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NOUVELLES DE CANCUN

UNE PROCEDURE NON DEMOCRATIQUE ET NON TRANSPARENTE

Raoul Marc JENNAR

dimanche 14 septembre 2003

Cancun, Mexique, 14 septembre 2003

AVANT LA TRES BONNE NOUVELLE

La conférence est entrée dans sa phase critique. Mais peut-être est-ce utile de rappeler la procédure dans ses aspects formels et informels.

En principe, un document préparatoire ( le projet de déclaration ministérielle qui doit être adopté par la conférence) est préparé au siège de l’OMC, à Genève et il doit être, avant que l’OMC l’envoie à la conférence ministérielle, approuvé par tous les Etats membres représentés au sein du Conseil général qui rassemble tous les ambassadeurs. Dans la réalité, depuis la préparation de la précédente conférence ministérielle qui s’est tenue à Doha, il en va autrement. Vu la volonté des pays riches d’imposer de nouvelles avancées dans le libre-échange et la privatisation de toutes les activités humaines, un consensus n’est plus réuni. Aussi, c’est le président du Conseil général (présidence tournante : cette fois, c’est le Mexique) qui, sous sa seule responsabilité, décide d’envoyer un texte de son crû à la conférence. Avant Doha, comme avant Cancún, la particularité dominante de ce texte sur lequel la conférence va négocier, c’est qu’il rencontre très largement les attentes des pays riches et peu, voire fort peu, celles des pays en développement. Avant Doha, ce texte n’évoquait même pas des positions alternatives présentées par d’autres pays. Pour Cancún, le texte, dans certains cas, présentait deux options possibles.

Arrivés à Cancún, les ministres se sont exprimés sur ce texte. En séance plénière, ils se succèdent dans des discours que personne ou quasiment n’écoute. Dans les cinq groupes de travail créés à l’ouverture de la conférence, les points de vue ont été plus explicites. De mercredi à vendredi soir, c’est ce qui s’est passé. Les points de vue ont été exprimés dans les cinq groupes et on a pu mesurer la profondeur des divergences.

Phénomène nouveau : des coalitions de pays se sont créées par matières afin de mieux faire contre-poids aux poids lourds que sont les Etats-Unis, l’Union européenne et leurs alliés (Australie, Canada, Hong Kong ’ entité restée distincte à l’OMC qui ne reconnaît que des ’zones douanières’, étrange définition pour des pays et des peuples ’ Japon, Nouvelle-Zélande, Singapour, Taiwan’). On peut dire que le bloc occidental ne néglige rien pour provoquer l’éclatement de ces coalitions. En vain. Jusqu’à présent.

Vendredi soir, les présidents de ces groupes de travail, qu’on appelle ici des ’facilitateurs’ ( mais pour faciliter quoi ?) ont fait rapport au président du Conseil général et ont fourni des textes destinés à amender le projet de déclaration. Une nouvelle version de ce dernier a été rédigée dans la nuit de vendredi à samedi. Elle a été distribuée à toutes les délégations samedi vers 14H alors que, j’en ai eu confirmation par un membre de la délégation européenne, les délégations occidentales en possédaient un exemplaire des 11H.

C’est ce texte qui fait l’objet d’intenses négociations. Celles-ci ne se déroulent plus dans les groupes de travail. Formellement, elles se déroulent dans des réunions appelées ’réunions des chefs de délégation.’ En fait, elles se déroulent dans des réunions informelles où sont convoqués les principaux protagonistes, choisis à la discrétion de l’Europe et des USA. Par référence à la couleur du bureau du directeur général de l’OMC dans les premières années de l’existence de cette organisation, on les appelle ’green room meetings,’ puisque c’est dans ce bureau qu’à Genève ont lieu de telles réunions. Ces réunions se déroulent à huis-clos. Seuls les ministres invités peuvent y assister accompagnés ou non de leurs experts.

La première réunion de ce genre s’est tenue pendant la nuit de samedi à dimanche. On y a discuté agriculture et nouvelles matières. Une deuxième ’green room’ a commencé dimanche matin vers 9H. Pendant ce temps, entre Européens, les consultations se multiplient : réunions du Comité 133, réunions du Conseil des Ministres. On y perçoit parfois des divisions, mais la règle, c’est le soutien à la Commission européenne et la volonté de taire les divergences. Les prétendus exercices de transparence effectués par certaines délégations qui invitent sporadiquement la ’société civile’ (organisations patronales, syndicats, ONG) contribuent plus à l’intoxication voulue par les Européens qu’à un véritable partage d’une réelle information. La langue de bois est le langage usuel. Par contre, des contacts individuels sont plus productifs’

Les réunions ’green room’ vont se poursuivre jusqu’à ce que soit les négociateurs se résignent à constater l’impasse (réelle si on s’en tient aux déclarations et communiqués des différentes parties en présence) et suspendent les travaux (comme à Seattle), soit parviennent à dégager un texte qui fasse le consensus (comme à Doha). Dans cette dernière hypothèse, l’accord sera confirmé par une réunion des chefs de délégation. Il semble que les blocages actuels conduisent à une prolongation de la conférence au-delà de dimanche soir.

UN ACCORD COUSU MAIN POUR LES USA ?

Une analyse du nouveau projet de déclaration ministérielle tend à conclure qu’il s’agit d’un texte qui convienne plutôt globalement aux Etats-Unis. En effet, sur les principales matières, les propositions se rapprochent plus des positions exprimées par la délégation américaine que de toutes les autres. L’unilatéralisme américain semble avoir pesé davantage que l’unilatéralement européen pour l’auteur du texte, représentant du Mexique, il faut le rappeler. Il faut se souvenir aussi que le Mexique est signataire de l’ALENA, un accord de libre-échange qui va plus loin que les accords de l’OMC dans la marchandisation des rapports humains. Reprenons les principaux sujets :

AGRICULTURE

Le texte aggrave le caractère déjà déséquilibré du plus déséquilibre des accords de l’OMC. Ce qu’il accentue, c’est la mise sous contrôle de la paysannerie mondiale, au Sud et au Nord par les entreprises agro-alimentaires (très présentes ici).

Sur le fond, le texte diffère peu du projet initial. Il continue pour l’essentiel de reproduire la proposition commune USA-UE qui ne s’engage pratiquement pas en terme de réduction des subventions, ni en ce qui concerne les montants, ni en ce qui concerne le calendrier. La clause de paix, qui interdit aux pays qui respectent les règles de l’OMC de déposer plainte contre ceux qui ne les respectent pas (Union européenne et USA) est prorogée pour une durée qui n’est pas précisée. Certaines dispositions du texte aggravent les propositions initiales. Quelques concessions mineures sont faites aux pays en développement que le ministre français de l’agriculture a déjà considérées comme inacceptables.

NOUVELLES MATIERES

Alors que 70 pays membres de l’OMC (sur 146) ont formellement fait savoir, par écrit, qu’ils s’opposaient à l’ouverture de négociations sur ces matières, alors que la déclaration de Doha prévoyait une décision par ’consensus explicite’ de tous les Etats membres pour l’ouverture des négociations, le nouveau projet de déclaration passe outre et annonce l’ouverture immédiate de négociations sur les marchés publics et la facilitation des échanges (exactement ce que demandaient les USA), et confie à une décision à prendre, par le Conseil général à une date encore à fixer, l’ouverture des négociations sur la concurrence et sur l’investissement. On commence les négociations immédiatement sur deux matières et à terme sur les deux autres : c’est, par étapes, le retour de l’AMI. L’Union européenne est mécontente, car elle demande le démarrage des négociations immédiatement sur les quatre matières.

NAMA

Le texte est pratiquement inchangé de la proposition initiale rejetée par un grande majorité des pays en développement.

AGCS

Le texte est inchangé (paragraphe 6). Il ne fait l’objet d’aucune discussion, alors qu’il présente trois dangers majeurs :

1) Il veut forcer les pays qui n’ont pas présenté d’offres de libéralisation (engagements spécifiques) de services à le faire et certains autres dont les offres étaient limitées à les augmenter. Il veut en outre imposer un délai pour le dépôt de ces offres de dérégulation et de privatisation (mars 2004). Ce texte, soutenu par l’Union européenne dément les affirmations répétées de Pascal Lamy déclarant qu’aucun pays n’est obligé à s’engager dans un processus de libéralisation des services. Le texte appelle à ’un engagement total de tous les participants pour l’échange continu de demandes et d’offres.’

2) le texte pousse à l’adoption rapide de ’disciplines’ dans le domaine des subventions et et des réglementations intérieures ; afin d’accélérer ce processus, il propose le date du 15 mars 2004. On sait que ces disciplines vont fournir la liste des subventions désormais considérées comme des distorsions à la concurrence commerciale, ainsi que la liste des dispositions qui, dans nos lois et règlements, à chaque niveau (de l’Etat à la Commune) seront considérées comme plus rigoureuses que nécessaires par rapport aux règles de la concurrence commerciale. Sont ici directement visées les normes en matière de droits humains fondamentaux, les normes sociales, les normes environnementales, les critères de qualification professionnelle, etc.’

3) il réaffirme que les négociations de l’AGCS doivent ’obtenir une élévation progressive des niveaux de libéralisation sans qu’aucun secteur de service ou mode de fourniture ne soit exclu a priori.’ N’est-ce Pascal Lamy qui déclarait que la santé, l’éducation et la culture échappent à l’AGCS pour ce qui concerne l’Union européenne ? La phrase qui se trouve également dans le texte et qui affirme que ’le droit des Membres de réglementer et d’adopter de nouvelles réglementations pour la réalisation d’objectifs de politique nationale sera dûment respecté’ n’est pas de nature à rassurer. D’abord parce qu’elle est contredite par l’ensemble des dispositions de l’AGCS ; ensuite parce qu’elle est beaucoup trop vague, juridiquement, quant à la portée de la formule ’objectifs de politique nationale’. Des juristes consultés contestent que cette phrase puisse faire contrepoids à la formule ’aucun secteur n’est exclu a priori’. En dépit de certaines déclarations, aucun gouvernement européen ne s’oppose à ce texte.

COTON

Les demandes des quatre pays africains de voir respectées les règles de l’OMC par tous, y compris les USA, ont été rejetées avec pertes et fracas. En caricaturant à peine, on peut dire que le texte proposé à ces pays est ne plus cultiver du coton pour ne plus être en concurrence avec un pays occidental qui subventionne ses producteurs de coton. Les USA ont manifesté à cet égard une arrogante répugnante. Et les Européens, une hypocrisie du même goût. Après avoir accueilli ’avec sympathie’ mais sans s’impliquer, la demande des quatre pays, les Européens avancent maintenant des propositions pour que soient pris en considération certains éléments de cette demande. En échange, bien entendu, d’un soutien au protectionnisme agricole européen et au libre-échangisme ultra des mêmes dans le domaine des nouvelles matières.

Il est 15H30, ce dimanche ici à Cancún, (22H30 sur le continent européen) au moment où je termine ces lignes. J’apprends à l’instant que la formidable résistance des pays du Sud se maintient. Nous croisons tous les doigts, ici, pour que survienne un nouveau Seattle ouvrant une crise qui rendra incontournable la réforme de l’OMC et des accords iniques et dangereux qu’elle administre.

Raoul Marc JENNAR

chercheur auprès d’Oxfam Solidarité (Bruxelles) et de l’ URFIG (Paris-Mosset)

http://www.urfig.org