Traduction : ’’À l’encontre’’
Guillermo Almeyra est professeur à l’UNAM (Mexique) et publie régulièrement des chroniques dans le quotidien La Jornada.
7 aoüt 2009
Le coup d’état au Honduras n’avait pas seulement pour objectif de liquider le maillon le plus faible de l’Alba (Alternative bolivarienne pour les Amériques), le Honduras, avec son président Manuel Zelaya qui, malgré son origine conservatrice, a entrepris de timides réformes sociales et qui, pour des raisons économiques, s’est rapproché du Venezuela, ce qui a suffi à le faire passer aux yeux de certains pour un dangereux « révolutionnaire ».
Le coup d’Etat avait aussi pour objectif de renforcer la déstabilisation au Guatemala (où le président Alvaro Colom [dont le mandat, initié en 2008, se terminera en 2012] est actuellement en point de mire de l’impérialisme) ; au Salvador (où le Front Farabundo Marti de Libération National a gagné le gouvernement, mais non le pouvoir, lequel continue à être aux mains de l’extrême droite) ; et finalement au Nicaragua.
Par l’intermédiaire de leurs serviteurs, les Etats-Unis entendent ainsi renforcer stratégiquement ce corridor fragile du Plan Mérida [appelé aussi Plan Mexico : c’est un plan de « sécurité » établi entre les Etats-Unis, le Mexique et les gouvernements d’Amérique centrale] que constitue l’isthme d’Amérique centrale. Et cela pour établir et assurer un corridor pour la domination états-unienne allant du Mexique jusqu’en Colombie. Ce pays, sous la dictature de Uribe [président colombien], deviendrait ainsi une tête de pont, une sorte d’Israël en Amérique du Sud, permettant d’assurer le contrôle sur le Venezuela, les Caraïbes, l’Equateur et le Brésil.
Le coup civique et militaire a été soigneusement préparé dans la base états-unienne de Soto Cano, en présence de Llorens, l’ambassadeur des Etats-Unis [voir l’article publié sur ce site en date du 27 juillet 2009]. Llorens était au courant à l’avance du coup, mais est parti avec sa famille pour ne pas avoir l’air trop lié aux gorilles honduriens formés par les Etats-Unis.
Llorens connaît d’ailleurs ces individus depuis l’époque de John Dimitri Negroponte [ambassadeur au Honduras de 1981 à 1985, pour organiser la lutte armée contre le Nicaragua sandiniste] et le Irangate (l’armement des contras nicaraguayens avec des armes en provenance du Honduras et payées par la CIA avec l’argent de la drogue).
Negroponte a d’ailleurs également été le chef direct de Llorens. Negroponte, ex-secrétaire national de sécurité de Bush, ex-représentant à l’ONU, ex-vice-roi en Irak, n’est pas le seul conspirateur de haut vol. Le fantoche putschiste Micheletti [le président de facto], par exemple, a deux conseillers qui ont été des aides importants de Bill Clinton : Lanny Davis (qui l’a conseillé lors du scandale provoqué par sa relation avec Monica Lewinsky, a été le conseiller d’Hillary Clinton le plus virulent dans la lutte contre Obama, et il est membre du Conseil Hondurien de l’Entreprise Privée, charnière de l’oligarchie locale) et Bennet Ratcliff.
Par conséquent il est tout à fait impossible que le Département d’Etat (c’est-à-dire Hillary Clinton) et le Pentagone aient été surpris par le coup annoncé et si grossièrement organisé par quatre gorilles sûrs de leur impunité.
Le coup est donc une torpille sous la ligne de flottaison contre l’intention d’Obama de détente avec l’Amérique Latine et même avec Cuba. Cette torpille a été lancée par la droite conservatrice états-unienne, aussi bien celle du Parti Démocrate, comme celle d’Hillary Clinton et de son clan, que celle des Républicains (grâce aux liens des partisans de Bush avec les militaires et la droite latino-américains).
Il s’agit du premier affaiblissement sérieux d’Obama – en provenance de Washington même – auquel cette droite réserve le même rôle qu’Oscar Arias, ce serf reconnu des Etats-Unis, un rôle qu’elle veut imposer à Zelaya : celui de président pour la galerie, de fantoche et cramponné aux Etats-Unis, sans aucune possibilité d’initiative, dont la politique étrangère serait totalement contrôlée par le Département d’Etat (H. Clinton).
C’est le Ministre des Affaires Etrangères des putschistes honduriens qui a dit qu’Obama était « un petit-nègre qui ne sait rien de rien », mais cette opinion est partagée par tous les saints dont les gorilles disposent dans le paradis de l’establishment états-unien, même s’ils n’osent pas encore l’exprimer ouvertement.
Le coup hondurien est dirigé contre les pays voisins liés à Chavez ou à Cuba, contre le Venezuela et Cuba, contre tous les gouvernements « progressistes » d’Amérique du Sud, mais c’est également un coup sans Obama et contre Obama.
La proposition aberrante d’Arias [retour de Zelaya et formation d’un gouvernement d’unité nationale] est fonctionnelle pour les putschistes. Elle leur permet de gagner du temps pour organiser leur pouvoir de facto et fatiguer et démoraliser les partisans du président constitutionnel.
D’ailleurs cette proposition leur accorde en plus la récompense d’une amnistie, malgré le fait qu’ils ont organisé un coup d’Etat et assassiné ceux qui défendaient la Constitution, et qu’ils sont des infâmes « traîtres à la patrie », passibles d’être fusillés. Pour comble, selon l’Accord de San José [capitale du Costa-Rica d’Arias], Zelaya devrait accepter de donner des postes clés de son éphémère cabinet précisément à ceux qui l’ont séquestré, déporté de son pays, insulté, qui ont falsifié sa signature dans une infâmante lettre de démission et qui sont en train d’opprimer par la terreur le peuple hondurien. Il ne serait donc plus que l’otage de ces gens.
Si la « solution Clinton » (qui n’est une solution que pour les putschistes) était acceptée, cela constituerait un encouragement pour de futurs coups et "dictablandas" (dictatures militaires avec des façades "légales"). L’alternative est difficile, mais c’est la seule positive : repousser l’arbitrage Arias-Clinton et diriger, en Honduras même, un processus de lutte, par tous les moyens possibles, pour imposer une assemblée nationale constituante qui décide qui gouvernera le pays et de quelle manière. Autrement dit, il s’agit de tenter de créer une brèche dans les forces armées et la police au moyen d’une mobilisation insurrectionnelle, comme en Bolivie face à Sanchez de Losada ou au Venezuela, lors du coup contre Chavez.
Zelaya, le fils d’un assassin de gauchistes, dirigeant d’un parti conservateur traditionnel et qui s’est orienté sur une politique plus « de progrès », surtout pour des raisons d’opportunité et parce qu’il n’avait pas calculé les conséquences que cela pouvait entraîner pour lui, a fait preuve de courage. Mais il ne peut probablement pas diriger ce type de lutte, même s’il peut la déclencher. Le peuple hondurien et les secteurs de gauche qui exigent son retour au gouvernement sans restrictions sauront alors comment vaincre les putschistes et leur faire payer leur crime contre la Constitution, et cela avec des procès publics. (Traduction de A l’Encontre)
* Guillermo Almeyra est professeur à l’UNAM (Mexique) et publie régulièrement des chroniques dans le quotidien La Jornada.
(7 août 2009)