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Équateur

Rafael Correa et la nouvelle constituante

dimanche 9 décembre 2007, par Eric Toussaint

En un an, Rafael Correa a remporté quatre échéances électorales (élections présidentielles fin 2006 à deux tours, référendum en faveur de l’élection d’une assemblée constituante en avril 2007 et élection des membres de l’assemblée constituante le 30 septembre 2007). Entre-temps, il a réalisé plusieurs changements importants : rapprochement avec le Venezuela et la Bolivie, refus de signer un traité de libre commerce avec les Etats-Unis et annonce de la fin de la base militaire états-unienne de Manta en 2009, affirmation de la nécessité du socialisme du 21e siècle, mesures économiques contre les sociétés pétrolières privées, mesures sociales visant à améliorer les conditions de vie des plus pauvres.

Alors que toute la droite faisait campagne pour faire barrage au mouvement de Rafael Correa en agitant la menace communiste, le mouvement « Alianza Pais » a remporté 80 sièges sur 130, ce qui lui donne une majorité confortable pour la rédaction et l’approbation de la nouvelle constitution. De plus, le MPD et Pachakutik, mouvements politiques de gauche, devraient pouvoir constituer une alliance avec le mouvement de Rafael Corréa afin de réformer en profondeur de manière démocratique la structure politique du pays. Le résultat des élections à la constituante est nettement plus favorable au changement qu’en Bolivie où le mouvement politique du président Evo Morales et ses alliés ne réunissent pas les deux tiers des sièges nécessaires à l’approbation d’une nouvelle constitution. Cela explique les lenteurs des travaux de la Constituante Bolivienne qui est constamment sabotée par la droite. Par ailleurs, la situation du Venezuela est aussi différente : le 2 décembre 2007, la nouvelle constitution proposée par Hugo Chavez a été rejetée par 51% de Non (contre 49% de Oui). Une des causes de la victoire du non est constituée par la précipitation du président vénézuélien qui n’a pas convoqué une nouvelle assemblée constituante chargée d’élaborer le nouveau projet comme il avait fait avec succès en 1999. Cette année-là, la constitution soutenue par Chavez avait obtenu 81,7% de Oui.

Les grands médias ont pris clairement parti contre Rafael Correa au cours de la campagne électorale de septembre 2007. Malgré cela, les partis de droite ainsi que ceux du centre droit (démocrates chrétiens –UDC- et sociaux démocrates –ID-) ont été laminés. Le PRIAN, le parti du magnat de la banane, Alvaro Noboa, qui avait été battu l’année passée au deuxième tour des présidentielles par Rafael Correa n’aura que 5% de sièges à la constituante. Le Parti Social Chrétien, pilier de la droite, est en déroute. L’ancien président Lucio Gutierez a réussi a sauvé les meubles de justesse (son parti a 18 sièges). Ils ont été pris au dépourvu car les sondages donnaient des résultats modestes aux candidats soutenus par Correa.

Le calendrier de la nouvelle constituante est serré. Elle a été installée le 30 novembre 2007 et devra produire une proposition de nouvelle constitution en six mois (ce délai peut-être prolongé de deux mois si nécessaire). Ensuite, le projet sera soumis à un référendum 45 jours plus tard. L’année 2008 sera riche en nouvelles échéances électorales : référendum sur le contenu de la constitution, élection d’un nouveau parlement et nouvelle élection présidentielle. En effet avant le terme de son mandat (qui normalement se termine fin 2010), Rafael Correa remettra son mandat présidentiel en jeu après l’approbation de la nouvelle constitution, de manière à encore renforcer son assise populaire. Si ce scénario se confirme, si la démocratie équatorienne n’est pas enterrée par un coup d’Etat militaire, à la fin 2008, l’Equateur pourrait être doté d’une nouvelle constitution démocratique, d’un nouveau parlement (dans lequel, à la différence d’aujourd’hui, le mouvement politique de Rafael Correa disposerait d’une majorité) et d’un président élu pour un nouveau mandat. Cela ouvre la voie à des réformes économiques et sociales qui pourraient être profondes.

L’économiste Alberto Acosta, un des anciens dirigeants de la campagne pour l’annulation de la dette |1|, présidera vraisemblablement la nouvelle assemblée constituante. Il proposera à celle-ci de travailler en commissions thématiques et en assemblée plénière. En matière de dette publique, son intention est d’associer la Commission d’audit intégral du crédit (CAIC) aux travaux de la commission économique de la constituante. La nouvelle constitution pourrait contenir une définition claire des conditions dans lesquelles l’Etat et les pouvoirs publics locaux contractent des dettes publiques, proscrivant les dettes odieuses et fixant une limite maximale au remboursement de la dette. Par exemple, la constitution pourrait prévoir que jamais la part du budget de l’Etat dédiée au remboursement de la dette ne peut dépasser les dépenses cumulées en matière d’éducation et de santé.

Quelques jours après la victoire électorale du 30 septembre 2007, le gouvernement de Rafael Correa a annoncé que dorénavant les entreprises pétrolières qui opèrent dans le pays devraient verser une plus grande partie de leurs revenus à l’Etat. Cela devrait apporter un peu plus d’un milliard de dollars supplémentaire en recettes de l’Etat qui pourra les investir dans l’augmentation des dépenses sociales.

Cette mesure est très appréciée par la population. De plus, le gouvernement de Rafael Correa veut obtenir des banques qu’elles baissent les taux d’intérêt qui sont très élevés. Il y a quelques mois, le parlement à majorité de droite avait rejeté le projet de loi abaissant les taux d’intérêt. Le parlement est devenu totalement impopulaire. Une grande majorité de la population approuve l’Assemblée constituante qui, réunie le 30 novembre 2007, a mis en congé illimité le parlement.

Correa remettra-t-il en cause le paiement de la dette ?
La population attend beaucoup de Rafael Correa. Son discours radical a convaincu la majorité des Equatoriens qu’un changement fondamental est nécessaire et possible à condition de donner une claire majorité au président. Le président Rafael Correa veut réduire radicalement la part du budget destinée au remboursement de la dette publique. Simultanément, il souhaite augmenter les dépenses sociales. Ira-t-il jusqu’à suspendre le paiement de certaines dettes en 2008 ? Décidera-t-il de répudier les nombreuses dettes odieuses et illégitimes ? |2| Ce n’est pas sûr et ce pour plusieurs raisons |3|. La principale est la suivante : avec d’importants revenus pétroliers l’Etat, le gouvernement pense qu’il peut poursuivre le remboursement de la dette tout en augmentant progressivement les dépenses sociales. Pour mener cette politique, comme indiqué plus haut, il accroît les prélèvements sur les revenus des sociétés pétrolières et il emprunte sur les marchés internes et externes pour restructurer les anciennes dettes. Cette politique n’est pas prudente car elle ne tient pas compte des dangers qui menacent l’Equateur et la plupart des pays en développement : une possible augmentation des taux d’intérêt (une partie importante des nouveaux emprunts se font auprès des banques à taux variables) et une baisse du prix du pétrole et d’autres matières premières. Par ailleurs, il est très probable que la commission d’audit intégral du crédit (CAIC) identifie clairement des dettes odieuses et illégitimes. L’Etat équatorien va-t-il continuer à les rembourser sous prétexte d’éviter des tensions internationales avec les créanciers et des tensions internes avec les grands groupes privés qui contrôlent une bonne partie de l’économie du pays. Ce débat fondamental aura lieu en 2008. Rafael Correa empruntera-t-il la voie d’une solution souveraine et juste à la dette illégitime ? On l’espère mais ce n’est pas garanti.

Banque du Sud
Sept pays d’Amérique latine (Argentine, Bolivie, Brésil, Equateur, Paraguay, Uruguay, Venezuela) négocient la création d’une Banque du Sud afin de financer leur intégration régionale et des projets sociaux. Les signes de prise de distance par rapport à la Banque mondiale et au FMI se multiplient : l’Equateur a expulsé le représentant permanent de la Banque mondiale à Quito fin avril 2007, le Venezuela envisage de se retirer de la Banque mondiale et du FMI, la Bolivie ne reconnaît plus l’autorité du CIRDI (filiale de la Banque mondiale chargée de régler les litiges en matière d’investissement). Ceci dit, au-delà de ces signes de mauvaise humeur, aucun de ces trois pays n’a jusque maintenant quitté le FMI et la Banque mondiale.
En ce qui concerne la Banque du Sud, deux options se présentent :
1) Soit mettre en place une banque qui soutiendra un projet néo-développementisme (soutien à l’expansion régionale d’entreprises capitalistes comme l’argentine Techint, les brésiliennes spécialisées dans le génie civile ou Petrobras) qui prend pour modèle la construction européenne où domine les intérêts du grand capital.
2) Soit se doter d’un instrument de financement de politiques économiques, sociales et culturelles qui rompent avec la logique de la recherche du profit et donne la priorité à l’intégration économique, sociale et culturelle en appliquant les différents pactes qui garantissent les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.
Les gouvernements du Brésil et d’Argentine défendent la première option tandis que les gouvernements du Venezuela, d’Equateur et de la Bolivie sont enclins à s’engager en faveur de l’autre option. La négociation est en toujours cours car le Brésil a multiplié les motifs de report. Il est probable que le compromis se fera autour de la première option. D’autres thèmes font débat entre les gouvernements : chaque pays aura-t-il le même poids dans les structures de décision ? Les fonctionnaires de la nouvelle institution auront-ils droit aux privilèges et à l’impunité dont bénéficient les fonctionnaires du FMI, de la Banque mondiale, de la Banque interaméricaine de développement et d’autres institutions internationales ? Quelles seront les garanties de transparence et de contrôle ? Les mouvements sociaux d’Amérique latine et d’ailleurs essayent de peser ensemble sur les négociations en faveur de la deuxième option et ont rendu public deux lettres ouvertes aux chefs d’Etat qui participent aux négociations |4|.
La Banque du Sud dont le siège sera Caracas pourrait être lancée le 9 décembre 2007 dans la capitale argentine.

Le chemin des réformes sociales est semé d’embûches. Plusieurs présidents de gauche ont été élus en Amérique latine ces dernières années en proposant de rompre avec la politique néolibérale de leur prédécesseur mais très peu ont réellement mis en œuvre leurs promesses. Espérons que Rafael Correa ne vacillera pas et réalisera une politique démocratique de justice sociale. En tout cas, jusqu’ici sa stratégie a permis d’augmenter et de consolider le soutien populaire en faveur du changement. Elle a permis aussi de créer les conditions d’un changement démocratique des institutions. Elle a renforcé l’indépendance du pays face aux Etats-Unis tout en consolidant une démarche d’intégration latino américaine. C’est déjà beaucoup. La situation en Equateur est à suivre de très près.

(écrit pour l’hebdomadaire Rouge )

Eric Toussaint |5|


notes articles :

|1| Alberto Acosta a publié plusieurs livres ainsi que plus d’une centaine d’articles sur la dette. Il a participé en 2003 à un séminaire organisé par le CADTM à Bruxelles sur les changements en cours en Amérique latine.

|2| Voir la publication l’étude du CADTM sur la dette équatorienne « L’Equateur à la croisée des chemins » in Les Crimes de la dette, coédition CADTM-Syllepse, Liège-Paris, 2007. Le texte est également disponible sur le site www.cadtm.org Il a été traduit en espagnol, en anglais et en japonais.

|3| Il faut savoir que le Venezuela rembourse sa dette rubis sur ongle et émet des nouveaux emprunts en quantité importante. Hugo Chavez et son gouvernement estime que dans les conditions actuelles le paiement de la dette n’est pas à remettre en cause.

|4| 1ere lettre ouverte aux Présidents de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil, de l’Equateur, du Paraguay, du Venezuela. juin 2007 POUR UNE BANQUE DU SUD EN ACCORD AVEC LES DROITS, LES BESOINS, LES POTENTIALITES ET LA VOCATION DEMOCRATIQUE DES PEUPLES www.cadtm.org/spip.php ?article2719 Deuxième lettre ouverte : http://www.cadtm.org/spip.php ?article2966

|5| Eric Toussaint, président du CADTM Belgique, est membre de la Commission présidentielle d’audit intégral de la dette publique interne et externe de l’Equateur. Il est auteur de « Banque mondiale : Le Coup d’Etat permanent. L’Agenda caché du Consensus de Washington », CADTM-Syllepse, Liège-Paris, 2006. Plus d’infos : www.cadtm.org