Le 30 octobre, l’APPO rend public le communiqué suivant :
« 1. L’APPO décide d’établir son campement à Santo Domingo de Guzman [au nord de la place centrale d’Oaxaca].
2. L’APPO n’assistera pas à la table ronde convoquée par le Secretaria de Gobernacion [SEGOB - centre du système du pouvoir exécutif] pour les raisons suivantes : 1° Pour le peu de sérieux avec lequel Vicente Fox [actuel président, membre du PAN] et Felipe Calderon [futur président du Mexique, membre du PAN] ont abordé la question du dialogue, cela en désignant comme interlocuteur le sous-secrétaire Arturo Chavez ; de la sorte, l’intérêt du Secretaria de Gobernacion pour la concertation est inférieur à celui qu’il portait il y a trois mois, au moment où il était préoccupé par le fait que Felipe Calderon gagne devant les tribunaux [il y avait contestation sur le résultat du vote à l’élection présidentielle de juillet] et qu’il ne prêtait aucune attention au problème d’Oaxaca. 2° Parce qu’ils n’ont pas arrêté les agressions contre le peuple d’Oaxaca ; ils ont poursuivi les perquisitions de centaines de maisons, les arrestations de citoyens ordinaires ; ont continué de frapper les citoyens. En un mot, de fait, un état d’exception a été établi et les garanties constitutionnelles ont été suspendues dans notre Etat.
3. Pour avoir un dialogue véritable, nous avons besoin que le SEGOB fasse la démonstration que, véritablement, il a la volonté de mettre en œuvre ce dialogue. Pour qu’il se tienne, nous demandons que les mesures suivantes soient prises : 1° retrait immédiat de l’armée d’occupation qu’est devenue la PFP [Police fédérale préventive] ; 2° démission de Ulises Ruiz Ortiz [le gouverneur] ; 3° libération de tous nos prisonniers, y compris plus de 70 personnes qui ont été séquestrées le 29 octobre par la PFP en coordination avec les organes de police de l’Etat d’Oaxaca ; 4° que des garanties soient accordées à la commission de négociation de l’APPO.
Nous espérons que Vicente Fox et Felpe Calderon réfléchissent et rectifient l’erreur qu’ils viennent de commettre, qu’ils démontrent leur volonté de dialogue et qu’ils ordonnent de cesser immédiatement les agressions que leurs policiers violeurs exercent contre le peuple d’Oaxaca. Tout le pouvoir au peuple - Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca. »
La réaction des diverses forces sociales et politiques du Mexique face à l’occupation d’Oaxaca est un véritable test. Pour les 10 et 11 novembre, l’APPO a convoqué un congrès qui doit se tenir dans l’enceinte de l’Universidad Autonoma Benito Juarez. De nombreuses délégations des divers Etats du Mexique sont déjà annoncées.
Pour mieux saisir le contexte socio-économique dans lequel s’est déroulé et se déroule cette « révolte communarde » d’Oaxaca, nous publions l’article ci-dessous. - Réd.
L’Etat d’Oaxaca, au Mexique, a le triste privilège de concentrer géographiquement 42% des municipalités les plus pauvres du pays. Elle se paie même le luxe d’avoir trois des dix municipalités « les plus pauvres entre les pauvres » de la République, frères de douleur et de faim de Metlatonoc (Etat de Guerrero), Tehuipango (Etat de Veracruz) et Sitala (Etat du Chiapas).
Evoquer la faim, l’oubli et la marginalisation, c’est faire référence à Oaxaca, c’est évoquer la géographie mexicaine de la misère, laquelle s’étend d’année en année. Et une fois de plus, Oaxaca a explosé, pour les mêmes raisons que par le passé, même si la classe politique du pays, chaque fois plus inapte, prétend présenter le fait comme « un simple problème de salaire des enseignants ».
Et cette même classe politique, qui avance toujours de pair avec l’élégante extrême droite patronale - présente au sein du gouvernement et active dans le secteur privé - ne trouve pas de meilleure issue au conflit que celle résumée dans la formule d’un habitant d’Oaxaca mort depuis presque un siècle : « Tuez-les à chaud. »
Avant de mettre en branle l’impressionnant déploiement de troupes et d’armement dans la capitale d’Oaxaca, ceux qui sont censés gouverner le pays et l’Etat auraient pu envisager l’urgence qu’il y avait à satisfaire le dénuement millénaire des habitants par la mise à disposition de ressources économiques. On aurait alors probablement pu parler d’une réelle tentative de résoudre les problèmes, et non, comme c’est le cas actuellement, de comptabiliser des morts et des blessés.
Ce nouveau chapitre sur le problème - sans fin - de la faim et de la marginalisation d’Oaxaca ne se réduit bien évidemment pas à un « simple problème de salaire des enseignants ». Ceux qui ont prétendu cela tout au long des plus de cinq mois de conflit n’ont fait qu’essayer de se défaire du problème, de protéger les tepocatas (les corrumpus), soi-disant éradiqués de la scène politique [ce fut une promesse de Fox lors de son élection], en ignorant une situation explosive qui ne pourra être résolue au moyen de la répression, mais seulement avec du développement, de la croissance, des revenus et du bien-être social.
Pour la classe politique, il est manifestement plus important de maintenir Ulises [gouverneur de l’Etat, membre du PRI] sur son trône pour ne pas déséquilibrer les obscures alliances entre partis que d’en finir avec la géographie de la misère. Faisons donc, à l’aide de l’INEGI (Institut national de statistique géographique et informatique) un petit tour statistique de la réalité de l’Etat d’Oaxaca, avec ses 3,5 millions d’habitants, pour voir de plus près à quoi ressemble cette région dont ils prétendent qu’elle souffre d’un « simple problème salarial des enseignants ».
Oaxaca occupe la deuxième place [le Mexique est composé de 31 Etats, plus le District fédéral de Mexico] au niveau national en matière de taux de fécondité, la cinquième en taux de natalité, la 31e en ce qui concerne l’espérance de vie à la naissance, la neuvième quant aux migrants internationaux [qui quittent le Mexique], la sixième en taux de foyers où les femmes sont cheffes de famille, la 31e pour l’accès aux services médicaux institutionnels, la première en taux de mortalité et le deuxième en taux de mortalité infantile. Le 35,2% de la population parle à la fois une langue indigène et l’espagnol ; 14,3% ne parlent qu’une langue indigène.
En termes de disponibilité des services de base (réseau public d’eau, d’égouts et d’énergie électrique), Oaxaca occupe le 32e rang, autrement dit le dernier. Et il en va de même pour les habitations avec sols en terre battue et pour l’eau potable. En ce qui concerne des biens de consommation durables comme la TV, les réfrigérateurs, les ordinateurs, les machines à laver, Oaxaca se trouve à l’avant-dernier rang. Et en ce qui concerne les crédits et les investissements (publics et privés) pour l’habitat, Oaxaca occupe le dernier rang.
Oaxaca occupe le 3e rang pour le taux d’analphabétisme (19,3% de la population), juste en dessous du Chiapas (21,3%) et de Guerrero (19,9%), alors que le taux national moyen est de 8,4%. Presque 7% de la population âgée de 6 et 14 ans n’est pas scolarisée ; 17,4% de la population de plus de 15 ans n’a pas d’instruction, et 20,5% n’ont pas terminé leur scolarité primaire. La durée moyenne de scolarité, dans cet Etat, est de 6,3 ans ; alors que la moyenne nationale est de 7,9. Oaxaca occupe le 13e rang à niveau national en ce qui concerne l’éducation de base, le 32e pour l’éducation moyenne supérieure et le 31e pour l’éducation supérieure.
Les indicateurs ayant trait à l’éducation d’Oaxaca révèlent l’état de fait suivant : dans l’éducation primaire, il occupe la quatrième position au niveau national pour les abandons de scolarité ; la première place pour les échecs scolaires et la 27e pour la réussite de fin de scolarité. En ce qui concerne l’éducation secondaire, dans le même ordre, Oaxaca occupe les rangs 11, 25 et 24, et le 26e pour ce qui est de la poursuite du cursus scolaire. En filière professionnelle technique, il occupe respectivement les 21e, 4e, 15e et 28e positions. Au niveau du baccalauréat, la situation est la suivante : 23e, 6e, 6e et 25e rang. En ce qui concerne le passage à l’échelon universitaire, Oaxaca est à l’avant-dernière place au niveau national.
Pour l’infrastructure, les ressources et les consultations externes du secteur de la santé, Oaxaca occupe les positions suivantes au niveau national : 9e pour les hôpitaux, 3e pour les unités publiques de consultations externes [étant donné la faible densité de médecins], 14e pour le nombre de lits hospitaliers, 17e pour le personnel paramédical, 13e pour les consultations externes, 29e pour les chirurgiens, 29e pour le nombre de médecins en contact direct avec les patients, et 30e pour les infirmières. En ce qui concerne la participation de la médecine privée [selon les spécialisations], Oaxaca se trouve entre la 15e et la 32e place.
Vingt-trois pour-cent de la population active à Oaxaca ne reçoit aucun revenu, alors que la moyenne nationale est de 8,7%, ce qui situe cette région tout en bas de l’échelle, ne devançant que l’Etat de Guerrero (27,3%) ; 43% obtiennent jusqu’à deux salaires minimums, 26% entre 2 et 5. Le 45% travaille dans le secteur des services, et 35% dans l’agriculture, la pêche et la sylviculture. Officiellement, l’indice de chômage « ouvert » [chômage comptabilisé, qui ne tient compte ni du sous-emploi, ni le secteur informel, etc.] est proche de 2% de la population active. Oaxaca occupe le dernier rang national pour le produit intérieur brut par tête d’habitant.
Quatre-vingts pour-cent des recettes étatiques proviennent de transferts de l’Etat fédéral. Seuls 0,5% correspondent à des impôts prélevés par l’Etat d’Oaxaca. Pour l’investissement étranger direct, Oaxaca est à la dernière place ; et le gros de ces investissements a été canalisé vers les zones touristiques des plages, surtout Huatculco.
Alors, pour résoudre un « simple problème salarial des enseignants », il faut « les tuer à chaud ».
* Article publié dans La Jornada le 31 octobre 2006. (trad. A l’encontre)