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Face à la finance mondiale : le peuple grec montre l’exemple

mardi 7 septembre 2010, par Jean Batou


A paraître en Suisse dans lle prochain numéro de « solidaritéS » (n° 168).

18 mai 2010


Au moment où nous mettons sous presse, la Grèce est à la veille d’une cinquième grève générale depuis le 17 décembre dernier, convoquée le 20 mai, à l’appel des deux grandes centrales syndicales du public et du privé. L’épreuve de force s’installe dans la durée. Son issue sera décisive pour l’Europe toute entière. Au-delà du piquet du 5 mai devant la mission grecque à Genève, notre solidarité doit se poursuivre et s’intensifier.

Après les Etats Baltes, la Grèce se trouve aujourd’hui exposée aux rigueurs extrêmes d’un Plan d’ajustement structurel, cette fois-ci sous la houlette combinée du FMI et de l’Union Européenne (avec impossibilité de dévaluer sa monnaie). En effet, le soi-disant « sauvetage de la Grèce », concocté par le « socialiste » Strauss-Kahn et voté par les députés unis du PS et de l’UMP à L’Assemblée Nationale française, n’est en réalité qu’un formidable marché de dupes. Son objectif : débarrasser au plus vite les grandes banques allemandes et françaises des « titres pourris » de la dette extérieure d’Athènes (300 milliards d’euros) en prêtant 100 à 130 milliards d’euros sur trois ans au gouvernement Papandreou contre l’engagement ferme d’en faire payer le prix au peuple grec.

Accroître les inégalités

Le cynisme des « mécènes » européens est à son comble, puisque les créanciers vont prêter au taux de 5% des fonds qu’ils empruntent à 3% sur les marchés financiers, et que les banques commerciales obtiennent de la Banque centrale européenne (BCE) à 1%, chacun réalisant un important profit au passage sur le dos du peuple grec. En effet si la BCE n’a pas la possibilité de refinancer les Etats, elle a la compétence de prêter aux banques à des taux pratiquement nuls, et ceci en pleine crise financière…

Ce prêt est conditionné à une baisse généralisée des salaires du public et du privé, alors que le salaire moyen n’est que de 1200 euros par mois (le FMI parle d’une diminution globale de 10 à 15%). Il vise une réduction massive de l’emploi (non remplacement de 4 départs à la retraite sur 5 dans le public, facilitation des licenciements dans le privé). Il impose une cure d’amaigrissement aux prestations sociales (prolongation de la durée de cotisations, élévation de l’âge de la retraite à 67 ans et baisse des rentes). Il prévoit une réduction des services publics (éducation et santé) et la privatisation de secteurs essentiels (chemins de fer, eau, énergie). Il exige une taxation accrue des classes populaires (TVA passant de 19% à 23%) qui exonère la fortune et les revenus des nantis. Avec un taux de chômage qui dépasse déjà 10%, ces mesures ne peuvent que précipiter le pays dans une récession durable, un endettement cumulatif et une perte de souveraineté croissante au profit de la finance internationale.

Un modèle pour le capital européen

Par ricochet, ces conditions draconiennes donnent le ton aux autres Etats européens qui préparent leurs plans d’austérité, d’abord dans la périphérie de l’euro-zone aux économies les plus fragiles : les PIGS (cochons, en anglais), dans le jargon méprisant des institutions financières (Portugal, Irlande, Italie, Grèce et l’Espagne). Mais aussi au Royaume-Uni et en France, dont les dettes publiques dépassent très largement 60% et les déficits 3% du PIB (critères de Maastricht). Ainsi, la crise actuelle du capitalisme, liée pourtant à une insuffisance structurelle de la demande solvable (dépenses de consommation des ménages et investissements des entreprises), se traduit-elle aujourd’hui par la volonté de répartir les revenus de façon plus inégalitaire encore, au profit d’activités financières toujours plus parasitaires.

Rappelons le fil des événements. L’explosion de la bulle des subprimes aux Etats-Unis et la panique financière qui s’en est suivie, à l’automne 2008, a amené les Etats à mobiliser des milliers de milliards de dollars pour renflouer les banques, soutenir les industries clés et éviter une grave dépression économique. D’où un accroissement colossal de l’endettement public. Aujourd’hui, le coût de ces efforts en faveur du capital financier est reporté sur les travailleurs-euses et les populations du monde entier, contribuant à accroître encore le déséquilibre entre offre potentielle et demande solvable, entre capitaux en friche et demande sociale insatisfaite… Une telle fuite en avant ne peut conduire qu’à une montée de la colère et de la révolte sociales, mais aussi des réponses autoritaires des dominants, dans le but d’assurer la pérennité d’un système de plus en injuste et instable.

Les Grecs ont osé dire non

Dans un tel contexte, la mobilisation massive du peuple grec est une leçon pour toute l’Europe. En effet, la victoire électorale du Pasok (Parti socialiste), à la fin 2009, avait déjà marqué une volonté populaire de rompre avec les politiques antisociales du précédent gouvernement de droite. C’est pourquoi, malgré les appels à la modération des syndicats liés à la social-démocratie, les nouvelles coupes budgétaires de l’administration Papandreou ont suscité un vaste mouvement de résistance à la base qui a conduit à la grève du 17 décembre, initiée par les enseignants, qui s’est rapidement généralisée à d’autres secteurs, en dépit de l’abstention des grandes centrales.

Ce n’est que dans un deuxième temps, que les directions syndicales du secteur public ont tenté de chevaucher le tigre en appelant à la grève du 10 février, qui a amené les syndicats du privé à se joindre à la seconde grève générale du 24 février. A ce moment, l’annonce des premières coupes brutales exigées par l’UE est apparue comme une provocation, justifiant la troisième grève générale du 11 mars, très massivement suivie. La généralisation du mouvement a même donné naissance à un nouveau syndicat de travailleurs immigrés…

La nécessité d’une grève illimitée commençait alors à être débattue à la base, même si les syndicats convoquaient encore une quatrième grève générale de 24h. le 5 mai, qui a représnté un nouveau succès. Le fait que trois personnes aient trouvé la mort dans l’incendie d’une banque, dont le patron avait contraint les employé-e-s à travailler et condamné toutes les issues, a certes porté un coup au mouvement, mais il n’a pas empêché la convocation d’une cinquième grève générale de 24h pour le 20 mai…

Solidarité avec le peuple grec

L’issue de la confrontation dépend maintenant de la capacité de la gauche syndicale et des forces anticapitalistes grecques d’unifier la population autour du mouvement, mais aussi de renforcer sa mobilisation et de radicaliser ses revendications. Elle dépend aussi de la solidarité européenne que nous pourrons développer, qui est aujourd’hui beaucoup trop faible. En Suisse, nous devons exiger la levée du secret bancaire et la transmission d’informations au fisc grec sur les dépôts non déclarés des fortunes de ce pays, qui se monteraient à 36 milliards de francs (selon Sonntag.ch du 2 mai 2010).

Hugo Harari Kermadec et Catherine Samary, du groupe de travail économie du NPA, ont raison de souligner que « le carcan euro-FMI » vise à bloquer tout débat sur les mesures que pourrait décider démocratiquement le peule grec, notamment « l’ouverture des livres de compte » de l’Etat, des banques et des entreprises [1]. Le 7 mars dernier, les Islandais ont refusé massivement par référendum (93% de NON) le plan de remboursement de 3,8 milliards d’euros (11 200 euros par hab.) réclamé par le Royaume-Uni et les Pays-Bas afin d’indemniser leurs investisseurs. Pourquoi le peuple grec n’irait-il pas plus loin, comme le propose François Chesnais, en répudiant purement et simplement sa dette publique (28 000 euros par hab.) [2]. En effet, ne s’agit-il pas d’une « dette odieuse » résultant de la défiscalisation – légale et frauduleuse – des nantis, de la multiplication de chantiers pharaoniques (jeux olympiques de 2004), mais aussi de commandes d’armes délirantes (cf. Europe-solidaire.org).

Jean Batou


BATOU Jean
Notes[1] Voir sur ESSF : Crise en Europe : racket organisé contre la Grèce

[2] Voir sur ESSF : La dette de la Grèce : quel mot d’ordre faut-il défendre ?

* A paraître en Suisse dans lle prochain numéro de « solidaritéS » (n° 168).