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Pour un appui critique de l’UFP au NPD lors des prochaines élections fédérales

Benoit Renaud, pour les membres québécois de Socialisme International

dimanche 15 février 2004

Ceci est une contribution du groupe Socialisme International aux débats du Conseil de l’Union de l’UFP. Socalisme International est une organisation marxiste révolutionnaire dont les membres, au Québec, font partie de l’UFP. Nous comptons plusieurs centaines de membres à travers le Canada dont une trentaine au Québec. L’origine historique du groupe se trouve dans la crise de la gauche du NPD après l’échec du Waffle au début des années 1970. La formation de SI (IS) exprimait, dès le début, une rupture avec le nationalisme canadien de gauche qui est toujours prédominant au NPD et dans la gauche canadienne anglaise en général. Depuis, le groupe est intervenu indirectement dans les débats important au sein du NPD sans que ses membres en fassent partie

Des changements significatifs se sont produits au cours des derniers mois sur la scène fédérale. Ces changements annoncent la fin de la période ouverte par l’échec de l’Accord du lac Meech et l’effondrement de la coalition conservatrice de Mulroney.

L’arrivée de Paul Martin à la tête du PLC et du gouvernement signifie un virage à droite ainsi qu’un rapprochement avec l’impérialisme états-unien. Elle ouvre des possibilités pour la gauche dans une période de mobilisation massive contre la guerre et la mondialisation capitaliste et de regain des luttes ouvrières et sociales.

La fusion du PPCC et de l’Alliance Canadienne permet l’union des forces politiques situées à la droite du parti libéral et posent la question de l’alternance à moyen terme. Qu’est-ce qui succédera au long règne libéral ? Un gouvernement encore plus à droite ou une alternative de gauche ?

Le long déclin du Bloc Québécois depuis sa première élection générale en 1993 semble inexorable. Avec le départ de Jean Chrétien, artisan du coup constitutionnel de 1982 et éminent trudeauiste, et son remplacement par un supporteur de Meech et éternel rival de Chrétien, il est probable que le Bloc perdra encore des sièges à l’élection de 2004 et entrera en crise existentielle.

Finalement, l’élection de Jack Layton comme chef du NPD représente une victoire de la gauche au sein du vieux parti social-démocrate. Cette victoire n’est pas sans ambiguïté. Il a aussi compté, pour sa victoire dès le premier tour de scrutin, sur l’appui d’éléments de la droite du parti, dont Ed Broadbent.

On ne peut nier un regain d’enthousiasme autour du NPD. Des dizaines de milliers de nouveaux membres, dont beaucoup de jeunes et de membres de minorités ethniques et culturelles, ont rejoint le NDP depuis la campagne pour la chefferie. On s’attend à ce que le NPD augmente le nombre de ses sièges, notamment à Toronto (où Layton a été un conseiller municipal très populaire pendant de nombreuses années). Paradoxalement, l’unification de la droite pourrait profiter au NPD en provoquant des courses à trois dans de nombreux comptés.

En ce qui concerne le Québec, Layton a été très critique de la majorité du caucus pour son appui à la loi sur la clarté. Il appuie la véritable position du parti qui respecte le droit du Québec à la différence et à l’autonome, incluant le droit de se retirer de programmes fédéraux. De plus, il est né à Montréal, s’exprime bien en français et accorde une réelle attention à ce qui se passe au Québec.

Pour nous, le changement social et les victoires des mouvements progressistes ne viennent pas des élections, mais du rapport de force établi dans la société par l’organisation et la mobilisation de milliers de gens ordinaires. En même temps, nous ne croyons pas que les élections et la vie politique institutionnelle n’aient aucun impact sur les mouvements sociaux et ce rapport de force.

Par conséquent, lorsque le temps vient de se positionner dans une échéance électorale, nous posons toujours la même question : Quel serait l’impact prévisible de différents résultats électoraux possible sur les luttes sociales et les organisations ouvrières et populaires ? On se demande aussi quel pourrait être l’impact de notre propre intervention dans ce débat sur le développement des luttes.

Il s’agit d’examiner l’état d’esprit des nombreuses personnes qui cherchent une option de gauche, une formation politique qui défendra les intérêts des travailleuses et travailleurs et des personnes marginalisées.

Dans la politique fédéral canadienne, le NPD est le seul parti politique qui reçoit des appuis massifs sur la base de son identification avec les catégories exploitées et défavorisées de notre société. Le fait qu’il ait souvent trahi ses principes lorsque porté au pouvoir au niveau provincial n’a jusqu’à présent pas donné naissance à une rupture massive sur sa gauche, similaire à celle qu’on observe dans queques pays européens face aux partis travaillistes et socio-démocrates. Si une telle rupture se produisait, nous serions les premiers à l’encourager et à y participer. Nous avons appuyé des démarches telles que "rebuilding the left" ou "New Politics Initiative". Mais en ce moment, au niveau fédéral, il n’y a pas d’alternative crédible à gauche du NPD.

En partie, le maintien de la crédibilité de gauche du NPD tient au fait qu’il n’ait jamais formé le gouvernement au niveau fédéral ainsi que dans une majorité de provinces. Par contraste, les votes significatifs pour des partis de la gauche anti-capitaliste (SSP en Écosse, LCR et LO en France, Refondation en Italie) se sont produits après que la gauche traditionnelle a assumé le gouvernement.

Au Canada anglais, les seules remises en question importante des liens entre le mouvement ouvrier et le NPD se sont faites au profit soit de l’abstentionnisme ou d’un appui "stratégique" pour le parti libéral, notamment en Ontario.

L’histoire spécifique de la gauche canadienne signifie donc que le NPD est encore perçu par beaucoup comme le parti des classes subordonnées de la société. En témoigne l’augmentation significative du nombre de membres du NPD depuis la campagne à la chefferie de l’an dernier.

Par conséquent, toutes les victoires du NPD (comme la percée historique dans les Maritimes en 1997) sont vécues comme des victoires par des centaines de milliers de travailleuses et de travailleurs et comme des défaites par le patronat, dont les appuis sont toujours réservés, pour l’essentiel, aux libéraux et conservateurs.

Partout au Canada, sauf au Québec, la prochaine élection sera une lutte à trois entre les libéraux de Paul Martin, le nouveau Parti Conservateur et le NPD. Face à cette lutte, nous ne pouvons rester indifférents. La force relative du gouvernement Martin, de son opposition conservatrice et de son opposition à gauche, dépendra des résultats du scrutin. Sur de nombreuses questions à débattre à la chambre des communes, comme la politique étrangère, le financement des programmes sociaux, l’environnement ou les droits syndicaux, le NPD sera un allié pour la gauche québécoise.

Au Québec, la lutte sera principalement entre les libéraux et le Bloc, avec, selon les récents sondages, un potentiel réel pour un vote NPD respectable (environ 10%), ce qui était loin d’être le cas en 2000. Le lent déclin du Bloc depuis son point apogée de 1993 (avec 50 députés sur 75) s’explique par son association avec le PQ et par son incapacité intrinsèque à constituer une alternative gouvernementale. L’identification du parti conservateur avec le Reform et l’Alliance canadienne et le départ de son unique député québécois rendent peu probable un retour en force conservateur. Pour l’avenir prévisible, donc, le Bloc semble incapable d’empêcher un retour à la domination du PLC sur la politique fédérale québécoise, interrompue depuis le Beau Risque de Réné Lévesque et l’appui du PQ pour les conservateurs de Mulroney.

Nous partageons l’analyse de d’autres tendances dans l’UFP selon laquelle le Bloc demeure un parti gagné aux idées de base du néolibéralisme. Comme le rappelle Bernard Rioux dans un article paru dans le no3 de À Babord, le BQ a soutenu le libre-échange ainsi que la politique dévastatrice du déficit zéro présidée par Bouchard en 1996. Il s’est abstenu de critiquer les attaques contre les programmes sociaux lorsqu’elles émanaient d’un gouvernement péquiste et n’a pas fait grand-chose d’utile sur l’environnement. Il a constitué une extension du PQ sur la scène fédérale et représente la même stratégie politique visant à créer un Québec souverain dans le cadre du néolibéralisme. Il n’a pas créé d’alliances avec les milieux progressistes du Canada anglais pour mener des campagnes communes.

Par contraste, la base du NPD a rejeté le virage vers le social-libéralisme que proposait son establishment. Ce qui explique pourquoi la tendance de gauche NPI (qui avait obtenu le tiers des votes lors d’un récent congrès) ne s’est pas transformée en parti politique. On peut critiquer l’évolution de ce courant politique, mais cela ne changerait rien à sa disparition. Les deux députés qui y étaient associés (Libbie Davies et Svend Robinson, de la Colombie Britannique) s’étaient notamment opposés au reste du caucus dans le débat sur la " clarté " référendaire, et proposaient la fondation d’un tout nouveau parti. Leur ralliement à la campagne de Layton (sans véritable débat au sein de NPI) a signalé la fin de la parenthèse.

Pour toutes ces raisons, nous souhaitons que le NPD obtienne les meilleurs résultats possibles à travers le Canada, y compris au Québec. Et ce, en dépit des contradictions du parti sur de nombreuses questions, dont la question de l’oppression nationale du Québec. Il y a, notamment, une opposition tranchée entre les positions programmatiques adoptées par la base militante, reconnaissant le droit du Québec à l’autodétermination, et le vote de la majorité du caucus fédéral en faveur de la loi sur la "clarté". Cette question constitue depuis des générations la principale pierre d’achoppement à une unité véritable entre la gauche québécoise et canadienne.

C’est à cause de ces contradictions et de l’expérience souvent désolante du NPD au pouvoir au niveau provincial, ainsi que sur la base de notre rejet de la perspective du changement "par le haut", que nous insistons sur la dimension critique de cet appui, tant au Québec qu’au Canada anglais.

Dans l’état actuel des choses, il n’est pas question pour nous de prétendre que le NPD est notre parti et d’y adhérer. Nous ne voulons pas simplement faire de la "job de bras" pour leur machine électorale. Un appui de l’UFP devrait s’exprimer par la diffusion de notre propre matériel de campagne.

Un appui critique est bien différent d’un appui conditionnel. Cette autre approche impliquerait une sorte de négociation avec la direction du NPD, conduisant possiblement à un appui. Pour nous, une telle démarche et à rejeter d’abord parce que nous ne faisons pas confiance à la direction du NDP, qui a trahi souvent les résolutions de ses propres instances de base. Même si Jack Layton disait tout ce qu’on veut entendre, on devrait conserver un sain scepticisme. Aussi, dans le cas ou un tel dialogue au sommet ne donnerait pas les résultats espérés, il deviendrait difficile d’appeler à voter NPD malgré tout.

Une discussion entre une délégation de l’UFP et des gens de la direction du NPD devrait se faire sur la base d’une solidarité réciproque, de la recherche d’alliances à court terme sur des points de convergence et l’espoir à plus long terme de la constitution d’une alternative de gauche véritablement pan-canadienne. Que l’on présente alors clairement quels sont les gestes que le NPD devrait poser pour que la démarche de solidarité représentée par cet appui puisse mener plus loin.

Résolutions :

Que l’UFP accorde un appui critique au Nouveau Parti Démocratique dans tous les comptés du Québec lors des prochaines élections fédérales.

Que l’UFP produise son propre matériel dans le cadre de la campagne électoral expliquant les raisons de cet appui, les critiques expliquant que nous ne nous rallions pas en masse à ce parti, ainsi que les raisons de notre rejet des autres principaux partis (libéral, conservateur et Bloc).

Que l’UFP exprime son ouverture à l’idée de discussions avec des représentantEs du NPD fédéral afin de favoriser des collaborations futures sur des sujets d’intérêt commun et d’échanger des idées sur les perspectives à long terme pour la gauche.