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Brésil : l’actualité de l’audit de la dette et les responsabilités du gouvernement Lula

dimanche 14 septembre 2003, par Eric Toussaint

 [1] (CADTM) - 10 septembre 2003-

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Lors de la précédente crise de la dette, celle des années 1930, le Brésil comme treize autres pays latino-américains, suspendit pendant plusieurs années l’essentiel des paiements (la suspension fut totale en 1931, partielle entre 1932 et 1936 et totale entre 1937 et 1940). Bien lui en prit car lorsqu’il négocia un règlement du litige avec le cartel des créanciers étrangers, le Brésil obtint une réduction d’environ la moitié du stock de la dette (l’accord intervint en 1943). La dette qui s’élevait à 1.294 millions de dollars en 1930 a été ramenée à 698 millions en 1945 et à 597 millions en 1948. En 1930, le service de la dette représentait 30% des exportations, en 1945, il ne représentait « plus que » 7%. A l’époque, pour appuyer leur décision unilatérale de suspension de paiement, les autorités brésiliennes ont eu recours à l’audit. En 1931, un décret décidait de mettre sur la table tous les contrats concernant tous les emprunts publics externes. Un autre en 1932 imposait l’analyse détaillée de tous ces contrats. L’audit a permis de conclure à l’existence de très nombreuses irrégularités dans l’établissement des contrats. Dans sa synthèse de l’audit, Arthur de Souza Costa, ministre des Finances de l’époque, affirmait en 1935 : « L’histoire de nos emprunts compte des opérations en nombre exagéré, onéreuses, ruineuses même, réalisées sans qu’elles aient pour but de favoriser le développement de notre pays  » (cité par Reinaldo Gonçalves, in Fattorelli, 2003, p. 115).

Les fondements de la crise de la dette qui allait éclater comme dans les autres pays du Tiers Monde en 1982, trouvent leur origine dans les années 1960 et 1970, pendant la longue période de dictature militaire qui commença en 1964.

Au moment du coup d’Etat de 1964, la dette extérieure s’élevait à 2,5 milliards de dollars et lorsque le dernier général abandonna le poste de président en 1985, la dette avait dépassé les 100 milliards de dollars ! Elle avait donc été multipliée par quarante en un peu plus de vingt ans de dictature. Cette dictature a bénéficié d’un appui sans faille du gouvernement des Etats-Unis et de la Banque mondiale qui voyaient en elle un allié stratégique sur le continent dans un contexte d’extension de la révolution cubaine et des grandes luttes populaires anticapitalistes et anti-impérialistes. A noter qu’avant le coup d’Etat de 1964, la Banque mondiale s’était refusée à prêter de l’argent au Brésil du président progressiste de Joao Goulart (dit Jango) qui avait entrepris une réforme agraire.

A partir de 1964, le gouvernement des Etats-Unis via son agence de crédits à l’exportation, Eximbank, d’une part, et la Banque mondiale d’autre part octroyaient de nombreux prêts à leurs alliés, les généraux au pouvoir à Brasilia. De cette époque datent les méga-projets énergétiques : barrages hydro-électriques, centrales thermiques et la réalisation de grands travaux d’infrastructure routière de pénétration de l’immense région amazonienne dans le cadre du Polonoreste. Tous projets responsables d’énormes destructions environnementales, d’extinction de certains groupes indigènes de l’Amazone et de très importants déplacements de populations (colonisation de zones forestières détruites pour y développer de l’élevage par exemple).

N’oublions pas que la ferveur des Etats-Unis envers les régimes dictatoriaux a provoqué leur généralisation au Cône Sud (Chili et Uruguay à partir de 1973 ; Argentine à partir de 1976). Le gouvernement de Washington a directement été impliqué dans la mise sur pied des dictatures et dans la planification de l’extermination physique d’une partie importante de la gauche à l’échelle continentale (le sinistre plan Condor).

Lorsque les Etats-Unis décidèrent fin 1979 d’augmenter radicalement les taux d’intérêt, la dictature brésilienne, bien qu’amie, fut touchée de plein fouet par la mesure ce qui la déstabilisa face à la remontée des luttes populaires du début des années 1980. Entre 1979 et 1985, le Brésil confronté à la crise de la dette a transféré à ses créanciers, principalement des banques des Etats-Unis, 21 milliards de dollars de plus que ce qu’il a reçu en nouveaux prêts durant la même période.

Il faut préciser que le cartel des banques créancières du Brésil a été dirigé par la Citibank qui, soulignons-le, a été impliquée dans tous les mauvais coups dictatoriaux des années 1960 et 1970 en Amérique latine et qui a été, pendant toute cette période, très active dans l’ingénierie financière pour transformer des fonds publics des pays du Sud en accumulation privée des gouvernements, de préférence militaires. Citibank a été également une formidable machine de blanchiment d’argent. Ses activités délictuelles et néfastes ne se sont pas limitées à l’Amérique latine, elle a prêté son concours actif au dictateur Sani Abacha au Nigéria dans les années 1990 et a organisé pour lui la mise en sécurité de sommes colossales (plusieurs milliards de dollars) qu’il a volées au Trésor public de son pays. Citibank (devenue une composante de Citigroup) a été mise en cause dans différents scandales à partir de l’affaire Enron. Cela lui a valu en 2003 une amende de quelques centaines de millions de dollars imposée par le juge Spitzer de New York. Notons qu’au début des années 2000, Citigroup a accueilli dans ses organes de direction le secrétaire d’Etat au Trésor des Etats-Unis, Robert Rubin, et le numéro 2 du FMI, Stanley Fischer [2].

Le FMI, quant à lui, entra dans la danse macabre de la dette odieuse brésilienne en janvier 1983, en dictant une lettre d’intention à la dictature non sans avoir critiqué préalablement le fait que celle-ci avait concédé de trop fortes augmentations salariales aux ouvriers.

L’augmentation très forte des taux d’intérêt décrétée par le gouvernement des Etats-Unis à partir de fin 1979 provoqua au Brésil comme ailleurs en Amérique latine un étranglement financier des pouvoirs publics. José Sarney, le premier président de la période post dictature (1985 - 1989), fut amené à décréter une suspension de paiement en 1987. De cette époque, qui est aussi marquée par la naissance du Parti des Travailleurs (PT), de la Centrale Unitaire des Travailleurs et du Mouvements des Sans Terre, date une grande sensibilité dans les milieux progressistes à la question de la dette. D’autant qu’à partir de 1985, la campagne lancée par Fidel Castro sur le thème « La dette est impayable » avait reçu un écho tout à fait considérable au Brésil et à l’échelle du continent. Par ailleurs, l’audit comme un des instruments aux mains des pouvoirs publics pour obtenir une renégociation complète de la dette bénéficiait d’un crédit certain (le fait que l’audit de la dette des années 1930 avait été bénéfique jouait sûrement un rôle dans la mémoire collective). L’audit est apparu aux yeux d’un grand nombre de mouvements revendicatifs comme le moyen de remettre en cause l’écrasant fardeau de dettes léguées par la dictature. La demande de l’audit était devenue à l’époque une matière tellement sensible que les législateurs l’ont incluse dans la Constitution post dictature de 1988. L’article 26 des dispositions constitutionnelles transitoires donnait au Congrès national la responsabilité de réaliser un audit sur la dette dans un délai d’un an.

Par la suite, au début des années 90, la situation financière du pays s’est améliorée quelque peu quand, après la décennie perdue, les capitaux de l’extérieur recommencèrent à affluer sous la forme de prêts bancaires, d’investissements de portefeuille et d’investissements directs.

D’une certaine manière, le plan Brady, appliqué au Brésil à partir de 1994 sous la gestion de Fernando Henrique Cardoso comme ministre des Finances, allait permettre de redonner une virginité, une légitimité aux dettes contractées pendant la longue nuit dictatoriale. Une partie significative (49 milliards de dollars sur un total de 145) a été transformée en nouvelles dettes sous forme de « bons Brady ». Pendant toute cette période, la dette a continué à augmenter : on empruntait pour rembourser. L’opération Brady appliquée au Brésil grâce au concours de F. H. Cardoso entraîna une augmentation sensible du service de la dette (voir l’analyse de l’économiste Paulo Nogueira Batista Jr citée par José Dirceu, Projet de Décret législatif n° 645-A du 13 septembre 2000).

La situation s’est à nouveau fortement dégradée après le déclenchement de la crise mexicaine de décembre 1994. Le président F. H. Cardoso a mis en place un plan de sauvetage des banques privées brésiliennes (PROER) qui a coûté 20 milliards de dollars aux pouvoirs publics.

Dans le cadre des accords avec le FMI, F. H. Cardoso a maintenu une politique de hauts taux d’intérêt (en fait les plus hauts taux d’intérêt à l’échelle de la planète) qui a été très dommageable pour l’économie en particulier pour le secteur productif tandis qu’il favorisait le capital rentier.

Voici un tableau de l’évolution des taux d’intérêt au Brésil entre septembre 1997 (crise asiatique) et mars 1999 (nouvel accord avec le FMI)

Évolution des taux d’intérêt au Brésil

1997 Septembre 20.7
Novembre 42.2 « Package 51 »
Décembre 39.5
1998 Janvier 37.4
Mars 26.2
Mai 22.6
Août 19.3 Crise russe
Septembre 33.5
Octobre 39.3
Décembre 29.3
1999 Janvier 29.9
Février 38.8
Mars 43.1 Accord FMI Révisé

Source : Banque centrale du Brésil, in M. Arruda, 1999, p. 34.

Preuve que cette politique favorisait le capital rentier, début 1999, les profits nets déclarés par les grandes banques brésiliennes étaient 5 à 8 fois supérieurs aux profits de l’année 1998.

Par ailleurs, entre 1997 et la fin 2001, le Brésil a été victime d’un transfert net négatif sur dette (voir lexique) pour un montant 78,9 milliards de dollars. Si l’on ne prend en compte que les pouvoirs publics, cela représente 27,3 milliards de dollars de transfert net négatif sur la dette publique entre 1996 et la fin 2001 (source : Banque mondiale, GDF 2003).

Autrement dit, si les pouvoirs publics brésiliens avaient décidé à partir de 1997 d’arrêter le paiement de la dette et qu’en conséquence les différents créanciers avaient décidé de fermer le robinet du crédit, le Trésor public aurait épargné la somme d’un peu plus de 27 milliards de dollars, ce qui est considérable. Cela veut dire qu’il n’est pas vrai dans le cas brésilien d’affirmer qu’il vaut mieux continuer de rembourser la dette extérieure sous prétexte que le flux de nouveaux prêts entrants dans le pays est supérieur au flux de remboursements.

Pour donner une idée de l’ampleur des montants remboursés, en 1999, dans le budget de l’Etat, le service de la dette a été cinq fois plus grand que le budget de la santé publique, neuf fois plus grand que le budget de l’éducation, 69 fois plus grand que le budget du ministère de la réforme agraire (calcul de l’auteur sur la base de R. Gonçalves et V. Pomar, 2000, p. 35).

Cette détérioration de la situation a provoqué une sensibilité renouvelée sur la question de la dette. Du côté des mouvements sociaux, un tribunal de la dette a été organisé en avril 1998 à Rio, suivi, en septembre 2000, d’un referendum auquel plus de six millions de Brésiliens ont participé. Le referendum était organisé par la Campagne Jubile pour un Millénaire sans dette, la conférence Nationale des Evêques, le MST, la CUT, d’autres syndicats, et avait bénéficié du soutien de plusieurs partis de gauche dont le PT.

Au moment du referendum, José Dirceu (député et président du PT à l’époque), qui est devenu à partir de janvier 2003 ministre de la Présidence, avait introduit en tant que parlementaire pendant la législature de Cardoso, un projet de décret législatif [3] visant la réalisation d’ « un référendum pour que la population prenne une décision en ce qui concerne la dette extérieure et le maintien des accords internationaux entre le gouvernement brésilien et le FMI ». L’article 1 disait : « Le Congrès national décide (…) la réalisation d’audits sur la dette externe et d’un référendum constitué des questions suivantes : 1) le gouvernement brésilien doit-il rompre les accords avec le FMI ? 2) le gouvernement brésilien doit-il réaliser un audit de la dette externe ? 3) le gouvernement brésilien doit-il maintenir la politique actuelle de paiement de la dette ? ». Le projet de décret continuait ainsi : « Au cas où la volonté populaire détermine la rupture des accords avec le FMI, cela prendra effet dans un délai de 90 jours ; au cas où la volonté populaire décide l’audit, celui-ci devra être réalisé dans un délai de 90 jours ; au cas où la volonté populaire décide la révision des conditions de paiement de la dette, il reviendra au Congrès national de délibérer sur ces nouvelles conditions dans un délai de 90 jours ».

Cette proposition a été introduite le 13 septembre 2000, appuyée par la signature de 191 parlementaires dont celle d’Antonio Palocci, devenu ministre des Finances en janvier 2003. Cette proposition a été rejetée par la majorité parlementaire du président F. H. Cardoso (à noter que certains députés membres de la majorité avaient pourtant apporté leur soutien à la proposition de décret).

La possibilité de se défaire du président néo-libéral Cardoso, à l’occasion des élections de 2002, pour le remplacer par Lula qui symbolisait plus de vingt ans de luttes populaires contre la dictature et contre le néo-libéralisme, a soulevé un énorme enthousiasme et des attentes bien compréhensibles pour enfin trouver une solution aux grands problèmes sociaux ainsi qu’au problème de la dette.

Ces attentes ont été profondément déçues en 2003. Nous allons voir pourquoi.

Mais avant cela, il faut espérer que la créativité, l’intelligence, la fidélité au combat et la pugnacité vont donner des ailes aux mouvements citoyens et aux mouvement sociaux brésiliens. Il faut espérer qu’ils sauront ressortir des oubliettes les engagements d’autrefois… et qu’ils obtiendront qu’on les mettre en pratique. Lula et le PT n’avaient-ils pas, pendant des années, fait de la dette un important sujet de campagne du PT. Afin de rafraîchir les mémoires, on trouvera ci-dessous une interview de Lula réalisée par l’auteur à Managua (Nicaragua) en juillet 1991. Ensuite, on verra quels ont été les premiers pas du président Luis Ignacio Lula da Silva entré en fonction en janvier 2003.

« Tout gouvernement du Tiers Monde qui décide de continuer à rembourser la dette externe prend l’option de conduire son peuple à l’abîme » déclarait en 1991 Luis Ignacio "Lula" da Silva, alors président du PT brésilien, nouveau président du Brésil à partir de janvier 2003 (*)

Propos recueillis par Eric Toussaint en juillet 1991 à Managua (Nicaragua)

Eric Toussaint : Après un an et demi de la présidence de Collor, quelle est la situation au Brésil ?

Lula : La société brésilienne a découvert que la politique néo-libérale du président Collor est un échec. Contrairement aux promesses, rien n’a été résolu. L’inflation a baissé mais au prix d’un coût social très important en termes de chômage, de politique agraire, de salaires, de santé et d’éducation. Il nous faut donc présenter d’urgence un proposition alternative qui aille dans le sens de la croissance économique du Brésil, de la redistribution des richesses et qui indemnise les travailleurs des préjudices de ce plan.

Tout cela doit aller de pair avec un sérieux travail d’organisation du mouvement populaire car, s’il se limite à la lutte institutionnelle, le PT deviendra très vulnérable. La question des alliances avec d’autres forces progressistes est également cruciale pour affronter de manière victorieuse le gouvernement.

E.T. : L’hebdomadaire The Economist titrait, il y a peu, "l’Amérique latine est à vendre". Qu’en est-il des ventes d’entreprises nationales ? Quelle est la position du PT ?

Lula : Le FMI veut que les pays endettés vendent leurs entreprises d’Etat dans le but de faciliter le paiement de la dette extérieure. Notre parti a une position claire à ce sujet. Nous défendons le contrôle étatique sur toutes les entreprises liées aux secteurs stratégiques. Par contre, toutes celles qui ont été étatisées par le régime militaire, toutes les entreprises secondaires comme le textile, peuvent être privatisées. Les entreprises faisant partie des secteurs stratégiques comme le pétrole, la sidérurgie, l’eau, les ports, l’énergie électrique… doivent être aux mains de l’Etat. Notre lutte contre la privatisation de ces entreprises est favorable à leur démocratisation. Il est nécessaire d’ouvrir ces entreprises à la société civile pour qu’elle puisse les administrer. Il est nécessaire qu’il y ait des dirigeants syndicaux à leur tête, il est nécessaire que des groupes faisant partie de la société civile soient partie prenante de l’administration de ces entreprises afin de les transformer en biens de la communauté considérée comme un tout. Nous ne sommes pas d’accord de privatiser le patrimoine public afin de payer la dette extérieure. Jusqu’à présent, le gouvernement n’a pas obtenu grand chose dans sa politique de privatisation parce qu’aucun acheteur ne s’est présenté. Mais si cela ne tenait qu’au gouvernement, tout serait déjà privatisé. Par ailleurs, cette volonté de privatisation ne bénéficie d’aucun appui populaire dans la mesure où nous avons déjà l’exemple de l’Argentine où les privatisations n’ont rien donné sinon la misère.

E.T. : Quelle la position du PT par rapport à la dette extérieure ?

Lula : Nous pensons qu’aucun pays du Tiers Monde n’est en condition de payer la dette. Nous pensons que tout gouvernement du Tiers Monde qui décide de continuer à rembourser la dette externe prend l’option de conduire son peuple à l’abîme. Il y a complète incompatibilité entre politique de développement des pays du Tiers Monde et remboursement de la dette. Nous soutenons qu’il faut suspendre immédiatement le paiement de la dette. Nous sommes demandeurs d’un audit sur l’histoire de la dette pour savoir où fut pris l’argent emprunté, savoir si c’était un emprunt de l’Etat ou d’une autre administration publique, ou s’il s’agissait d’une initiative privée ; savoir à quoi cet argent a été dépensé, etc. Tout cela de manière à avoir une photographie fiable de cette dette.

Avec l’argent du non paiement de la dette, nous pouvons constituer un fonds de développement devant financer la recherche et le progrès des technologies, l’enseignement, la santé, la réforme agraire, une politique de développement pour tout le Tiers Monde. Ce fonds de développement serait contrôlé par le pays lui-même. Il serait contrôlé à partir d’une instance qu’il faudrait créer comprenant le Congrès national (le Parlement, ndlr), les mouvements syndicaux, les partis politiques ; ils constitueraient une commission qui s’occuperait de l’administration de ce fonds.

Une initiative politique internationale est également nécessaire. Il faut créer une unité des pays débiteurs pour s’opposer aux pays créanciers. Il est nécessaire d’unir les pays du Tiers Monde afin que chaque gouvernement comprenne que ses problèmes sont équivalents à ceux des gouvernements des autres pays du Tiers Monde. Aucun pays ne pourra individuellement trouver une solution à l’endettement.

Il est aussi important que la discussion sur la dette extérieure ne se fasse pas de gouvernement à banquiers mais de gouvernement à gouvernement. Il faut aussi transformer le problème de la dette en question politique. Il ne faut pas seulement discuter du problème de la dette mais de la nécessité d’un nouvel ordre économique international. Il n’est pas possible que nous continuions à vendre les matières premières pour deux fois rien et acheter les produits manufacturés à prix d’or.

Ce bloc de mesures ne sera réalisé que s’il y a action politique. L’action politique, c’est la pression des mouvements sociaux. Il faut donc transformer la question de la dette en une affaire dont se saisit le peuple.

E.T. : Voici six ans, Fidel Castro lançait une campagne internationale sur le thème "la dette est impayable". Après un bon démarrage, cette campagne semble s’être enlisée faute de répondant. Maintenant, on a l’impression que Bush (1) a le vent en poupe avec son "initiative pour les Amériques" (2). Comment expliquez-vous cela ?

Lula : C’est un fait que c’est le gouvernement cubain qui a lancé ce débat. On a eu plusieurs rencontres internationales très positives à ce propos. Mais ce qui se passe en Amérique latine, c’est que la situation économique est si mauvaise que la majorité des travailleurs n’a pas le temps de penser à des objectifs à moyen terme. Souvent notre lutte se pose des objectifs immédiats. C’est une lutte pour la survie. Sous cette pression, les organisations de gauche ne consacrent pas assez d’énergie aux moyen et long termes. Nous voulons résoudre le problème du chômage et de la faim sans faire suffisamment le lien avec la dette extérieure. Notre parti pense qu’il est important que l’on mette ce problème à l’ordre du jour ; il faudrait en faire de même au niveau syndical. Car si nous ne résolvons pas le problème de la dette, nous ne résoudrons ni celui de la distribution des revenus, ni celui de l’inflation, ni celui du développement.

Pour en revenir aux causes de la faiblesse de la lutte sur le thème de la dette, il faut ajouter que la coordination internationale des organisations syndicales latino-américaines est insuffisante. Il en est ainsi notamment parce que le mouvement syndical est insuffisamment développé à l’intérieur de chaque pays.

E.T. : Que dire alors de l’organisation à l’échelle du continent ?

Lula : Lors de la rencontre de la gauche latino-américaine à Sao Paulo, en juin 1991, nous avons mis en avant la question de la dette extérieure. Nous pensons que ce thème a une force suffisante pour unifier la gauche. Nous remettrons cette question à l’ordre du jour de la deuxième rencontre qui aura lieu à Mexico en juin 1992.

E.T. : La perspective socialiste est-elle encore possible ?

Lula : Je continue à croire à une proposition socialiste. Je continue à croire que le salut de l’humanité est un monde plus égalitaire où la richesse est distribuée de façon plus juste.

Nous avons une grande contribution à apporter. Nous sommes des millions sur la surface de la Terre à vouloir construire le socialisme.

Mais le socialisme ne doit pas être le reflet de ce qui s’est passé à l’Est. Nous, Parti des Travailleurs, nous avons toujours condamné l’existence du parti unique, le manque de liberté pour le mouvement syndical ou l’absence du droit de grève. Nous pensons que le socialisme présuppose la démocratie, le multipartisme, la liberté et l’autonomie syndicales, le droit de grève, le droit des personnes de prendre la parole sur la place publique et de parler contre le gouvernement. Si ce n’est pas le cas, ce n’est pas du socialisme. L’échec du socialisme de l’Est n’est pas à imputer aux socialistes mais aux bureaucraties.

Il faut également ajouter qu’aujourd’hui, tout le monde veut parler de la faillite du "socialisme" est-européen. Mais très peu sont disposés à discuter de la nécessaire solidarité avec Cuba, avec le peuple du Panama ou avec ceux d’Afrique. Il faut mettre en première ligne de nos tâches de solidarité, la défense de Cuba.

(*) Cet interview a été publiée dans la revue du CADTM n°4-5, octobre-novembre 1991.

Il s’agit du président George Bush, père de l’actuel président Georges W. Bush.

L’Initiative pour les Amériques soutenue par G. Bush a été reprise par la suite par Bill Clinton, puis par G.W. Bush sous la forme de la ZLEA (Zone de Libre Echange des Amériques - ou ALCA).

Luis Ignacio Lula da Silva, président : changement ou continuité néolibérale ?

La victoire écrasante de Lula aux élections présidentielles (plus de 60 % au second tour et près de 20 millions de voix d’avance sur son concurrent) a été obtenue dans le cadre d’une politique d’alliance problématique. En effet, le candidat du Parti des Travailleurs (PT) avait obtenu à l’arraché l’accord de son parti pour la réalisation d’une alliance avec un parti de droite, le Parti libéral. En conséquence de quoi, le Parti libéral obtenait, en cas de victoire, la vice-présidence de la République.

Les engagements pris par le candidat Lula au cours de la campagne électorale étaient également problématiques parce qu’il prévoyait de poursuivre la politique économique mise en pratique par le gouvernement de Fernando Henrique Cardoso, politique largement dictée par le FMI, qui assurait le remboursement de la dette extérieure et la poursuite de l’ajustement structurel. Cette politique réduit évidemment considérablement les sources de revenus publics pour réaliser la partie progressiste du programme. Celle qui prévoyait l’augmentation significative des revenus les plus bas (le salaire minimum équivaut à environ 70 euros et devait être augmenté de 20%), l’éradication de la faim (40 millions de Brésiliens souffrent de manière chronique ou permanente de la faim), la réforme agraire, l’augmentation de la population couverte par la sécurité sociale.

Au cours des huit premiers mois de son mandat de président, Luis Ignacio Lula da Silva et Antonio Palocci, ministre de l’Economie et des Finances, ont mis en pratique une politique économique et sociale de type néo-libéral en contradiction tant avec un projet de transformation structurelle qu’avec la concrétisation d’une amélioration substantielle des conditions de vie de la majorité des citoyens brésiliens.

En quoi consiste cette politique ?

Henrique de Campos Meirelles, représentant du grand capital financier, s’est vu confier la présidence de la Banque centrale. Meirelles a été président de la banque FleetBoston : la septième banque en importance aux E-U et la deuxième dans la hiérarchie des créanciers du Brésil (après la Citibank mentionnée plus haut). FleetBoston a joué un rôle particulièrement néfaste dans la crise argentine et n’a jamais hésité à spéculer contre la monnaie brésilienne pour augmenter ses bénéfices. Mettre Meirelles à la tête de la Banque centrale, c’était de la part du nouveau président un signe d’allégeance aux créanciers internationaux et au grand capital en général. Pour l’anecdote, Meirelles avait mené campagne pour José Serra, le candidat de Fernando Henrique Cardoso opposé à Lula, lors des premier et second tours des élections. Le jour de la désignation de Meirelles à la présidence de la Banque centrale, on pouvait encore lire sur son site l’appel à voter José Serra !

Lula et son ministre des finances ont annoncé des mesures légales afin de rendre la Banque centrale autonome vis-à-vis du gouvernement, ce qui correspond aux desiderata du FMI et des marchés financiers. Cette décision a été fortement critiquée par différentes composantes de la gauche au sein de la majorité présidentielle. Rendre autonome du gouvernement la Banque centrale et, pour comble, mettre à sa tête un représentant du grand capital, c’est renoncer en tant qu’exécutif à exercer un contrôle direct sur la politique monétaire (taux de change et émission de monnaie) et sur les taux d’intérêt (traditionnellement fixés par la Banque centrale). Cela revient à se tirer une balle dans le pied !

Au cours de sa campagne électorale, Lula avait déclaré, tout comme les autres candidats à la présidence à l’exception du candidat du PSTU, qu’il respecterait les accords signés entre son prédécesseur et le FMI en août 2002. Cet accord prévoyait notamment l’obligation pour le Brésil de dégager un superavit budgétaire primaire (excédent avant paiement de la dette) de 3,75 %. En août 2002, même le financier spéculateur Georges Soros avait critiqué cet accord en disant qu’il mettait un corset de fer à la politique gouvernementale. Réaliser un superavit de 3,75% implique de limiter fortement les dépenses sociales. Au cours des premiers mois de la présidence, A. Palocci a décidé d’aller encore plus loin dans l’orthodoxie du Fonds Monétaire et des marchés, le gouvernement s’est engagé à dégager un superavit de 4,25% !

Dans le même style, A. Palocci a augmenté le taux d’intérêt directeur de la Banque centrale du Brésil, le portant à 26%, puis le ramenant à 25,5% (août 2003). Cette mesure a un effet tout à fait contraire à la partie progressiste du programme de Lula : elle augmente les revenus du grand capital sous la forme rentière. Pour preuve, les banques brésiliennes ont investi 67% de leurs actifs dans les titres de la dette publique (très rémunérateurs) (Financial Times, 18 juillet 2003). Un chroniqueur financier de la Gazeta Mercantil (le principal quotidien financier brésilien) n’a pas manqué de faire de l’humour à propos de cette politique des hauts taux d’intérêt internes : « Avec le taux d’intérêt de base à 25%, c’est un délice de faire des gains en empruntant à l’étranger (à environ 13,25%) et en achetant avec l’argent emprunté des titres de la dette publique. C’est un délice… pour les banques » (Gazeta Mercantil, 20 janvier 2003).

Cette politique en outre renforce l’inégalité sociale, l’inégalité dans la distribution des revenus. Le Brésil est le pays du monde où l’écart entre les plus pauvres et les plus riches est le plus élevé. Selon le Rapport 1999 du PNUD, les 20% de Brésiliens fortunés accaparaient 63,4% des revenus ne laissant que 2,5% aux 20% les plus pauvres !!! (cité par John Saxe Fernandez, 2001, p. 106). Une politique de haut taux d’intérêt donne une prime à ceux qui vivent de manière parasitaire de leurs rentes. C’est la continuité d’une politique de "deux poids, deux mesures" : serrer la ceinture aux bas revenus et augmenter l’opulence des riches.

L’augmentation du taux d’intérêt a deux autres effets négatifs. Primo, elle augmente mécaniquement les sommes à rembourser sur la dette publique interne qui est colossale. Secundo, elle rend l’accès au crédit encore plus difficile pour les petits et moyens producteurs (paysans, artisans, petits entrepreneurs…), pour l’ensemble du secteur productif en général, cela réduit l’investissement et entraîne l’économie du Brésil dans la stagnation ou la récession.

Depuis 1995, les taux d’intérêt réels brésiliens ont été de manière quasi permanente les plus élevés de la planète. Les tenants de la politique du FMI justifient cela par la nécessité d’attirer des capitaux étrangers et de les fixer dans le pays. Cela n’a pas empêché l’explosion de six crises monétaires. De ce point de vue, le Brésil a battu également tous les records. Le plan "d’aide" du FMI en août 2002 a été présenté comme un soutien au Brésil alors qu’il s’agit en fait d’un soutien du Brésil aux deux grandes banques des Etats-Unis (FleetBoston et Citibank) exposées à concurrence des deux tiers de la somme prêtée.

D’autres projets gouvernementaux sont inquiétants : la réforme de la sécurité sociale et celle du Code du travail (reforma trabalhista). En ce qui concerne la réforme de la sécurité sociale, on assiste au Brésil à une campagne bien connue partout où il a été question de justifier la généralisation des fonds de pension privés et la remise en cause des acquis des salariés en matière de pension. Sous prétexte de mettre fin à des privilèges dont bénéficient des catégories très marginales de fonctionnaires publics (personnel dirigeant des ministères…), il s’agit de réduire très fortement le plafond des pensions de tous les fonctionnaires publics, d’augmenter fortement le nombre d’années d’activités nécessaires pour atteindre l’âge de la retraite et enfin de favoriser le développement de l’épargne pension privée via des fonds de pensions privés. Cette contre-réforme correspond en tous points à l’orientation défendue par la Banque mondiale. Manifestation et grèves des fonctionnaires publics se sont succédés en juin-juillet 2003 pour s’opposer à cette contre réforme voulue par le Président Lula. A la même époque, les salariés de France et d’Autriche luttaient massivement contre le même type de projet voulu par des gouvernants de droite. Finalement, cette réforme a été adoptée par le Congrès brésilien en août 2003 moyennant quelques amendements qui sont des concessions au mouvement de lutte des fonctionnaires publics.

Pourquoi y a-t-il antagonisme entre le maintien des accords avec le FMI et la partie progressiste du programme sur base duquel Lula a été élu ?

Les accords du FMI impliquent une augmentation de la dette publique externe et interne. Externe parce que les 30 milliards de dollars promis par le FMI s’ajoutent au stock de la dette et élèvent les montants à rembourser. De même, les montants à rembourser pour la dette interne augmentent proportionnellement à l’augmentation du taux d’intérêt. Et ces montants à rembourser, faramineux, doivent être soustraits au Trésor public.

Autrement dit, même si une réforme des impôts permettait de faire payer les riches et d’augmenter ainsi les recettes publiques, les sommes fournies par cette réforme repartiraient immédiatement en remboursement de la dette, ce qui empêcherait automatiquement l’augmentation de dépenses sociales. De toute manière, le FMI n’a jamais accepté une réforme des impôts permettant d’augmenter significativement des prélèvements sur le revenu et le patrimoine des riches. Donc, là aussi, il y a contradiction entre les accords du FMI et la volonté éventuelle de réaliser une réforme progressiste des impôts.

Sous la pression conjuguée des mouvements sociaux, de l’aile gauche du PT et d’autres secteurs de la société civile telle la conférence nationale des évêques qui est nettement progressiste, Lula, confronté aux effets pervers de son engagement à respecter les accords de ses prédécesseurs avec le FMI, pourrait annoncer dans les mois qui viennent, à l’occasion de prochaines négociations avec le Fonds, qu’il n’est pas en mesure de satisfaire aux conditions qui lui sont imposées sous peine de ne pas pouvoir mener à bien son objectif d’éradication de la faim et les autres mesures prioritaires (extension de la réforme agraire, augmentation du salaire minimum…). Il serait pleinement en droit de le faire. S’il ne prend pas cette orientation, le risque est grand de voir sa crédibilité s’effondrer aux yeux des couches populaires. Le désenchantement de la majorité de la base sociale de Lula se réalisera plus lentement que celui des secteurs directement touchés en négatif par les mesures concernant la contre réforme des retraites. Néanmoins, si Lula ne change pas de cap, l’érosion du soutien populaire arrivera inévitablement. Il sera alors très difficile de retrouver la confiance de la majorité déçue et désenchantée. Et, ce qui n’arrangerait rien, les concessions qu’il fait au grand capital, ne protégeront pas le Brésil d’une augmentation de la fuite des capitaux et des attaques spéculatives contre le real. En outre, la récession conséquence d’une politique macro économique néo libérale s’est installée au Brésil en 2003. Au cours de l’année 2003, si un tournant n’est pas pris, le remboursement de la dette publique extérieure et de la dette interne publique aura coûté encore plus au budget public qu’en 2002 sous F. H. Cardoso.

Fin 2002, la dette publique interne de Brésil atteignait environ 850 milliards de reais dont 40% étaient dollarisés.

Fin 2002, la dette publique externe atteignait environ 120 milliards de dollars.

La dette externe des entreprises privées au Brésil s’élève à environ 110 milliards de dollars.

Le total de la dette publique et privée externe représente 4 années d’exportations.

Entre 1992 et 2002, la part des salaires dans le revenu national est passée de 45% à 27%.

Alors que les salaires ne pèsent plus que l’équivalent de 27% du revenu national, ils contribuent pour 55% des recettes de l’impôt sur le revenu !

Pourquoi les sceptiques de Wall Street sont-ils devenus franchement optimistes ?

C’est le titre d’un long commentaire du Financial Times du 8 avril 2003. « Il y a seulement six mois, on craignait que le Brésil, l’économie sud-américaine la plus importante, dérive inexorablement vers les récifs du défaut de paiement de la dette et de la banqueroute financière. Le contraire est arrivé : le Brésil est hautement apprécié à Wall Street. Les traders et les investisseurs qui, l’année passée, gardaient leurs distances, se lancent aujourd’hui dans l’achat d’actions et de titres de la dette brésilienne. (…) « Ils ont pris un départ impressionnant et ils ont gagné la première bataille de la confiance » concède Maurice Goldstein, économiste à l’Institute for International Economics à Washington, « ils ont prouvé que les pessimistes et les sceptiques comme moi avaient tort ».

Pourquoi cela est-il arrivé ? Un changement rapide dans la politique du Parti des Travailleurs (PT) au pouvoir constitue une des raisons principales. Ayant voté en décembre 2001 pour une « rupture » avec le modèle économique « néo-libéral » introduit par l’ex-président Fernando Henrique Cardoso, le parti s’est déplacé vers le centre du champ politique à une vitesse étonnante. Déjà avant la campagne électorale d’octobre 2002, la direction du PT s’était engagée à rembourser la dette et à maintenir des mesures favorables à une inflation faible. (…)

A la fin de l’année passée, Luiz Inacio Lula da Silva, élu président, a déclaré s’en tenir aux objectifs budgétaires fixés avec le FMI en août 2002. Il a tenu parole. Dans certains domaines, le gouvernement a même été plus austère que son prédécesseur augmentant l’objectif du superavit budgétaire primaire le portant de 3,75% à 4,25% du PIB. Henrique Meirelles, président de la Banque centrale désigné par Mr Lula da Silva, alors qu’il avait été précédemment le dirigeant de la Banque Boston, a augmenté le taux d’intérêt de manière à combattre les pressions inflationnistes provoquées par la dévaluation de l’année passée. Mr Lula da Silva a adopté l’essentiel de l’agenda réformateur de son prédécesseur, Mr Cardoso, et il est en train d’accélérer la réforme des impôts et du système des pensions. « L’apprentissage a été rapide » déclare Octavio de Barros, économiste en chef de la Banque Bilbao Viscaya Argenteria (BBVA - banque espagnole). (…) »

Extraits de la page entière consacrée par le Financial Times aux cent premiers jours de la présidence de Lula.

Réaliser l’audit sur la dette prévu dans la constitution

La réalisation de l’audit de la dette externe est une voie essentielle dans un dispositif général de politiques alternatives.

Rappelons le projet de décret législatif (645-A de 2000) introduit par José Dirceu en 2000 mentionné dans la première partie du présent texte. La justification du décret qu’avançait José Dirceu est toujours pleinement d’actualité :

« les différentes dettes, externe, interne, publique et privée, même si elles sont diverses dans leur application et dans leur signification, constituent ensemble une surcharge d’obligations pour la société dont les conséquences sont de natures variées : 1) augmentation de la vulnérabilité externe et de la dépendance économique du pays ; 2) élévation des sommes à rembourser en monnaies étrangères (tant dans le présent que dans le futur) compromet le développement de la jeune génération ; (…) 4) la perte de souveraineté et la soumission aux stratégies internationales du capital financier et de la super-puissance hégémonique ; 5) le sacrifice du peuple humble et sans protection qui n’a pas obtenu les bénéfices des périodes où ces dettes ont été contractées et sur qui pèse le fardeau de son remboursement. (…) L’actuel projet de décret législatif vise à établir un mécanisme démocratique de consultation populaire sur ce qu’il s’agit de faire en relation à des questions qui sans aucun doute ont une relation directe et indirecte avec la vie de notre peuple. »

Selon Marcus de Freitas Gouvêa, procureur au ministère des Finances et directeur administratif du syndicat national des procureurs du ministère des Finances, il est possible d’exiger du Congrès national par voie judiciaire l’exécution de l’article 26 (in Fattorelli, Auditoria da dívida externa : questão de soberania, 2003, p. 184).

Des instruments légaux à la portée des citoyens

La Constitution et le droit national brésilien offrent des garanties pour l’obtention d’informations auprès d’organes publics comme la Cour des comptes, la Banque centrale et le ministère des Finances. Les informations, données et documents relatifs à la dette d’une nation ont une nature publique et donc, les citoyens et les institutions ont le droit de les obtenir.

Plusieurs méthodes, procédures sont utilisables au Brésil :

l’action populaire (Constitution fédérale, art. 5, incise LXXIII) : « Tout citoyen est partie légitime pour proposer une action populaire qui vise à annuler toute atteinte au patrimoine public ou d’une entité à laquelle l’Etat participe, toute atteinte à la moralité administrative, à l’environnement et au patrimoine historique et culturel ». La loi 4.717 du 29 juin 1965 réglant l’action populaire dispose que « Tout citoyen est partie légitime pour plaider l’annulation ou la déclaration de nullité des actes lésant le patrimoine de l’Union, du district fédéral, des Etats, des villes, etc. » L’information ne peut être refusée que dans les cas où l’intérêt général peut être mis en danger. Le refus doit alors être clairement circonstancié.

L’action civile publique (loi 7.347 du 24 juillet 1985) : la loi établit les responsabilités pour les dommages causés à l’environnement, au consommateur, aux biens et droits de valeur artistique, esthétique, historique, etc. Cette action civile publique peut être intentée par une association.

Le ministère public est la personne privilégiée pour entamer une action civile publique. Parmi ses fonctions, on note qu’il doit « promouvoir l’enquête civile et l’action civile publique pour la protection du patrimoine public et social, de l’environnement… ». Le pouvoir d’investigation du ministère public est tel que la Cour suprême fédérale a acté le 5 octobre 1995 que la Banque du Brésil ne pourra jamais opposer l’argument du secret bancaire au ministère public fédéral.

Au cas où l’accès à l’information est refusé, il existe des moyens juridiques pour l’exiger (notamment le habeas datas).

A l’exemple de la Campagne pour l’Audit de la dette au Brésil, les mouvements citoyens de chaque pays devraient se pencher sur leur constitution et leur droit national pour y chercher les dispositions légales qui souvent leur donnent le droit à l’information et à l’action en annulation. C’est surtout possible dans les jeunes Constitutions écrites au sortir d’un régime despotique qui codifient les droits démocratiques. C’est important dans tous les pays au moment où l’OMC et les prescriptions de ses différents accords (dont l’AGCS, Accord Général sur le Commerce des Services) s’apprêtent à supplanter les droits nationaux pour faire régner la seule loi du profit.

Changer de cap : quelques propositions pour une alternative

Comme argumenté plus haut, il faut réaliser l’audit de la dette. Parmi les critères à adopter pour mener celle-ci : considérer comme nulle (parce qu’odieuse) la dette contractée par la dictature (1964-1985) et les nouvelles dettes qui ont été contractées par la suite pour la refinancer ; les autres dettes doivent être passées au peigne fin (méticuleusement scannées) afin de déterminer celles qui méritent une négociation avec les créanciers ; rappelons avec Marcos Arruda (M. Arruda, 1999, p.130) que le Brésil, comme les autres pays endettés, a été confronté à un véritable coup de force de la part des Etats-Unis fin 1979 quand ceux-ci ont dramatiquement et unilatéralement augmenté les taux d’intérêt.

Rompre les accords avec le FMI afin que les pouvoirs publics du Brésil redeviennent libres et pleinement responsables de leurs actes ;

Création d’un fonds national de solidarité pour l’éradication de la faim, pour la satisfaction des droits humains et la protection de l’environnement. Ce fonds sera financé par un impôt exceptionnel prélevé sur le patrimoine du décile le plus fortuné de la population (par exemple un impôt de l’ordre de 10 à 20%). Il sera également alimenté par les sommes récupérées sur les biens mal acquis placés à l’étranger ;

Priorités du fonds : financement de la création d’emplois, réforme agraire, réforme urbaine... ;

Renationalisation d’entreprises privatisées ;

Réforme fiscale redistributive ;

Contrôle sur les mouvements de capitaux et contrôle des changes ;

Rejet de l’ALCA. Renforcement et extension du Mercosur ;

Lancement d’un front des pays latino-américains et de la Caraïbe pour le non paiement de la dette ;

Proposition d’un débat à l’Assemblée générale de l’ONU sur la problématique de la dette.


Bibliographie :

Arruda, Marcos. 1999. External Debt. Brazil and the International Financial Crisis, Londres, Sterleng, 2000, Pluto Press, Christian Aid and Transnational Institute, 173p.

Fattorelli Carneiro, Maria Lucia (organizadora). 2003. Auditoria da divida externa : questao de soberania, Contraponto Editora, Rio de Janeiro, 2003, 206p.

Gonçalves, Reinaldo et Pomar Valter. 2000. O Brazil endividado, Sao Paulo, 2000, Fundaçao Perseu Abramo, 47p.

Millet, Damien et Toussaint, Eric. 2002. 50 questions/50 réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale, coéd. CADTM-Bruxelles/Syllepse-Paris, 2002, 262p.

Annexe :

La "realpolitik" du président Lula et les altermondialistes

Interview d’Eric Toussaint du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde, (CADTM) par Frédéric Lévêque, à Genève, dans le cadre du contre sommet « G8 illégal », à l’occasion de sa rencontre avec Lula, président du Brésil le 2 juin 2003

Contexte : A l’occasion du sommet annuel tenu par le G8 (Etats-Unis, Japon, Allemagne, Grande-Bretagne, France, Italie, Canada, Russie) à Evian les 1er et 2 juin 2003, plusieurs chefs d’Etat non membres du G8 étaient les invités du président français Jacques Chirac. Celui-ci souhaitait donner l’impression à l’opinion publique internationale que le G8, la France en particulier, souhaitaient dialoguer avec le reste du monde en invitant des chefs d’Etat non membres du G8. Avaient répondu à l’appel le président Lula du Brésil et les chefs d’Etats ou de gouvernement de Chine, d’Inde, du Nigeria, du Sénégal, d’Afrique du Sud, d’Egypte, du Mexique… Fondamentalement, il s’agissait de contribuer à légitimer le G8, club informel des principales puissances mondiales, à un moment où sa crédibilité est au plus bas. Les hôtes du président Chirac se sont réunis à Evian avant le début de la véritable réunion du G8 au moment où plus de 100.000 manifestants défilaient dans les rues de Genève (Suisse) et d’Annemasse sur le thème G8 illégal. Parmi les thèmes principaux : l’annulation de la dette du Tiers Monde, l’opposition au militarisme, la lutte contre l’OMC, la solidarité avec le peuple palestinien, l’accès aux médicaments génériques… et l’opposition à la réforme néolibérale du système des pensions et de l’éducation qui mobilise en France des millions de travailleurs.

Fred Lévêque : Hier, tu as eu l’occasion de rencontrer, avec d’autres, un des chefs d’Etat, invité spécial du G8 : le président Lula du Brésil. Peux-tu expliquer le sens de cette rencontre et à travers cela, la politique menée par le président Lula ?

Eric Toussaint : Luis Inacio Lula Da Silva, élu président avec une écrasante majorité des voix en octobre 2002, plus de 65 %, souhaitait voir des représentants des mouvements altermondialistes d’Europe. Nous nous sommes rendus à quatre délégués de ces mouvements, Jacques Nikonoff, Président d’Attac France, Rafaella Bolini, représentant le Forum Social Italien, Helena Tagesson (Suède), de la campagne contre l’OMC et moi-même pour le CADTM. La rencontre a eu lieu à Genève dans la résidence de l’ambassadeur du Brésil.

Avant de nous rendre à cette rencontre, nous avions décidé de dire clairement que nous n’engagions pas le mouvement, nous n’avions aucun mandat donné par d’autres mouvements pour les représenter. Nous ne représentions que nous-mêmes et nous n’avions pas l’intention de nous prêter, par exemple, à un jeu de conférence de presse au cours de laquelle le président du Brésil aurait pu nous utiliser pour avaliser la politique qu’il mène. Nous aurions agi de cette façon avec n’importe quel président mais, ici, en plus, nous nous trouvons dans une situation où, quelques mois à peine après avoir occupé son poste de président, la politique de Lula est manifestement contradictoire avec les attentes de toute une série de mouvements sociaux avec lesquels nous travaillons directement.

Alors c’est quoi, les mesures tout à fait contestables ?

Primo, le président Lula a désigné comme président de la Banque centrale un des gros patrons, Henrique Meirelles, l’ancien président d’une des grosses banques américaines présentes au Brésil, la Fleet Boston. C’est donc clairement un représentant de la classe capitaliste qui est mis à la tête de la Banque centrale et le message est clair : chercher à donner confiance aux marchés financiers. C’est le premier problème.

Deuxième problème, le président Lula est favorable à octroyer l’autonomie à la Banque centrale, c’est-à-dire qu’il prend les mesures souhaitées par les néo-libéraux : c’est ce qu’ils ont fait avec la Banque centrale européenne par rapport à la Commission européenne. Ce qui veut dire que le pouvoir politique abandonne encore un peu plus le contrôle sur un instrument central pour orienter l’économie d’un pays. Quand on ne contrôle pas directement la banque centrale, on ne contrôle pas la monnaie nationale, les taux d’intérêt, etc. C’est quelque chose de très important.

Troisième point contestable dans la politique de Lula : c’est la réforme du système de pension qu’il a entreprise et qui fait très fortement penser à la réforme de Raffarin, combattue par un très large mouvement social avec les grèves que l’on connaît en France. En fait, le président Lula s’en prend au système de pension des travailleurs du secteur public et veut favoriser les fonds de pension privés. Il y a d’autres éléments de sa politique contestables : des hauts taux d’intérêt, le maintien des accords avec le FMI, le remboursement de la dette publique extérieure…

Fred Lévêque : Comment a eu lieu cette visite ?

Eric Toussaint : Etant donné la politique que je viens de décrire, on y allait quasiment avec des semelles de plomb parce qu’on ne voulait pas être utilisés ou piégés. Nous avions donc décidé, dans le cadre d’un accord sur la procédure du déroulement de la séance, que chacun d’entre nous (les quatre délégués), prendrait cinq minutes pour présenter les revendications principales que nos mouvements avancent, comme alternatives à la mondialisation actuelle, et qui concernent directement le Brésil. Voici comment s’est déroulée la rencontre : on a été reçus par le président Lula, accompagné du ministre du Travail et du ministre des Relations extérieures, de plusieurs députés et de deux conseillers proches du président. Le président Lula a présenté pendant une demi-heure la politique de son gouvernement, en défendant les mesures d’austérité qu’il a prises (augmentation des taux d’intérêt, coupes claires dans le budget pour un montant de plus de trois milliards de dollars - 14 milliards de réales) et en disant qu’elles étaient nécessaires pour stabiliser une situation économique très difficile. Il a annoncé que dorénavant, il allait commencer à concrétiser - ça prendra quelques années a-t-il dit - les engagements qu’il a pris auprès du peuple au cours de sa campagne électorale.

Nous avons avancé les choses suivantes. Jacques Nikonoff, président d’Attac France, a dit que son mouvement était tout à fait opposé aux fonds de pension privés et qu’il était très inquiet de voir qu’au Brésil, le gouvernement actuel faisait la promotion de ces fonds de pension. Deuxièmement, il a redit l’intérêt manifeste du mouvement à ce que le Brésil se prononce clairement pour la taxe Tobin. Il faut savoir que Lula est venu avec une proposition au G8 d’une taxe sur les ventes d’armes pour financer un projet mondial de lutte contre la faim. Chirac, dans une conférence de presse, a dit que la proposition de Lula lui semblait plus opportune que la taxe Tobin et en a profité donc pour attaquer la taxe Tobin. C’étaient les deux éléments centraux avancés par Jacques Nikonoff.

Moi, j’ai avancé pour le CADTM que l’Amérique latine était confrontée, un peu comme dans les années 80, à une hémorragie énorme de richesses qui la quittaient et qui se rendaient vers les créanciers du Nord (plus de 200 milliards de transfert net négatif sur la dette entre 1996 et 2002, l’équivalent de deux plans Marshall. Le Brésil à lui seul a perdu, entre 1997 et 2001, plus de 70 milliards de dollars de transfert net négatif sur la dette, dont 27 milliards aux dépens des finances publiques), essentiellement des banques privées, des marchés financiers, le FMI et la Banque mondiale. J’ai insisté sur le fait qu’il ne fallait pas attendre une crise de paiement, une crise d’insolvabilité, pour prendre des initiatives - d’ailleurs prévues en l’occurrence par la Constitution brésilienne - c’est-à-dire réaliser un audit sur les origines et le contenu exact de la dette extérieure du Brésil, pour déterminer ce qui est légitime et illégitime. C’est prévu par la Constitution de 1988 du Brésil. En 2000, lors d’un plébiscite organisé par le MST, la CUT, la Campagne Jubilé Sud du Brésil, la Conférence Nationale des Evêques (avec le soutien du PT), plus de 90% des 6 millions de Brésiliens qui ont voté, se sont prononcés pour la suspension du paiement de la dette le temps de réaliser l’audit. Les parlementaires du PT ont déposé un projet de loi dans ce sens. Aucun président jusqu’à aujourd’hui ne l’a réalisé. J’ai dit à Lula : " C’est vraiment l’occasion, puisque vous avez le pouvoir, de lancer l’initiative et ainsi d’avoir les conditions pour suspendre les paiements et épargner l’argent du remboursement de la dette pour de l’investissement social, des transformations, etc.". Puis j’ai suggéré que le Brésil lance un appel aux autres pays latino-américains pour constituer un front des pays endettés pour le non-paiement.

La troisième intervenante, Helena Tagesson, suédoise, avançait la nécessité d’empêcher qu’à Cancun, en septembre 2003, se concrétisent les accords de l’OMC pris à Doha en novembre 2001 et essayer de paralyser la réunion comme on avait réussi à le faire à Seattle fin novembre 99 - début décembre quand, par la mobilisation et profitant des contradictions entre Europe et Etats-Unis, on a réussi à faire obstacle à une offensive plus forte en matière de libéralisation du commerce. En 2001, l’OMC a pris sa revanche. Elle a réussi à avoir un agenda très néo-libéral avec l’Accord général sur le commerce des services, qui doit être définitivement concrétisé et décidé à Cancun. Donc, elle insistait sur le fait que nous avons quatre mois pour essayer de paralyser Cancun. Elle proposait que le Brésil aille, avec les autres pays du Tiers Monde, dans ce sens-là. Et notamment d’être très attentif à la question de la privatisation de l’eau voulue par l’OMC alors qu’il y a des expériences modèles au Brésil comme à Porto Alegre en ce qui concerne l’exploitation et la distributiond’eau. Expériences modèles qui mourront si jamais on applique l’agenda de Doha à Cancun.

La quatrième intervenante était Rafaella Bolini du Forum Social Italien, elle est une des animatrices du mouvement anti-guerre ; les Italiens ont été extrêmement actifs dans la campagne contre la guerre en Irak. Elle a demandé au Brésil qu’il prenne l’initiative de demander la convocation d’une Assemblée générale de l’ONU, pour provoquer un vote de l’Assemblée générale de condamnation de l’occupation de l’Irak par les Etats-Unis et leurs alliés. Le Conseil de sécurité de l’ONU vient de voter une résolution le 22 mai qui, en fait, légitime l’occupation militaire de l’Irak par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’Australie. Et on n’a évidemment pas confiance dans le Conseil de Sécurité. Par contre, même si on ne doit pas se faire trop d’illusions, si réellement il y avait un débat à l’Assemblée générale de l’ONU, si les pays pouvaient réellement voter, il pourrait y avoir une majorité contre l’occupation de l’Irak. Cela a eu lieu à plusieurs reprises dans les années 70 et 80. Israël a été condamné plusieurs fois, malgré l’opposition des Etats-Unis, parce que les Etats-Unis étaient en minorité.

Ce que Lula a répondu, c’est qu’il y avait une grande différence entre ce qu’on souhaitait faire et ce qu’on pouvait faire. Tout ça pour dire que nos propositions étaient bien sympathiques mais qu’il ne voyait pas comment les réaliser. Il a justifié clairement sa politique favorable aux fonds de pension privés. Il n’a pas pris d’engagement sur la question de la dette. Il a dit sur la question du commerce, qu’il voulait effectivement limiter la déréglementation et limiter la portée de l’Accord général sur le commerce des services. En ce qui concerne l’Irak, il a dit que, en tant que pays, il s’était clairement opposé à la guerre contre l’Irak. Mais il n’est pas allé plus loin, il n’a pas dit qu’il allait prendre une initiative concernant l’Assemblée de l’ONU.

Voilà un résumé synthétique de ce contact. J’en tire comme conclusion que l’espoir énorme non seulement d’une grande partie des Brésiliens, mais bien au-delà, dans le reste de l’Amérique latine et dans le monde, de voir un gouvernement progressiste appliquer une orientation qui tourne le dos au néo-libéralisme, et bien, cet espoir est manifestement en train d’être fortement déçu. Et autant le dire depuis le début. Sinon, plus dure sera la chute si on se berce d’illusions sur les orientations réelles du gouvernement Lula. Quelque part, ce qui ressort de la situation des derniers mois en Amérique latine, c’est que, alors que de manière très claire, dans plusieurs pays, les gens ont voté sur des programmes de gauche - je pense à Evo Morales en Bolivie, qui a eu un grand succès électoral mais qui n’a pas été élu président. Je pense à Lucio Gutierrez, soutenu par le mouvement indigène, PachaKutik et la CONAIE en Equateur, qui a été élu sur un programme progressiste. Je pense à Lula. Dans les deux derniers cas, ceux de Lula et Gutierrez, ils ont été élus présidents mais ils se sont empressés de faire des concessions aux marchés financiers et de réaliser la continuité du programme néo-libéral des prédécesseurs qu’ils condamnaient dans leur campagne électorale. Et dans le cas de Gutierrez, c’est plus grave parce que lui, en plus, s’est présenté clairement comme le meilleur ami de Bush dans la région et a dit que le président Colombien était son grand ami, tandis qu’il a affiché clairement des distances très nettes à l’égard du président Chavez du Venezuela.

Cela montre que là, il y a un enjeu important pour les mouvements sociaux : la nécessité de maintenir leur indépendance par rapport aux gouvernements. Ce n’est pas parce que des partis qui, en principe, devraient représenter le programme des mouvements sociaux, arrivent au pouvoir, que les mouvements sociaux doivent mettre de l’eau dans leur vin, abandonner leur radicalité et passer à l’attentisme en se disant " on ne va pas mettre des bâtons dans les roues de nos amis politiques au gouvernement ". Au contraire, il faut augmenter la pression sur de tels gouvernements pour qu’ils adoptent un comportement conforme à ce qu’ils ont annoncé et qui leur a permis de recevoir les suffrages populaires.

Genève, le 3 juin 2003.


[1Eric Toussaint, président du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde, auteur de « La Finance contre les Peuples. La Bourse ou la Vie », coéd. CADTM-Bruxelles/CETIM-Genève/Syllepse-Paris, 2003. Site web du CADTM : www.cadtm.org

[2Voici ce qu’écrit Joseph Stiglitz à ce propos : « Robert Rubin, secrétaire au Trésor (…) venait de la plus grande banque d’affaire, Goldman Sachs, et à son retour il est entré à Citigroup, la firme qui contrôle la plus grande banque commerciale Citibank. Le numéro deux du FMI pendant toute la période, Stanley fischer, est passé tout droit du FMI à Citigroup. Bien entendu, ces personnes voient le monde avec les yeux de la communauté financière » (J. Stiglitz, 2002, p.45). Un peu avant dans le texte, J. Stiglitz notait quelque chose qui s’applique à la désignation du nouveau président de la Banque centrale du Brésil par le président Lula en janvier 2003 : « (…) les ministres des Finances et les gouverneurs de banque centrale sont étroitement liés à la communauté financière. Ils viennent des firmes financières et, après avoir servi l’Etat, ils y retournent » (op. cit., p. 45).

[3Projet de décret législatif n° 645-A, année 2000.