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Le NPD et la question québécoise : continuités et ruptures

mardi 22 novembre 2011, par François Cyr, Pierre Beaudet

Analyse historique du Nouveau Parti démocratique par nos camarades des Nouveaux Cahiers du socialisme pour mieux comprendre la course à la chefferie de ce parti et sa relation ambigüe avec le Québec.

Le pre­mier can­didat à la chef­ferie du NPD, Brian Topp, se pré­sente comme un Qué­bé­cois et un po­li­ti­cien « res­pon­sable », dis­po­sant d’une ample ex­pé­rience au sein de di­verses ad­mi­nis­tra­tions pu­bliques. Parmi ses ex­pé­riences mar­quantes, il a été le chef de ca­binet du Pre­mier Mi­nistre de la Sas­kat­chewan, Roy Ro­manow, entre 1993 et 2000.

Il faut ce­pen­dant se sou­venir que Ro­manow a été l’un des ar­chi­tectes de la fa­meuse « nuit des longs cou­teaux’ en 1981, du­rant la­quelle le Québec s’est re­trouvé isolé et os­tra­cisé par Ot­tawa et les gou­ver­ne­ments pro­vin­ciaux. Cette dou­teuse opé­ra­tion, on s’en sou­vient, fut en fait conçue par Jean Chré­tien et Pierre Tru­deau, avec l’appui du chef du NPD fé­déral de l’époque, Ed Broadbent. Les lea­ders fé­dé­ra­listes, en effet, étaient sou­cieux d’humilier René Lé­vesque alors déses­péré de trouver un com­promis ac­cep­table évi­tant le ra­pa­trie­ment uni­la­téral de la consti­tu­tion, selon les termes et prin­cipes éta­blis par le gou­ver­ne­ment fé­déral. De­puis, Ro­manow et la plu­part des élus pro­vin­ciaux du NPD sont restés hos­tiles au Québec. Ils n’acceptent pas l’idée que la na­tion qué­bé­coise existe. Ils ne voient pas pour­quoi il y au­rait des droits spé­ci­fiques pour le Québec dans le cadre de la consti­tu­tion ca­na­dienne. Ils s’opposent mor­dicus au droit à l’autodétermination.

À l’origine

Créé en 1932 le Co-operative Com­mon­wealth Fe­de­ra­tion, le CCF (l’ancêtre du NPD) est d’emblée par­tisan d’un gou­ver­ne­ment cen­tral « fort ». C’est la grande dé­pres­sion et l’idée est d’établir un gou­ver­ne­ment fé­déral cen­tra­li­sa­teur pour re­dis­tri­buer la ri­chesse. Dans ce pa­ra­digme (plutôt noble), il n’y a pas de réa­lité na­tio­nale qué­bé­coise. De facto, le CCF puis le NPD (né en 1961) ne réus­sissent pas à s’enraciner au Québec.

Plus tard ce­pen­dant, des ré­for­mistes au sein du NPD pro­posent que cela change. Ils prônent le bi­lin­guisme et le bi­cul­tu­ra­lisme, re­con­naissent même l’existence de « deux na­tions ». En 1967 à l’impulsion de Charles Taylor, le parti de­mande un « statut par­ti­cu­lier » pour le Québec dans le cadre d’un fé­dé­ra­lisme « asy­mé­trique ». À l’époque ce­pen­dant, la ra­di­ca­li­sa­tion des mou­ve­ments so­ciaux au Québec s’exprime sous la forme d’un projet conju­guant so­cia­lisme et in­dé­pen­dance. La ma­jo­rité des membres du NPD quittent le parti pour fonder le Parti so­cia­liste du Québec.

À la fin des an­nées 1960, la crise po­li­tique est en ges­ta­tion. À la suite de la vic­toire de Pierre Tru­deau, le NPD re­mise ces po­si­tions sur le Québec de peur de perdre des voix dans le reste du Ca­nada. Ce vi­rage est contesté par l’aile gauche du NPD (les « Waffles ») qui de­mandent ni plus ni moins la re­con­nais­sance le droit à l’autodétermination pour le Québec. Mais cette op­po­si­tion est mar­gi­na­lisée et le NPD se re­trouve sous la même ban­nière fé­dé­ra­liste. À son hon­neur tou­te­fois, le NPD est le seul parti à la Chambres des com­munes à re­jeter l’infâme Loi des me­sures de guerre en 1970 à l’instigation de Trudeau.

Dans les méandres du fédéralisme

Lors de l’élection du PQ en 1976, le NPD, comme les autres partis fé­dé­raux, est dé­sta­bi­lisé. Le chef fé­déral Broadbent s’investit beau­coup avec le gou­ver­ne­ment fé­déral pour vaincre le ré­fé­rendum de 1980, à l’encontre de la ma­jo­rité des mou­ve­ments so­ciaux et de la gauche au Québec. Pire en­core, Broadbent de­vient un fervent sup­por­teur du projet de ra­pa­trie­ment de la consti­tu­tion. De pseudo né­go­cia­tions consti­tu­tion­nelles abou­tissent à l’isolement du Québec tel qu’évoqué plus haut.

En 1990 sous l’égide du Pre­mier Mi­nistre Mul­roney, de nou­veaux pour­par­lers ont lieu pour « ré­in­té­grer » le Québec. Ot­tawa veut aller assez loin pour sa­tis­faire les de­mandes du Québec et ac­cepter de facto un fé­dé­ra­lisme asy­mé­trique. Mais les fé­dé­ra­listes « purs et durs » s’agitent, parmi les­quels un grand nombre de dé­putés fé­dé­raux et de gou­ver­ne­ments pro­vin­ciaux du NPD. C’est un dé­puté au­toch­tone du NPD au Ma­ni­toba, Elijah Harper, qui em­pêche l’assemblée lé­gis­la­tive de cette pro­vince d’approuver le projet dit du Lac Meech, ce qui fait dé­railler tout le pro­cessus. Lors du deuxième ré­fé­rendum en 1995, le NPD s’allie aux fé­dé­ra­listes pour ral­lier le camp du non, tout en af­fir­mant que le peuple qué­bé­cois a le « droit de dé­cider ». Sous la di­rec­tion d’Alexa Mc­Do­nough (cheffe du NPD à partir de 1995), le NPD, (ou du moins son aile par­le­men­taire malgré les ré­serves qu’exprimera plus tard Jack Layton) s’aligne sur les po­si­tions du gou­ver­ne­ment fé­déral, y com­pris lors du débat sur la loi dite de « clarté », qui vise en fait à nier au Québec le droit de dé­cider de son avenir.

Jouer avec les mots ?

Cette évo­lu­tion du NPD lui cause des torts im­menses au Québec et pen­dant plus d’une dé­cennie, le parti est re­layé à un rôle très mi­neur. En 2003 ce­pen­dant, avec l’appui de la gauche du parti, Jack Layton est élu chef. Son dis­cours passe beau­coup mieux, d’autant plus qu’il évite les em­buches, du mieux qu’il peut. En gros son dis­cours dit deux choses en même temps : oui les Qué­bé­cois forment une na­tion et ont des « droits » (sans trop spé­ci­fier les­quels) ; la ques­tion consti­tu­tion­nelle est dé­passée et n’intéresse plus per­sonne à côté des graves défis éco­no­miques et en­vi­ron­ne­men­taux. La si­tua­tion change à nou­veau en 2007 lorsque Thomas Mul­cair, un ex mi­nistre li­béral ayant servi sous Jean Cha­rest, est élu dans une élec­tion com­plé­men­taire à Ou­tre­mont. Mul­cair est un po­li­ti­cien ex­pé­ri­menté, fé­dé­ra­liste de cœur qui a com­battu comme avocat la loi 101, mais ca­pable de sentir le pouls du Québec. En 2004 au mo­ment d’une ren­contre de la sec­tion Québec du conseil gé­néral du NPD, Mul­cair ma­nœuvre pour que le NPD re­con­naisse « le ca­rac­tère na­tional du Québec dans le contexte fé­déral ca­na­dien ». Cette « dé­cla­ra­tion de Sher­brooke » est pré­sentée plus tard comme la pla­te­forme po­li­tique du NPD, ce qu’elle n’est pas. Néan­moins, l’image du NPD change (po­si­ti­ve­ment), d’où la vague orange de mai 2011.

Les len­de­mains incertains

L’impressionnante percée du NPD au Québec qui a permis de dou­bler la re­pré­sen­ta­tion par­le­men­taire (les gains du parti ayant été pra­ti­que­ment nuls dans le reste du Ca­nada) ouvre une nou­velle pé­riode. Certes, la dis­pa­ri­tion im­prévue de Jack fait en sorte que le défi de­vient en­core plus grand. Une partie in­dé­ter­minée de la nou­velle (et jeune) dé­pu­ta­tion du Québec semble plutôt souverainiste-progressiste, proche en tout cas de cette large mou­vance qui se re­con­nait peu ou prou dans les po­si­tions de Québec So­li­daire et de la frac­tion pro­gres­siste du PQ et du Bloc. Même s’ils sont ma­jo­ri­taires ce­pen­dant, les dé­putés qué­bé­cois ne se si­tuent pas au « centre de gra­vité » du parti, à part Mul­cair, qui reste un fé­dé­ra­liste de convic­tion. En On­tario et dans l’Ouest, la ma­jo­rité des adhé­rents et des dé­putés du NPD ne sont pas plus sym­pa­thiques aux re­ven­di­ca­tions qué­bé­coises que ne l’étaient Ed Broadbent et Roy Ro­manow. Ils conti­nuent à penser, sinon à dire, que la « ques­tion qué­bé­coise » est une fic­tion créée par des « na­tio­na­listes bornés ». Il y a certes des ex­cep­tions, comme Libby Da­vies ou Peter Ju­lian, par exemple, mais en gros, les gens « qui comptent » au NPD, qui se trouvent au­tour d’un noyau consis­tant de la dé­pu­ta­tion fé­dé­rale et dans les partis pro­vin­ciaux de l’ouest, res­tent convaincus qu’il ne faut pas aborder, au-delà de quelques for­mules vides, l’épineuse ques­tion des droits du peuple québécois.

La course à la chef­ferie peut en­ve­nimer les choses, car il se peut que les candidat-es soient interpellé-es. Quelles sont les po­si­tions de fonds, au-delà des « for­mules », des Brian Topp et de Thomas Mul­cair ? Dans quelle me­sure veulent-ils ou peuvent-ils se battre sin­cè­re­ment pour les droits du Québec, quitte à dé­fendre le fé­dé­ra­lisme « asy­mé­trique » dont ils se disent par­ti­sans (sans trop pré­ciser ce que cela est) ? Peuvent-ils ou veulent-ils faire une rup­ture fon­da­men­tale avec un État fé­déral créé à l’origine pour mâter les Qué­bé­cois et les peuples au­toch­tones ? Vont-ils, concrè­te­ment, se battre contre les vel­léités cen­tra­li­sa­trices du gou­ver­ne­ment Harper dans le do­maine fi­nan­cier ? Vont-ils ré­sister contre ce qui semble une po­li­tique dé­li­bérée du gou­ver­ne­ment Harper pour « punir » le Québec à la suite de la der­nière élec­tion ? Vont-ils se lever et ap­puyer, pas juste avec quelques phrases plus ou moins « off the re­cord », l’importance de ren­forcer la loi 101 au Québec, y com­pris dans les ins­ti­tu­tions fé­dé­rales, et au-delà, de l’importance de pro­téger le fait fran­çais au Québec ? Tant que ces ques­tions n’auront pas été ré­pon­dues, on peut penser que les am­bigüités his­to­riques du NPD ne se­ront pas ré­so­lues et avec elles, la place que ce parti peut prendre et garder au Québec.


Source : Nouveaux Cahiers du socialisme.