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La réforme de l’article 45 : une clé pour la déconstruction de l’État

Conclusion du Mémoire de la CSQ sur le projet de loi no. 31

dimanche 30 novembre 2003

L’analyse de la portée des modifications annoncées à l’article 45 par le projet de loi 31 de même que l’examen de ses impacts nous amènent à conclure que l’un des principaux instruments législatifs de la protection du droit d’association et du droit à la négociation collective des conditions de travail se voit réduit, telle une peau de chagrin.

L’adoption de ce projet de loi, franchement antisyndical, conduira inévitablement à la dégradation des conditions de travail et à l’appauvrissement des travailleuses et des travailleurs du Québec, y compris celles et ceux du secteur public. La protection syndicale des travailleuses et des travailleurs est elle-même menacée. À n’en pas douter, le projet de loi 31 constitue l’une des pièces maîtresses du casse-tête législatif qui met en place les mécanismes favorisant l’appropriation par l’entreprise privée, de services jusqu’ici dispensés par l’État et s’inscrit dans la révision du fonctionnement de celui-ci.

L’esprit des projets de loi déposés à l’Assemblée nationale depuis le début de l’automne témoigne de cette orientation. En filigrane, le message que livre le gouvernement, c’est qu’il faut dorénavant soumettre l’action gouvernementale aux impératifs du marché. L’atteinte de cet objectif passe par l’abolition des contraintes législatives qui font obstacle à la modernisation de l’État québécois.

Les liens entre les divers projets de loi sont d’autant plus évidents lorsqu’on prend connaissance des propos du ministre Couillard, tenus lors d’une période de questions à l’Assemblée nationale. Interrogé sur les liaisons entre le projet de loi 25 et un recours accru à la sous-traitance, le ministre affirmait :

Je crains […] qu’on fasse une confusion d’outils. […] Il y aura d’autres éléments, je crois, au cours des prochains jours, qui s’attacheront à cette question, mais, nulle part dans ce projet de loi pouvez-vous trouver quelque allusion que ce soit à la sous-traitance 10.

En effet, les éléments sont là. Le projet de loi 31 modifiant l’article 45 du Code du travail ouvre toute grande la porte à la sous-traitance. Le projet de loi 30 redéfinit la configuration des unités de négociation dans le réseau de la santé et des services sociaux et limite le nombre d’unités d’accréditation à cinq, forçant ainsi le regroupement des différentes unités de négociation au sein de cinq catégories d’emplois qu’il fixe. Par ce projet, il sera dorénavant plus facile d’accélérer le développement de la sous-traitance d’un pan complet d’activités.

Contrairement aux prétentions du ministre Couillard, le projet de loi 25 fusionne les établissements de santé aux niveaux local et régional et ouvre la porte à la cession d’un ensemble de services au secteur privé. À preuve, le 15 septembre 2003, la Régie régionale de la santé et des services sociaux de la Montérégie transmettait un appel d’offres issu du ministère visant à céder au secteur privé tous les services fournis dans les résidences de personnes âgées en perte d’autonomie, sauf les soins de santé. Il s’agit de se concentrer sur les services cliniques et de délaisser les autres types de services que requiert la clientèle âgée en perte d’autonomie (hébergement, services alimentaires, buanderie)11. La conséquence prévisible est une hausse de la tarification d’un ensemble de services existants.

Quant au projet de loi 34 sur le développement économique et régional, il vient fermer la boucle des projets facilitant le recours à la sous-traitance. Ce projet instaure une nouvelle structure pour le développement économique régional en remplaçant les conseils régionaux de développement par des conférences régionales des élus. Cette nouvelle structure, formée des élus locaux, renforce le rôle des municipalités régionales de comté (MRC) et des élites locales au détriment des organismes communautaires, des entreprises d’économie sociale et du mouvement des femmes dans le développement régional et local. Quant à la participation des organismes publics d’éducation ou de santé et de services sociaux à ces nouveaux organismes, des représentantes et des représentants pourront être nommés, selon le bon vouloir des élus ! Au nom de l’imputabilité des élus, cette concentration des pouvoirs nous renvoie au monopole des baronnets locaux dans l’administration des affaires régionales.

Le projet de loi 32 concernant les centres de la petite enfance (CPE) s’inscrit dans la logique de privatisation du gouvernement. En plus d’une hausse de la contribution parentale fixée à 7 $ par jour, ce projet de loi met en veilleuse le développement de services de garde à but non lucratif en CPE, le gouvernement ayant choisi de favoriser le développement de places en garderies commerciales. Et que dire des nouvelles règles de financement visant un meilleur rendement et une performance accrue des CPE qui imposent une fréquentation ne tenant pas compte des aléas de la vie des enfants et des besoins des familles. Ces mesures s’inscrivent dans le cadre d’un exercice comptable à courte vue, n’ayant comme objectif que de financer les réductions d’impôt promises. Ce financement s’effectuera en partie sur le dos des femmes qui sont les travailleuses majoritaires des garderies en milieu familial et des ressources externes en santé et services sociaux. Interdites de syndicalisation, privées des droits que confère le Code du travail, elles seront soumises aux aléas des décisions gouvernementales quant à leurs conditions de travail et leur rémunération.

Les pièces du casse-tête ainsi placées, le projet gouvernemental prend forme : la responsabilité de l’État à l’égard du bien commun est trafiquée pour le plus grand bonheur des investisseurs privés. Une « réingénierie » est concoctée dans les officines privées, sans débat réel à l’Assemblée nationale, sans débat public, à une vitesse telle qu’il nous faut conclure au mépris de la démocratie. Une « réingénierie » qui nous conduit vers une société de plus en plus inégalitaire et de moins en moins solidaire.

En conséquence, la Centrale des syndicats du Québec s’oppose vivement à l’adoption du projet de loi 31 et exige que le gouvernement du Québec le retire du menu législatif.

Mémoire présenté à la Commission de l’économie et du travail lors des auditions publiques sur le projet de loi no 31 : Loi modifiant le Code du travail

Par la Centrale des syndicats du Québec


10 Assemblée nationale du Québec, Journal des débats, 12 novembre 2003, vol. 38, no 24. 11 DUTRISSAC, Robert. « Le privé est appelé à remplacer l’État », Le Devoir, 25 septembre 2003, p. A-3.