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Brésil : Au pays de Lula, combattre la pauvreté avec les pauvres

mardi 6 avril 2010, par BETTENCOURT Carlos


Paru en Suisse dans l’Anticapitaliste n° 20 du 4 mars 2010.


Le corps du caïd assassiné gît dans son sang sur le sol de la favela. A l’arrivée de la police, les tueurs, membres d’un gang rival, sont encore sur place, le temps que les keufs leur taxent les pompes en croco piquées sur le corps encore chaud étendu sur le sol. La scène, filmée par une grande chaîne de TV s’est passée il y a quelques semaines à Rio de Janeiro. Dans un Brésil qui après avoir obtenu les J.O. s’apprête, après deux mandats du président Lula, à voter. L’occasion pour l’Anticapitaliste de s’entretenir avec Carlos Bettencourt, militant à Rio du parti du socialisme et de la liberté, le PSoL.


L’anticapitaliste : Deux mandats de Lula, le Parti des travailleurs au gouvernement depuis huit ans. Quel bilan ?

Carlos Bettencourt : Il faut différencier entre deux phases, celle qui court de 2003 à 2006, le premier mandat, et celle qui l’a suivie. Dès son arrivée la tête de l’Etat, Lula a voulu donner des gages à la bourgeoisie en se soumettant aux diktats du Fonds monétaire international et de la banque mondiale. Ca a été la période des attaques contre le système des pensions.

Et l’autre phase ?

Et puis il y a eu la phase sociale-libérale, celle durant laquelle la poursuite de la politique néolibérale s’est combinée avec des mesures sociales et progressistes. Tout en continuant à rembourser la dette, le gouvernement a par exemple adopté le plan national de défense des droits humains, pris position une position critique face au coup d’Etat au Honduras ou encore élargi le programme Bolsa familia.

Quand t’as rien, deux dollars c’est beaucoup.

C’est un programme fondé sur la distribution de deux dollars par jour à 20 millions de personnes, soit 10% de la population. Et deux dollars par jour, quand t’as rien, … c’est beaucoup. C’est pour cela qu’il bénéficie toujours du soutien de certains secteurs sociaux de gauche comme, par exemple, celui du mouvement des sans terre, le MST. Mais, il ne faut pas oublier que sous Lula, le transfert des richesses du travail vers le capital s’est poursuivi. Ainsi, en 1996, la part des salaires dans l’économie nationale représentait 56%. Elle n’est plus que de 42% aujourd’hui.

Donc, le PT s’achemine vers la défaite électorale…

C’est loin d’être sûr. Lula dispose d’une grande popularité, et elle va servir la candidate du PT Dilma Rousset. Et puis, je crois que les bourgeois ont encore besoin du PT pour faire passer leurs projets, d’autant que Lula reste populaire. On verra.

Et puis, Lula est celui qui a amené les jeux olympiques à Rio…

Oui, parlons-en ! Les J.O. vont avoir des conséquences. Et pas des moindres. A commencer par la « pacification » des favelas parfois à coups de flingues ou par le nettoyage général de la ville, c’est-à-dire par l’élimination des petits marchands de rue pour rendre la ville « plus propre ».

Les J.O pour réorganiser Rio

Et puis, évidemment, il y a la réorganisation urbaine, la spéculation immobilière poussant les populations en dehors du centre. Cela n’a pas encore commencé, mais cela ne saurait tarder. Ce sont les loyers qui vont augmenter un peu partout dans le centre et dans le quartier portuaire.

Et puis, il y aura une mise sous tutelle des favelas par les PM, la police militaire. Je te laisse imaginer, je laisse ceux qui lisent ton canard imaginer ce que ça ce que ça veut dire…

Les favelas, justement, il s’y passe pourtant des choses et c’est dans les favelas qu’habite un tiers de la population…

Oui, évidemment, il y a des choses qui se passent. Il y a d’abord les ONG qui y travaillent. Et puis les associations de moradores, les locataires. Mais nous, comme parti, nous y intervenons aussi. Sous des formes particulières, mais nous y faisons de la politique du côté des habitants, avec eux. Nous le faisons à travers de la musique, du funk. C’est la musique des jeunes des favelas, criminalisée par les bienpensants, comme le fut en son temps le samba, parce que ce n’était pas la musique des dominants. On veut l’interdire à Rio.

Le funk, culture brimée

Avec l’Afafunky, l’association des producteurs et des amis du funk, nous menons une campagne dans la favela favorisant la culture funk. Avec elle, nous organisons les cercles d’amis du funk pour contrer le projet de loi qui veut interdire cette musique. Ca a peut être l’air ridicule, mais ça l’est moins quand tu sais que, lorsqu’ils interviennent dans la favela, les militaires mènent la guerre psychologique d’abord, en diffusant par haut parleur des messages qui disent « me voilà, je suis venu te prendre ton âme ». Ce n’est pas rien, d’autant que ces messages ont suivis des blindés, ceux spécialement conçus pour la favela.

C’est la guerre contre les pauvres…

Oui, évidemment, c’est la guerre contre les pauvres qu’ils mènent, c’est la criminalisation de la pauvreté. Nous nous y opposons par des campagnes que nous menons notamment avec l’association des mères des fils tués, ces gamins morts assassinés, victimes de la violence et de la pauvreté… C’est avec elles que nous travaillons, aussi.

Propos recueillis par Paolo Gilardi


BETTENCOURT Carlos
* Paru en Suisse dans l’Anticapitaliste n° 20 du 4 mars 2010.