BOLIVIE
Rouge n° 2251, 08/05/2008
Après le référendum de Santa Cruz
Dimanche 4 mai, avec 85 % des voix, la population de la région de Santa Cruz a massivement approuvé le statut d’autonomie soumis à référendum. Mais l’abstention massive – environ 40 % – confirme que l’hégémonie de la droite dans cette zone est fortement contestée par le mouvement populaire.
Le statut d’autonomie soumis au vote, à Santa Cruz, reflète les intérêts d’une droite aujourd’hui retranchée dans ses bastions. Décidée à refuser en l’état la nouvelle Constitution approuvée le 14 décembre 2007 (lire Rouge n° 2231), elle a opté pour une stratégie qui s’apparente à un véritable passage en force. C’est ainsi que les principales institutions de la ville, tenues par les élites locales, tels que le Comité civique (qui articule pour l’essentiel les groupes patronaux) et la préfecture, se sont attelées à l’élaboration d’un statut chargé de donner un contenu à l’autonomie départementale adoptée à l’issue du référendum du 2 juillet 2006 – sans que ses membres n’aient été élus avec un tel mandat.
À la lecture de ce statut, il ne fait aucun doute que ses auteurs ont cherché à se prémunir de toute politique gouvernementale qui puisse potentiellement affecter leurs intérêts. Ainsi en va-t-il de la propriété foncière, exemple qui symbolise à lui seul l’esprit de ce texte. À ce jour, la superficie maximale de terres autorisée en Bolivie est de 50 000 hectares. Alors que le nouveau texte constitutionnel prévoit une réduction drastique de cette limite à 5 000 ou 10 000 hectares, laissant ainsi augurer d’un processus de liquidation des latifundiums, le Comité civique, dont les membres sont pour la plupart à la tête de grands domaines, accorde au futur gouverneur départemental, et à lui seul, la compétence d’attribuer des titres de propriété. Une prérogative qui priverait le pouvoir central de la possibilité de contester la validité de ces titres, ce qu’il est encore en mesure de faire aujourd’hui.
Le référendum visant à approuver le statut a été convoqué au mépris de la légalité, dans un contexte de refus systématique de tout dialogue, tant avec le gouvernement qu’avec des médiateurs internationaux. N’ayant fait l’objet d’aucune loi au sein du Congrès, le référendum ne s’appuie, en effet, sur aucun cadre légal. Il a fallu la complicité d’une Cour départementale électorale, devenue à la fois juge et partie, pour qu’il soit mené à son terme. Pour compenser l’absence d’assesseurs indépendants et d’observateurs internationaux (la totalité des institutions internationales ayant refusé de légitimer cette consultation électorale), celle-ci a dû faire appel aux membres de l’Union des jeunesses de Santa Cruz (UJC), un groupe de choc dont la notoriété s’est forgée au fil des agressions répétées contre toute mobilisation paysanne à Santa Cruz.
Dans ce contexte, il n’est guère surprenant que la « fête démocratique » vantée par le Comité civique et ses alliés, que les organisations sociales avaient décidé de boycotter en appelant à l’abstention et à la désobéissance civile, se soit convertie en une parodie de démocratie. Aux menaces de représailles à l’encontre des potentiels abstentionnistes les semaines précédant le scrutin, ont succédé, le jour du vote, de multiples dénonciations d’irrégularités, ainsi que des opérations « coup-de-poing » conduites par l’UJC, sur fond de racisme non dissimulé contre les habitants des zones rurales et des quartiers populaires ayant opté pour le refus d’y ouvrir des bureaux de vote.
Reste à savoir sur quoi débouchera la séquence politique initiée par la consultation de Santa Cruz, qui sera bientôt suivie par d’autres référendums dans le Beni et le Pando (1er juin), puis à Tarija (22 juin). Pour l’heure, les hypothèses de sécession ou de guerre civile en Bolivie, répandues au sein de la gauche radicale, ne sont guère plausibles. Si la droite a plutôt cherché à imposer au gouvernement Morales une négociation sur les autonomies par le biais de ces scrutins, la victoire à la Pyrrhus acquise dimanche dernier affaiblit paradoxalement sa position. La situation d’Evo Morales n’est pas enviable pour autant. Le voici en effet confronté à un drôle de dilemme : si la négociation apparaît comme la seule sortie de crise envisageable, celle-ci suppose de revoir la dernière mouture de la nouvelle Constitution. Ce que refusent légitimement les organisations populaires et le Mouvement vers le socialisme (MAS), pour lesquels ce texte constitue l’aboutissement d’un cycle de luttes sociales long de plus de dix ans.
De La Paz, Hervé Do Alto