Accueil > International > Europe > France > Epreuve de force

Epreuve de force

Yvan Lemaitre

jeudi 30 mars 2006

« C’est historique », déclarait Bernard Thibault devant la lame de fond des manifestations du 28 mars. Près de trois millions de manifestants réunissaient de forts cortèges étudiants et lycéens, structurés, organisés, au coude à coude avec les salariés du public, et aussi du privé, dans une ambiance dynamique et déterminée.

L’intransigeance de Villepin a reçu une réponse à la hauteur de la provocation. La crise politique est ouverte. Le Napoléon de la « réforme » s’est pris les pieds dans ses propres plans. Aveuglé par sa suffisance et son ambition, Villepin pensait qu’après avoir fait passer sans difficulté le contrat nouvelles embauches (CNE), il imposerait le contrat première embauche (CPE), devenant ainsi celui qui avait osé vaincre les tabous et démolir le contrat à durée indéterminée. Enfoncé Sarkozy ! Sauf que la jeunesse s’en est mêlée et le CPE devient le mauvais coup de trop qui fait déborder le mécontentement ! Mardi, dans tout le pays, a déferlé la vague de la colère, puissante, accompagnée de la sympathie de l’opinion.

Villepin se retrouve seul face au rejet, à l’exigence des jeunes, des salariés, de toute la population : retrait, retrait, retrait du CPE ! Il avait ignoré la jeunesse, il n’avait pas imaginé que les salariés la rejoindraient, que les directions des confédérations syndicales participeraient à la tempête qui se lève. Et il n’avait pas imaginé que le grand stratège qui provoquerait ce déferlement, ce serait lui-même, de Galouzeau de Villepin !

Et pourtant. Par son incapacité à entendre et à comprendre, il s’est désigné comme le point de convergence de tout le mécontentement. Liant l’enjeu du CPE à celui de l’élection présidentielle, il a largement contribué à la politisation du mouvement. Faisant du CPE la bataille à travers laquelle il s’imposerait à l’UMP comme au pays, il a réussi à dresser contre lui ses propres amis, à se ridiculiser.

Les rivalités qui divisent le sommet de l’État s’affichent. Samedi 25 mars, alors que Villepin tentait maladroitement de renouer le dialogue avec les directions syndicales, Chirac déclarait, depuis Bruxelles : « Quand une loi a été votée par le Parlement, conformément à la règle et à l’esprit de nos institutions, elle doit être appliquée. » Ne pas céder pour éviter que des concessions qu’aurait pu faire Villepin n’apparaissent comme un succès de... Sarkozy !

Bilan, Villepin est de plus en plus isolé. « Le gouvernement est obligé de bouger », déclarait Sarkozy au soir des manifestations. Les simagrées visant à renouer le dialogue tournent au fiasco. Toutes les organisations syndicales ont rejeté l’invitation à une nouvelle réunion à Matignon. Le Premier ministre a poussé à l’épreuve de force. Elle est engagée et l’enjeu est de taille.

La crise sociale et politique est l’aboutissement d’une longue maturation du conflit entre le pouvoir issu du quiproquo de 2002, mal élu, illégitime, et les classes populaires confrontées à une politique qui leur est hostile. C’est 2003 qui cherche sa revanche. C’est le « non » au référendum du 29 mai qui resurgit sur le terrain des luttes sociales. L’enjeu du bras de fer est bien le rapport de force entre le patronat, l’État et le monde du travail. Faire céder Villepin et le gouvernement sur le CPE, c’est mettre un coup d’arrêt à l’offensive libérale, c’est créer les conditions d’une contre-offensive du monde du travail.

Chacun en avait bien conscience, mardi 28 mars. Le mouvement est politique au sens où s’y négocie un rapport de force qui dépasse et englobe chaque situation particulière - privé ou public, jeunes ou précaires, femmes ou immigrés, chômeurs ou retraités. Villepin a lié son avenir à celui du CPE. Le retrait du CPE serait son échec. Et comme l’a dit la coordination étudiante : « Qu’il cède et qu’il s’en aille » ! Peut-être le Conseil constitutionnel, qui devait statuer jeudi 30 mars, lui donnera-t-il l’occasion de reculer sans avoir à se démettre. Peut-être, sous la pression des siens, en profitera-t-il pour chercher un compromis. Nous verrons. À l’heure où nous écrivons, tout est ouvert.

Le mouvement ne cesse de se renforcer, il est riche de possibilités. En exigeant le retrait du CPE, du CNE et l’abrogation de la loi sur l’égalité des chances, il conteste la légitimité du Parlement. Il a raison et se renforcera en approfondissant la crise politique qu’il a ouverte. Cela veut dire unifier et généraliser le mécontentement des jeunes, des salariés, des précaires et des chômeurs, généraliser les grèves et les intersyndicales pour préparer une grève générale.

Le succès des manifestations et de la grève du 28 mars a mis cette dernière à l’ordre du jour. Elle viendra des initiatives, de l’audace des travailleurs eux-mêmes, comme la jeunesse a su, par son audace, engager le bras de fer. Jeudi 30 mars, la coordination des étudiants appelait à des manifestations pour bloquer les villes, et, le 4 avril, à une journée de grève générale. Mercredi, les organisations syndicales et étudiantes devaient se réunir pour décider des prochaines initiatives. Chaque initiative converge vers un mouvement d’ensemble pour faire céder Villepin. Dehors !

(tiré de Rouge, LCR)