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France, luttes sur les retraites

Des jours décisifs !

dimanche 8 juin 2003

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L’issue de la bataille contre le plan Fillon se joue au moment où sort ce numéro de Rouge. Raffarin ne laisse le choix à personne, ni à sa propre majorité, ni aux salariés : la victoire pour les uns, la défaite pour les autres. C’est maintenant que toutes les forces sociales, les forces militantes doivent dépasser les blocages et les divisions pour imposer une volonté majoritaire dans ce pays : celle du retrait d’un projet de régression sociale qui touche l’ensemble des salariés, du privé comme du public.
Gouvernement et médias s’allient pour convaincre les salariés qu’il est trop tard, que le mouvement retombe, que le pays ne connaît pas le blocage de 1995. Mais la journée du 3 juin ne permet en rien ce diagnostic péremptoire : dans tout le pays, une extension du nombre de secteurs en grève, avec la participation notamment d’une série d’entreprises du privé, des manifestations semblables à celle du 13 mai, mais souvent plus combatives et plus déterminées.
Des appels à la reconduction sont lancés, jusqu’au 6 juin, dans de nombreux secteurs - transports, poste et télécoms, notamment - et des grèves reconductibles continuent chez les communaux, aux Finances, dans les hôpitaux. Tout indique le maintien de la mobilisation des enseignants, une nouvelle entrée dans la grève de la SNCF et des transports urbains, au-delà de la RATP, dans des dizaines de villes. Des dynamiques locales de grève générale sont à l’oeuvre, depuis longtemps en Corse ou à la Réunion, et depuis quelques jours dans plusieurs agglomérations de l’Hexagone. De nombreuses interprofessionnelles quadrillent aujourd’hui le pays, dans les villes et les quartiers.
Raffarin, qui sent bien la menace, affirme comme Juppé en 1995 rester "droit dans ses bottes". Mais, désavoué dans le pays, il ne peut que prier pour un essoufflement de l’Education nationale et l’absence d’extension dans d’autres secteurs significatifs, pour ne pas avoir à céder sur le dossier des retraites. Comme il a commencé à le faire sur l’autonomie des universités (tout en manoeuvrant sur le dossier de la décentralisation).
L’heure n’est donc pas pour les équipes militantes à attendre le secteur qui se battrait à la place des autres, mais de faire le maximum dans toutes les régions, dans toutes les entreprises pour développer une généralisation de la grève. Ce mouvement chaotique, qui a du mal à se hisser à la hauteur du défi, paye évidemment la politique des confédérations syndicales, en premier lieu de la CGT qui n’a rien fait depuis des mois pour préparer une vraie confrontation, singulièrement au lendemain du 13 mai lorsqu’elle a directement bloqué les grèves reconductibles. Jusque-là, le mouvement, poussé sans cesse par la grève générale de l’Education nationale, a su dépasser ces blocages et mettre le gouvernement sur la défensive.
Tout reste ouvert, tout reste possible pour maintenir le rapport de forces capable de faire reculer Raffarin. Mais l’absence d’extension significative à la fin de cette semaine ferait du 10 juin la journée d’enterrement du mouvement.
Les mobilisations régionales privé-public, comme à Marseille, Rouen et dans bien d’autres villes, la multiplication des interprofessionnelles prouvent que nous sommes des millions à nous battre, dans tous les secteurs. Aujourd’hui, enseignants, postiers, salariés des transports, de la chimie, de la métallurgie ou des Finances, nous sommes tous les cheminots de 2003, nous portons tous la responsabilité de l’issue de cette grève.
Grève politique, disent certains. Paradoxalement, les grèves les plus politiques arrivent souvent lorsque n’apparaît pas d’alternative gouvernementale. Ce fut le cas en 1968 comme en 1995. Politique, ce mouvement l’est évidemment, lorsqu’il combat un projet de société réactionnaire et met en avant l’exigence d’autres choix sociaux, clairement exprimés par les salariés en grève : cesser d’amputer la part des richesses consacrée aux salariés, cesser d’accroître celle réservée aux actionnaires et aux patrons. Jamais, peut-être, les choix de société ne se sont affirmés avec tant de clarté, rendant inopérantes les tentatives de stigmatiser le mouvement comme celui de "corporatistes" arc-boutés sur des "privilèges catégoriels". Grève politique, sûrement, politicienne, sûrement pas. Car chacun sait, et Rocard comme bien d’autres l’a rappelé, qu’un gouvernement mené par le Parti socialiste aurait mené une réforme similaire : Jospin s’y était engagé à Barcelone, en mars 2002.
Cela prouve, une nouvelle fois, que les partis de la gauche traditionnelle ne représentent ni les aspirations, ni les besoins sociaux des salariés. Aujourd’hui, ce sont la grève et l’alternative de société clamée dans les rues de tout le pays qui constituent la représentation politique de ces derniers. Quelle que soit l’issue de cette mobilisation, c’est cette force qui doit s’affermir, se construire, grâce à toutes les équipes militantes présentes dans les interprofessionnelles, les coordinations, dans des centaines de villes et de quartiers. C’est cette force qui porte en germes, non pas une molle alternance, mais une réelle alternative aux partis dévoués à la gestion du libéralisme capitaliste.
Laurent Carasso.
Rouge 2020 05/06/2003