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Retour vers le futur

dimanche 18 juillet 2004, par Pierre Rousset

Après avoir migré en Inde, en janvier dernier, le Forum social mondial retrouvera l’an prochain ses terres d’origine, à Porto Alegre. Mais l’expérience vivifiante de Mumbai (Bombay) n’est pas pour autant oubliée.

Retour au passé ou retour vers le futur ? La question se pose nécessairement à l’heure où Porto Alegre se prépare à accueillir à nouveau le Forum social mondial en ce pays "gaucho" du Sud-Brésil qui a vu naître le processus. La migration indienne du FSM, qui s’est en janvier 2004 réuni pour la première fois en dehors de ses terres d’origine, à Mumbai, ne sera-t-elle qu’une parenthèse vite refermée, ou l’expérience vivifiante du quatrième Forum mondial va-t-elle influencer en profondeur la dynamique du mouvement jusqu’en Amérique latine ?

La question est d’autant plus importante que la réunion du FSM à Mumbai a été particulièrement marquante. L’Inde est l’un des pays où les résistances à la mondialisation libérale sont profondes ; elle était pourtant restée en marge du déploiement euro-latino-américain des forums sociaux. Cette fois-ci, un large éventail de mouvements indiens ont été intégrés au processus, ont été intéressés ou interpellés par cette expérience. Il est encore trop tôt pour voir dans quelle mesure les dynamiques unitaires qui ont porté le processus indien du FSM vont se renouveler. Mais la "montée" sur Mumbai de délégations très populaires venues des quatre coins du territoire a préfiguré un retournement de la situation politique. A l’automne 2003, le BJP, parti d’extrême droite hindouiste alors au pouvoir, avait emporté haut la main plusieurs élections partielles, ce qui l’avait conduit à précipiter le calendrier électoral. Au printemps 2004, il a été sévèrement sanctionné dans les urnes par les pauvres ruraux, qui ont exprimé leur exaspération sociale en venant massivement voter.

De nouveaux possibles

Le quatrième FSM a aussi ouvert la voie à l’expansion du processus des forums en Asie. Il a offert un modèle d’organisation différent de celui de Porto Alegre sur plusieurs aspects fort importants. Au lieu de devoir se mouler dans le cadre froid et préétabli d’un campus universitaire (celui de l’université catholique) comme au Brésil, le comité d’organisation indien a remodelé l’espace offert par un ancien complexe industriel pour que les participants au forum puissent s’y exprimer activement et prendre directement possession des lieux. Le caractère très populaire des délégations venues de toute l’Inde, comme le rôle joué par une expression culturelle militante (théâtre de rue, danses...) ont beaucoup contribué à renforcer le message politique porté par le forum.

Six mois plus tard, comment se manifeste l’impact de Mumbai sur le processus international du FSM ? Premier test : une dynamique régionale des forums sociaux prend forme en Asie, ce qui n’allait pas de soi tant ce continent est divers. Après les Indiens, l’initiative est venue de Corée du Sud, en particulier de la centrale syndicale KCTU et du réseau Kopa contre l’OMC et les accords de libre-échange. L’occasion a été fournie par la réunion, à Séoul, du Forum économique mondial (Davos) sous l’intitulé provocateur, vu les conséquences dévastatrices du libéralisme, de "Prospérité et paix pour l’Asie".

Le 13 juin, une manifestation militante de près de 15 000 personnes s’est dirigée vers l’hôtel où résidaient les participants au Forum économique mondial. Les deux jours suivants, une Assemblée des mouvements sociaux et populaires d’Asie s’est réunie dans la capitale sud-coréenne, avec des délégations venues d’Inde, du Népal, d’Indonésie, du Timor, de Thaïlande, des Philippines, d’Hongkong, de Taiwan, du Japon... Elle a conclu ses travaux en lançant un "Appel à l’action", avec des journées de mobilisation durant le second semestre de 2004, contre l’occupation en Irak (où se trouvent plusieurs contingents militaires asiatiques) ; pour la souveraineté alimentaire et pour bloquer les négociations au sein de l’OMC ; en mémoire de Lee Kyung Hae, le paysan sud-coréen qui s’était donné la mort le 10 septembre 2003, lors des manifestations de Cancún (au moment du sommet de l’OMC).

Grâce notamment à l’impulsion nouvelle donnée par le forum de Mumbai, les liens de coopération entre mouvements de Sud, du Sud-Est et du Nord-Est de l’Asie se resserrent.

Repenser Porto Alegre

Comment revenir à Porto Alegre sans répéter ce qui a été fait (avec succès, certes) de 2001 à 2003 ? Comment échapper à la routine et éviter l’institutionnalisation du mouvement ? Le choix des formes d’organisation d’un forum n’est pas sans conséquences politiques. A l’occasion d’un voyage sur place, des représentants du comité d’organisation indien du FSM et du collectif d’architectes qui a conçu le site de Mumbai ont transmis aux Brésiliens leur expérience en ce domaine.

Le cœur du prochain Forum social mondial se situera sur les rives de la lagune, et non plus sur le campus de l’université catholique. Ce qui permet de prendre des décisions politiques symboliquement fortes (à Mumbai, Pepsi et Coca-Cola n’avaient pas droit de cité au sein du FSM), de donner la priorité à l’économie solidaire (les restaurants universitaires cédant la place aux cuisines populaires régionales...), de choisir les technologies (comme l’utilisation généralisée des logiciels libres), d’ouvrir plus encore l’espace à l’initiative militante (incarnée, par exemple, en matière d’interprétariat par le réseau Babels), de permettre le plein déploiement de l’action culturelle, de mettre en application des orientations (recyclage des matériaux, principe du "zéro déchets"), etc.

Le cinquième Forum social mondial restera évidemment, comme les précédents, un lieu d’échanges et de convergences et incarnera une nouvelle fois le pôle de référence "anti-Davos", ce foyer critique de la mondialisation capitaliste où se collectivisent les alternatives à l’ordre dominant. Il devrait, de plus, approfondir le lien, qui a fait la richesse du processus, entre l’espace de libres débats et le renforcement de la capacité d’action internationale coordonnée des mouvements participants aux forums.

Le nombre de mouvements qui participent aux forums sociaux (dans le sens où on l’entend ici : qui sont parties prenantes du processus mondial du FSM) est beaucoup plus important que dans n’importe quelle autre type d’initiative ; et ils proviennent d’un nombre particulièrement élevé de pays. C’est pourquoi, dès 2001, ces forums ont constitué une occasion unique de faire le point sur les campagnes internationales en cours, de rencontres entre réseaux militants sur des terrains communs mais provenant de régions différentes, ou encore de prises de contact entre organisations intervenant en des domaines différents mais de plus en plus perçus comme complémentaires.

Tourné vers l’action

De par leur existence même, les forums ont ainsi renforcé la capacité d’action internationale des organisations militantes. L’Assemblée des mouvements sociaux a permis, pour sa part, de faire une synthèse au moins partielle des thèmes d’intervention et des propositions d’initiatives surgis lors de ces échanges multiformes en lançant à chaque fois un appel à l’action incluant notamment des journées mondiales de mobilisation unitaire. L’Assemblée des femmes, puis l’Assemblée antiguerre ont rapidement fait de même dans leurs champs de responsabilités propres.

A Mumbai, afin d’aider à cette dynamique, des tentes militantes ont été mises à la disposition des mouvements qui souhaitaient coordonner leurs campagnes. Le prochain forum de Porto Alegre doit permettre de mieux articuler discussion, réflexion et action. Les débats eux-mêmes sont en effet conçus différemment que dans le passé. Durant les deux premiers jours du forum, les échanges d’expériences et d’analyses au sein des séminaires doivent en effet déboucher plus systématiquement sur des propositions d’initiatives. Le point sur ces propositions pourra être fait le troisième jour dans chaque filière thématique, avant une synthèse le quatrième jour. La recherche du débouché militant, qui a toujours été une préoccupation de bien des participants aux forums, sera ainsi plus organiquement liée à la conception et à l’organisation des débats mêmes du forum.

Collectivisation

Dans cette perspective, la préparation du prochain forum de Porto Alegre doit être plus interactive que cela ne fut le cas précédemment. Les organisations participant au forum ont toujours été libres de proposer les séminaires et ateliers de leur choix. Le nombre d’activités autoorganisées est ainsi passé de 420 en 2001 à 1 200 en 2004 ! L’accent est de plus en plus mis sur la mise en contact des mouvements qui interviennent sur des sujets similaires pour réduire les doublons, mais aussi pour favoriser le travail, le débat et l’échange collectifs, le renforcement des liens unitaires.

Cette fois-ci, les mouvements sont aussi invités à participer à la construction même de l’événement, en proposant notamment des thèmes, ce qui devrait permettre de définir plus collectivement les priorités du forum. Un questionnaire est mis à disposition sur le site web du FSM, afin de centraliser les propositions (voir l’adresse du site dans l’encadré ci-dessous). Cette consultation ouverte permettra de définir les axes thématiques du forum et les plénières (et non seulement les séminaires).

Dans quelle mesure les nouveaux mécanismes de consultation internationale fonctionneront-ils déjà efficacement par rapport au prochain FSM, compte tenu de délais assez courts de mise en œuvre (le programme doit être finalisé en novembre) ? Il est difficile d’en juger aujourd’hui. Mais ils devraient à terme permettre une meilleure internationalisation du mouvement, une démocratisation du processus des forums dans son ensemble et une capacité de collectivisation beaucoup plus importante.

Le prochain forum de Porto Alegre a été repensé dans sa conception, son mode de préparation et d’animation, sa localisation. Ses ambitions se sont élargies. Mumbai n’aura pas été une simple parenthèse : l’expérience indienne a contribué à cette réévaluation.

Pierre Rousset

Expansion

Le cinquième Forum social mondial se tiendra à Porto Alegre du 26 au 31 janvier 2005. A trois reprises déjà, le FSM s’est retrouvé dans la capitale du Rio Grande do Sul, de sa naissance en 2001 à janvier 2003.

Le processus du Forum social mondial s’est rapidement étendu géographiquement. A partir de 2002, d’importants forums régionaux et thématiques ont commencé à se réunir dans divers pays d’Amérique latine et en Europe, avec notamment les Forums sociaux européens de Florence (novembre 2002) et de Paris-Saint-Denis (novembre 2003). Le troisième FSE est convoqué à Londres du 14 au 17 octobre prochains.

Le mouvement touche aussi l’Afrique et le Moyen-Orient, mais ce n’est qu’en janvier 2004 que le processus du forum s’est pour la première fois massivement affirmé en dehors du monde occidental, avec la réunion du quatrième FSM à Mumbai (Bombay), en Inde.

Infos pratiques

 Le site web de l’Assemblée des mouvements asiatiques de Séoul (14-15 juin 2004) :

< http://antiwef.jinbo.net >.

 Le site web du Forum social mondia l : < http://www.forumsocialmundial.org.br >.

 Toutes les organisations (associations, syndicats, réseaux...) qui souhaitent participer à l’élaboration collective du programme du FSM peuvent trouver les formulaires idoines sur le site : < http://www.consultatfsm.org.br >.

 Il est aussi possible d’écrie à : Bureau du secrétariat du Forum social mondial, R. Général Jardim - SP, 01223-010 Brésil.

Rouge 2073 15/07/200