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Etats-Unis - Irak - Corée du Nord

Comprendre et agir, de suite !

dimanche 26 janvier 2003, par Charles-André Udry

Charles-André Udry

Tous les jours, les annonces de départ de milliers et milliers de soldats américains et britanniques pour la région du Golfe se multiplient ; quelque 115000 troupiers américains sont à pied d’œuvre. Et cela continue. L’assaut militaire contre le peuple irakien se prépare. Tout cela n’empêche pas les médias de centrer leur attention sur les seuls inspecteurs de l’ONU.

Pour l’administration Bush - et son serviteur Tony Blair - les « résultats » des inspections relèvent du prétexte. Tombera à point l’annonce de la « découverte » d’armes livrées par un pays occidental, au cours des années 1980 ou même 1990. Ces « nouvelles » seront d’autant plus médiatisées qu’elles seront douteuses et obscures. Ainsi, la trouvaille de 12 ogives de roquette vides - d’une portée de 15 à 30 kilomètres et dans un site bien connu des inspecteurs ! - a permis la diffusion d’informations nébuleuses. L’important était de faire circuler l’idée qu’il y aurait là une « rupture matérielle » (violation grave) de la résolution 1441 du Conseil de sécurité de l’ONU, ce qui justifierait le déclenchement d’une guerre. Et si les Etats-Unis jugent qu’il faut « passer à côté » du Conseil de sécurité, ils le feront en invoquant la résolution 1441 et en n’entrant pas dans des « négociations dérangeantes » de leur point de vue.

Les raisons... au-delà des prétextes

En réalité, la décision d’engager la guerre contre l’Irak a été prise, il y a des mois. La conduite d’une telle opération militaire ne s’improvise pas. Cette guerre marque l’entrée dans une phase historique où se combinent, d’une part, des politiques de soumission encore plus brutale de la force de travail - à l’échelle mondiale - aux exigences du profit et, d’autre part, la conduite d’opérations militaires d’envergure pour tenter de consolider l’emprise mondialisée des intérêts du grand capital des Etats-Unis.

Quatre facteurs se combinent ici.

 • Le premier a trait au pétrole. Il faut insister sur la relation entre la dépendance des Etats-Unis - qui consomment un cinquième de la production mondiale de pétrole - face aux énergies fossiles et leur statut revendiqué d’« unique superpuissance » mondiale.

 • Le deuxième concerne l’intrication entre, d’une part, la place très importante du complexe militaro-industriel dans l’économie américaine, son intégration à l’appareil d’Etat et, d’autre part, la fonction du militaire (avec sa dimension de maîtrise technologique comme levier dans une politique hégémoniste) pour l’affirmation d’une suprématie impérialiste.

 • Le troisième est lié à une transformation des sources de gains des grandes transnationales américaines. Ces dernières retirent - et surtout vont retirer encore plus - des sommes énormes provenant des droits sur la propriété intellectuelle. Imposer ce droit - c’est-à-dire le transformer en décisions d’instances juridiques internationales et nationales - est nettement plus aisé lorsqu’un pays, en l’occurrence les Etats-Unis, dispose d’une autorité politique et militaire. Le tank juridique de l’OMC a besoin de la couverture d’un chasseur au sol américain, pour imposer les desiderata des grands conglomérats économiques états-uniens et de leurs alliés.

 • Le quatrième renvoie à la crise économique qui ronge le capitalisme américain. Comment faire l’impasse ne serait-ce que sur un seul fait : les déficits cumulés de la balance des transactions courantes - soit la balance commerciale plus les soldes des services liés au commerce extérieur (assurances, transports) et ceux liés aux échanges de technologies, ainsi que les intérêts - atteignent des records jamais égalés pour un pays impérialiste. Il faut les financer. Les capitaux du monde entier doivent donc arriver à Wall Street. Une puissance qui déploie sa prépondérance est plus crédible envers les investisseurs internationaux pour qu’ils placent leur argent aux Etats-Unis. Si ces derniers contrôlent l’Irak - sans trop de remous - l’argument d’attraction sera renforcé.

A propos de la Corée du Nord

Depuis le début des années 1990, la « Pax americana » n’a jamais créé autant de périls pour le monde. On le voit avec la Corée du Nord. Le doute ne peut effleurer un esprit quelque peu valide que la Corée du Nord - au régime partito-monarchico-héréditaire-banqueroutier - et son « leader bien-aimé », Kim Jung-il, utilisent l’arme nucléaire comme un instrument de négociations économiques. Ce n’est pas le seul régime au monde. Un allié, très instable, des Etats-Unis - le Pakistan du général Pervez Moucharaff - fait de même ; et les risques ne sont pas moins grands.

Certes, tout ce « chantage nucléaire » doit être dévoilé et dénoncé vivement par le mouvement anti-guerre, dans le cadre d’une orientation en faveur d’un désarmement nucléaire (biologique et chimique) radical et complet, au plan international.

Néanmoins, il ne s’agit pas d’ignorer que depuis l’accord du 26 février 1994 - sur le contrôle de ses installations nucléaires par l’Agence internationale de l’énergie atomique - le régime de Corée du Nord « joue ce jeu », dangereux, dans le but d’obtenir une aide économique, qui lui a été à nouveau coupée, à nouveau, par Washington.

Mais, à tout cela, s’ajoute un autre facteur capital, la plupart du temps ignoré. L’administration Bush n’est pas encline à soutenir la politique « d’ensoleillement » (terme officiel) du gouvernement de Corée du Sud en direction de la Corée du Nord. Les Etats-Unis désirent, en effet, maintenir leur présence - 37000 hommes - en Corée du Sud. Ils disposent de la sorte d’une base avancée pour toute la région du Pacifique, en priorité face à la Chine.
Il est révélateur que l’une des institutions importantes des élites dirigeantes américaines partie prenante à l’administration Bush, la National Defense University publie - au travers de son Center for Studies of Chinesse Military Affairs - une étude soulignant : « Au travers de liens économiques et politiques avec la Chine, une Corée unifiée pourrait être aspirée dans un marché régional dominé par le yuan [donc pas par le dollar ; or les aires monétaires sont constitutives des affrontements économiques] qui pourrait s’opposer à l’influence économique et militaire potentielle du Japon. Toutefois, encore plus important, les fondements raisonnés pour une présence des troupes de l’ONU et de Etats-Unis en Corée se trouveraient défaits. Cela renforcerait les objectifs de la Chine : devenir une puissance hégémonique régionale qui pousserait les Etats-Unis dehors de l’Asie. »1

Le fil conducteur des projets hégémonistes de l’administration Bush et de l’impérialisme américain ressort bien ici. Ce sont des motivations similaires qui sont à la base de la préparation du déluge de bombes sur Bagdad et de l’occupation de l’Irak.

Le « combat contre le terrorisme » n’est plus invoqué. Le lien direct entre le « terrorisme international » et l’Irak, évoqué à la va-vite par Bush, n’a pas pu offrir une matière quelque peu crédible pour une campagne « d’information », même grossière.

Le thème du « terrorisme » reste, certes, en arrière-fond ; mais la liaison explicite avec la guerre contre l’Irak s’est pulvérisée. Cependant, une question reste, du moins si un laps d’un an n’est pas assimilé à de la « longue durée » : une intervention militaire en Irak et un contrôle américain de ce pays vont-ils vivifier, ou non, les « réseaux terroristes » ?

La réponse semble évidente : au mieux une invasion militaire stimulera une nouvelle « vague de violence anti-américaine » dans un grand nombre de pays.

Mais, cela ne semble pas susciter de grands soucis auprès des cercles dirigeants des Etats-Unis. Ils prennent l’exemple afghan et écrivent, en substance : la situation en Afghanistan n’est pas si mauvaise (ils ne parlent pas de celle de la population ou des femmes...) ; les projets pétroliers et gaziers avancent ; et, surtout, les objectifs économiques et militaires en Asie centrale sont en voie d’être atteints.

Vous avez entendu : « démocratie », « liberté » ?

Cette guerre est conduite au nom de « la liberté et de la démocratie ». Or, même un social-démocrate helvétique est censé savoir que capitalisme et démocratie ne riment pas. Ne serait-ce que parce que la démocratie devrait renvoyer à une égalité effective, alors que le capitalisme produit et reproduit l’inégalité.

Les dernières mesures fiscales prises par le gouvernement Bush illustrent cela. La facture des impôts de Dick Cheney sera réduite de 327000 dollars ; celle de Bush de 44500 dollars ; celle du nouveau secrétaire au Trésor, John Snow, de 600000 dollars.

Le paquet de réductions fiscales pour les riches est le plus brutal de ceux décidés par un gouvernement américain depuis les années 1920, lorsque le secrétaire au Trésor, Andrew Mellon, se faisait l’avocat acharné des intérêts des grandes corporations, dont il était, lui-même, l’un des illustres représentants.

Les vrais gagnants de la politique de Bush sont les super riches, pour reprendre une formule courante aux Etats-Unis. Parmi lesquels est en bonne place Bill Gates, le patron de Microsoft. L’application du plan Bush aboutira à une réduction de 50 millions de dollars de sa note d’impôts.

Ces mesures sont prises dans un pays où les inégalités sociales n’ont cessé de croître. L’économiste Paul Krugman, dans une étude publiée dans le New York Times du 18 octobre 2002, indiquait que les 13000 familles les plus riches des Etats-Unis concentraient dans leurs mains l’équivalent du revenu des 20 millions de familles les plus pauvres. Elles disposent ainsi d’un revenu moyen trois cents fois supérieur à celui d’une famille moyenne (parents et deux enfants).

L’évolution comparée des salaires moyens et des « compensations » (participations aux bénéfices, distribution d’actions, etc.) des PDG complète ce tableau. De 1970 à 1999 (en dollars constants de 1998 : inflation déduite), le salaire annuel moyen d’un travailleur américain a passé de 32522 à 35864 dollars. Au cours de la même période, les « compensations » des 100 premiers PDG des Etats-Unis grimpent avec ardeur : de 1,3 million, en moyenne, elles atteignent 37,5 millions. En 1999, cela représente 1000 fois le revenu annuel moyen d’un ouvrier.

Cette politique d’appropriation de la richesse et d’affirmation de la prédominance du capital rentier (parasitaire) trouve son expression dans la politique extérieure des Etats-Unis.
Le dispositif Irak

La revue stratégique Stratfor - proche de l’administration Bush - indique sans ambiguïté que la prise de contrôle politico-militaire de l’Irak fait partie d’un plan qui doit trouver ses prolongements dans l’ensemble du Moyen-Orient et de l’Asie centrale, pour y assurer « l’influence » des Etats-Unis.

De plus, le renforcement de la position régionale des Etats-Unis ne peut qu’accroître la probabilité de réalisation des plans de Sharon et Netanyahou : l’éviction du plus grand nombre de Palestiniens des territoires occupés. En effet, contrairement à beaucoup de spéculations diplomatiques faites par les « observateurs », l’axe Etats-Unis-Israël reste prioritaire pour l’administration Bush. Les multiples conférences et rencontres spéciales, surtout en cette période d’escalade militaire contre l’Irak, ne fonctionnent que comme des armes de distraction massive.

Dans une étape future, une nouvelle réorganisation politique du Moyen-Orient, tracée par Washington, va trouver sa place dans l’ordre de marche de la « démocratisation du monde », établie par les réseaux de conseillers de (doubleyou) Bush. L’Iran pourrait bien être la cible future d’un impérialisme « libérateur et civilisateur », comme se proclamait le colonialisme à son heure de gloire.

Dans la rue...

Il faut donc agir, de suite, pour tenter d’arrêter ce cours militariste des Etats-Unis et de leurs alliés. C’est l’avenir du monde qui est en jeu. Il ne s’agit pas de simplement le dire. Un communiqué de presse contre la guerre du Parti socialiste suisse ne suffit pas. C’est dans l’action que sera mesurée sa probité.
Tout doit être accompli pour être, massivement, présent dans la rue. Et cela pour manifester une « responsabilité démocratique » face à l’autocratie du Capital.

La mobilisation nationale du 15 février, à Berne, sera un moment au cours duquel pourra s’exprimer une large volonté de « démissionner » la politique de Bush et de tous ses alliés - proclamés ou de fait. Et cela peut aller de pair avec un approfondissement de la compréhension raisonnée de la nécessité d’instituer « un autre monde ». Cette nécessité est nourrie par la dimension destructrice du capitalisme. La possibilité s’appuie sur les conflits sociaux effectifs. Les voies de rupture avec le capitalisme doivent devenir, à nouveau, l’objet d’un vaste débat public. - 21 janvier 2003

Michael Marti, « China : making the case for realistic engagement », Strategic Forum, N° 185, p. 4. Institute for National Strategic Studies, National Defense University, september 2001.

Voir aussi le tract du MPS du 6 janvier : « Le capitalisme militarisé broie les droits des peuples ». Il peut être consulté sur le site www.alencontre.org, rubrique Nouveau.

Tiré du site À l’encontre ; voir ci-haut.