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Cinéma

Un navet historique

Par Pierre Klépock

dimanche 5 octobre 2003

"C’est à Stalingrad que les gonds du destin ont tourné"
Winston Churchill

Hier soir, le 4 octobre, sur la chaîne de télévision Quatre saisons, on a pu voir le film sur la bataille de Stalingrad : "L’Ennemi aux portes", du cinéaste français Jean-Jacques Annaud. Pour réaliser ce film, une co-production euro-américaine, Jean-Jacques Annaud s’est inspiré du livre de l’américain William Craig : "Vaincre ou mourir à Stalingrad".

J’ai lu ce livre. C’est une fresque, soit dit en passant, d’une envergure exceptionnelle (à lire absolumnent), où on se rend compte que Jean-Jacques Annaud n’a pas respecté "à la lettre" les témoignages émouvants des principaux acteurs de cette sanglante histoire militaire. Là-dessus, au risque de choquer les bonnes âmes, j’en ai gros à dire contre cette tentative "cinématographique" de refaire l’histoire de cette bataille sauvage et implacable.

Une réécriture manipulatrice de l’histoire

Ce qui me pue au nez, c’est que Jean-Jacques Annaud tente de nous résumer l’histoire de la bataille de Stalingrad en un affrontement entre deux dictateurs, Staline et Hitler. Il tente aussi de réduire l’histoire de la Résistance de tout un peuple (c’est-à-dire de tous les peuples soviétiques), à un duel entre deux tireurs d’élite (et soi dit en passant, ce peuple en arme n’était pas contraint à se battre, comme veut "historiquement" nous faire croire le film, son combat était un combat d’hommes et de femmes libres). En réalité, l’enjeu de la plus gigantesque et sans doute décisive bataille de l’histoire de l’humanité ne passe pas, selon moi, par la fabrication de héros mythiques.

Cette falsification de l’histoire et cette insignifiance intellectuelle n’honorent en rien le cinéma occidental et le cinéaste qu’est Jean-Jacques Annaud. Je tiens ici à souligner une chose : sans la victoire décisive de l’Armée Rouge à Stalingrad, Jean-Jacques Annaud travaillerait sûrement sous la houlette de quelque "Toblis-Klang-Films" et sans aucun doute au lieu de tourner et parler en Anglais, ses acteurs préférés seraient tous blond aux yeux bleus et parleraient en Allemand (un allemand impeccable et sans accent, comme disaient les nazis).

Revenons au livre

Complètement déformé dans le film, la véritable histoire du jeune Sacha Fillipov mérite d’être mieux connu. Le livre nous témoigne une tout autre version sur le rôle joué par cet adolescent de 15 ans, pendu "pour l’exemple" par des soldats nazis, non pas devant une gare en ruine et abandonné, mais sur une place publique, avec une fillette et un garçonnet devant leurs propres parents et voisins de quartier. C’est un témoignage bouleversant, horrible, lorsqu’on imagine les parents voir leurs enfants marcher pied nu dans la neige au bout des baïonnettes fascistes vers la potence (pages 133, 220, 356). Sur le combat entre le tireur d’élite soviétique Zaitsev et le major Konings venu spécialement d’Allemagne pour l’abattre, on se rend compte encore une fois que l’histoire à été complètement déformée et tordu par le cinéaste français (lire, entre autre, les pages 168 à 172).

Une mémoire irrespectueuse

En réalité, qu’est-ce qui a fait tenir le peuple soviétique ? Est-ce un peuple terrorisé par Staline et qui défend sa mère patrie sous la contrainte ? Ou n’est-ce pas au contraire un peuple qui se lève, résiste et se bat contre les nazis et leur projet de destruction des Slaves, des Tziganes, des Juifs et des communistes, considérés par Hitler et ses assassins comme des "sous-hommes" ? Selon moi, ce peuple soviétique compte dans l’histoire et les communistes, faut-il le rappeler, ont joué un rôle essentiel et déterminant dans la guerre des peuples contre la barbarie fasciste. Et aujourd’hui encore, même après le renversement et la disparition (pour combien de temps ?) de l’URSS, la propagande anticommuniste continu comme à l’époque de la guerre froide : Dans ce film et autres "américanisations" de l’histoire, on veut déposséder les anciens soviétiques et actuels communistes de cette fierté d’avoir libéré le monde de la menace hitlérienne. Et là-dessus, je ne pèse pas mes mots : pour certains "intellectuels", de gauche comme de droite, reconnaître aux soviétiques et aux communistes du monde entier, par les temps qui coure une mémoire respectueuse du rôle qu’ils ont joué, cela est perçu comme étant "stalinien"...

Le vent de l’histoire à tourné à l’Est

Comme le dit si bien le "soviétologue" français anti-stalinien et anti-communiste Marc Ferro : "Le vent de l’histoire à tourné à l’Est, du côté des Soviétiques qui brisent l’invincibilité allemande. À Stalingrad, les Allemands font en effet l’expérience d’une puissance de feu et d’une capacité technologique qui leur est supérieur. Ils diront avoir été battus par l’hiver : ils l’ont surtout été par les chars et les canons fabriqués par une industrie soviétique qui a pris la relève de la vieille industrie russe et qui n’a pas baissé les bras". En conclusion, j’ajoute que le véritable artisan et vainqueur de cette bataille, c’est le général Tchouikov, totalement absent du film. Dans "L’Ennemi aux portes" de Jean-Jacques Annaud, rien de tout cela n’apparaît et c’est bien dommage, car aux yeux d’un public averti, il passe pour un "ti-coune" du cinéma historique, surtout lorsqu’il nous fait sous-entendre que la vie humaine compte plus dans l’armée nazie que dans l’Armée Rouge.

Pour la petite histoire, c’était à la base un projet du très grand cinéaste italien Sergio Leone de faire un film à grand déploiement sur cette bataille héroïque (avec au-delà de 300 chars T-34, autant "d’orgues de Staline" et des milliers de figurants principalement armés de la fameuse mitraillette PPSH-41, que l’on ne voit pas dans le film d’Annaud, et de fusils Mosin-Nagant "prêtés" par l’Armée Rouge).

Salutations communistes
Pierre Klépock