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Sommet européen de Séville

Libéralisme et racisme

mardi 18 juin 2002

Les 21 et 22 juin prochains se tiendra à Séville le sommet de clôture de la présidence espagnole de l’Union européenne. Ses travaux, fortement marqués idéologiquement et politiquement par la droite libérale et l’extrême droite populiste et néofasciste, aborderont principalement les thèmes de la lutte contre l’immigration, de l’élargissement et de l’avenir de l’Union.

Commencée en janvier 2002 sous le slogan "plus d’Europe", la présidence espagnole du conservateur Aznar se conclura le 30 juin 2002 sur un bilan plus que négatif pour les salariés, les citoyens et les immigrés. L’hystérie anti-immigrée annoncée pour le sommet de Séville ne doit pas masquer les projets libéraux et antisociaux annoncés lors des sommets précédents, ceux de Barcelone et de Madrid.

Antisocial et néocolonial

Le sommet de Barcelone avait donné le ton en mars 2002. Le processus de déréglementation décidé à Lisbonne en mars 2000 est maintenu et renforcé. Les Quinze, réunis dans la capitale catalane, se sont engagés à accélérer la libéralisation des secteurs de l’énergie, des transports et des télécommunications. Avec l’aval de Jospin et de Chirac, le gaz et l’électricité seront totalement libéralisés en France et en Europe à l’horizon 2004. Dans le même registre, il avait été décidé l’allongement de cinq ans de l’âge moyen de la retraite et le développement des fonds de pension. Lors du sommet Union européenne-Amérique du Sud de Madrid en mai 2002, en raison du passé colonial de l’Espagne et du rang économique occupé par l’UE (1), José Maria Aznar a pesé de tout son poids dans les discussions avec les cinquante chefs d’Etats et de gouvernements d’Europe et d’Amérique latine. A Madrid, il a voulu imposer ses vues sur les thèmes de la lutte contre le terrorisme et contre la drogue et du développement de la libéralisation des échanges commerciaux. Son objectif est d’établir des liens politiques et économiques plus étroits avec l’Amérique du Sud pour faire contrepoids à l’impérialisme des Etats-Unis. Mais les chefs d’Etats d’Amérique latine, déçus, ont donné une leçon de libéralisme aux Quinze en défendant la liberté de commerce prônée lors de la conférence de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à Doha (Qatar) et en dénonçant le protectionnisme et les pratiques déloyales de l’UE. Ce sommet européen de Madrid était bien éloigné de la crise argentine, de la guerre civile larvée en Colombie et de la précaire stabilité au Venezuela, sans compter la difficile situation des droits de l’Homme dans plusieurs pays, notamment au Guatemala et au Mexique. Ce rendez-vous imposé par le fonctionnement de l’Europe se place dans un contexte d’offensive libérale généralisée et surtout de poussée électorale de l’extrême droite populiste et raciste, que ce soit en France, au Danemark, au Pays-Bas, ou encore en Grande-Bretagne lors des dernières élections municipales. L’ordre du jour du sommet en a été bouleversé. Plusieurs thèmes seront abordés : l’immigration, l’élargissement, l’avenir de l’Union, les questions économiques après Barcelone et les relations extérieures. Mais ce sont bien les questions de l’immigration et du droit d’asile qui seront au centre de ce sommet et qui traverseront même les autres thèmes à l’ordre du jour, capitulant ainsi devant les discours démagogiques et sécuritaires des partis d’extrême droite et populistes. Séville devient, aux yeux de plusieurs dirigeants, l’occasion de durcir leur politique anti-immigrés sous couvert de lutte contre les filières de passeurs et d’harmonisation des politiques d’accueil.

Renforcement de l’Europe forteresse

Constatant les débâcles électorales de la gauche en Europe, Aznar avait d’emblée reproché aux sociaux-démocrates de "fuir la réalité". Le débat sur l’immigration et le droit d’asile allait logiquement glisser sur le terrain de l’extrême droite. Car, comme l’a déclaré, à l’issue de la rencontre avec Chirac le 27 mai dernier, le chancelier Schroeder déjà en campagne électorale pour les législatives de septembre, "c’est un sujet qu’il ne faut pas laisser à l’extrême droite, c’est un sujet qu’il faut traiter avec le plus grand sérieux et le plus grand sens des responsabilités, nous en sommes d’accord tous les deux". Tony Blair n’est pas en reste en affirmant que "l’immigration et le droit d’asile sont parmi les problèmes les plus urgents de notre époque". Londres, d’ailleurs, envisage tout simplement un recours à l’armée pour refouler les clandestins. Les pays par lesquels ils auraient transité seraient pénalisés. Ainsi pris dans la spirale de la surenchère et de la démagogie, les dirigeants européens offrent de "nouveaux" boucs émissaires à des opinions publiques victimes du libéralisme et de la mondialisation capitaliste. Alors comment comprendre cette surenchère xénophobe sinon par la volonté de récupérer les voix des électeurs de l’extrême droite en faisant sa politique ? Pour rappel, lors du sommet de Tampere (Finlande) en 1999, la sécurité intérieure avait déjà été transformée en véritable objectif politique. L’Europe, depuis, a pris de nombreuses dispositions contre les immigrés et les demandeurs d’asile : un fichier central d’empreintes digitales des demandeurs d’asile (Eurodac) opérationnel en 2003, une politique commune de gestion des visas, des normes communes de rapatriement des illégaux, un renforcement du rôle opérationnel d’Europol. L’Europe forteresse est un principe acquis pour tous avec l’harmonisation des sanctions pénales contre les passeurs de clandestins et les filières de trafic d’êtres humains. Que peut faire l’Europe de plus répressif et sécuritaire ? Car manifestement cela ne suffit pas aux gouvernants condamnés à une irrésistible fuite en avant marquée par des arrières-pensées politiciennes. Selon le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le nombre de demandeurs d’asile représentait en 2001 la moitié de ce qu’il était il y a dix ans, en plein conflit en ex-Yougoslavie, à savoir de 384 530, comparé à 675 460 en 1992. La question des demandeurs d’asile est-elle vraiment aussi préoccupante que le déclarent Chirac-Sarkozy ou Blair ? De toute manière, les gouvernements européens pourront mettre tous les barbelés qu’ils veulent autour de l’Europe forteresse, ils ne pourront pas empêcher des drames comme celui de Douvres, où 58 clandestins chinois avaient péri asphyxiés dans un camion en juin 2000, ni les échouages réguliers sur les côtes européennes de bateaux chargés d’immigrés ou les incidents à répétition à l’entrée du tunnel sous la Manche ou au centre de réfugiés de Sangatte dans le Pas-de-Calais. Cette question est politique avant d’être une affaire de police intérieure. Mais la surenchère répressive ne s’arrêtera pas là. Le 30 mai dernier, à Rome, les ministres de l’Intérieur des Quinze reprenaient à leur compte l’idée d’Antonio Vitorino, commissaire chargé du dossier Justice et affaires intérieures (JAI), de créer un "corps européen de gardes-frontières". A Séville, les chefs d’Etats et de gouvernement entérineront vraisemblablement la création de cette police européenne des frontières, qui sera opérationnelle dans les ports et les aéroports en 2007 au plus tard. La pression contre les immigrés et les demandeurs d’asile ne va, hélas, pas se relâcher. Le gouvernement conservateur danois, qui aura en charge la présidence de l’Union au cours du second semestre 2002, a d’ores et déjà indiqué qu’il comptait renforcer les règles européennes, pour éviter notamment que des demandeurs d’asile puissent solliciter l’accueil dans plusieurs pays de l’UE à la fois, pratique élégamment appelée "asylum shopping". Cet acharnement ne doit pas cacher qu’à Séville, les chefs d’Etats et de gouvernements poursuivront également leur politique antisociale contre les salariés en ratifiant les résultats du sommet de Barcelone : allongement de l’âge de la retraite, fonds de pension, libéralisation de l’énergie et des transports (second paquet ferroviaire et ciel unique).

Une démocratie sans peuple ni pouvoir

Autres questions sur lesquelles les Quinze auront à plancher : l’élargissement et l’avenir de l’Union. A l’horizon 2004, l’Europe des quinze s’élargira à treize pays candidats issus principalement de l’Europe centrale et orientale. Outre les problèmes économiques et politiques que cet élargissement suscite déjà, c’est le fonctionnement même de l’Union dont il est question et, au-delà, son avenir. Une réforme des institutions s’avère plus que nécessaire et urgente. Pour tenter d’y répondre, depuis le 28 février 2002, une Convention pour l’avenir de l’Europe, présidée par Giscard d’Estaing et composée de 105 représentants des gouvernements, de la Commission et des parlements nationaux des Quinze et des pays candidats, se réunit une fois par mois à Bruxelles au cours de grands-messes fastidieuses. La "société civile" n’a pas le droit de participer à ces cérémonies, mais uniquement celui d’être auditionnée. Loin des citoyens, cette Convention, en fait, cherche désespérément une légitimité. Les débats sur un président de l’Union européenne, élu à la majorité qualifiée par le Conseil pour une durée de quatre ou cinq ans ont du mal à masquer la paralysie du processus de réforme et les conflits avec les Etats nationaux. Car les intérêts entre les différents pôles de pouvoirs (Parlement, Commission et Conseil) sont loin de converger. Le seul dénominateur commun repose sur la dépossession des droits démocratiques des citoyens au profit d’instances indépendantes du suffrage universel. Pour les eurocrates, il s’agit de créer une "nouvelle gouvernance", une sorte de démocratie sans le peuple où tout serait réglé par des experts et des sondages d’opinion comme Eurostat et Eurobaromètre. La Commission de Bruxelles, non élue, a annoncé sa volonté de devenir à terme le vrai gouvernement de l’Europe. Elle souhaite avoir des prérogatives en matière de politique étrangère et de défense. La Commission veut se voir doter d’une "capacité exclusive d’initiative politique et un rôle directeur dans la gestion des crises" et veut "proscrire le recours au consensus et rendre possibles les décisions majoritaires". Cette Europe qu’ils construisent, avec un président sans pouvoir combiné à un émiettement politique, s’apparente plus "au Saint Empire romain germanique", de l’aveu même du socialiste Baron Crespo qu’à une Europe démocratique et transparente au service des citoyens. La Convention a un an pour formuler des propositions qui seront validées par une conférence intergouvernementale en 2004.

Patrick Auzende

(1). l’Union européenne est le deuxième partenaire de la zone et le premier du Mercosur, zone économique regroupant le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay.

(tiré de Rouge, hebdo de la LCR, section française de la Quatrième Internationale)

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