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L’autonomie politique des classes ouvrière et populaires et question nationale

dimanche 26 janvier 2003, par Bernard Rioux

La stratégie d’alliance qui présente l’ADQ contre le danger principal et qui défend que la tâche de l’heure est de constituer un vaste front contre ce dernier semble dominer dans la mouvement syndical et le mouvement populaire au Québec aujourd’hui. La critique de stratégie est essentielle car cette dernière conduit à refuser de rompre clairement avec le PQ au pouvoir et emprisonne politiquement les classes ouvrière et populaires dans un bloc national qui a assumé, malgré toute une série de bémols, une logique néolibérale et qui a conduit la lutte pour l’indépendance à l’impasse. Le débat sur la politique d’alliance est important de soumettre à un regard critique l’opinion dominante dans les différents courants qui traversent de larges couches de la gauche sociale, opinion qui soutient qu’il n’est pas temps encore d’entreprendre la construction d’un parti politique progressiste de façon complètement indépendante de tous les partis politiques liés d’une façon ou d’un autre aux classes dominantes de cette société.

La vraie question en l’occurrence est de savoir si le refus d’une rupture politique claire avec le PQ est ou non le meilleur moyen de renforcer les forces du changement et d’entraver les objectifs actuels de la bourgeoisie et de ses partis politiques ?

La stratégie anti-adéquiste ou le PQ comme moindre mal

La réponse de la CSN a cette question est claire. L’ADQ est l’ennemi principal. Elle dénonce le projet politique de ce parti de droite. À son dernier Conseil confédéral en 2002, la CSN décidait ne pas donner une consigne de vote en prévision de la prochaine élection générale et de se limiter à un travail d’éducation visant à informer ses membres des grands enjeux de la situation actuelle et de les mettre en garde contre les effets de la montée de la droite. Et, dans ce contexte, le bilan du gouvernement péquiste était négligé. Si la direction de la CSN ne fait pas, encore, un appel clair à voter PQ, une logique du moindre mal lui sert d’horizon politique dans lequel une véritable autonomie politique de classe est sacrifiée.

La position d’Henri Massé de la FTQ a le mérite de ne pas y aller par quatre chemins  : «  Si on se compare à nos voisins au Canada et en Amérique du Nord, en particulier à l’Ontario, je dois vous dire franchement que le bilan du gouvernement péquiste est, somme toute, un bon bilan. La position de la FTQ est de défendre l’actuel consensus social entre les directions syndicales et le gouvernement péquiste. Le danger que représente l’ADQ, c’est la remise en cause de ce consensus.  » Henri Massé le dit clairement  : « il y a un certain consensus social qu’il ne faut pas briser au Québec, même les associations patronales le comprennent. Or, l’ADQ s’attaque à ce consensus et à la politique de présence de la FTQ auprès des gouvernements quels qu’ils soient. Tous les syndicalistes doivent donc « faire le travail politique nécessaire auprès de nos membres, sur le terrain, pour leur expliquer les implications bien concrètes d’une élection de l’ADQ ». ».(Site Web de la FTQ, 08/12/01).

Somme toute, dans le discours de la direction de la FTQ, on ne retrouve pas l’ombre de l’ombre de la nécessité d’une alternative politique à Québec. C’est une déclaration de satisfecit face au PQ, rien de plus. Les bémols apportés par son bilan de la politique gouvernementale ne remettent nullement en cause cette orientation. Que le gouvernement péquiste ait coupé dans l’éducation et la santé, qu’il se soit attaqué aux personnes assistées sociales, qu’il ait mis de l’avant une fiscalité en faveur des entreprises et qu’il ait participé à une redistribution de la richesse en faveur des plus riches, qu’il ait laissé les entreprises multinationales faucher les forêts du Québec et l’agrobusiness polluer la province, la direction de la FTQ n’a rien à dire là-dessus, cela compte moins que le modèle de gestion politique du PQ qui fait une place à la concertation sociale, même si cette concertation sociale a coûté très cher aux travailleuses et travailleurs du Québec à bien des égards. La position de la FTQ, elle, vise à rejeter toute légitimité à la construction d’une alternative politique  ; c’est la position du moindre mal élevé au niveau du principe  : « Je préfère un parti du centre-gauche, mais je préfère encore le centre-droit à la droite radicale  » d’affirmer Henri Massé.

Tant que la gauche restera prisonnière du bloc social national dominé par le PQ, l’heure de la construction d’un parti politique progressiste, comme l’UFP, ne sonnera pas !

On ne peut répondre à stratégie d’alliance dominante le mouvement ouvrier et populaire, - dans le mouvement de femmes et les autres mouvements sociaux, la situation est moins évidente - en cherchant à gommer les différences politiques entre les partis politiques de droite.

S’il faut éviter d’exagérer les différences entre ces partis, il faut également éviter de les présenter comme du pareil au même. Car, l’obstacle principal à l’autonomie politique de classe, c’est le bloc nationaliste dominé par le PQ. Et c’est du point de vue de cette autonomie qu’il faut se placer. Notre position ce n’est pas d’affirmer que tous les partis néolibéraux sont du pareil au même ; ces différences existent ; les rapports du PQ aux classes subalternes et aux élites dirigeantes du mouvement syndical et des autres mouvements sociaux sont différents et doivent être compris pour saisir la solidité et la persistance du bloc nationaliste même miné par une crise stratégique liée à son incapacité d’offrir des perspectives claires dans la lutte pour la souveraineté du Québec. Mais, la défense des intérêts des classes ouvrière et populaires ne peut pas s’adosser à aucun des partis politiques bourgeois, le PQ y compris. Et à ce niveau là, ce qui est déterminant d’une évolution favorable du rapport de force entre classes, c’est l’existence d’un parti politique progressiste implanté, la rupture avec le concertationnisme et en fin la mobilisation des organisations ouvrières, populaires, féministes, jeunes, écologistes sur leurs propres bases .

Aux fondements de cette stratégie d’alliance
Solidité et fragilité du bloc nationaliste

Le PQ s’est construit sur la récupération d’aspirations sociales et nationales pour mieux les dévoyer par la suite. Le PQ au pouvoir a favorisé la construction des appareils de l’intervention économique et politique. Il a bâti une alliance avec les directions du mouvements syndical et des mouvements sociaux qui lui a donné depuis des décennies maintenant une assise relativement stable.
Une alliance social-libérale sur le terrain économique et social

Il s’est servi de cette alliance pour associer les directions à son projet néolibéral de déficit zéro et de coupures dans les dépenses sociales, dans l’éducation et la santé.
Si le PQ a pu avancer dans cette direction jusqu’ici, c’est qu’il a su compter sur ces alliances. Le discours social-libéral avait comme principal objectif d’entraver les capacités de riposte et d’empêcher une véritable rupture politique qui aurait permis la mise en place d’un parti autonome représentant les classes subalternes de la société québécoise.

Cette alliance, cependant, ne se construit pas d’abord sur les discours et la démagogie politique. Elle se bâtit autour de deux types de concessions : a) des concessions timides mais réelles aux classes travailleuses ; faites, souvent, suite à des mobilisations populaires. On peut penser à la loi sur l’équité salariale, à la politique sur les garderies, à la loi anti-pauvreté. Ces concessions sont timides et limitées, et parfois formelles, mais dans le contexte actuel, elles deviennent des arguments utilisés jouissant d’une certaine crédibilité pour perpétuer cette alliance. b) des concessions aux élites dirigeantes du mouvement syndical ; ce sont les réformes de la fiscalité du gouvernement péquiste qui ont permis le lancement du Fonds de solidarité ou autres fonds qui ont permis le développement du syndicalisme investisseur qui a fait de certains dirigeants syndicaux des gestionnaires financiers de fonds importants. Si « les conditions d’existence déterminent la conscience » comme l’écrivait Marx, on peut comprendre que la sensibilité aux logiques capitalistes aient monté d’un cran parmi ces élites issues des classes subalternes. D’autre part, la multiplication des lieux de partenariat a construit un système de places où certaines couches sociales liées aux classes subalternes par des différents liens ont pu s’éduquer aux logiques bureaucratiques et se définir comme « responsables » face à l’État. La force et la durabilité du bloc national repose sur des assises matérielles bien concrètes.

Mais le bloc est miné au niveau social, par la gestion néolibérale du gouvernement péquiste. Le symbole de cette gestion a été l’objectif du déficit zéro. La loi anti-déficit dans les hôpitaux, la privatisation en miettes et rampante dans la santé et l’éducation, encouragée par ce gouvernement en sont d’autres manifestations.

Le PLQ a suivi très rapidement le PQ dans le soutien au libre-échange  ; il l’a soutenu dans sa politique du déficit zéro. Il l’a soutenu dans ses politiques contre les personnes assistées sociales. Il a favorisé un néolibéralisme plus conséquent et dénoncé continuellement ses politiques interventionnistes. Mais si ce n’est pour une courte période, en 1986, le PLQ n’a pas envisagé de remettre en cause de plein fouet le modèle de gestion politique du PQ. À cette époque, le comité Fortier sur la privatisation revendiquait rien de moins que la remise au secteur privé de tous le patrimoine industriel du Québec. Le rapport Scowen sur la dérèglementation proposait le démantèlement de pratiquement toutes les protections législatives mise en place depuis un demi siècle : règlement sur le placement dans la construction, décrets des conventions collectives, loi anti-scab, santé - sécurité au travail, etc. Le rapport du comité Gobeil, sous le couvert de « décentraliser l’État et d’alléger ses structures administratives », proposait ni plus ni mois que l’abolition de presque tous les organismes publics chargés d’appliquer des programmes à portée sociale, par exemple la Régie du logement. Le PLQ envisageait ni plus ni moins qu’une véritable vente de garage de la révolution tranquille. Mais le rapport de force entre classe ne permettait pas à ce moment-là de mener une attaque aussi massive. Surtout que le PLQ allait devoir affronter une résurgence majeure de la crise nationale.

L’ADQ reprend à son compte ses velléités d’en découdre à la modèle péquiste et porter à ses conséquences logiques la gestion néolibérale de la santé, de l’éducation, de l’environnement déjà bien entamée par le PQ. L’ADQ intéresse surtout certains secteurs de la bourgeoisie qui ne croient pas que dans le rapport de force actuel entre classes il soit nécessaire de donner une place à des représentantEs de classes subalternes. Le programme de l’ADQ ne fait que promettre à ces secteurs les plus belliqueux de la bourgeoisie de mettre fin à cette approche de concertation et promet une politique de confrontation avec le mouvement syndical. Le programme de l’ADQ vise également à courtiser les couches petites-bourgeoises en donnant un base rationnelle à leur individualisme et à leur refus d’une solidarité sociale. Couper dans les dépenses sociales pour baisser les impôts de ces couches qui auront les revenus pour se payer les services qu’elles voudront bien se payer, voilà l’axe propagandiste de la démagogie adéquiste envers les couches moyennes.

En fait, le rapport de force entre classe ne sera pas déterminé par les déclarations tonitruantes de Mario Dumont ou par l’appui à un « allié comme le PQ » qui veut, encore une fois, utiliser le mouvement ouvrier, comme d’un marche pied vers le pouvoir, où il a son propre agenda, qui est celui de l’expansion de la bourgeoisie québécoise dans le cadre de la ZLÉA. Ce sont les places sociales fournies par la politique de concertation aux élites d’en bas qui sont la base matérielle de la stratégie d’alliance actuellement dominante.

C’est une politique d’alliance ne remet pas radicalement en question l’agenda néolibéral du PQ. Cette orientation ne bloquera pas mais encouragera le PQ, si jamais il reprend le pouvoir, à approfondir son orientation néolibérale parce que le mouvement ouvrier et populaire se sera défini politiquement comme prisonnier du bloc nationaliste et du style de gestion politique du PQ. Voilà le danger principal.

Une alliance populiste sur la question nationale

Le PQ refuse de mener une politique d’affrontement avec le fédéral ; il utilise la perspective souverainiste de façon manipulatrice. Toute la saga sur les perspectives référendaires dans 1000 jours se combinant à la « théorie des conditions gagnantes » montrent à quel le point le PQ s’est emberlificoté dans ses tactiques manipulatrices. Si le bloc national avec les représentants des classes subalternes résiste aux contradictions qui le traversent, le PQ est radicalement en crise sur le terrain de la lutte pour la souveraineté. Et cette crise repose essentiellement sur son incapacité structurelle à concilier sa perspective d’expansion de la bourgeoisie québécoise dans le cadre de la ZLÉA avec ses prétentions à répondre aux intérêts des classes ouvrière et populaires. Le seuls moments forts de la mobilisation a été lorsque cette identification a pu se réaliser partiellement. Rappelons la présentation de la souveraineté comme un instrument pour contrer le vent de droite qui balayait l’Amérique du Nord. Et cette posture n’était que démagogique.

Ce bloc est un bloc populiste et interclassiste. L’alliance du PQ et des directions ouvrières s’est réalisé sur le rejet par les directions de toute perspective d’autonomie politique de classe et sous la couverture d’une théorie des étapes qui affirmait qu’il fallait d’abord réaliser l’indépendance du Québec avant de remettre en cause une société inégalitaire et fondée sur l’exploitation. Et, cette alliance s’est maintenue mais, elle s’est redéfinie plusieurs fois. Du soutien critique au PQ au ralliement à ce dernier au soutien au PQ comme moindre mal malgré ses politiques social-libérales, il y a eu toute une série de glissements dans le mouvement syndical qui a eu comme seule constante un refus systématique (bien qu’a une période cette position ait été défendue par une minorité significative du mouvement syndical) de travailler à la construction un parti politique des travailleurs et des travailleuses. Ce n’est qu’exceptionnellement que les directions ont élaboré une approche de classe de la question nationale, qui aurait articulé luttes sociales et luttes nationales, qui aurait rejeté les accommodements proposés par le péquisme au pouvoir avec l’impérialisme canadien et affirmé clairement leur rejet des politiques récentes de l’impérialisme américain. Il y a bien eu des velléités de prendre des distances à certains moments, mais jamais jusqu’à une rupture claire avec l’essentiel du projet péquiste.

Il faut d’ailleurs interprété le refus d’accorder le scrutin proportionnel par tous les gouvernements qui se sont succédés au Québec depuis des décennies, non seulement comme le fruit d’un conservatisme institutionnel, mais bien comme la volonté politique de ne pas faciliter l’émergence d’un parti politique défendant véritablement les intérêts des classes ouvrière et populaires et qui pourraient lier la lutte pour l’indépendance à un véritable projet de société égalitaire. Cette crispation institutionnelle, malgré un déficit démocratique évident, trouve sa principale source dans la défense de la cohérence du bloc nationaliste et populiste.

Pour sa part, le PLQ, durant cette même période, a été un Parti inféodé au Parti libéral du Canada. C’est ainsi qu’il a été amené à perdre ses ailes nationalistes, scission de 68 qui a permis la naissance du PQ et puis celle de 1992 qui a donné naissance à l’ADQ en 1994. Sa base stable, il la retrouve dans les comtés qui sont à majorité anglophone ou allophone, et il tire de la patte chez les francophones à cause de son fédéralisme inconditionnel, de son incapacité à développer une quelconque plate-forme de réforme du fédéralisme car elle serait aussitôt désavouée par le fédéral. C’est sur cela que repose le fondement de sa crise sur la question nationale.

Les trois partis politiques bourgeois sont travaillés par la question nationale. Le PQ doit porter un discours souverainiste qui est la base de son emprise sur des secteurs importants de la population, tout en ne pouvant pas à cause de son néolibéralisme donner un caractère réellement attrayant à cette perspective. Le PLQ ne peut pour sa part que tenter d’éviter la question car il a les mains liés par le grand frère qui a jusqu’ici rejeté ses projets, mêmes les plus timorés, de réforme du fédéralisme canadien. L’ADQ joue à l’autruche en essayant d’attirer sous sa houlette tous ceux et celles qui ont peur de regarder en face la réalité de l’oppression et de la crise nationales et qui sont prêts à jouer ce jeu stupide. Cette attitude de dénégation du réel sera rapidement intenable et introduira un facteur de crise au son sein de ce parti. L’ADQ en remettant la question nationale aux calendes grecques va peut être s’attirer les bonnes grâce de la bourgeoisie québécoise, pour ne pas parler de la bourgeoisie canadienne, mais ce sera là aussi son talon d’Achille. Et le PQ, l’a bien compris, qui table encore sur la démagogie souverainiste pour soutirer les nationalistes québécois de l’emprise de l’ADQ.

Il y a bien une crise de l’ensemble des partis bourgeois sur la question nationale. Encore faut-il en déterminer la forme pour essayer de comprendre sa dynamique d’évolution. Il n’y a pas de dépassement possible de la crise des partis bourgeois face à la question nationale du Québec car ce dépassement ne pourra être le fait que d’un parti de classe, d’un parti qui articule étroitement la lutte pour l’indépendance à la lutte pour une société solidaire et égalitaire. Cette compréhension est essentielle pour la suite des choses.

Le dégagement de la gauche sociale, processus contradictoire ?

L’orientation des directions actuelles du mouvement ouvrier et populaire qui ont pris depuis des décennies maintenant le train péquiste de la concertation, du syndicalisme investisseur, de l’économie sociale, des conseils d’administration divers quand ce ne sont pas leur place à des sommets économiques avec les élites financières et entrepreneuriales constitue un blocage important qu’il faudrait déconstruire pour bâtir une alternative à ce bloc social sous hégémonie péquiste.

Qu’est-ce donc la gauche sociale  ? Ce sont les militant-e-s qui dans le mouvement syndical, le mouvement populaire, le mouvement féministe, dans la jeunesse au fil de leurs luttes se sont détachés du train péquiste (ou qui sont en train de le faire ou qui ont toujours refusé de s’y attacher), et qui, pour cela, ont souvent rejeté la politique comme corruptrice, qui se sont rabattus sur la défense pied à pied des revendications sociales, sans avoir encore réussi, à ce jour, à construire une cohérence suffisante pour s’opposer à la ligne actuelle de leur direction. Cette gauche sociale comprend de plus en plus que la politique péquiste, y compris au niveau de la lutte pour la souveraineté, ne vise qu’à assurer le maintien de son influence dans la population, qu’elle est démagogique et manipulatrice mais qui ne voit pas, sur la gauche, se rassembler les forces suffisamment importantes capables de les aider à remettre en question l’orientation dominante dans le mouvement syndical et les mouvements sociaux.

Le ressort principal dans le déblocage de la situation, c’est le parti, c’est le sérieux de la gauche politique capable de se construire et de donner une direction adéquate. C’est pourquoi la construction de l’UFP est si cruciale. Ce n’est que peu à peu, par bonds également, et seulement sur la base de ces expériences concrètes, à travers plusieurs étapes, que de larges pans de la gauche sociale dans un premier temps, puis de la population seront convaincus qu’un nouveau parti, plus digne de confiance est nécessaire et que sa construction doit être soutenu activement.

Le mode de dégagement de la gauche sociale de l’hégémonie péquiste, du bloc nationaliste, se fait à partir de ces organisations sociales et des luttes que ces dernières sont appelées à mener, souvent d’ailleurs contre le gouvernement péquiste. C’est pourquoi la lutte nationale est identifiée à l’élite gouvernante et à ses alliés qui s’est révélé l’organisatrice de défaites à répétition et d’offensives anti-populaires qui ont vidé, à leurs yeux, de tout contenu social la perspective d’un Québec indépendant. De là à conclure, que la lutte pour l’indépendance n’est qu’une voie de garage, il n’y a qu’un pas que d’aucuns franchissent allègrement alors que d’autres se contentent aisément de ne pas questionner de front ses perspectives.

Pas plus que les autres partis, l’UFP ne peut, sans en payer un prix politique important, ne pas définir une position précise sur son rapport à la lutte pour l’indépendance du Québec

A son dernier congrès, l’UFP adoptait la proposition suivante : « Les différentes composantes de l’UFP reconnaissent l’importance de la question nationale québécoise. L’UFP ne forme pas un bloc monolithique sur cette question  ; la diversité de points de vue est un reflet de ce qui se passe dans l’ensemble de la gauche et des milieux progressistes québécois. Tous et toutes, au sein de l’UFP, s’accordent à dire que la solution à cette question nécessitera l’obtention de la souveraineté pour le peuple québécois. Ils s’entendent pour souligner le fait que la question nationale est liée à l’émancipation sociale.  »

Il faut lire avec attention cette proposition pour identifier les tâches qui sont devant nous au niveau des débats qu’il nous faudra mener. Si on s’accorde à dire que « la solution de la question nationale nécessitera l’obtention de la souveraineté pour le peuple québécois », il faudra bien répondre, si on veut être pris au sérieux, à la question stratégique des voies pour y parvenir. Une piste est donnée qui lie la question nationale à l’émancipation sociale. Cette perspective mérite d’être concrétisée, et on ne peut se rabattre sur une théorie des étapes inversée où il faudrait d’abord s’attaquer à la question sociale avant d’aborder les voies et les méthodes de la lutte pour l’indépendance.

L’UFP doit comprendre les ressorts de la radicalisation, non pour s’y adapter, mais pour en tenir compte dans la poursuite de ces objectifs stratégiques.

La gauche sociale s’est dégagée dans ses luttes contre la gestion néolibérale du gouvernement péquiste dans l’éducation et la santé, contre un gouvernement nationaliste qui s’est fait le promoteur du libre-échange et n’a fait que revendiquer une place aux négociations de la ZLÉA, contre un gouvernement qui a méprisé les revendications des femmes et qui s’est vanté d’offrir aux entreprises la fiscalité hautement concurrentielle avec l’Amérique du Nord. Que cette gauche sociale ait donc tendance de jeter le bébé avec l’eau sale n’a rien d’étonnant.

En fait, au-delà même de la gauche sociale, comme l’écrivent Gilles Gagné et Simon Langlois « l’appui déclaré à la souveraineté du Québec résulte à la fois d’une augmentation observée dans certains groupements de la population québécoise qui lui sont traditionnellement défavorables et d’un recul appréciable qui se trouve justement concentré dans le groupement social porteur de ce projet (les francophones salariés actifs de 18 à 54 ans, ayant un revenu supérieur à 20 000 $ par année  », soit, pour une bonne part, les travailleurs et travailleuses ayant un travail salarié. (in Les raisons fortes, nature et signification de l’appui à la souveraineté du Québec, PUQ, p. 147). Pourquoi donc, en est-il ainsi  ? C’est des personnes du groupe, jadis le plus porteur de la souveraineté du Québec qui rompent avec un gouvernement (et son option) à cause de sa gestion néolibérale qui ont en frappé plusieurs de plein fouet.

Voilà le fondement matérialiste de la nécessité politique ressentie par les militantEs d’arrimer l’indépendance au projet de société. Il repose sur la volonté de marquer clairement la rupture avec le gouvernement péquiste et le bloc nationaliste. D’autres vont plus loin encore et voient dans la lutte indépendantiste une lutte ringarde qui n’a plus sa place à l’heure de la mondialisation capitaliste. C’est là une attitude impressionniste. Il suffit de voir le développement de la résistance à la volonté de domination sans faille de l’impérialisme américain et ses alliés partout dans le monde a une composante nationale importante dont la forme dépend des classes qui prennent la direction de cette résistance et lui insuffle son style, ses thèmes et ses modalités.

La remobilisation pour l’indépendance du Québec si elle sait s’articuler clairement à un projet de société au niveau national et international est possible et nécessaire pour lutter efficacement contre le PQ, pour miner le bloc national, forme que prend la collaboration de classe ici au Québec aujourd’hui. Car l’objectif stratégique qu’il faut réaliser c’est le remplacement d’une alliance interclassiste sous la domination d’un parti nationaliste bourgeois et proimpérialiste par une alliance de classe dirigée par les classes ouvrière et populaires, autour d’un Québec construit comme une société égalitaire, féministe et écologique et solidaire des peuples opprimées.

L’autonomie politique de classe est donc au centre du combat. La lutte pour l’indépendance et contre l’oppression nationale passe par cette autonomie politique de classe, par la construction du parti. C’est sur ce point que nous devons insister. Il n’y aura pas d’indépendance sous la direction d’un parti nationaliste bourgeois. Ce projet est un échec. L’articulation entre lutte nationale et lutte sociale, entre l’indépendance et le projet de société, voilà ce qui est impératif pour pouvoir parler à cette gauche sociale, les secteurs de la société les plus sensibles et les plus opposés à la gestion péquiste et néolibérale de la société. Les luttes sociales doivent trouver une expression politique tant au niveau national qu’au niveau international. La montée des luttes, leur coordination, leur centralisation, leur politisation pourra déboucher sur la nécessité d’une redéfinition globale de cette société tant au plan national que social dans une assemblée constituante. C’est pourquoi, nous ne pouvons que soutenir la perspective avancée dans le texte de porte-paroles de l’UFP : La crise au sein du PQ et du bloc, une première hypothèse lorsqu’ils écrivent : « La rupture avec le néolibéralisme, la convocation d’une Assemblée constituante devant rédiger une Constitution d’un Québec progressiste et républicain serait un enjeu stratégique bien plus prometteur et dégagerait un gouvernement souverainiste de son seul mandat de « bon gouvernement provincial ».

La route sera sans doute encore longue. Mais, elle n’est pas celle du PQ, au contraire, elle en constitue l’alternative plus radicale, car elle refuse d’abandonner cette dimension de notre combat.
Prendre au sérieux la lutte pour l’indépendance, c’est aujourd’hui penser l’articulation de cette lutte avec celle pour l’autonomie politique des classes ouvrière et populaires. Penser l’articulation entre lutte pour Québec solidaire et égalitaire ne pourra se faire qu’en rompant avec le projet d’un Québec élitiste et favorisant l’exclusion sociale et la polarisation de la richesse au sommet.

Un autre Québec est possible ! Un Québec indépendant et égalitaire  !

Un autre Monde est possible ! Un monde qui refuse la guerre impérialiste, un monde solidaire et internationaliste !