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Après le triomphe chaviste du 15 février : que sera la troisième période de la révolution bolivarienne ?

mercredi 22 avril 2009, par Carlos Miranda, Stalin Pérez Borges


Tiré d’inprécor N° 547-548,
2009-03-04


Stalin Pérez Borges et Carlos Miranda sont membres du Conseil de rédaction de Marea Socialista (Marée socialiste), publication du courant marxiste-révolutionnaire du même nom au sein du Parti socialiste unifié du Venezuela, PSUV.

Caracas, 28 janvier 2006. Stalin Perez pendant le Forum social mondial de Caracas. Photothèque Rouge/Sébastien Ville

Approuvé avec un écart d’un million deux cent mille voix lors du référendum du 15 février dernier, l’amendement constitutionnel autorise le président Hugo Chávez à briguer un nouveau mandat présidentiel. Ce droit à se représenter s’étend à tous les élus des institutions gouvernementales. Dans une courte lettre personnelle, Fidel Castro a indiqué au président du Venezuela que la portée de cette victoire était « inestimable ». Le peuple révolutionnaire a fait la fête dans les rues jusqu’à l’aube. Les premiers mots de Chávez à l’issue du référendum ont pris pour cible la bureaucratisation et la corruption. Selon lui, c’est une nouvelle période de la révolution qui a commencé, la troisième depuis le Caracazo (1) de 1989.

Nombreux sont les problèmes, nombreuses les contradictions auxquelles sont confrontés le processus et le peuple révolutionnaire. Nombreuses sont les carences. La transition en est encore à ses prémices. Au cours des 13 derniers mois, trois élections ont mis à l’épreuve la force de la révolution bolivarienne et le leadership du président Hugo Chávez. Une défaite et deux victoires ont sanctionné ces trois confrontations. Néanmoins, au cours de l’année écoulée, des luttes ont donné une orientation plus précise au processus bolivarien. La lutte des travailleurs de Sidor (2) et leur victoire ont constitué une percée. L’intervention de la classe ouvrière et les mesures qu’elle a prises pour se défendre face à la crise économique internationale ont consolidé ce cours.

Le pays d’où rayonne la révolution bolivarienne va connaître une nouvelle épreuve du feu qui aura des conséquences sur toute l’Amérique Latine et une bonne partie de la planète. La démonstration va être faite, au milieu de la crise économique qui secoue le monde, qu’existe un modèle alternatif au capitalisme à bout de souffle de ce début du XXIe siècle. C’est depuis le laboratoire de la révolution bolivarienne que surgira la réponse à la question suivante : « La révolution bolivarienne va-t-elle progresser dans la transition vers des mesures socialistes ou allons-nous subir un nouvel échec ? »

Les mois à venir trancheront le dilemme. Le dernier mot reviendra, comme toujours, au résultat d’une lutte des classes, qui, au lieu de faiblir, s’accentue.

Une révolution combinée

Le processus révolutionnaire qui secoue le Venezuela est une combinaison de trois révolutions simultanées. La révolution bolivarienne est une révolution démocratique, elle est également une révolution anti-impérialiste et elle est aussi une révolution socialiste inconsciente et/ou en développement. En tant que processus, elle est une expérience de trois décennies de luttes des classes qui ont signifié la liquidation de l’ancien régime bipartite de la IVe République. Cette expérience a avancé dans le processus de nationalisation des ressources de base, elle a provoqué une redistribution du revenu national en faveur des secteurs les plus pauvres et marginalisés, elle a avancé aussi dans la résolution de vieux problèmes structuraux comme la santé et l’éducation — en s’appuyant sur les « missions » (3) — et elle a atteint un niveau d’organisation parallèle aux vieilles institutions de l’État.

Pour en arriver là, le processus révolutionnaire a dû prendre des mesures démocratiques comme la convocation d’une Assemblée Nationale Constituante, qui a établi la nouvelle Constitution Bolivarienne, elle-même approuvée ensuite par référendum. Tout en garantissant la propriété privée, cette Constitution est extrêmement démocratique. Par la suite, en utilisant les pouvoirs spéciaux octroyés par l’Assemblée Nationale, le président Chávez a pris possession de millions d’hectares de terres non exploitées et, sur la base de cette expropriation des grands propriétaires terriens, il les a remises aux paysans. L’extension, à un niveau jamais vu auparavant, des droits politiques et des libertés a également été mise à profit pour établir de nouvelles formes de propriété entérinées constitutionnellement. Ce processus de révolution est original dans la mesure où il se développe en ayant recours aux méthodes de la démocratie bourgeoise combinées à des expériences de formes nouvelles de pouvoir populaire. Depuis les Conseils Communaux jusqu’à la mise en place de ce qui est appelé « entreprises de production socialiste », tout n’est qu’expérimentation et recherche de nouveaux modèles de production.

La révolution est anti-impérialiste car elle conserve de forts éléments de défense de l’indépendance nationale face à l’impérialisme. Elle a pris, ces derniers mois, des décisions inédites comme l’expulsion de l’ambassadeur d’Israël pour protester contre le massacre perpétré dans la bande de Gaza. Même chose pour l’ambassadeur des États-Unis, en solidarité avec le gouvernement d’Evo Morales, quand celui-ci s’est vu menacé par le soulèvement de l’extrême droite de la Media Luna de Santa Cruz. A quoi s’ajoutent des mesures économiques et politiques qui font apparaître des niveaux importants d’indépendance du Gouvernement.

Il s’agit enfin, sur le plan inconscient, d’une révolution socialiste car, partie prenante de la féroce lutte des classes que connaît le processus, elle s’engage dans des mesures transitoires, bien qu’elle soit dépourvue d’un projet et d’une organisation révolutionnaire qui lui imprime une orientation claire en rupture tant avec le mode capitaliste de production qu’avec l’État bourgeois et ses institutions. Dans l’immédiat le processus transitoire se développe de façon spontanée et en tant que riposte face à l’offensive impérialiste.

Cette combinaison de révolutions a pour conséquence que le mouvement de masse se retrouve confronté à trois types de tâches simultanées : l’avancée dans les conquêtes démocratiques de nature politique et de fond ; la riposte à la contre-offensive permanente de l’impérialisme qui prend appui, dans la société, sur l’oligarchie créole ; et la tentative pour avancer vers des conquêtes qui lui soient propres, telles que les nationalisations, le contrôle ouvrier ainsi que la défense et l’amélioration de son niveau de vie.

Le mouvement de masse doit maintenant assumer la tâche complexe d’éviter que le poids de la crise mondiale ne s’abatte sur ses épaules et de faire en sorte que le prix à payer, incontournable désormais au Venezuela même, le soit par les capitalistes.

Nouvelle situation dans le mouvement de masse

Une des conclusions que l’on peut tirer de la victoire du 15 février tient à la participation active du mouvement de masse dans la bataille électorale. Un secteur important de ce mouvement de masse, non inscrit dans le Parti Socialiste Unifié du Venezuela (PSUV) mais dans les organisations sociales, culturelles et de toute autre sorte, a assumé, aux côtés des comités du parti, le poids de la campagne électorale. Voilà une des clés essentielles de la victoire. Le PSUV a été rejoint par les « missions », les organisations sociales et les fronts d’organisations ouvrières et de jeunesse. Chacun avec ses caractéristiques propres. Des « Comités pour le Oui » se sont aussi formés dans les entreprises, les syndicats, les secteurs territoriaux et sociaux.

Cette participation active et déterminée s’est produite sur la base de la reconnaissance de Chávez comme dirigeant incontesté de la révolution. La participation aux votes a été encouragée par le danger, perçu par tous les secteurs participant au processus révolutionnaire, de se retrouver divisés en cas d’impossibilité pour le président de se représenter. Cette participation a ainsi atteint des niveaux historiques, soit 70 % des inscrits, ce qui signifie un bond de plus de 10 % par rapport à la participation, à peine un mois et demi avant, aux élections régionales des Gouverneurs et des Maires. Le vote lui-même en faveur de Chávez a dépassé de 37 % celui qu’avait obtenu le chavisme au référendum du 2 décembre 2007.

Mais ce processus vient de bien plus loin. Au milieu de l’année, avec la victoire de la lutte des travailleurs de Sidor et la nationalisation de l’une des aciéries les plus importantes d’Amérique Latine, il s’est produit un réveil du mouvement ouvrier. Les conflits sur les salaires et sur les conventions collectives ont intégré des revendications politiques. Le changement du ministre du Travail a été obtenu. De mémoire de travailleurs, c’était l’un des plus réactionnaires. Une nouvelle génération de dirigeants a alors commencé à développer une forte activité : de jeunes militants ouvriers ont investi la direction de dizaines de syndicats. Ces jeunes ont inclu la lutte politique dans leurs plates-formes revendicatives. Les positionnements en termes d’approfondissement de la révolution et de lutte contre la bureaucratie ont été l’œuvre de ce secteur, ce qui a modifié une situation caractérisée par des mois de passivité de la part des travailleurs.

Cette action a également réactivé des débats politiques permettant ainsi la constitution d’un courant à la gauche du processus qui, bien que non structuré, manifeste des convergences programmatiques allant dans le sens d’un approfondissement de la révolution. C’est une génération de classe, révolutionnaire et revendiquant, bien que confusément, le socialisme. Eux et des milliers de jeunes, essentiellement dans les organisations sociales et les collectifs qui œuvrent à l’intérieur et à l’extérieur du PSUV, ont agi de manière décisive aux côtés des « missions » en faisant preuve d’une efficacité que le parti n’avait pas démontrée aux élections régionales du 23 novembre.

Nécessité d’organiser la gauche de la révolution bolivarienne

Tout en soulignant l’importance et la netteté de la victoire du chavisme au référendum qui a entériné l’amendement électoral, nous ne devons pas négliger la bonne campagne électorale menée par la droite. Le « Non » a aussi augmenté par rapport au référendum de décembre 2007 et a mobilisé, cette fois, une partie de ceux qui s’étaient abstenus. De toute évidence le processus de polarisation sociale et politique s’approfondit et les erreurs, les difficultés, la bureaucratisation et la corruption qui se nichent dans le processus révolutionnaire, toutes ces carences reconnues et appelées, par le président Chávez lui-même, à être combattues, écœurent un secteur du chavisme. Lequel accorde toujours sa confiance à son dirigeant mais remet en cause avec sévérité les actions de ses ministres et d’une grande partie de son gouvernement.

C’est dans ce cadre et en considérant que les conséquences de la crise économique mondiale se feront sentir au Venezuela plus fortement encore que cela n’a été le cas jusqu’à maintenant, que la dynamique de radicalisation s’aiguisera. C’est ce que montre, depuis l’an passé, l’implication croissante dans l’action des travailleurs et des secteurs populaires. Il y aura sans aucun doute une augmentation des conflits sociaux. Et le niveau des violences s’accroîtra. L’assassinat de trois dirigeants importants de l’Union Nationale des Travailleurs (4) de l’État d’Aragua, qui reste une affaire non éclaircie, et l’assassinat, par la police de l’État d’Anzoátegui, de deux ouvriers de la multinationale Mitsubishi à l’intérieur même de l’entreprise, tout comme celui d’un dirigeant paysan, donnent un avant-goût de cette augmentation de la violence.

En même temps, une discussion se fait jour à l’intérieur même du chavisme autour de la recherche d’une sortie de la crise économique et sur le choix des secteurs sociaux qui devront payer le prix de cette sortie. De ce point de vue, en considérant aussi la nécessité de développer les luttes sociales pour les mener à la victoire, il devient indispensable de structurer un fort courant de gauche dans tous les secteurs se réclamant de la révolution et étant présents dans le processus, soit à l’intérieur, soit à l’extérieur du PSUV. Marea Socialista se propose aussi d’avancer vers l’unité si nécessaire du mouvement ouvrier, que ce soit par la refondation de l’UNT ou par d’autres accords permettant d’atteindre cette unité.

La troisième période de la révolution annoncée par le président se présente comme une période de plus grande polarisation et de plus grands affrontements, où la réponse du gouvernement mettra en évidence si l’on continue à avancer dans la transition au socialisme. La réponse finale, ce sont les masses bolivariennes et leur volonté de lutter qui vont l’apporter. ■

Traduit par Antoine Rabadan.

Notes

1. Émeutes populaires fin février 1989, à Caracas et dans d’autres villes, contre l’augmentation des prix des transports, réprimées dans le sang sous la houlette du président Carlos Andrés Pérez (Acción Democrática, membre de l’Internationale socialiste). Le bilan officiel avança le chiffre de 297, les bilans non officiels vont jusqu’à 3000 morts.

2. Sidor, la principale entreprise sidérurgique du Venezuela, a été nationalisée à la suite d’une longue grève. Cf. Rouge n° 2249 du 24 avril 2008.

3. Les « Missions bolivariennes » est le nom générique donné par Hugo Chávez à une série de programmes sociaux : alphabétisation, éducation, alimentation, assistance médicale, habitat, droits indigènes etc.

4. Unión Nacional de Trabajadores (UNT) est une nouvelle centrale syndicale créée par des syndicalistes engagés dans le processus bolivarien en 2003, pour remplacer l’ancienne Confédération des Travailleurs du Venezuela (CTV) bureaucratisée et corrompue sous le contrôle de l’Acción Democrática. De nombreux syndicats se sont désaffiliés de la CTV pour rejoindre l’UNT, renforçant en son sein un secteur bureaucratisé et conciliant, qui a bloqué son congrès constituant, provoquant une nouvelle division.