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Tunisie, Egypte : un processus révolutionnaire de portée mondiale

vendredi 25 février 2011, par Quatrième Internationale

Tunisie, Egypte : un processus révolutionnaire de portée mondiale

1. L’extraordinaire victoire du peuple égyptien contre Moubarak démultiplie la portée historique de la révolution tunisienne qui a abattu le régime de Ben Ali. L’onde de choc de ces victoires populaires s’est étendue en quelques jours à toute la région arabe et au delà, et influence le rapport de forces mondial entre les classes. Manifestations, grèves, assemblées, comités d’autodéfense, mobilisations des syndicats, des lycéens, des associations démocratiques se sont affrontées avec une détermination absolue aux appareils d’Etat et d’abord aux forces de police. Ce sont des millions de tunisiens et d’égyptiens qui se sont mis en mouvement jusqu’à la chute des dictateurs, et continuent de se mobiliser pour ne pas se faire confisquer leur révolution.

2. Il s’agit d’un processus de révolution permanente qui combine étroitement les dimensions sociales, démocratiques, de souveraineté nationale, et se répand au niveau international. Les effets de la crise économique mondiale, conjugués à l’oppression féroce et à la corruption éhontée des dictatures, ont rassemblé les couches populaires les plus défavorisées, la classe ouvrière organisée comme les classes moyennes, les jeunes comme les vieux, les femmes comme les hommes. Les masses tunisiennes et égyptiennes n’en pouvaient plus de systèmes économiques qui les marginalisaient. Comme dans de nombreux pays voisins, l’intégration à la mondialisation capitaliste a abouti à une croissance économique peu productrice d’emplois et une concentration sans précédent des richesses, un développement inégal des territoires et une dégradation générale des conditions de vie et de travail.

Une des principales raisons de cette révolution est l’explosion des prix alimentaires dans les dernières années. Le rapide processus de changement climatique a mené à la crise alimentaire mondiale actuelle, particulièrement dans des pays comme la Tunisie.. La libéralisation économique imposée par le FMI, l’OMC et L’UE s’est traduite par une précarisation accrue des travailleurs, l’ accaparement des terres par le capitalisme agraire orienté vers l’exportation, des coupes drastiques dans les services publics et un chômage massif frappant en particulier des jeunes diplômés. Avec en plus la fermeture des frontières de l’Union Européenne aux possibilités d’émigration, et un rétrécissement du marché de l’emploi dans les monarchies pétrolières du Golfe, toute perspective d’échapper á la pauvreté disparaissait.

Parallèlement, l’étouffement radical des libertés et des droits démocratiques, s’appuyant sur des Etats policiers qui imposaient un contrôle social généralisé ; l’impossibilité de contre-pouvoirs – les partis « d’opposition » parlementaires n’étant tolérés par les régimes tunisien et égyptien que comme ectoplasmes, les associations noyautées ou empêchées de fonctionner - ont fait qu’entre les dictatures et les populations, il n’y avait que la figure du leader autocratique et un appareil répressif dévoué et féroce. Et le fonctionnement maffieux des clans au pouvoir ont achevé de les déligitimer.

Enfin, ces deux régimes se sont distingués par leur collaboration avec l’Etat sioniste d’Israël, exaspérant encore plus des populations considérant comme leurs, les souffrances du peuple palestinien.

Face à toutes ces injustices, des grèves, des explosions sociales se multipliaient ces dernières années, permettant une accumulation d’expériences sans toutefois parvenir á briser le mur de la peur pour la majorité des populations. C’est ce mur qui a été submergé en quelques semaines, et malgré les très nombreuses victimes, le peuple tunisien, puis avec son exemple en tête le peuple égyptien ont mené une lutte ininterrompue jusqu’au départ des dictateurs Ben Ali et Moubarak.

3. Avec ces victoires, les peuples de la région arabe retrouvent une immense dignité, celle de leur irruption sur la scène politique de la démocratie et de la lutte des classes, et non plus celle de la mortifère alternative (ou combinaison) autocraties/islamisme dans laquelle on les enfermait depuis trente ans. Les classes populaires et en premier lieu la classe ouvrière de cette région ont acquis les moyens de revendiquer toutes les libertés démocratiques, les femmes de revendiquer leurs droits et l’égalité avec les hommes. Les travailleurs ont acquis les moyens de contester à un niveau bien supérieur les programmes de surexploitation du néo-libéralisme, et déstabilisent en profondeur les dispositifs de main-mise impérialiste sur la région, européens comme etats-uniens, articulés à l’Etat d’Israël. Le gouvernement israélien, toutes tendances confondues ne s’y est pas trompé, qui a jusqu’au bout exigé un soutien de l’Occident aux dictateurs.

La révolution dans la région arabe montre le potentiel d’émancipation sociale et démocratique de toute lutte de masse contre l’injustice. Le rôle actif des femmes dans ces mobilisations est un signe qui ne trompe pas. Ce processus permet de combattre les campagnes racistes et islamophobes sur le soi-disant « Choc des civilisations » qui tentent de faire croire que la mobilisation des peuples arabo-musulmans pave le chemin de l’intégrisme.

Cette dynamique aura des effets dans le monde entier. Elle en a déjà immédiatement en Jordanie, au Yemen, au Bahrein, en Syrie, en Libye, en Algérie, au Maroc et en Mauritanie, même si on ne peut prévoir à quel rythme et dans quel ordre peuvent tomber les régimes en place, avec chacun ses particularités. Particulièrement en Libye, où le régime a attaqué la population avec des avions militaires et des hélicoptères et a déjà tué plus de 500 personnes, il y a une escalade rapide de la situation qui nécessite notre entière solidarité.

Ces révolutions créent de nouvelles conditions, plus favorables, pour la lutte des Palestiniens, lutte que la Quatrième Internationale encourage et soutient. La révolution égyptienne met à l’ordre du jour concrèetement la fin de ce crime contre l’humanité qu’est le siège de Gaza. Face à cela, la riposte de l’Etat sioniste peut devenir encore plus dure et brutale. Il faudra redoubler de mobilisation pour l’en empêcher.

La dynamique de ces révolutions encourage aussi les luttes contre les dictatures en Iran et jusqu’en Chine, où les oppositions s’inspirent de méthodes de coordination utilisées en Tunisie et en Egypte comme l’utilisation des réseaux sociaux. Elle encouragera inévitablement les mobilisations des populations immigrées originaires de la région arabe, surexploitées et opprimées dans les pays capitalistes avancés. Plus que jamais nous devons nous tenir aux côté de ces populations.

Mais ces processus peuvent avoir des conséquences plus globales encore dans les pays impérialistes où les travailleurs et les jeunes s’affrontent de plus en plus massivement aux plans d’austérité, sans trouver la voie du succès : ils montrent qu’une révolution par en bas est possible au 21ème siècle, qu’elle peut abattre un régime politique apparemment inexpugnable et arracher des conquêtes qui apparaissaient hier encore inaccessibles !

4. Les acquis de ces processus sont certes fragiles en Tunisie comme en Egypte, mais essentiels pour la suite. S’appuyant sur des expériences populaires récentes, et l’ancrage ancien de la gauche radicale dans les syndicats, l’auto-organisation s’est développée massivement quand il a fallu que les manifestants et les habitants des quartiers se protègent des exactions policières et des milices du pouvoir, en Tunisie de Sidi Bouzid aux quartiers populaires des grandes villes et à la Kasbah à Tunis ; en Egypte de la Place Tahrir du Caire aux quartiers de Suez, Mansourah ou Alexandrie. Scènes inimaginables quelques jours avant, les musulmans et les coptes ont protégé mutuellement leurs moments de prière ; les ouvriers et les jeunes internautes, les femmes et les religieux, les écrivains et les taxis ont tenu côte à côte les points attaqués par les sbires de Moubarak. Les peuples ont réussi à déstabiliser l’armée en tentant systématiquement de fraterniser avec les soldats.

Les dictateurs ont fui, les directions des partis au pouvoir ont du renoncer à fonctionner sous la pression des mobilisations, et les mobilisations populaires se poursuivent. En Tunisie, les dirigeants les plus corrompus sont poursuivis en justice, les fonds et les biens du RCD sont saisis, ses locaux sont devenus des maisons du peuple. La plupart des prisonniers politiques ont été libérés. S’ils ne sont pas démantelés, les appareils policiers des deux pays sont désorganisés. Les employés des ministères commencent à exercer un contrôle sur leurs dirigeants, comme ceux du Ministère des Affaires Etrangères tunisien qui ont obtenu la démission de leur ministre qui avait couvert la Ministre française Alliot-Marie de louanges. Beaucoup de gouverneurs, maires et responsables publics tunisiens ont du démissionner. Les masses tunisiennes en viennent même à réclamer le départ de l’ambassadeur de France fraîchement arrivé après une déclaration méprisante de sa part ! De nombreux précaires de la fonction publique ont été titularisés, le capital des dirigeants d’entreprise les plus corrompus de Tunisie a été nationalisé. En Egypte, ces processus sont également engagés. Les fonctionnaires ont obtenu des augmentations de salaire de 15%, de nombreuses grèves ouvrières se développent malgré les menaces du nouveau pouvoir.

5. Bien entendu, les classes dominantes ne sont pas restées inertes et seront de plus en plus actives face aux processus révolutionnaires en extension. En Tunisie, la « neutralité » de l’armée et le départ de Ben Ali ont été contrebalancés par le maintien au pouvoir de son premier ministre Ghannouchi et de nombreux dirigeants du RCD, qui devaient être légitimés par l’arrivée au gouvernement de plusieurs partis de l’opposition et du grand syndicat UGTT. Le refus de celle-ci et la mobilisation populaire ont imposé un deuxième gouvernement où seul le premier ministre reste parmi les cadres du RCD. Mais le nouveau pouvoir est encadré par des cadres de l’impérialisme français, et il met toute son énergie à convaincre, avec les capitalistes tunisiens et l’armée, les travailleurs de reprendre le travail « comme avant ». Il s’agirait de refermer une parenthèse…en se contentant d’annoncer des élections générales dans 6 mois.

En Egypte, c’est directement l’armée qui assure la « transition », avec le menaçant Ministre de l’Intérieur Suleiman, tortionnaire avéré, ami d’Israël et agent de la CIA etats-unienne de notoriété publique. Là aussi, le peuple est sommé d’être raisonnable pour permettre la poursuite du tourisme et des investissements étrangers, avec la promesse d’élections dans quelques mois… et la menace d’une reprise de la répression.

Les gouvernements Sarkozy et Berlusconi, qui n’ont rien vu venir et se sont enferrés dans son soutien à Ben Ali, sont à la pointe de l’Union Européenne pour exiger maintenant la reprise des affaires et le retour aux blocages policier des migrants. L’administration Obama de l’impérialisme américain est beaucoup plus souple : n’ayant pas prévu ni contrôlé le mouvement en Egypte, il feint de le chevaucher. Mais ses liens étroits avec le commandement de l’armée pèse comme une menace permanente sur le processus révolutionnaire égyptien, et exigera des garanties quant au trafic dans le canal de Suez et le maintien de la fermeture de la frontière palestinienne à Gaza. Enfin les institutions internationales sauront réclamer le respect des fondamentaux du capitalisme moderne : paiement de la dette publique, même inique ; respect de l’ouverture totale aux capitaux et aux produits étrangers, poursuite des dérèglementations.

6. Dans ce processus, c’est tout le système qu’il faut éradiquer, pour établir tous les droits et libertés démocratiques : droit d’expression, droit de grève, droit de manifestation, pluralisme des associations, syndicats et partis, liquidation de l’institution présidentielle et instauration d’un gouvernement provisoire révolutionnaire. Est nécessaire aujourd’hui l’ouverture d’un processus d’élections libres pour une assemblée constituante. Pour ne pas être confisqué par un nouveau pouvoir des oligarchies, ce processus doit s’appuyer sur l’organisation des comités, coordinations et conseils populaires qui ont émergé dans la population. Dans ce contexte, les anticapitalistes lutteront pour les revendications clé d’un programme de rupture avec l’impérialisme et le système capitaliste : satisfaction des besoins vitaux des classes populaires (le pain, les salaires, l’emploi), réorganisation de l’économie en fonction des besoins sociaux, services publics de qualité et gratuits (l’école, la santé), les droits des femmes, élargissement des protections sociales (chômage, santé, retraite), réforme agraire radicale, socialisation des banques et des secteurs clés de l’économie, annulation de la dette, souveraineté nationale et populaire. Ce programme d’un gouvernement qui serait au service des travailleurs et de la population est défendu en Tunisie par la Ligue de la Gauche Ouvrière. Celle-ci est partie prenante du Front du 14 janvier qui rassemble la gauche refusant le gouvernement Ghannouchi et se battant pour toutes les libertés démocratiques, une Constituante et la satisfaction des besoins fondamentaux. Ce programme est également porté en Egype avec un regroupement des révolutionnaires en cours.

7. Les peuples tunisien et égyptien, et l’ensemble des peuples de la région arabe ont encore besoin de notre solidarité dans la lutte pour les libertés démocratiques. Ils ont encore plus besoin de notre mobilisation pour desserrer l’étau impérialiste : non paiement des dettes externes des anciens régimes, restitution des biens et avoirs financiers des dictateurs, protection de la souveraineté nationale des peuples face aux pressions du capitalisme international ; annulation des accords internationaux signés par l’ancien régime dans les domaines militaires, sécuritaires et migratoires. Les révolutionnaires du monde entier ont également comme tâche essentielle d’établir tous les liens possibles avec les syndicats, milieux associatifs et organisations anticapitalistes de ces pays, pour aider à la consolidation des processus révolutionnaires en cours, et appuyer l’auto-organisation des peuples concernés. La révolution en cours dans la région arabe est notre combat !

D’ores et déjà nous soutenons les initiatives suivantes :
l’appel de l’Assemblée des mouvements sociaux réunie dans le cadre du Forum Social Mondial de Dakar, à une journée mondiale de mobilisation en solidarité avec les révolutions dans le monde arabe le 20 mars 2011 (date anniversaire de l’invasion de l’Irak en 2003) ;
la conférence des organisations révolutionnaires de la région arabe à Tunis appelée par la LGO du 25 au 27 mars ;
la Conférence anticapitaliste méditerranéenne applée par le NPA qui se tiendra à Marseille les 7 et 8 mai prochains.

Amsterdam
le 22 février 2011