration de la loi martiale. L’ensemble de ces conséquences pousse, pour le moment, les dirigeants actuels à une certaine prudence.

C’est dans ce contexte que Moussavi donne ses cinq points pour une sortie de crise. Il exige la libération des prisonniers politiques et réclame des élections démocratiques et libres, mais n’en définit ni les conditions ni le périmètre. En somme, il propose d’en rester au cadre de la République islamique qui a banni toutes les forces laïques, démocratiques ou de gauche. Ce qui exclut toutes les organisations jugées hostiles à l’Islam et à la République islamique. Moussavi se limite ainsi à un changement de gouvernement et à la destitution d’Ahmadinejad. Face à cela, la crainte d’un accord au sommet entre les différentes factions est grande.

Dans ce contexte, nombre de militants ouvriers et de gauche tentent de lier au mouvement actuel leur lutte contre le non-paiement des salaires, contre les privatisations ou les licenciements et pour la construction de syndicats indépendants. C’est le cas, notamment, des travailleurs d’Iran Khodro (première entreprise de construction automobile) ou du syndicat du Sherkat-e Vahed (transport en commun de Téhéran) qui appellent les salariés à descendre dans la rue. Ces militants, tout en développant là où ils le peuvent une politique indépendante, tentent de maintenir les dirigeants « verts » prisonniers de la dynamique de mobilisation.

L’équation est limpide : tant que la division entre le camp « vert » et le Sepah n’est pas résorbée, les opposants au régime pourront agir au travers des manifestations et le mouvement pourra se développer et se structurer politiquement. Face au clan Khameneï-Ahmadinejad et pour garder une indépendance totale à l’égard des dirigeants « verts », l’objectif principal des militants de gauche reste l’extension et l’ancrage du mouvement.

Les peuples d’Iran ne peuvent compter que sur leur propre lutte. Plus que jamais, ils doivent pouvoir s’appuyer sur la solidarité internationale émanant des forces de la gauche sociale et politique.

Babak Kia

1. Journée de commémoration de l’assassinat à Karbala de l’imam Hossein.