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Trois stratégies papales pour revitaliser le christianisme

par Immanuel Wallerstein

dimanche 15 octobre 2006

Le mois dernier, le Pape Benoît XVI a fait un discours à sa ancienne Université à Regensburg en Allemagne. Dans un court passage de son discours, il a cité un obscur empereur bizantin du 14ème siècle qui a fait une analyse hostile à l’Islam. Ce court passage a été accueilli très négativement par le monde musulman et a provoqué des émeutes et de multiples condamnations. Le Pape a fait des excuses, quatre fois jusqu’à maintenant, mais il n’a fait que semer plus de consternation. Il s’est contenté de dire que cette affirmation concernant la religion mulsulmane était fondamentalement erronée.

Depuis cette bourde diplomatique, les analystes du monde entier se sont demandés comment une personne aussi intelligente que le pape avait pu faire une telle « erreur ». Peut-être n’était-ce pas un erreur, mais un geste délibéré ?

Voyons voir la nature de l’Église catholique romaine. Elle existe depuis près de 2000 ans. C’est une église qui croit qu’elle détient la vérité — au sujet de Dieu et au sujet du rôle nécessaire de l’église dans la poursuite des desseins de Dieu. Elle croit que son rôle est d’évangéliser le monde entier et parvenir à un monde où toutes les personnes, sans exception, seront catholiques romains.

Voyons voir maintenant son histoire en tant qu’institution. Depuis son origine, elle a été une église en expansion en termes du nombre de ses adhérents. Durant un millénaire, elle s’est développée constamment, principalement en Europe et dans des régions du Moyen-Orient. Elle a affronté son premier schisme numériquement significatif au onzième siècle, celui des églises orthodoxes orientales. L’Église catholique a donc été en grande partie confinée en Europe occidentale et centrale. Au seizième siècle, l’Église a affronté la réforme protestante qui l’a conduit perdre la majeure partie de l’Europe septentrionale. Et, à partir du dix-huitième siècle, elle a commencé à voir diminuer le nombre de catholiques pratiquants, ce qu’elle a considéré comme le résultat du cancer laïque et de la libre-pensée qui se sont développés en Europe.

Après la Deuxième guerre mondiale, le nombre de catholiques pratiquants dans l’ensemble de Europe a chuté considérablement en raison de la diffusion des valeurs laïques. Les catholiques ont non seulement cessé d’assister à la messe dans les pays dont de la population était catholique - comme l’Italie, l’Espagne, la France, la Belgique, l’Autriche, l’Irlande, le Québec — mais les vocations sacerdotales ont également chuté radicalement. C’est vrai à un moindre degré en Amérique latine en grande partie catholique où l’église a cependant commencé à perdre du terrain face au travail d’évangilisation du protestantisme. En général, dans l’ensemble des pays du sud, les adhésions à l’église continuaient d’augmenter en raison de la combinaison des taux de natalité plus élevés qu’en Europe et du peu d’écho de la pensée laïque. Par conséquent, l’Église catholique n’était plus d’abord européenne ; elle commençait à avoir plus de membres dans les pays du sud.

Le problème de l’Église n’était pas été qu’elle perdait du terrain face aux autres religions. Les catholiques ne se convertissaient pas à l’Islam, au judaïsme ou au bouddhisme. Les musulmans, les juifs, et les bouddhistes ne convertissaient pas non plus au catholicisme. Les problèmes institutionnels de l’église se retrouvaient en grande partie dans le monde chrétien. Le problème pour l’église catholique depuis 1945 est de savoir réagir à ce recul organisationnel soudain et massif. Il y a eu trois stratégies papales différentes pour relancer l’église catholique : celle de Jean XXIII, celle de Jean Paul II et celle de Benoît XVI.

Jean XXIII a réclamé une rénovation de l’église afin de l’adapter au monde contemporain. Le concile oecuménique qui a eu lieu, Vatican II, a opéré de nombreux changements dans les pratiques de l’église : une vision plus flexible en ce qui concerne le salut hors de l’église, une liturgie moins basée sur le Latin, un plus grand rôle pour l’assemblée des évêques. Ces changements ont semblé principalement destinés à contrer les critiques implicites et explicites des catholiques du monde européen qui désiraient que l’église fût moins déconnectée des valeurs occidentales contemporaines. Vatican II a coïncidé avec la montée de la dite théologie de libération dans l’église, en particulier en Amérique latine. Son objectif a semblé être de s’opposer à l’idée que l’église avait été la défenderesse de positions politiques ultra-conservatrices.

Il y a eut beaucoup de critiques à l’intérieur de l’église contre ces réformes qui « seraient allées trop loin. » Jean Paul II a défendu les valeurs catholiques traditionnelles concernant la sexualité, le rôle des femmes dans l’église et la subordination des évêques au pape. Il a attaqué la théologie de la libération et a remplacé les évêques réformistes dans le monde européen par des évêques plus traditionnalistes. Sa stratégie de rénovation a semblé se concentrer sur le potentiel de développement de l’église dans l’ensemble des pays du sud. Pour cette raison, il a mis un important accent sur l’ouverture d’un dialogue avec les autres religions. Il semblait penser que cela ouvrirait les portes de l’église dans les régions non-européennes.

Benoît XVI a évidemment une troisième stratégie. Il est d’accord avec Jean Paul II pour en finir avec les réformes. Mais il est en désaccord que l’avenir de l’église dépend du dialogue inter-confessionnel. Sa stratégie se concentre sur la la reconstruction de sa base traditionnelle — ses racines européennes. Le discours qu’il a livré à Regensburg est essentiellement une attaque au laïcisme européen et une intervention pressante visant à réablir la doctrine et une pratique entièrement catholique en Europe.

Ce but est cohérent avec la critique qu’il avait faite de la possible entrée de la Turquie dans l’Union européenne et de de l’échec de sa propositon que la constitution européenne inclut une référence explicite au rôle central du christianisme en Europe. Cette perspective concorde tout à fait avec la volarisation d’un empereur bizantin anti-mulsulman. Elle vise à consolider l’Europe contre un ennemi et à encourager de ce fait tous les Européens à souligner leur ralliement au christianisme. Il semble disposer à risquer la colère du monde musulman afin de consolider sa base européenne.

Trois stratégies : la rénovation, l’expansion vers les pays du sud appuyée sur l’oecuménisme et la consolidation de son enracinement en Europe en s’appuyant sur les bases catholiques traditionnelles. Laquelle de ces stratégies, s’il en est une lui sera fructueuse dans le siècle qui vient ?


Immanuel Wallerstein, de l’Université Yale, est l’auteur du « The Decline of American Power, The U.S. in a Chaotic World (New Press)
2006


tiré de Rebelion
Traduction La Gauche