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Le soleil se lève à Kinshasa

Par Damien Millet (*)

dimanche 13 juin 2004

Il est des faits lointains qu’il faut savoir décrypter sous peine de passer à côté d’un moment important de notre époque. Une porte s’ouvre à Kinshasa, en République démocratique du Congo (RDC). Saura-t-on la maintenir ouverte ?

Le Congo indépendant a fait ses premiers pas sur la scène internationale le 30 juin 1960 quand Patrice Lumumba, son premier Ministre tout juste nommé, dit ses quatre vérités au roi des Belges : "Cette indépendance du Congo, si elle est proclamée aujourd’hui dans l’entente avec la Belgique, pays ami avec qui nous traitons d’égal à égal, nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier cependant que c’est par la lutte qu’elle a été conquise, une lutte dans laquelle nous n’avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang." Les grandes puissances ne l’acceptent pas : il est assassiné le 17 janvier 1961, et les rênes du pouvoir reviennent peu après à Joseph-Désiré Mobutu, qui imposera une dictature pendant plus de trente ans. La dette du Congo (devenu Zaïre) et la fortune de Mobutu explosent simultanément. Des projets pharaoniques et inadaptés sont grassement financés, comme le barrage d’Inga qui emmène l’électricité aux mines du riche Katanga mais ne fournit même pas le courant aux villages environnants. La situation se dégrade rapidement et au début des années 90, Mobutu arrête de rembourser la dette du Zaïre. Son renversement en 1997 par Laurent-Désiré Kabila, assassiné en 2001 et remplacé par Joseph Kabila, conduit à un pillage d’une partie du pays par des troupes étrangères (Rwanda, Ouganda, etc.), à la disparition de trois millions de Congolais et à une situation politique très instable. Aujourd’hui, le président est assisté par quatre vice-présidents représentant les différentes factions rivales. Mais les incroyables richesses naturelles et humaines que détient la RDC aujourd’hui ne laissent pas indifférents les investisseurs et la RDC est priée de redevenir docile. Elle est rentrée dans le rang en renouant le dialogue avec le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. La dette de la RDC, estimée en 2001 à 12 milliards de dollars, provient très largement de la période Mobutu (qui est chassé du pouvoir avec une fortune estimée à 8 milliards) et des arriérés de retard de la dernière décennie d’interruption de paiements.

La pauvreté qui règne en RDC conduit souvent les populations à utiliser la totalité de leurs forces pour survivre. Des mouvements sociaux ont existé, mais trop de compromissions et de manipulations ont largement atténué la portée de leurs actions. C’est cela qui est en train de changer.

Dans ce contexte, une petite équipe de militants congolais, regroupée autour de Victor Nzuzi dans le NAD (Nouvelles Alternatives pour le Développement) et avec l’appui technique du Conseil National des ONG du Congo, a réussi l’exploit de mettre sur pied un remarquable Séminaire international sur la dette de la RDC. Exploit car les conditions matérielles et financières de son organisation tranchent vivement avec celles de tous les séminaires officiels où les participants accourent pour empocher de généreux remboursements de frais.

De nombreux acteurs sociaux congolais (associations, syndicats, université, églises, ONG de développement et ONG de droits de l’Homme, Commission éthique et lutte contre la corruption, Commission Vérité et réconciliation, quelques délégués de l’Assemblée Nationale, etc., une trentaine de structures en tout) sont parvenus à dresser un constat commun du caractère odieux de la dette extérieure de la RDC. Profitant de l’analyse d’institutions officielles comme la Cour des Comptes, l’OGEDEP (Office de Gestion de la Dette Publique), l’OBMA (Office des Biens Mal Acquis) ou la SNEL (Société Nationale d’Electricité, qui gère le barrage d’Inga), ils ont pu étayer leur dossier. Complété par l’expérience de militants venant de Belgique, de France, de Norvège, du Royaume Uni, du Zimbabwe, du Congo Brazzaville et d’Afrique du Sud qui ont présenté leurs actions respectives sur la dette (dont celles du CADTM), ils ont pu ébaucher des stratégies pertinentes, comme par exemple la réalisation d’un audit complet de la dette afin d’en déterminer la part odieuse et d’obtenir son annulation.

Cette démarche a marqué des points : l’impact médiatique a été très fort puisque, fait rarissime pour un séminaire où le budget média est aussi réduit, neuf télévisions locales se sont déplacées, tout comme des radios (RFI, Africa N°1, Okapi, la radio de l’ONU, etc.) et plusieurs journaux congolais.

Une dynamique est lancée. Les institutions financières parlent de "réduction de la pauvreté" et imposent des politiques qui l’aggravent. Nous avons devant nous des citoyens qui veulent prendre leur destin en main. Leur démarche est sincère, elle mérite d’être connue, car ils savent comment réduire cette pauvreté efficacement. Ecoutons leurs voix...

"Nous, participants du séminaire international de Kinshasa sur la dette extérieure odieuse de la République démocratique du Congo (RDC), (...)

Déclarons :

la dette de la RDC odieuse, donc nulle et non avenue, à l’instar de celle de Cuba envers l’Espagne en 1898, de celle issue du régime d’apartheid en Afrique du Sud, de celle issue du génocide au Rwanda, de celle contractée par Saddam Hussein en Irak ;
les IFI, les pays riches, les sociétés multinationales et leurs complices à la tête de l’Etat congolais, responsables de crimes économiques ayant causé de nombreux désastres sociaux (décès dus à la faim ou de maladies facilement curables, dégâts écologiques, violations multiples des droits humains fondamentaux) donc contraints de réparer et de rétablir l’Etat congolais et le peuple dans leurs droits ;

Exigeons :

des commissions Vérité et réconciliation, Ethique et lutte contre la corruption, de la Haute autorité des médias, de la Commission électorale, de rendre publique la vérité sur la dette odieuse et d’établir clairement les différentes responsabilités aux fins de réparations ;

du Parlement congolais qu’il vote une loi instaurant un audit officiel de la dette extérieure pour dresser la liste de tous les contrats de prêts garantis par la RDC et assurer le contrôle a posteriori des projets financés ;

du gouvernement congolais de rendre publics les résultats des investigations de l’Office des biens mal acquis (OBMA) ;

du Parlement et des mouvements sociaux de dresser une analyse systématique de tout nouvel endettement en RDC ;

aux mouvements sociaux du monde de soutenir pleinement le peuple congolais pour le libérer de cette dette odieuse qui empêche toute forme de développement."

Sur la lancée de ce séminaire, des conférences sur la dette et les institutions internationales financières et commerciales, à l’Université de Kinshasa, ont connu une affluence importante, notamment l’une se déroulant un jour férié pour l’Université, prouvant l’intérêt des étudiants pour ces sujets si centraux pour l’avenir de leur pays.

Le mouvement social congolais parvient à un tournant de son histoire. Il est de notre devoir de l’aider sous peine de voir la RDC sombrer corps et âme. De par la colonisation, nous porterions tous, au Nord, une responsabilité écrasante. Aidons-les à se lever.


(*) Damien Millet est secrétaire général du CADTM France. Il est coauteur avec Eric Toussaint de 50 Questions / 50 Réponses sur la dette, le FMI et le Banque mondiale (éd. Syllepse/CADTM, 2003) et avec François Mauger de La Jamaïque dans l’étau du FMI (éd. L’Esprit frappeur, 2004).

Voir www.cadtm.org

Contact : damien.millet@cadtm.org