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Depuis 500 ans les indigènes luttent pour ...

mardi 6 avril 2010, par Hugo Blanco

Depuis 500 ans les indigènes luttent pour défendre l’environnement et leur organisation sociale collective


Tiré du site À l’Encontre
31 mars 2010


Dans tous les pays où il existe une population indigène (« Indios »), celle-ci est en train de se battre vigoureusement pour défendre la Mère Terre (« Tierra Madre ») contre les atteintes environnementales perpétrées par les entreprises pétrolières, minières ainsi que forestières, etc. L’industrie agroalimentaire est également une ennemie de la terre et de la population, puisqu’elle détruit le sol par la monoculture et l’utilisation de produits agrochimiques, tout en surexploitant ses travailleurs. Elle produit en général pour l’exportation. Cette industrie développe des cultures servant à la production de biocarburant afin « d’approvisionner » les voitures. La construction de barrages, d’installations hydroélectriques, d’aéroports, de routes, etc. pour servir les entreprises porte également atteinte à l’environnement tout en nuisant aux populations.

En juin 2009, le massacre d’environ 200 – le chiffre officiel est de 10 – Indiens d’Amazonie péruvienne à Bagua, dont les cadavres ont été brûlés par les forces de répression, a suscité l’indignation au niveau international. Les paysans indiens (quelque 70’000 visant sur une zone de 60’000 hectares) ont aussi remporté des victoires comme celle de Tambogrande (dans le département de Piura dans le nord du pays). Ils ont réussi à empêcher Manhattan Minerals Corp., une entreprise minière canadienne, d’exploiter les gisements d’or qui se trouvent dans le sous-sol d’une zone habitée. Par leur lutte et par référendum, ils réussirent à ce que l’entreprise minière quitte la région et les terres qu’ils cultivaient.

Au Chili, le gouvernement « socialiste » [de Michelle Bachelet] a utilisé des lois passées sous Pinochet [entre autres la législation antiterroriste de 1984] pour réprimer les Mapuches [qui représentent quelque 10 % de la population] qui défendent la Mère Terre.

En Argentine, les habitants d’Andalgala [la troisième ville en importance de la province de Catamarca] et d’autres agglomérations se battent courageusement pour défendre l’environnement [face aux entreprises minières qui polluent les eaux].

On reçoit des informations du Guatemala selon lesquelles des centaines de milliers d’indigènes combattent la loi sur l’exploitation minière.

Aux Etats-Unis, les indigènes s’opposent à l’exploitation minière d’uranium qui endommagerait la « grande aïeule » (le Canyon du Colorado).

En Colombie-Britannique, au Canada, les autochtones ont lutté contre l’envahissement de leur territoire par des constructions en vue des Jeux olympiques d’hiver.

Il n’y a pas que l’environnement qui subisse les agressions du grand capital. En sachant que l’arme de défense des indigènes est leur organisation collective, les attaques sont également dirigées contre cette dernière. Une législation contre la communauté indigène a été mise en place presque simultanément au Mexique et au Pérou. Les décrets anti-indigènes du président péruvien [Alan Garcia] portent atteinte aussi bien à l’environnement qu’à la communauté indigène.

Or, la résistance aboutit précisément à renforcer la construction du pouvoir collectif indigène. L’exemple le plus avancé de la lutte indigène pour la construction d’un pouvoir autonome est celui de la zone libérée du Chiapas, au Mexique. Dans cette région, c’est la collectivité qui gouverne, elle élit ses autorités en dehors de la présentation de candidats gouvernementaux. Les membres des corps collectifs élus ne perçoivent pas de salaire pour cette fonction, et ils peuvent être destitués à tout moment.

L’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) protège la population de cette zone des attaques gouvernementales, ses membres n’ont pas le droit de participer aux organes de gouvernement.

Au Chiapas une véritable démocratie est à l’œuvre. Malheureusement ce terme de démocratie a été prostitué, à tel point que j’ai de la peine à l’utiliser. En effet, dès son origine il désignait la dictature des mâles grecs contre les femmes et les esclaves, et les gouvernements du grand capital s’en servent maintenant contre la majorité de la population.

Le Chiapas est l’exemple le plus avancé, mais il n’est pas le seul.

Comme le note Raul Zibechi en décrivant la situation à Cauca, en Colombie : « Il s’agit de 14 territoires de communautés indigènes qui s’étendent sur quelque 191’000 hectares... et où vivent 110’000 personnes. (...) Au total, il y a 25’000 familles distribuées en 304 veredas [division territoriale rurale d’une municipalité] ou communautés rurales. (...) Dans ces territoires, il y a 18 cabildos, qui sont des autorités politiques indigènes cohabitant parallèlement aux municipalités de l’Etat colombien. Les cabildos sont administrés par des dirigeants nommés par de grandes assemblées et ils sont accompagnés d’alguaciles ou shérifs élus dans chacune des veredas. Le cabildo est un pouvoir territorialisé qui doit cohabiter avec d’autres pouvoirs – essentiellement des militaires et la guérilla – qui tentent de diminuer son influence. »

En Equateur, ce sont les indigènes avec leurs manifestations multiformes qui font fléchir les attitudes obstructionnistes de la droite, qui tentent d’empêcher la réalisation de l’Assemblée constituante en utilisant le parlement. Les indigènes ont soutenu initialement le gouvernement de Correa.

Mais maintenant ils s’opposent à ce dernier pour défendre leurs territoires contre les dégâts qu’entraîne l’extraction du pétrole. Ils affirment aussi que la loi sur l’eau viole leurs droits. Dans le domaine de l’éducation, ils s’opposent également au gouvernement de Correa, car ils exigent de pouvoir nommer eux-mêmes les instituteurs sur leur territoire. Ils empêchent l’entrée d’agents gouvernementaux qui voudraient les diviser.

Ils argumentent, à juste titre, qu’ils ne font qu’appliquer la nouvelle Constitution équatorienne, qui reconnaît que l’Equateur est un pays plurinational.

Tout cela renforce la construction d’un pouvoir démocratique autonome.

Le « II Encuentro Nacional pour la Refundacion de Honduras » [deuxième rencontre nationale pour la refondation du Honduras] s’est déroulé au Honduras du 12 au 14 mars 2010, avec la participation de plus de 1000 délégués.

Le principal axe de cette rencontre, du point de vue organisationnel, a été le Consejo Civico de Organizaciones Populares e Indigenas de Honduras [Conseil civique d’organisations populaires et indigènes du Honduras] (COPINH). A cette occasion ce sont les indigènes qui ont nourri les participants. « Ils n’apportent pas leur surplus, ils apportent ce qu’ils ont », a expliqué la dirigeante du COPINH Berta Caceres, en voyant arriver des hommes et des femmes des communautés avec des sacs de maïs, de haricots, de café et de fruits pour la cuisine collective.

Au nom de l’organisation indigène, Berta Caceres a insisté sur le fait que, puisqu’au Honduras il n’existe pas un gouvernement légitime, le peuple doit élire, depuis la base, ses autorités.

Au Pérou, le massacre du 5 juin 2009 à Bagua a renforcé le pouvoir indigène de plusieurs populations amazoniennes, qui se sont organisées pour contrôler ceux qui entrent dans leurs territoires. En même temps, il y a des commissariats sans policiers, car ces derniers craignent d’y retourner.

Dans la montagne, les « patrouilles paysannes » ont été organisées pour permettre une autodéfense contre les voleurs de bétail pour appliquer une justice intérieure. Ces patrouilles, qui ont été créées à cause de la corruption des juges et des policiers, ont dans un premier temps été poursuivies par le système, mais devant leur multiplication, le système a dû les reconnaître sur le plan légal et leur donner le droit d’exercer sur le plan judiciaire à un niveau inférieur.

Partout où il y a des populations indigènes, elles disposent d’une organisation collective, plus ou moins démocratique et plus ou moins puissante, face aux autorités du système.

La tâche des révolutionnaires

La lutte contre le capitalisme en tant que système injuste est plus que centenaire. Les révolutionnaires de mon époque pensaient que si nous n’arrivions pas à renverser ce système, ce seraient les générations futures qui le feraient.

Maintenant, nous nous rendons compte que cela est faux. Si les générations actuelles ne parviennent pas à renverser le capitalisme, ce dernier va exterminer l’espèce humaine par ses agressions contre la nature. En fait, le capitalisme a déjà commencé ce processus d’extermination, fondamentalement par le réchauffement climatique global produit par les gaz à effets de serre. Dans ma région, à Cuzco [dans le nord du Pérou], il y a déjà eu des dizaines de morts suite aux glissements de terrain provoqués par le réchauffement. Une île dans la baie de Bengale a disparu sous l’eau. L’ouragan Katrina [août 2005] a tué beaucoup de monde aux Etats-Unis. En Afrique, les gens doivent marcher des kilomètres et des kilomètres pour trouver de l’eau. […] Comme nous l’avons vu plus haut, le réchauffement climatique n’est qu’une des attaques du capitalisme contre la nature, et donc contre la survie de l’humanité.

Il existe des tas de « recettes » pour agir contre le réchauffement, comme par exemple l’utilisation de lampes fluorescentes ! Mais même si tout le monde s’y mettait cela n’arrêterait pas le réchauffement global, puisque celui-ci – et toutes les autres formes de détérioration de l’environnement – est inhérent au système capitaliste, dont la loi sacrée ordonne aux multinationales de gagner le plus d’argent dans un laps de temps aussi bref que possible.

Il existe bien des lois pour la protection de l’environnement, mais une autre des règles du système est que toute loi peut être renversée avec de l’argent.

Si un capitaliste renonçait à implanter une industrie polluante pour des raisons morales, cela ne résoudrait pas le problème, puisqu’un autre capitaliste ne tarderait pas à prendre sa place, emporté dans le tourbillon du marché.

Le seul remède possible pour freiner le réchauffement global et toute dégradation de la nature est d’en finir avec le capitalisme. Les 100’000 personnes qui à Copenhague scandaient « Changeons le système, pas le climat » avaient raison.

Je lance un appel à ceux qui luttent pour une société plus juste, qu’ils s’appellent marxistes, libertaires ou autre chose, afin que nous fassions face à cette nouvelle réalité.

Il faut que nous opérions un tournant dans la dénonciation du capitalisme, pour concentrer désormais celle-ci sur le fait que les attaques contre la nature sont en train d’exterminer notre espèce, ce qui est bien plus grave que l’exploitation de la classe ouvrière ou le pillage de nos richesses.

J’appelle également à ce que nous voyions ce qui est en train de se passer.

Les populations indigènes, désignées comme étant moins civilisées, sont celles qui se trouvent en première ligne dans la défense de la nature et donc de la survie de l’espèce.

Aujourd’hui ces populations, encore écrasées par le capitalisme, sont en train de construire le genre d’organisation sociale pour laquelle nous nous battons. Pour emprunter les termes du Sub [Subcomandante Marcos] : « Il ne s’agit pas de prendre le pouvoir mais de le construire. »

Si nous comprenons cela, nous verrons que la tâche fondamentale des révolutionnaires anticapitalistes doit être la solidarité avec les luttes indigènes dans la défense de la nature et dans la construction d’une nouvelle société. (Traduction A l’encontre)

* Hugo Blanco Galdos est une figure historique du mouvement paysan péruvien et est encore dirigeant de la Confédération paysanne du Pérou. Il est né en 1934. Il a fait des études d’agronomie en Argentine. Puis il est revenu au Pérou où il fera un travail d’organisation des paysans. Il sera condamné au début des années 1960 à 25 ans de prison pour avoir participé au mouvement insurrectionnel paysan et sera enfermé sur l’île d’El Fronton. Une campagne internationale aboutit finalement à sa libération. En 1972, il a écrit Tierra o muerte : la luchas campesinas en Peru. Par la suite, il ne cessa de militer dans les rangs d’organisations marxistes révolutionnaires, mais concentra toujours ses activités – quand il n’était pas contraint à l’exil par les gouvernements péruviens en place – dans le mouvement paysan indien.

(31 mars 2010)