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Le mouvement syndical québécois :

Le prix de l’institutionnalisation : crise stratégique, division et dépendance politique et sociale

dimanche 21 mars 2004, par Bernard Rioux

Depuis la marginalisation de la perspective de construction d’un parti des travailleuses et des travailleurs au début des années 70, qui a correspondu à la formation d’une alliance marquée par la dépendance envers le Parti québécois et les différents gouvernements péquistes, le mouvement syndical a connu par un important processus d’institutionnalisation.

Cet institutionnalisation du syndicalisme était déjà bien entamé au niveau de l’organisation des relations de travail. Mais, il a été complété par un processus d’intégration des responsables syndicaux dans différentes organismes étatiques et le renforcement de l’intervention de l’État à différents niveaux de la vie des organisations syndicales. L’État du Québec (l’État fédéral pour ce qui est des organisations syndicales relevant de sa juridiction) s’est immiscé toujours d’avantage dans les fonctionnements syndicaux : restriction du droit de grève à certains moments de la durée de la convention collective, nombreuses lois spéciales pour mettre fin à des conflits dans le secteurs publics, sanctions sur certaines modalités d’action, maintien des obstacles à la syndicalisation. Pour favoriser cette institutionnalisation (intégration), l’État a donné une reconnaissance aux responsables syndicaux comme des partenaires consultés et médiatisés. La création du Conseil Consultatif du travail et de la main-d’œuvre en 1968 a eu pour effet de faire pénétrer dans l’appareil étatique les chefs syndicaux, qui jusque là avaient moins d’entrées que les employeurs. Cette participation des chefs syndicaux aux activités de consultation a pris un très grand nombre de formes. De nombreux organismes consultatifs ont été mis sur pied où l’on a respecté la parité patronale-syndicale. Les dirigeants syndicaux ont même été associé à l’administration publique. Depuis les débuts, un siège est réservé aux syndicats dans les conseils d’administration de nombreuses sociétés d’État, et particulièrement les société à vocation économique comme la Caisse des dépôt et de placement du Québec, la Société Générale de financement, la Société de développement Industriel... Les sommets syndicaux inaugurés par le premier gouvernement péquiste en 1977, a défini les directions, et par extension le mouvement syndical dans son entier, non seulement comme des partenaires, mais comme des "décideurs" économiques. Le développement d’un syndicalisme investisseur avec l’apparition du Fonds de solidarité de la FTQ, puis du Fondaction de la CSN... a terminé à définir le syndicalisme comme un "décideur économique" écartelé entre sa réalité de mouvement social de défense des intérêts des travailleurs et des travailleuses et la réalité de directions qui ont tendu à s’éloigner de leurs bases et à être intégrées dans toute une série de responsabilités directement étatiques.

Durant les vingt dernières années, la gauche syndicale qui défendait l’indépendance de classe a été marginalisée au sein du mouvement syndical. Et cet marginalisation a été liée d’une part à une série de défaites syndicales qui ont affaibli le mouvement syndical et à une politique d’intégration consciente par les responsables politiques des sommets de l’appareil syndical dans des institutions étatiques. Un modèle d’intégration à l’appareil d’État a été défendue de plus en plus ouvertement par les directions syndicales. Il fallait s’opposer à toute politique de la chaise vide. Car il s’agissait d’abord de profiter de cette intégration afin de tenter d’infléchir les politiques publiques dans un sens moins défavorable au mouvement syndical et de protéger ce nouveau rôle de partenaire.

Cette intégration des sommets des appareils syndicaux à l’appareil d’État a eu effet important sur la distanciation des ces appareils par rapport aux bases syndicales qui ont vécu cette évolution comme une désappropriation de plus en plus importante de tout pouvoir de contrôle sur leurs organisations.

Le Parti québécois a accompagné et a défendu cette intégration des sommets des appareils syndicaux à l’appareil d’État. Ils ont vu dans ces politiques une garantie pour bloquer le développement de tout parti alternatif au PQ dans les rangs syndicaux et comme un mode particulier de gestion des classes subalternes. Ils ont également joué sur le caractère différentié de cette intégration pour semer la division dans les rangs syndicaux. Le PQ au pouvoir a eu besoin de ce type de rapport pour mener à bien sa lutte pour le renforcement des pouvoirs du Québec et la transformation de la fédération canadienne dans un sens d’une plus grande autonomie du Québec car son soutien, il l’a trouvé dans les classes ouvrières et populaires et particulièrement dans ses secteurs organisés.

Le gouvernement Charest a décidé d’affaiblir durablement le mouvement syndical québécois, et donc de remettre en question le mode d’intégration à l’appareil d’État qui avait été favorisé dans les dernières décennies. Si les intérêts des travailleurs et des travailleuses sont heurtés de front, les directions syndicales voient la place qu’elles s’étaient construites comme partenaires sociaux et décideurs économiques sérieusement remis en question. C’est, ce qui explique leurs appels au gouvernement Charest à renouver avec la concertation sociale. Le gouvernement Charest fait le pari, que les directions syndicales bénéficient d’un pouvoir dans la société québécoise qui n’est pas à la mesure des rapports de force qu’elles pourraient construire. Jusqu’ici, leur pari a permis au gouvernement Charest de marquer des points, mais ce gouvernement a payé jusqu’ici assez cher cette politique de remise en question de l’ancien mode de gestion des classes subalternes.

Seule une politique d’indépendance de classe, seul le refus de toute concertation sociale et de toute coopération avec le Parti québécois peut créer les bases d’une rénovation du mouvement syndical, nécessaire à faire face aux défis posés par l’offensive bourgeoise. Croire qu’un soutien renouvelé au PQ est la voie royale à la restauration de la concertation c’est une chose, mais croire que ce soutien peut être le garant de la défense de la protection des conditions de vie et de travail des travailleurs et des travailleuses du Québec, c’en est un autre. À ce niveau le PQ a fait ses preuves. Il ne peut être le garant des intérêts de la classe ouvrière et des classes populaires.


Voir : L’institutionnalisation du mouvement ouvrier, Mona-Josée Gagnon (2000), http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/classiques_des_sciences_sociales/index.html