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Une entrevue d’Albert avec Chomsky

Les leçons d’Irak

dimanche 20 avril 2003

Il y a eu quelques réjouissances dans les villes irakiennes après l’invasion et la chute du gouvernement de Saddam. Rétrospectivement, pouvez-vous tirer la logique de l’opposition à la guerre.

Ce qui m’a surpris dans ces réjouissances, c’est qu’elles furent si limitées et qu’elles aient tant tardées à se manifester. Toute personne sensible en ce monde doit se réjouir du renversement d’un tyran et de la fin de sanctions dévastatrices, principalement pour les IrakienNEs. Mais l’opposition anti-guerre, du moins pour le secteur que je connais, a toujours été en faveur de ces objectifs. Et c’est pour cela, qu’il s’est opposé aux sanctions qui détruisaient le pays et qui minaient la possibilité d’une révolte intérieure et qui permettant à Saddam de continuer sur le chemin d’assassinats brutaux appuyés par les actuels fonctionnaires de Washington. Le mouvement anti-guerre a insisté que ce devait être les IrakienNEs et non le gouvernement américain qui devraient diriger le pays. C’est toujours un thème substantiel à considérer. Les opposants à la guerre ont aussi tiré l’alarme sur le manque absolu de préoccupation sur les possibles conséquences humanitaires d’une attaque et pour la stratégie selon laquelle c’est un « cas exemplaire ». Les problèmes essentiels demeurent : 1) Qui gouvernera l’Irak, les IrakienNEs ou la bande de Crawford, Texas ? Les AméricainEs permettront-ils que de petits noyaux réactionnaires qui, à peine arrivés au pouvoir, imposent l’agenda des politiques intérieures et extérieures ?

Ils n’ont pas trouvé d’armes de destruction massive. Rétrospectivement, cela ne sape-t-il les raisons avancées par Bush pour la guerre ?

Seulement si on prend au sérieux ces raisons. S’ils peuvent trouver quelque chose, ce qui n’est pas improbable, cela sera publicisé avec tambours et trompettes comme la justification de la guerre. Et s’ils ne trouvent rien, toute l’affaire « disparaîtra » de l’agenda comme à l’habitude.

A l’inverse, si maintenant ils trouvent des armes de destruction massive, cela ne minera-t-il pas rétrospectivement l’opposition à la guerre ?

C’est une possibilité logique. Les opinions et politique sur ce thème se détermine à partir de ce qui est connu et raisonnable de façon plausible, non par ce qu’on découvrira plus tard. Cela devrait être évident.

Y aura-t-il une démocratie en Irak, à la suite de cette invasion ?

Cela dépend de ce que nous entendons par « démocratie ». Je présume que l’équipe Bush voudra mettre en place un type quelconque de démocratie formelle, qui n’aura aucune substance. Mais il est difficile d’imaginer que ces derniers permettront l’expression réelle de la majorité chiite, qui, possiblement, tentera de s’unifier au reste de la région et d’établir des rapports plus étroits avec l’Iran, ce, qu’en dernier ressort, ne peut vouloir les bushistes. Ou qu’ils permettront l’expression réelle de la seconde composante de la population, les Kurdes, qui cherchent probablement une forme d’autonomie à travers une structure fédérale qui serait une menace pour la Turquie, qui est une base cruciale pour le pouvoir des États-Unis dans la région. On ne doit pas se tromper. Dans toute la région, une démocratie qui fonctionnerait vraiment aurait des résultats très différents des objectifs hégémoniques des nord-américains.

Quel est le message que les gouvernements du monde ont reçu ?

Le message, c’est que le gouvernement Bush prétend que sa stratégie nationale de sécurité doit être prise au sérieux comme l’illustre ce cas d’espèce. Il tente de dominer le monde par la force, pour l’hégémoniser et de le faire sur une base permanente. Le cas de la Corée du Nord illustre ce message de façon encore plus dramatique. Si vous voulez éviter une attaque américaine, il serait mieux que vous ayez une attitude dissuasive et crédible. Dans les cercles de l’élite au pouvoir, on considère fréquemment que la conséquence probable de tout cela sera la prolifération des armes de destruction massive et du terrorisme, sous différentes formes, basée sur la crainte et le rejet de l’administration américaine, considérée comme la plus grande menace pour la paix mondiale y compris avant l’invasion. Ce n’est pas une question mineure ces jours-ci. Les questions à propos de la guerre se transforment rapidement en questions sur la survie de l’espèce, si une violence massive se donne libre cours.

Quel a été le rôle des médias de communication américains en pavant le chemin de la guerre, la rationalisant, en rapetissant les termes du débat ?

Les médias acritiques ont reproduit la propagande gouvernementale sur la menace à la sécurité nord-américaine que représentait supposé ment l’Irak, son rapport avec l’attentat contre les tours jumelles et les autres actes terroristes. D’autres ont amplifié le message pour leur propre compte. D’autres l’ont simplement reflété. La discussion était, comme d’habitude, réduite à des considérations pragmatiques. Le gouvernement pourra-t-il parvenir à ses objectifs à un coût raisonnable pour son propre public. Une fois la guerre commencé, tout est devenu un exercice honteux de célébration de l’équipe locale, ce qui a horrifié une grande partie du monde.


Quelle sera la suite des choses pour Bush et Co s’ils parviennent à imposer leur ordre du jour et leurs objectifs principaux ?

Ils ont annoncé publiquement que leurs prochaines cibles sera la Syrie ou l’Iran ce qui nécessitera une base militaire forte en Irak, - et voilà une autre raison pour laquelle une réelle démocratie est improbable. On sait, selon des informations fiables, que les États-Unis et ses alliés (Turquie, Israël et quelques autres) avancent des mesures visant à démembrer l’Iran. Mais il y a d’autres cibles possibles. En Amérique latine, la région andine, par exemple. Il y a là des ressources substantielles y compris le pétrole. C’est une zone turbulente, avec de dangereux mouvements populaires indépendants qui ne sont pas sous contrôle. Maintenant on installe des bases militaires nord-américaines avec des forces sur le terrain. Et on pourrait penser à d’autres objectifs.

Quels obstacles se dressent maintenant devant Bush et Co face à ce qu’ils désirent et quels sont les obstacles qui pourraient se manifester ?

Le premier obstacle est domestique. Mais cela dépend de nous. De ce que feront les AméricainEs eux-mêmes, qui se retrouvent dans les meilleures conditions pour saper le pouvoir de ce gouvernement.

Quel est ton impression sur l’opposition anti-guerre et quelles devraient être maintenant ses objectifs ?

L’opposition antiguerre ici n’a pas de précédent, par son étendue et son implication, et j’ai quelque expérience à ce sujet depuis les 40 dernières années. Ses perspectives immédiates, son objectif, je pense, devrait être de travailler pour assurer que l’Irak soit gouverné par les IrakienNEs, que les États-Unis fournissent des réparations et des indemnisations massives pour ce qu’ils ont fait à l’Irak durant 20 ans (pour avoir appuyé Saddam Hussein, pour les guerres, pour les sanctions brutales qui ont causé plus de dommages et de morts que les guerres elles-mêmes) ; et s’il est exagéré d’espérer tant d’honnêteté, au moins il faut garantir une aide massive, qui profiterait aux IrakienNEs, quand et comme ils en décideraient. Dans ces perspectives, il devrait y avoir l’objectif particulier de bloquer les politiques dangereuses de la stratégie de sécurité nord-américaine. En rapport à cela, il devrait y avoir des efforts sérieux pour bloquer les ventes d’armes qui s’annoncent comme une des conséquences de la guerre, et qui contribuera à faire du monde un lieu plus sinistre et dangereux. Et cela n’est qu’un début. Le mouvement anti-guerre est indissolublement lié aux mouvements globaux pour la justice, qui a des objectifs de plus longue portée encore.


Quelle relations y a-t-il entre l’invasion de l’Irak et la globalisation capitaliste et qu’elle devrait être les liens entre les mouvements contre la globalisation capitaliste et le mouvement pour la paix ?

L’invasion de l’Irak a connu une forte opposition dans les principaux centres de la globalisation capitaliste. Au Forum économique mondial à Davos en janvier, l’opposition fut si forte que Powell fut pratiquement hué quand il a tenté de présenter le thème de la guerre, annonçant clairement que les États-Unis iraient en guerre même si personne, si ce n’est Blair le pathétique, ne les suivait. Le mouvement pour la justice globale et pour la paix sont si étroitement unis dans leurs objectifs qu’il ne faut pas plus pour les rassembler. Nous devrions, de toute façon, empêcher que les planificateurs esquissent ces maillons, pour le faire nous-mêmes, à notre façon. Ils prédisent que leur version de la globalisation suivra son cours et amènera une « volatilité financière chronique » (ce qui équivaut à une croissance plus lente de l’économie, frappant principalement les pauvres) … et un rapetissement de la brèche économique (ce qui signifie moins de globalisation, moins de convergence). Ils prédisent en outre qu’avec « l’approfondissement de la récession économique, de l’instabilité politique et de l’aliénation culturelle, l’extrémisme ethnique, idéologique et religieux se développeront ainsi que la violence dirigée dans sa majeure partie contre les États-Unis, c’est dire plus de terrorisme. Les planificateurs militaires font les mêmes pronostics. C’est une bonne argumentation pour développer rapidement les dépenses militaires, y compris par la militarisation de l’espace que le monde entier tente d’empêcher, sans trop d’espoir alors que la question se maintient hors de vue des américains, qui ont la responsabilité première de l’empêcher. Je suppose que nous sommes informés d’événements récents, parmi eux, le vote américain à l’ONU (soutenu que par Israël) contre la résolution demandant la réaffirmation de la convention de Genève de prohiber les armes biologiques et contre une autre résolution qui renforce les traités qui prohibent l’utilisation de l’espace à des fins militaires, y compris des armes offensives qui nous menacent tous. La première tâche, comme toujours est de savoir ce qui se passe dans le monde, en cherchant à le faire le mieux que nous pouvons. C’est notre privilège, notre pouvoir, notre responsabilité et notre liberté Et cela aussi devrait être évident.

Traduction La Gauche à partir de Rebelion