INTERVIEW
BARGHOUTI Omar, COURT Mireille, DEN HOND Chris
19 mai 2009
Tiré du site Europe Solidaire sans Frontière
Omar Barghouti est un membre fondateur de la campagne palestinienne pour le boycott académique et culturel d’Israël. Cette campagne fait partie du mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions), qui date de 2005, un an après la décision de la Cour Internationale de Justice contre le mur israélien et les colonies construites sur les territoires palestiniens. Il a été soutenu par plus de 170 syndicats, forces politiques, organisations, associations en Palestine. Ils représentaient la société civile partout en Palestine, à l’intérieur des territoires occupés, en Israël et en exil.
Omar Barghouti : Les Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza sous occupation israélienne sont une minorité du peuple palestinien. La grande majorité du peuple palestinien sont des réfugiés, qui sont en exil, victimes du nettoyage ethnique d’Israël en 1948 et depuis 1948.
Ce que dit l’appel BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions) c’est que, puisque la communauté internationale n’a pas été capable de demander des comptes à Israël sur ses violations de la loi internationale et des droits de l’homme, nous appelons la société civile internationale à prendre ses responsabilités pour qu’elle montre sa responsabilité morale, pour qu’elle demande des comptes à Israël en mettant en œuvre le Boycott, le Désinvestissement et les Sanctions.
A quoi appelons-nous exactement ? Nous appelons à mettre fin à trois injustices fondamentales qu’Israël commet contre le peuple palestinien : l’occupation, la colonisation, le système de discrimination raciale contre les Palestiniens à l’intérieur d’Israël, qui est une forme spécifique israélienne d’Apartheid ainsi que la négation des droits des réfugiés palestiniens. Les réfugiés palestiniens ont droit au retour dans leurs foyers en accord avec les résolutions de l’ONU et Israël leur refuse ce droit. L’appel BDS est basé sur le droit, pas sur la recherche d’une solution. Il se concentre sur les trois droits fondamentaux et légitimes des Palestiniens. Nous appelons le monde à boycotter Israël, et désinvestir d’Israël et des compagnies qui soutiennent Israël jusqu’à ce qu’Israël accepte de se plier au droit international et nous accorde nos droits fondamentaux.
ISRAEL = PROJET COLONIAL
Depuis 1948, Israël a été créé sur la destruction de la société palestinienne. Donc ils ont détruit la société palestinienne et expulsé la plupart des Palestiniens – entre 750.000 et 850.000 Palestiniens ont été expulsés, ont été victimes d’un nettoyage ethnique de fin 1947 à 1949, la majorité des Palestiniens a été expulsée pour faire « de la place » aux immigrants juifs venant d’Europe pour fuir l’Holocauste. C’était un projet colonial dès le début avec l’intention de briser la société palestinienne, pour empêcher les Palestiniens de se réorganiser en tant que société. Les Palestiniens ont été immédiatement segmentés entre les Palestiniens de l’intérieur de ce qui est devenu Israël, les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza ainsi que les Palestiniens réfugiés. Cette segmentation continue.
Donc Israël très lentement, mais de façon très persistante ne se contente pas d’un nettoyage ethnique des Palestiniens, mais détruit la possibilité du développement d’une société palestinienne à l’intérieur de la Palestine historique.
ENTREPRISES PALESTINIENNES DETRUITES
Depuis qu’Israël a occupé la Cisjordanie et Gaza en 1967, depuis 42 ans et jusqu’à maintenant, Israël a systématiquement et très volontairement détruit les entreprises palestiniennes. Israël a détruit la possibilité d’une économie palestinienne indépendante et d’une industrie palestinienne indépendante. Nous avons très peu d’industries et la plupart sont très petites. Israël contrôle toutes les frontières, contrôle l’importation et l’exportation, donc nous sommes un marché captif pour Israël. Ils veulent vendre leurs produits et la meilleure méthode est de détruire notre capacité à produire nos propres produits.
Les colonies sont illégales aux yeux de la loi internationale. Selon la 4e convention de Genève, déplacer des parties de la population du pays occupant vers le pays occupé constitue un crime de guerre. Mais Israël les construit fondamentalement pour aider au nettoyage ethnique des Palestiniens.
LE MUR SEPARE LES PALESTINIENS DE LEURS TERRES
Israël veut les meilleures terres, les meilleures terres agricoles et les points d’eau, les réserves d’eau pour que les Palestiniens ne puissent pas vivre en Palestine. Ca a toujours été la politique israélienne. Tous les gouvernements, de gauche, de droite et de centre, ont tous gardé ce principe : faire tout ce qu’il faut pour rendre la vie invivable à une majorité des Palestiniens pour qu’ils s’en aillent. Ca a marché jusqu’à un certain point. Beaucoup de Palestiniens sont partis parce qu’ils ne peuvent pas gagner leur vie en Palestine. Quand un fermier ou une fermière perd sa terre parce que le mur lui a pris sa terre, ils n’ont plus les moyens de vivre. Ils ne peuvent plus continuer, s’ils ont des enfants, ils ne peuvent plus assurer le bien-être de leurs enfants. Et donc souvent ils pensent à partir, à aller ailleurs, où ils peuvent, pour nourrir leurs familles. Donc Israël a fait cela de façon très consistante. Le mur a été le dernier chapitre dans ce processus de colonisation. Ca va très bien avec la construction des colonies, construire le mur pour confisquer les meilleures terres agricoles et les sources. Beaucoup de gens disent : « C’est un mur de séparation. » Eh bien, il sépare les Palestiniens de leurs terres. L’intention n’est pas seulement de séparer les Palestiniens des Israéliens. C’est une fausse façon de voir les choses. Il sépare les Palestiniens de leurs moyens d’existence : de leurs terres, de leurs centre-villes, de leurs hôpitaux, de leurs écoles. C’est ça le but principal du mur. Rendre la vie invivable aux Palestiniens.
NETTOYAGE ETHNIQUE PREMEDITE
Depuis qu’Israël a été créé, c’est connu, les historiens ont des documents là-dessus, il a été créé sur la Nakba, le nettoyage ethnique massif et systématique qui a été prémédité. Il a été très bien planifié par Ben Gourion et les autres dirigeants israéliens des années avant le plan de partition, donc ce n’était pas une réaction à quoi que ce soit, contrairement à ce qu’Israël dit maintenant. C’était un plan prémédité pour se débarrasser de la majorité des Palestiniens. Depuis cette époque, les Israéliens dans l’ensemble ont nié la Nakba, ils nient le nettoyage ethnique des Palestiniens qu’ils ont réalisé. Et ce déni n’est pas très différent du déni de l’Holocauste en fait. Sans parler des différences – et il y a d’énormes différences entre l’Holocauste et la Nakba, dont je ne vais pas parler maintenant, il n’y a pas de comparaison entre les deux injustices – mais les juifs israéliens ont majoritairement nié leur participation, leur rôle dans la Nakba, et c’est très proche de la négation de l’Holocauste.
Jusqu’à maintenant, une grande majorité des partis politiques israéliens, tous les partis sionistes, de gauche, de droite et du centre, ont nié la Nakba. Donc ils le justifient parce que leurs super victimes, les victimes de l’Holocauste, ont des droits supérieurs plus importants que les indigènes palestiniens, musulmans, chrétiens et juifs – les indigènes palestiniens incluent des juifs aussi. Ce discours profondément raciste, qui considère la population indigène comme des sous humains, ce n’est pas quelque chose de nouveau que les Israéliens ont inventé. Les Français en Algérie ont fait la même chose, au Vietnam, et les Britanniques et les Hollandais, les Européens ont l’habitude de ce principe colonial qui consiste à considérer les indigènes comme des sous humains, si tant est que ce soit des humains.
BOYCOTT DES INSTITUTIONS ISRAELIENNES...
Les institutions israéliennes, et particulièrement les universités, les institutions culturelles, économiques, sportives sont toutes complices. La complicité n’est pas seulement par le silence, ce n’est pas seulement qu’ils ne condamnent pas l’occupation, ce qui est un fait. Aucune université israélienne n’a jamais condamné l’occupation. Aucun syndicat d’enseignants israéliens n’a jamais condamné l’occupation ni appelé à mettre fin à cette occupation. Aucun, jamais. Le nombre total des universitaires israéliens qui a ouvertement appelé à mettre fin à l’occupation est de quelques centaines sur un nombre de 9000. Donc les universitaires israéliens sont comme tout le monde en Israël, très complices dans l’oppression. Malgré cela, le but de notre appel au boycott n’est pas les individus, il s’adresse aux institutions et c’est très important. Un boycott institutionnel appelle à boycotter les institutions à cause de leur complicité.
Les institutions culturelles et universitaires jouent un rôle extrêmement important dans la justification de tout le système de l’oppression. L’oppression n’existe pas seulement par l’intermédiaire des tanks et des avions, elle existe par de nombreux petits ambassadeurs qui sortent du pays et présentent une fausse image et qui justifient tous les crimes que les Israéliens commettent. Tout à fait récemment, les massacres israéliens à Gaza, des crimes de guerre massifs ont été commis par l’armée israélienne à Gaza, ce n’est pas seulement l’armée israélienne qui est coupable de ce massacre et des graves violations de la loi internationale, c’est tout l’establishment israélien, y compris les institutions universitaires, culturelles et autres. Pas seulement parce qu’ils n’ont rien dit contre les massacres – bien sûr ils sont restés silencieux, il n’y a pas eu de condamnation – ils les ont complètement soutenus. Ils sont apparus en soutien complet aux massacres en les justifiant « pour combattre la terreur palestinienne, c’est une riposte » et en donnant toutes les raisons possibles pour que le monde croie que c’était un type d’action qui relevait de l’autodéfense et pas un crime de guerre. Donc ils ont joué un rôle essentiel dans la justification des crimes de guerre. Bien sûr ils doivent être boycottés. Le deuxième argument est l’Afrique du Sud.
... COMME EN AFRIQUE DU SUD
Des gens qui disent maintenant que nous ne devrions pas boycotter les universités israéliennes, qu’est-ce qu’ils ont fait dans les années 80 ? Est-ce qu’ils n’ont pas eux-mêmes boycotté les institutions universitaires sud-africaines ? En fait le boycott sud-africain était un boycott total contre toute chose et toute personne d’Afrique du Sud, pas seulement les institutions. Le boycott palestinien est contre les institutions. Les mêmes personnes qui dans les années 80 ont rejoint un boycott total contre tout ce qui était sud-africain et l’Apartheid sud-africain sont les mêmes personnes qui disent hypocritement maintenant que nous ne devrions pas boycotter Israël. C’est de l’hypocrisie, c’est deux poids deux mesures et c’est traiter Israël comme une exception.
BOYCOTT SPORTIF, ARTISTIQUE, ACADEMIQUE
C’est la même chose pour les équipes sportives, pour les groupes musicaux, il n’y a pas de différence. Ils sont complices de la justification des crimes de guerre israéliens. Ils vont en Europe et jouent de la musique, jouent des compétitions sportives comme si Israël était un Etat comme les autres et pas un Etat colonisateur, un Etat d’Apartheid. Ils aident à maintenir cette fausse image d’Israël en tant qu’Etat démocratique éclairé entouré d’une mer d’Arabes barbares. Cette image n’a pas été cultivée seulement par le ministère des affaires étrangères israéliens ou par l’armée. Elle a été principalement cultivée par les institutions culturelles, par les institutions universitaires et leurs participations dans des événements dans le monde entier. Donc bien sûr, les équipes sportives doivent être boycottées comme les équipes sportives sud-africaines l’ont été. Donc encore une fois, nous ne sommes pas en train de réinventer la roue.
L’appel palestinien au boycott a commencé en 2004-2005. Quelques années plus tard, nous avons déjà un soutien important de la part de syndicats importants, même en Europe, même au Canada et ça commence aux Etats-Unis aussi. Ce n’est pas un mouvement marginal, ça devient de plus en plus populaire, soutenu par des gens du poids comme John Burger et des artistes importants dans le monde entier soutiennent le boycott, Naomi Klein au Canada etcetera. C’est un mouvement qui prend de l’ampleur. En comparaison, l’appel au boycott de l’Afrique du Sud a commencé à la fin des années 50 et la société civile internationale a commencé à réagir dans les années 80. Les actions les plus importantes du boycott se sont déroulées dans les années 80. Il y a eu quelques actions pionnières du boycott dans les années 70, mais le boycott le plus important a été dans les années 80, ça a pris entre 25 et 30 ans pour que les Sud-africains voient une réaction. Nous avons vu une réaction beaucoup plus importante dans les principaux syndicats en 4 à 5 ans. Donc ça marche.
Nous espérons que la société civile partout dans le monde rejoindra la campagne BDS comme la campagne la plus efficace politiquement et moralement et par des moyens à notre portée pour qu’Israël rende des comptes, pour en finir avec l’impunité d’Israël, avec l’oppression d’Israël et pour donner une chance quelconque à un espoir de paix dans l’avenir.
BARGHOUTI Omar, COURT Mireille, DEN HOND Chris
* Propos recueillis par Mireille Court et Chris Den Hond, le 19 avril 2009 à Ramallah.