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Bolivie

Et maintenant que faire ?

Une interview de Felipe Quispe

mardi 4 novembre 2003

Elu député avec 7 % des voix aux élections de 2002 pour le Mouvement indigène Pachacuti (MIP), Felipe Quispe, 61 ans, est président de la Confédération syndicale unique des travailleurs paysans de Bolivie (CSUTCB). Fondateur de la guérilla TupacKatari dans l’Altiplano (démantelée en 1992), il a été emprisonné avec les principaux dirigeants, avant d’en ressortir cinq ans plus tard et de créer le MIP en 2001 (Extraits d’une interview accordée au journal brésilien Folha au lendemain de la démission du président Sanchez de Lozada).

 Folha - Qu’allez-vous faire maintenant avec le changement de président ?

Felipe Quispe - La première étape a été la démission de l’assassin. Très bien. Nous allons voir à présent ce qui va se passer au Parlement. Maintenant que Mesa est président, nous allons essayer de négocier. S’il ne satisfait pas à nos 72 exigences, nous continuerons nos manifestations et nos mobilisations. Si nos exigences ne sont pas acceptées, alors nous essayerions de prendre le pouvoir.

 Folha - Donc, dans le cas où il n’y aurait pas d’entente, l’objectif serait de prendre le gouvernement par la force ?

F. Quispe - Pour arriver au pouvoir, le moyen est une révolution. Il ne nous suffit pas de contrôler le gouvernement pour être maîtres de nos destins. Par les voies institutionnelles, nous n’auront pas atteint le pouvoir, tout juste aurons-nous atteint le gouvernement. Pour contrôler ce qui nous appartient, il faudra tout déboulonner : les forces armées qui servent les intérêts des Etats-Unis, la police et le pouvoir économique. La révolution arrivera un jour.

 Folha - Pourquoi n’y a-t-il pas d’Indiens au gouvernement ? Y a-t-il du racisme ?

F. Quispe - Il y a du racisme, oui, au sein de l’élite. Nous représentons 90 % de la population [Indiens et métis, NDLR] et nous n’avons pas le pouvoir. Comment ceci est-il possible ? Tout est fait pour que l’on ne puisse pas y parvenir. La porte de sortie à cette situation, c’est la révolution, pour nous et pour les indigènes du Guatemala, d’Equateur, du Mexique et du Pérou. Pacifiquement, les Indiens ne parviendrons pas au pouvoir. Il est temps pour nous de prendre notre destin en main.

(Trad. Pauline Terminière)

Le mouvement indigène face à l’Alca

L’insurrection bolivienne est un important point d’appui pour les luttes contre l’Accord de libre-échange des Amériques (Alca). Prévu pour entrer en vigueur en 2005, cet accord multilatéral engloberait toutes les Amériques, de l’Alaska à la Terre de Feu. Elargissant l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena, comprenant le Canada, les Etats-Unis et le Mexique depuis 1994), il se veut plus global. Ouverture des frontières aux flux financiers, privatisation des services publics, brevabilité totale du vivant, prédominance du droit des multinationales sur celui des Etats en sont les fondements. L’Alca exige de plus le respect pointilleux des plans d’ajustement structurels imposés par le FMI et la Banque mondiale... Une véritable condamnation à mort pour les économies nationales des pays pauvres. L’expérience de l’Alena montre le danger de son élargissement à l’ensemble du continent. Depuis son entrée en vigueur, le Mexique a perdu 200 000 emplois, tandis que le salaire minimum diminuait de 25 %.
Prioritaire pour les mouvements sociaux latino-américains, la lutte contre l’Alca est donc liée à toutes les mobilisations antilibérales. En Bolivie, ce sont les nations indigènes, quechua et aymara, qui la mènent de la façon la plus déterminée. La place centrale des nations indigènes dans cette lutte se retrouve en Equateur ou encore au Chiapas avec l’insurrection zapatiste le 1er janvier 1994, jour de l’entrée en vigueur de l’Alena. Pour les peuples indigènes, la notion de propriété collective du territoire est essentielle. Souvent gérée en commun, considérée comme un milieu vivant dont la cohérence biologique doit être respectée, la terre ne peut être à vendre. Vivant souvent d’une agriculture peu productive, les indigènes sont parmi les premières victimes de la libéralisation des échanges agricoles.
Cette conscience aiguë explique la mobilisation massive des paysans aymaras des Haut Plateaux contre les exportations du gaz naturel bolivien. Elle représente aussi un espoir : celui de construire des convergences entre les mouvements sociaux des pays dépendants et les luttes altermondialistes, encore trop limitées aux pays les plus riches.

J. R.

Rouge 2036 23/10/2003