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A mort les pauvres

Treizième journée mondiale contre le sida

dimanche 30 novembre 2003

Alors que les traitements contre le VIH ne sont accessibles qu’à 5 % des malades dans le monde, les consciences des pays du Nord se sont assoupies... Cela dessert le combat contre l’épidémie, alors que la santé est marchandisée de façon brutale.

On s’habitue à l’énormité des chiffres : vingt millions de personnes sont déjà mortes du VIH depuis 1981, 10 000 en meurent chaque jour en Afrique, principal continent touché par une pandémie hors de contrôle. Les Nations unies estiment que 70 millions de personnes seront tuées par le sida d’ici vingt ans si les pays développés ne font pas plus d’efforts pour inverser la tendance. Une fois qu’un traitement est acquis pour les populations solvables, la question du traitement des malades non solvables ne se pose plus pour les décideurs d’un système mondial mortifère. Il est vrai que c’était déjà le cas pour bien d’autres pathologies qui tuent encore depuis des décennies au Sud alors qu’elles ont disparu au Nord : rougeole, malnutrition, diarrhées...

Ainsi l’économie mondiale - les seigneurs du monde - a pris le parti d’une option cynique : le développement inégal persistant entre continents. Chacun, ou chaque groupe de pays de niveau proche, doit assumer et créer lui-même les conditions de sa survie face aux différents fléaux qui le frappent. Et les pays "les moins avancés" ou "en développement" n’ont qu’à attendre d’avoir franchi certains seuils de développement pour voir reculer les fléaux dont ils sont frappés.

C’est compter sans plusieurs embûches. La principale : la globalisation a ses conséquences propres qui aggravent généralement les fléaux endémiques dans les pays les moins développés. Dans le cas du VIH-sida, l’accroissement anarchique des échanges sur de longues distances, l’exode rural, les divers mouvements de population ont des effets terriblement aggravants sur la prolifération de l’épidémie. Idem pour les guerres régionales comme celle qui sévit dans la région des grands lacs en Afrique, où les témoignages sur la transmission forcée du VIH lors de viols systématiques se sont multipliés ces dernières années.

Même les régions "en voie d’industrialisation rapide", qui pourraient être considérées comme bénéficiaires à court terme des effets de l’augmentation des échanges, se heurtent au fléau du VIH-sida. A preuve la Chine, dont le régime politique bureaucratique est en cause, comme l’épisode du Sras l’a montré. Mais ceci ne suffit pas pour expliquer les nouvelles alarmantes venant d’Asie : en Chine, le développement frénétique et l’accroissement du pouvoir d’achat de quelques trois cent millions de Chinois de la bande côtière se réalisent aux dépens d’un milliard de paysans pauvres. Cette explosion des inégalités et la fin de maigres acquis sanitaires ou sociaux sont accompagnées par le développement de la toxicomanie, de la corruption, de divers trafics de sang ou d’organes humains... Le sous-continent indien et la Fédération de Russie, ainsi que l’Europe centrale, sont confrontés à la même problématique que la Chine.

0,035 % des richesses mondiales

Il ne faut jamais oublier qu’il suffirait de quatre jours des dépenses militaires des principaux pays de la planète pour que le Fonds mondial de lutte contre le sida et d’autres pathologies soit plein. Les besoins à moyen terme pour "solvabiliser la demande" sont estimés à dix milliards de dollars, soit 0,035% des richesses mondiales.

Mais il ne faut pas céder au fatalisme. Il faut agir, et nombreux sont les activistes et volontaires de pays du Nord et du Sud, des ONG, qui s’allient et dépensent des sommes monstrueuses d’énergie et de courage pour tenter d’endiguer le fléau. Il arrive même que des gouvernements, comme celui d’Afrique du Sud récemment, s’engagent dans la bataille pour le traitement des millions de leurs citoyens malades. Le mouvement altermondialiste a perçu qu’un enjeu important pour l’humanité réside dans le combat contre le sida, pour le droit à la santé et à une protection sociale de qualité. C’est ainsi que les militants de diverses causes et associations ont fait front commun, y compris avec les représentants de certains pays parmi les plus frappés par le VIH, pour organiser les résistances aux menées de l’OMC poussées par deux acteurs particulièrement agressifs : les Etats-Unis et l’Union européenne. Médecins sans frontières, l’ONG Oxfam est bien d’autres ont révélé les coulisses du dernier round de discussion qui s’est tenu le 30 août dernier au siège de l’OMC. Malheureusement, l’OMC tente de préempter l’Organisation mondiale de la santé (OMS), parfois avec succès.

L’obstacle à la diffusion des médicaments essentiels dans les pays qui en ont le plus besoin, ce sont les accords sur les droits de propriété intellectuelle en rapport avec le commerce, signés à l’OMC en 1994. Ils défendent particulièrement bien les droits des industriels (qui sont au Nord) en agissant comme si un médicament était une marchandise banale. Même la Commission européenne a fini par reconnaître qu’il y avait un lien mécanique évident entre ces accords de défense des brevets et le prix des médicaments sur le marché mondial.

Alors que la "mondialisation heureuse" était en difficulté à Doha en novembre 2001, les pays du Sud ont obtenu à l’arraché une déclaration d’intention des ministres des principales puissances mondiales. Elle établissait la priorité à la santé publique, l’accès aux médicaments, demandait qu’aucune plainte ne soit plus déposée par les multinationales du Nord et que tout pays soit autorisé à recourir à des importations parallèles - depuis des zones où les médicaments sont vendus moins cher - sans demander l’autorisation au titulaire du brevet.

Or les négociations avaient été renvoyées à plus tard (courant 2002) et se sont finalement conclues cet été d’uneaçon paradoxale. La Suisse, l’Union européenne et les Etats-Unis, territoires des principales transnationales pharmaceutiques mondiales, ont fait front pour que l’accord finalement signé soit si complexe à mettre en oeuvre qu’aucun pays du Sud n’y aura recours. Dans ces conditions, il est plus simple pour un petit pays de négocier directement sur les volumes et les prix des médicaments brevetés du Nord que de mener une longue, coûteuse et hypothétique procédure pour obtenir le droit à mettre en place des circuits parallèles. Chaque pays se trouve ainsi isolé face à des multinationales fortement soutenues par leurs gouvernements. Oxfam a insisté le 30 août : c’est "la mort dans l’âme et les larmes aux yeux" que les ambassadeurs des pays africains à l’OMC ont signé des accords qu’ils savaient inapplicables, eux-mêmes lâchés par leurs propres gouvernements soumis à des pressions occidentales intolérables. "La santé doit passer avant le profit", affirmait, avant Doha, le commissaire européen Pascal Lamy. On est loin du compte. Et il y est pour beaucoup, notait Raoul Marc Jennar pour Oxfam.

En France

Si la France est un pays qui a compté pour le meilleur et pour le pire, en matière de pandémie de sida, son gouvernement actuel nous ramène à de sombres perspectives. C’est en effet un cocktail d’esprit de revanche sociale, de libéralisme et un vieux fond réactionnaire raciste, homophobe, stigmatisant toute population hors normes qui semble animer les Sarkozy, Mattei et consorts. Non contents d’avoir été aux commandes au moment d’une des plus grandes catastrophes sanitaires que la France ait connue, la canicule, ils n’ont de cesse de remettre en cause les acquis parfois ténus qui protégeaient différentes populations. Pour preuve la stigmatisation en règle des prostituées, dont il est logique de penser que la précarité d’existence va s’aggraver et que les conditions de vie, et la santé, vont se dégrader. Pour preuve aussi l’acharnement que la droite met à remettre en cause l’aide médicale d’Etat, dispositif de type "couverture maladie universelle pour étrangers", considérant qu’elle coûte trop cher, et qu’elle "serait un appel d’air" pour l’immigration (voir encadré).

Pour preuve aussi les menaces de durcissement de l’application du droit des étrangers et des articles introduits par Chevènement rendant inexpulsables les étrangers malades. Pour l’heure, les tracasseries administratives se multiplient, le renouvellement des cartes de séjour est remis en cause. Pour preuve, enfin, la volonté affichée à plusieurs reprises de réformer la loi répressive de 1970 sur les stupéfiants. Cette loi devrait évoluer vers de nouvelles contraventions (la confiscation du scooter selon Sarkozy) et, si l’on écoute le Sénat, vers la création de centres d’emprisonnement pour traitement forcé de la toxicomanie.

Cette liste des offensives réactionnaires n’est pas exhaustive, loin s’en faut. Le terrain sociétal est un lieu d’expression privilégié pour une droite qui n’a guère de bilan par ailleurs. C’est dire s’il y a un enjeu à la mettre en échec. Les débats du Forum social européen l’ont montré, une prise de conscience de l’urgence de la lutte pour le droit à la santé et à une protection sociale de qualité, contre la marchandisation, commence à apparaître.

Rouge 2041 27/11/2003