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Rapport sur le changement climatique au CI de la Quatrième Internationale

vendredi 9 octobre 2009, par Daniel Tanuro

Nous publions ci-dessous une version retravaillée du rapport présenté par Daniel Tanuro au Comité international (CI) de la Quatrième Internationale (QI), en février 2009. Ce rapport a été adopté pour servir de base à la rédaction d’un résolution « Climat » au prochain congrès de la QI.

Nous souhaitons que ce rapport suscite d’autres contributions – que ce soit de la part de membres du CI de la QI qui ont participé à la discussion du texte, ou de la part de militants engagés dans le combat sur le changement climatique et travaillant notamment le lien entre l’écologique et le social. Nous espérons alimenter un effort de réflexion collective en publiant de telles contributions.

I. LA MENACE CLIMATIQUE : CAUSES, RESPONSABILITES, IMPACTS SOCIAUX ET ECOLOGIQUES

1. Le changement climatique est un fait sans précédent.

Le changement climatique est un fait. Au 20eS, la température moyenne de surface de la Terre s’est accrue de 0,6°C, le niveau des mers a monté de 10 à 20 cm, les glaciers ont presque partout reculé dans des proportions importantes, la violence des cyclones a augmenté dans l’Atlantique Nord, et on a enregistré davantage d’événements météorologiques extrêmes tels que tempêtes, inondations et sécheresses.

Il ne s’agit pas de variations périodiques (comme le phénomène « El Niňo », par exemple) mais de changements profonds et de long terme, traduisant un important déséquilibre global du système climatique. Le moteur de ces déséquilibres - la hausse de la température moyenne de surface – est d’une ampleur sans précédent depuis au moins 1300 ans. Cette hausse est fortement corrélée avec un autre phénomène, qui est lui sans précédent depuis 800.000 ans : l’augmentation de la concentration atmosphérique en carbone, sous la forme de gaz carbonique et de méthane - deux gaz dont la contribution à l’effet de serre est bien établie depuis longtemps par la physique.

L’explication du réchauffement actuel par la hausse des émissions des gaz à effet de serre en tant que cause majeure est certaine à plus de 90% et ne fait plus l’objet de contestations crédibles sur le plan scientifique. Il est bien établi que le réchauffement actuel est sans précédent et diffère radicalement des autres phases de réchauffement que la Terre a connues au cours de son histoire. Au cours des périodes interglaciaires du passé, les variations naturelles dans la position de la Terre par rapport au Soleil, ou de l’activité solaire, créaient un réchauffement, celui-ci favorisait le développement de la vie, et ce développement à son tour entraînait une hausse de la concentration atmosphérique en CO2, laquelle accentuait encore le réchauffement. Aujourd’hui, la chaîne de causalité est inversée : les facteurs naturels n’expliquent qu’une part très limitée du réchauffement (5% à 10% environ) ; l’essentiel de celui-ci découle d’une hausse très rapide des concentrations atmosphériques en CO2 et en méthane, due aux activités humaines. En d’autres termes : jadis le changement climatique causait l’augmentation de l’effet de serre, aujourd’hui l’augmentation de l’effet de serre entraîne directement le changement climatique.

2. L’expression « changement climatique » est trompeuse : nous sommes confrontés à un basculement brutal, irréversible à l’échelle humaine des temps.

L’expression « changement climatique » est trompeuse : elle évoque une modification graduelle alors que nous sommes confrontés à un basculement brutal, dont la vitesse s’accélère. Il est dû à trois types d’activités économiques qui accroissent les concentrations atmosphériques en gaz à effet de serre :

(i) Les forêts, les prairies naturelles, les sols et les tourbières stockent le carbone sous forme de matière organique. La déforestation, la transformation des prairies en terres de culture, l’assèchement des zones humides et les mauvaises pratiques culturales ont pour effet de libérer ce carbone. Par ailleurs, l’emploi excessif d’engrais nitrés artificiels (17,9% des émissions) provoque des émissions d’oxyde nitreux, un autre gaz à effet de serre ;

(ii) Toute combustion se traduit par l’émission de gaz carbonique (CO2). Mais il y a une grande différence entre le CO2 provenant de la combustion de biomasse, d’une part, et le CO2 provenant de la combustion de combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel). Le premier est recyclé sans problème par les écosystèmes (plantes vertes et océans) qui absorbent et rejettent en permanence du CO2 (« cycle du carbone »). Le second, par contre, ne peut être recyclé que dans certaines limites. Or, depuis deux siècles, la combustion des combustibles fossiles injecte dans l’atmosphère très rapidement et en continu d’importantes quantités de CO2 (56,6% des émissions) ;

(iii) Certains process industriels sont responsables de l’émission de gaz à effet de serre (gaz fluorés) inconnus dans la nature.

Le carbone n’est présent naturellement dans l’atmosphère qu’à des concentrations très faibles. C’est précisément pour cette raison que les activités humaines peuvent avoir un impact aussi important sur le système climatique. Actuellement, la quantité globale de gaz à effet de serre que nous envoyons dans l’atmosphère est près de deux fois supérieure à la capacité d’absorption naturelle. Le reste s’accumule, entraînant l’augmentation de l’effet de serre, donc de la température, et cette accumulation tend à augmenter avec le réchauffement. Le mécanisme principal du réchauffement se résume ainsi en une saturation du cycle du carbone par les émissions de gaz provenant des activités humaines.

Ce réchauffement est irréversible à l’échelle humaine. Même si les concentrations atmosphériques en GES étaient stabilisées immédiatement, le réchauffement ferait sentir ses effets pendant près de mille ans, parce que la température des énormes masses d’eau océaniques met très longtemps à s’homogénéiser. En l’absence de toute stabilisation, le mécanisme s’emballerait inévitablement et déclencherait des phénomènes fort dangereux, tels que la désintégration des calottes glaciaires, ou la libération des énormes quantités de méthane contenues dans les sols gelés (pergélisols), voire dans les fonds océaniques.

Il serait erroné et dangereux de miser sur le fait que l’épuisement des stocks de charbon, de pétrole et de gaz naturel surviendrait à temps pour protéger l’humanité de ces risques majeurs. En effet, les réserves prouvées de combustibles fossiles (notamment de charbon) sont amplement suffisantes pour provoquer un emballement incontrôlable. Dans ce cas, la Terre risquerait en fin de compte de retrouver des conditions qu’elle n’a pas connues depuis 65 millions d’années et que l’humanité n’a par conséquent jamais expérimentées : un globe sans glaces, où le niveau des mers dépasserait de cent mètres environ le niveau actuel.

3. Le basculement climatique n’est pas dû à « l’activité humaine » en général mais au mode de cette activité depuis la Révolution industrielle capitaliste.

Le bouleversement climatique n’est pas dû à « l’activité humaine » en général, comme disent les médias et les rapports du GIEC, mais bien au mode de cette activité depuis la Révolution industrielle capitaliste, en particulier à la combustion des combustibles fossiles. La cause du phénomène réside fondamentalement dans la logique capitaliste et productiviste d’accumulation, dont le centre de gravité historique est situé dans les métropoles impérialistes.

Le décollage économique de la Révolution industrielle n’aurait pas pu se faire à grande échelle sans le charbon. Il serait pourtant réducteur d’imputer indistinctement le changement climatique au « progrès », en général. En effet, assez rapidement, de nouvelles possibilités d’exploitation des énergies renouvelables sont apparues, qui auraient permis de concilier un développement raisonnable et la protection de l’environnement. Elles ont été écartées systématiquement par la logique capitaliste d’accumulation. A cet égard, le contraste est criant entre le désintérêt durable pour le photovoltaïque (découvert en 1839) et l’engouement immédiat des pays capitalistes (et non-capitalistes) pour la fission atomique. Le développement de la filière nucléaire n’aurait pas été possible sans des investissements publics considérables, consentis en dépit des dangers terribles de cette technologie. Le potentiel solaire n’a jamais bénéficié d’un tel intérêt.

Au fur et à mesure du développement capitaliste, les grands groupes énergétiques ont acquis un poids déterminant qui leur a permis de façonner le système énergétique en fonction de leurs intérêts. Le pouvoir de ces groupes résulte non seulement du fait que l’énergie est indispensable à toute activité économique et que les investissements énergétiques sont de long terme, mais aussi du fait que le caractère limité et appropriable des gisements de combustibles fossiles offre la possibilité d’imposer des prix de monopole, donc de prélever un surprofit important, stabilisé sous la forme de rente énergétique.

Le rôle clé du pétrole en tant que source abondante et bon marché de carburant liquide à haut contenu énergétique a notamment permis aux capitaux de plus en plus concentrés et centralisés qui contrôlent ce secteur d’occuper une position stratégique, à la fois sur le plan économique et politique. Ensemble avec les producteurs de charbon, les électriciens et les grands secteurs dépendant du pétrole (automobile, construction navale et aéronautique, pétrochimie), les multinationales pétrolières ont empêché l’utilisation de ressources énergétiques, de technologies et de schémas de distribution alternatifs, tout en poussant à la surconsommation et en limitant les progrès de l’efficience énergétique, tant au niveau des systèmes que des produits.

Pour comprendre l’engrenage du changement climatique, il convient de compléter l’analyse en intégrant la tendance du capitalisme en général à la concentration et à la centralisation, au remplacement incessant du travail vivant par du travail mort, à la standardisation des techniques et à la surproduction de biens de consommation de masse pour le marché mondial. Après la deuxième guerre mondiale, cette tendance s’est traduite notamment par la fabrication de millions d’automobiles individuelles. Tout en « tirant » l’onde longue expansive des « trente glorieuses », cette production a contribué à faire exploser l’usage des combustibles fossiles, donc les émissions.

Plus près de nous, la mondialisation capitaliste néolibérale, l’exportation massive des capitaux vers les pays émergents, la production à flux tendu pour le marché mondial, le démantèlement des transports publics (notamment du rail), et l’accroissement spectaculaire des transports par avion et par bateau sont venus donner une nouvelle impulsion au phénomène.

4. Les pays du « socialisme réel » portent aussi une lourde responsabilité : renonçant à la révolution mondiale, ils ont singé le productivisme et copié les technologies capitalistes.

Dans l’analyse du changement climatique, la responsabilité des pays qui ont tenté de s’engager sur une voie alternative au capitalisme ne peut être éludée. Du fait de leur dégénérescence bureaucratique, principalement, ces pays ont renoué avec le productivisme et ont porté le gaspillage des ressources naturelles, notamment énergétiques, à un niveau sans précédent.

La Russie tsariste était un pays arriéré. Après la guerre, la révolution et la guerre civile, il n’aurait pas été possible de le redresser sans recourir aux combustibles fossiles. Ceci contribue en partie à expliquer l’absence de réflexion prospective des théoriciens soviétiques sur l’impasse inévitable à terme d’un système basé sur des sources non renouvelables, mais d’autres éléments doivent sans doute être pris en compte (cf. chap. 5. infra). Ce qui semble certain, c’est que le développement économique ultérieur de l’URSS aurait permis d’explorer d’autres choix énergétiques, mais que la dictature stalinienne et la dégénérescence du « socialisme dans un seul pays » ont bouché cette possibilité.

En abandonnant la perspective de la révolution mondiale, en misant sur une coexistence pacifique avec l’impérialisme dans l’espoir de sécuriser ses propres privilèges, en étouffant la pensée créatrice, la bureaucratie stalinienne a choisi du même coup de se mettre à la traîne du développement technologique des pays capitalistes développés – tiré en avant par les technologies militaires - et d’imiter le système énergétique capitaliste – taillé sur mesure pour les besoins du capital. Cette logique culmina sous Kroutchev avec l’illusion d’un rattrapage et d’un dépassement des USA. Elle entraîna notamment le développement insensé de l’énergie nucléaire, qui devait déboucher sur la catastrophe de Tchernobyl.

Basé sur un système de primes au tonnage de matières consommées, le mode bureaucratique d’intéressement matériel des directeurs aux résultats de la production a constitué un facteur de gaspillage spécifique. Le résultat fut un système énergétique encore plus polluant et gaspilleur que le modèle capitaliste de référence, et encore moins efficace.

Enfin, le mépris pour les besoins des masses, leur exclusion des décisions politique et la volonté de les maintenir dans un état d’atomisation sociale ont conduit à des choix largement irrationnels dans toute une série de domaines (aménagement du territoire, architecture, urbanisme,… pour ne pas parler de la collectivisation forcée de l’agriculture). Ces choix ont eu pour effet d’aggraver le gaspillage des ressources et l’inefficience énergétique de l’ensemble, sans compter les graves conséquences dans d’autres domaines, notamment en matière de pollution et de santé publique.

C’est ainsi que, après la deuxième guerre mondiale, les émissions de l’URSS et de certains pays d’Europe centrale ont commencé à représenter une part significative des émissions mondiales. La comparaison des tonnages de gaz carbonique émis par personne et par an dans ces pays avec les tonnages émis à l’époque dans les pays capitalistes développés montre bien la responsabilité spécifique du « socialisme réel » dans le détraquage du climat. Juste avant la chute du Mur, par exemple, la Tchécoslovaquie émettait 20,7 tCO2/hab/an et la RDA 22 tCO2/hab/an. A titre de comparaison, les USA, le Canada et l’Australie - les plus importants émetteurs de CO2 du monde capitaliste développé - émettaient à cette époque respectivement 18,9, 16,2 et 15 tCO2/pers/an, pour un PNB par habitant largement supérieur.

5. Les changements climatiques sont porteurs de conséquences catastrophiques pour l’humanité et les écosystèmes.

Le changement climatique est porteur de conséquences catastrophiques pour l’humanité ainsi que pour les écosystèmes. Il n’y a aucun doute que ses effets négatifs l’emportent nettement sur les effets positifs, même pour une hausse de température limitée. Selon le GIEC [1] :

Pour tout accroissement de température entre +1°C et +5°C, la sécheresse devrait s’intensifier dans les régions subtropicales et dans les régions tropicales semi-arides. A partir de +2°C, des millions de gens supplémentaires pourraient être soumis à des inondations côtières chaque année. A partir de +3°C, 30% environ des zones humides côtières seraient perdues.

Dès maintenant, le réchauffement diminue les récoltes des petits fermiers et les prises des petits pêcheurs, qui produisent des moyens de subsistance pour les populations locales. A partir de +1°C, on projette des pertes accrues de productivité de certaines céréales dans les régions tropicales, et, à partir de +3,5°C, une perte de productivité pour toutes les céréales à ces latitudes. Dans les régions tempérées (haute latitude), les modèles indiquent une hausse de productivité pour certaines céréales à partir de +1°C, mais une baisse de productivité de plus en plus généralisée à partir de + 3,5°C.

Dès maintenant aussi, les systèmes de santé sont confrontés à une charge supplémentaire due à la malnutrition, à la diarrhée, aux maladies cardio-respiratoires et infectieuses, dont l’augmentation est une conséquence des changements climatiques. La morbidité et la mortalité accrues lors des canicules, inondations et sécheresses se fait déjà sentir, de même que la modification des aires de distribution de certains insectes vecteurs de maladies (anophèles transmettant la malaria, tiques transmettant la maladie de Lyme, ...). De plus, la combustion des combustibles fossiles contribue à la pollution de l’air, notamment par les particules fines qui sont une cause majeure de l’accroissement extrêmement préoccupant des maladies respiratoires telles que l’asthme.

A partir de +1°C, on estime que 30% des espèces animales et végétales courront un risque accru d’extinction. Quant à une hausse de +5°C, elle signifierait des extinctions significatives d’espèces dans toutes les régions du globe. Ces projections sont d’autant plus alarmantes que d’autres facteurs (tels que l’utilisation des sols) contribuent aujourd’hui déjà à une vague d’extinction plus importante et plus rapide que celle que la Terre a connue lors de la disparition des dinosaures, il y a soixante millions d’années. Outre ses importants aspects esthétiques, affectifs et culturels, cet appauvrissement radical du vivant constitue une grave menace. La biodiversité conditionne en effet les capacités d’adaptation des écosystèmes, notamment des écosystèmes cultivés, par exemple les possibilités de sélection de plantes de culture adaptées aux changements climatiques.

A partir de +2,5°C environ, de 15% à 40% des écosystèmes terrestres commenceraient à émettre plus de CO2 qu’ils n’en absorbent , ce qui signifie que la saturation du cycle du carbone s’accroîtrait et que le réchauffement s’auto-alimenterait selon un effet boule de neige incontrôlable (« runaway climate change »).

Sur le plan humain, selon certaines projections, le nombre de victimes supplémentaires des ces fléaux tendrait à augmenter de plus en plus rapidement en fonction de la hausse de température. Pour une hausse de +3,25°C (par rapport à la période pré-industrielle), située à peu près au milieu des projections du GIEC, les inondations côtières feraient entre 100 et 150 millions de victimes d’ici 2050, les famines jusqu’à 600 millions et la malaria 300 millions, tandis que la pénurie d’eau pourrait frapper jusqu’à 3,5 milliards de personnes supplémentaires.

Ces estimations sont évidemment frappées d’incertitudes plus ou moins fortes. De plus, les impacts sont fonction de facteurs sociaux qui peuvent les accroître ou les réduire dans une certaine mesure, surtout si le réchauffement reste limité. Il reste que, à politique inchangée, l’ampleur générale des menaces est considérable.

6. Dès à présent, les peuples du Sud paient un lourd tribut au basculement climatique dont ils seront les principales victimes.

326 catastrophes climatiques ont été enregistrées en moyenne chaque année entre 2000 et 2004 ; elles ont fait 262 millions de victimes - près de trois fois plus qu’entre 1980 et 1984. Plus de 200 millions d’entre elles vivaient dans des pays non-membres de l’OCDE qui ne portent qu’une responsabilité marginale dans l’accroissement de l’effet de serre. Pour les années 2000-2004, un habitant sur 19 a été affecté par une catastrophe climatique dans les pays en développement. Le chiffre correspondant pour les pays de l’OCDE est de 1 sur 1500 (79 fois moins). [2]

Faute de politique adéquate, cette injustice climatique est appelée à s’accentuer pour atteindre des proportions dramatiques. Le Programme des Nations Unies pour le Développement le reconnaît : du fait du changement climatique, même les « Objectifs du Millénaire » ne seront pas réalisés, alors qu’ils sont notoirement insuffisants. En cas de catastrophe climatique, certains pays parmi les plus pauvres risquent d’entrer dans une spirale de régression sociale et économique sans issue. Par exemple, l’immense majorité des centaines de millions d’êtres humains menacés par la montée du niveau des océans vivent en Chine (30 millions), en Inde (30 millions), au Bangladesh (15-20 millions), en Egypte (10 millions), ou dans d’autres deltas -notamment Mékong, Niger- (10 millions)… Pour une hausse d’un mètre du niveau des océans, un quart de la population du Vietnam devrait déménager.

La montée de l’insécurité alimentaire est une autre manifestation criante de l’injustice climatique. Selon certaines sources, le potentiel de production agricole des pays développés pourrait augmenter de 8% à l’horizon 2080 alors que celui des pays en voie de développement diminuerait de 9%. L’Amérique latine et l’Afrique seraient les continents les plus affectés, avec des pertes de productivité supérieures à 12%, voire à 15%. Dans certaines régions d’Afrique subsaharienne et d’Asie, la productivité de l’agriculture non irriguée pourrait être réduite de moitié dans les 20 ans qui viennent, selon le GIEC. Les conséquences risquent de se décliner en termes de dépendance renforcée vis-à-vis de l’agrobusiness capitaliste, de mainmise croissante des latifundistes, de pauvreté et de famine accrues frappant les petits paysans, d’exode rural et de dégradations environnementales.

7. L’exemple du cyclone Katrina montre les dangers pour les travailleurs et les pauvres des pays développés également.

En septembre 2005, le cyclone Katrina qui a frappé la Nouvelle Orléans a montré que les fractions les plus pauvres de la classe ouvrière dans les pays développés sont à peine mieux loties face au changement climatique que les masses des pays dominés : elles habitent dans les zones les plus exposées aux catastrophes, n’ont pas les moyens de fuir (ou craignent de le faire par peur de ne pas pouvoir revenir et de tout perdre), leurs biens ne sont pas ou insuffisamment assurés.

Katrina a entraîné la mort de 1500 personnes et le déplacement de 780.000 autres. 750.000 d’entre elles n’étaient couvertes par aucun régime d’assurances. New Orleans comptait 28% de pauvres (moyenne US : 12%) et 35% de pauvres parmi la population afro-américaine (moyenne US : 25%). Les quartiers où ils vivaient ont été les plus touchés. 75% de la population dans les quartiers inondés était noire.

Faute d’évacuation prise en charge par les pouvoirs publics, 138.000 des 480.000 habitants de la ville ont été pris au piège. Sans eau potable, sans électricité, sans téléphone, ils ont attendu plus de cinq jours avant d’être secourus. L’immense majorité d’entre eux étaient des travailleurs pauvres, des chômeurs, des enfants pauvres, des personnes âgées sans ressources. Ce bilan est inséparable de la politique de classe, impérialiste et raciste de la bourgeoisie US en général, et de l’administration Bush en particulier. A partir de 2003, pour financer la « guerre contre le terrorisme », l’Etat fédéral a diminué systématiquement les budgets du service chargé de l’entretien des digues ; pour l’année 2005, ce service avait reçu à peine le sixième des moyens demandés. Cette politique arrogante et brutale s’est poursuivie après la catastrophe, à travers une stratégie de reconstruction visant à chasser les pauvres de la ville et à attaquer les acquis sociaux des travailleurs (suppression du salaire minimum, notamment).

Ce bilan est inséparable aussi des autres inégalités sociales qui caractérisent la société capitaliste, en premier lieu les inégalités imposées aux femmes. Ce n’est pas par hasard que les femmes afro-américaines (et leurs enfants) ont payé le plus lourd tribut à la catastrophe. D’une part, les femmes sont en première ligne face aux menaces climatiques parce qu’elles représentent 80% des 1,3 milliards d’êtres humains vivant sous le seuil de pauvreté. D’autre part, elles sont frappées d’une manière spécifique, du fait de leur oppression. Dans les pays les moins développés, les changements climatiques entraînent par exemple l’alourdissement de la collecte du bois de chauffe et la réduction des revenus provenant des travaux agricoles, deux tâches assumées majoritairement par les femmes. Dans les pays plus développés, la précarité de l’emploi, le travail à temps partiel et les bas salaires touchent en particulier les femmes, et celles-ci ont de ce fait moins de possibilités de se prémunir contre les effets des CC. Dans les deux cas, les conséquences touchent affectent encore plus durement les femmes seules avec enfants et, parmi ceux-ci, les filles.

II. LES CONTRAINTES PHYSIQUES ET HUMAINES DU SAUVETAGE DU CLIMAT

8. L’urgence est maximale. Même une réduction très radicale et rapide des émissions de gaz à effet de serre ne semble plus permettre de ne pas franchir le seuil de dangerosité.

Selon le GIEC, le maintien des tendances actuelles en matière d’émissions impliquerait, d’ici 2100, une hausse de la température moyenne de surface comprise entre +1,1 et +6,4°C par rapport à 1990. L’ampleur de la fourchette s’explique par la double incertitude qui découle des modèles climatiques, d’une part, et des scénarios de développement humain, d’autre part.

Entre 1990 et 2006, la hausse observée des températures s’est située dans la partie haute de la fourchette des projections. Sur cette base empirique, on est amené à conclure que l’humanité risque d’être confrontée à relativement court terme à un écart thermique d’au moins +4,5°C par rapport à la fin du 18e siècle.

Un tel écart représenterait un changement des conditions d’existence au moins aussi considérable que celui qui sépare l’époque actuelle de la dernière glaciation, il y a 20.000 ans. Mais, loin de prendre des millénaires, le changement pourrait s’opérer en quelques siècles, voire moins. Cette rapidité diminue sérieusement les possibilités d’adaptation, tant pour les sociétés humaines que pour les écosystèmes.

En 1996, l’UE faisait d’une hausse maximale de 2°C l’objectif de sa politique climatique. La décision était prise sur base des estimations de l’époque concernant le seuil de dangerosité. Depuis lors, ces estimations sont revues à la baisse, les experts situant le seuil plutôt autour de 1,7°C. On constate en effet que, pour une telle hausse, les risques sont déjà élevés, tout particulièrement dans trois domaines : déclin de la biodiversité, hausse du niveau des océans et productivité agricole des pays tropicaux ou subtropicaux.

La température moyenne de surface de la Terre a déjà augmenté de 0,7°C depuis la période pré-industrielle et un réchauffement différé de 0,6°C est probablement déjà « dans le pipe-line ». Par conséquent, la marge de manœuvre pour sauver le climat est extrêmement étroite. L’urgence doit être considérée comme maximale.

Les gaz à effet de serre ont une durée de vie plus ou moins longue dans l’atmosphère (150 ans environ pour le CO2). Il en découle que la stabilisation de la température implique non pas une stabilisation des émissions mais une réduction, d’autant plus rapide et sévère que l’objectif de stabilisation est bas.

Le scénario le plus radical testé par le GIEC dans le cadre de son quatrième rapport d’évaluation (2007) consiste en une stabilisation de la concentration atmosphérique en CO2 entre 350 et 400 parts par millions (ppm), correspondant à 445-490 ppm d’équivalents CO2 [3]. Ce scénario implique (i) de réduire les émissions globales de 50 à 85% d’ici 2050 et (ii) que la quantité de gaz à effet de serre émise au niveau mondial commence à décliner au plus tard en 2015.

Les pays développés sont responsables à plus de 70% du changement climatique, parce qu’ils brûlent des combustibles fossiles depuis plus de deux cents ans. Les efforts des pays développés et des pays dominés doivent donc être ventilés en fonction des responsabilités historiques. Dans ce cas, les premiers devraient diminuer leurs émissions de 80 à 95% d’ici 2050, en passant par une réduction de 25 à 40% d’ici 2020. Quant aux seconds, il faudrait que leurs émissions « dévient substantiellement par rapport au scénario de référence » d’ici 2020, selon le GIEC (2050 pour l’Afrique). [4]

Le CO2 est un produit inévitable de toute combustion et la combustion des combustibles fossiles assure 80% de la fourniture d’énergie au niveau mondial. Les objectifs ci-dessus représentent donc un défi colossal. Ils ne signifient rien moins qu’un abandon quasi-total de l’usage des combustibles fossiles, à réaliser en moins d’un siècle, ce qui nécessite une mutation socio-économique extrêmement profonde.

Même si les objectifs ci-dessus étaient atteints, la hausse de température dépasserait légèrement 2°C : le GIEC la chiffre entre 2 et 2,4°C à l’équilibre (dans un millénaire environ). En d’autres termes, il ne semble plus possible de ne pas dépasser le seuil de dangerosité. On ne peut en tirer qu’une seule conclusion rationnelle : les objectifs de réduction les plus contraignants s’imposent, non comme une vague indication d’un but à atteindre dans la mesure du possible, mais comme un « must » incontournable.

9. Les objectifs à adopter sont d’autant plus impératifs que les rapports du GIEC sous-estiment certains paramètres des changements climatiques.

Pour prendre toute la mesure du défi, il convient de préciser que les conclusions du GIEC reposent sur des hypothèses conservatrices, de sorte que la prudence devrait commander de prendre les projections les plus pessimistes comme base de l’action à mener, et de les considérer comme le minimum nécessaire.

La nécessité de cette prudence ressort notamment de deux éléments :

a) le GIEC sous-estime les phénomènes non-linéaires. Un des principaux facteurs d’incertitude des projections réside dans la grande complexité des phénomènes dits « non-linéaires », tels que la dislocation possible des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique. Contrairement à la fonte des glaces, qui est un phénomène continu, la dislocation des calottes progresse par bonds et, jusqu’à présent, elle n’est pas modélisable. Ceci contribue sans doute à expliquer que la montée observée du niveau des océans ait été de 3mm/an de 1990 à 2006, soit 60% de plus que les projections des modèles. La quantité totale de glace accumulée au Groenland et en Antarctique équivaut respectivement à 6 mètres et à 60 mètres environ de hausse du niveau des océans. Or, selon certains spécialistes, la concentration atmosphérique en CO2 est en train de franchir – dans l’autre sens - le seuil qualitatif correspondant à la formation de la calotte antarctique, il y a 35 millions d’années. Une débâcle partielle brutale serait dès lors possible à court ou moyen terme. Elle pourrait entraîner une hausse de plusieurs mètres du niveau des océans en moins d’un siècle. C’est une des menaces les plus sérieuses que le changement climatique fait peser à court et moyen terme.

b) le GIEC surestime la baisse spontanée de l’intensité en carbone de l’économie. Produire une unité de PIB nécessite une certaine quantité d’énergie fossile, donc un certain volume d’émissions. On constate empiriquement que cette « intensité en énergie » et cette « intensité en carbone » de l’économie ont diminué assez régulièrement depuis la révolution industrielle [5]. Si cette tendance se poursuivait, il va de soi que l’effort à consentir pour réduire les émissions dans une proportion donnée serait moins grand que si l’intensité était stationnaire, ou augmentait. Les travaux du GIEC sont basés sur cette hypothèse. Or, celle-ci est contredite par la réalité observée ces dernières années : depuis 2000, on note un dépassement par rapport aux projections. Il est dû notamment aux investissements massifs du capital en Chine et en Inde, qui ont entraîné la construction dans ces pays de nombreuses centrales au charbon, produisant une électricité à bon marché – et des produits à bon marché pour le marché occidental. Selon certaines sources, 17% de la hausse des émissions mondiales depuis 2000 serait dus à la hausse de l’intensité en carbone de l’économie, autrement dit à l’emploi de technologies plus polluantes.

10. La réduction des émissions à la source est la seule stratégie structurelle. La réduction des émissions provenant de la combustion des combustibles fossiles est prioritaire.

Théoriquement, la réduction de la concentration atmosphérique en carbone peut être envisagée selon trois voies : protection et développement des forêts (« puits de carbone »), capture et séquestration géologique du CO2, réduction des émissions à la source. Seule la réduction des émissions offre une solution structurelle.

La déforestation étant la deuxième cause d’émission de gaz à effet de serre, la protection des forêts existantes est un moyen de ne pas aggraver le changement climatique. Mais ce n’est pas une solution structurelle : (i) parce qu’une forêt mâture émet autant de carbone (par la respiration) qu’elle en absorbe (par la photosynthèse), (ii) parce que le réchauffement, à partir d’un certain point, amènera comme on l’a vu les forêts à émettre plus de carbone qu’elles n’en absorbent.

Les arbres en croissance absorbent plus de carbone qu’ils n’en émettent. A certaines conditions sociales et écologiques, planter des arbres peut donc être un moyen transitoire de lutter contre les changements climatiques. Mais il ne s’agit pas non plus d’une solution structurelle, car : (i) l’extension des forêts est limitée par les surfaces disponibles et (ii) le carbone stocké est libéré quand on abat les arbres (ou un certain temps après, en fonction de l’usage du bois).

La « capture et séquestration du carbone » (CSC) consiste à isoler le CO2 des fumées à la sortie des usines polluantes pour l’injecter ensuite à grande profondeur dans des couches géologiques étanches. Les sites de stockage possibles semblent d’une grande capacité. L’engouement pour cette technologie s’explique du fait qu’elle permettrait d’utiliser les réserves de charbon, qui sont beaucoup plus importantes que les réserves de pétrole et de gaz. Cependant, il est clair que la CSC n’est pas non plus une solution structurelle : les réservoirs ont forcément une capacité finie et seul le CO2 émis par les grandes entreprises peut être capté.

La réduction à la source des émissions de GES constitue donc fondamentalement la seule réponse structurelle au problème de la saturation du cycle du carbone. Des stratégies de réduction peuvent être mises en œuvre pour tous les gaz concernés, mais la réduction radicale des émissions de CO2 provenant de la combustion des combustibles fossiles constitue l’axe stratégique du sauvetage du climat : (i) parce que la combustion des combustibles fossiles est la cause principale du réchauffement, (ii) parce que le CO2 est de loin le principal GES et (iii) parce que sa durée de vie dans l’atmosphère est relativement longue.

Outre ces motifs techniques, il va de soi que, du point de vue social, on ne peut pas mettre sur le même pied la réduction des émissions de CO2 fossile résultant du transport automobile ou aérien, d’une part, et celle des émissions de méthane résultant de la culture du riz, ou les émissions de CO2 non fossile résultant de l’agriculture sur brûlis pratiquée par des peuples indigènes vivant de la forêt, d’autre part.

11. La baisse absolue de la consommation d’énergie dans les pays développés conditionne le passage aux renouvelables et le sauvetage du climat.

La réduction radicale des émissions de CO2 fossile implique de recourir conjointement à deux leviers : (i) le remplacement du pétrole, du charbon et du gaz naturel par des énergies renouvelables ; (ii) la réduction de la consommation énergétique.

Le potentiel technique de l’énergie solaire sous ses différentes formes (éolienne, solaire thermique, solaire photovoltaïque, hydraulique, marine) équivaut 7 à 10 fois la consommation mondiale d’énergie [6]. Il pourrait augmenter très considérablement dans les décennies qui viennent, grâce aux progrès de la recherche scientifique et technique. La décarbonisation totale de l’économie mondiale sans recours au nucléaire et sans recul social n’est donc pas une abstraction.

Cependant, cet énorme potentiel technique ne valide pas un scénario dans lequel les sources renouvelables viendraient simplement remplacer les sources fossiles, toutes autres choses restant égales par ailleurs. En effet, (i) l’énergie solaire est diffuse, (ii) elle se présente sous diverses formes plus ou moins utilisables en différentes régions du globe, (iii) la plupart de ces formes sont intermittentes, de sorte que leur emploi nécessite le développement de systèmes de stockage de l’énergie, avec recours à de nouveaux vecteurs et infrastructures ad hoc.

C’est dire que la transition vers les renouvelables implique la construction d’un nouveau système énergétique international, décentralisé, diversifié, économe, orienté vers la maximisation de l’efficience, basé uniquement sur l’exploitation du potentiel solaire. Il s’agit d’une entreprise gigantesque et qui nécessite des investissements importants. Donc une énergie qui, au moins dans les premières phases de la transition, ne peut être que d’origine majoritairement fossile - donc source d’émissions supplémentaires - ou… nucléaire – donc source de dangers écologiques, sociaux et politiques inacceptables (cf. infra).

On a vu que, pour ne pas trop dépasser 2°C de hausse de la température, les émissions mondiales devraient commencer à diminuer au plus tard en 2015. Il en découle que les émissions supplémentaires générées par la transition doivent impérativement être compensées par ailleurs. En d’autres termes, concrètement, l’urgence et la gravité de la situation climatique sont telles que le passage aux renouvelables, dans l’état actuel des connaissances, n’offre une issue que s’il est strictement conditionné par une réduction drastique de la consommation d’énergie dans les pays les plus « énergivores ». Un telle réduction implique à son tour une baisse – non proportionnelle mais néanmoins importante - des échanges de matières, c’est-à-dire de la production et de la consommation matérielle.

La lutte contre le CC vient ainsi confirmer de façon décisive les considérations environnementales plus générales sur l’insoutenabilité du rythme de plus en plus rapide auquel l’économie capitaliste prélève des ressources dans l’environnement naturel, sans tenir compte du temps nécessaire à leur renouvellement.

12. La diminution de la consommation d’énergie des pays développés doit être drastique. Elle peut être synonyme non seulement de maintien des acquis mais aussi de progrès social.

La réduction de la consommation d’énergie concerne essentiellement les pays capitalistes développés, où le potentiel de réduction des émissions par économie d’énergie est extrêmement considérable. Les différences entre pays en attestent : par exemple, un habitant des USA consomme en moyenne 8 tep/an, un Suisse 4 tep, pour un niveau de vie comparable.

Quoique très élevées, les estimations courantes des potentiels de réduction sont largement sous-estimées. En effet, elles ignorent la plupart des mécanismes structurels qui font de la société capitaliste une machine à gaspiller l’énergie et les ressources : tendance à la surproduction et à la surconsommation, productions inutiles ou nuisibles (industrie de la publicité, fabrication d’armes, etc.), production séparée e chaleur et d’électricité, médiocre efficience énergétique des appareils de toutes sortes, délocalisation massive de la production vers les pays émergents produisant pour le marché des pays capitalistes développés, hypertrophie du transport due à la production just in time pour le marché mondial et à la flexibilité du travail, obsolescence accélérée des produits, aberrations des destructions/reconstructions dues aux guerres, absurde aménagement capitaliste du territoire (expansion des banlieues, parcs industriels, etc.), sans compter la frénésie de possession matérielle des riches et la compensation du mal-être social de masse par la consommation compulsive.

Diviser le besoin d’énergie par deux dans l’UE et au Japon et par quatre aux USA est un objectif techniquement réalisable. Au vu des mécanismes concrets du gaspillage énergétique, c’est peu dire que cet objectif est compatible avec un maintien des acquis sociaux : il peut être synonyme d’un important progrès social. Cela dépend de choix politiques.

13. Il n’est plus possible de sauver le climat sans la participation du Sud. Le droit au développement des peuples du Sud ne peut se concrétiser que par le recours à des technologies propres.

Même les efforts les plus drastiques au niveau des pays développés ne suffiraient plus à sauver le climat. Au-delà d’un délai de quelques années à peine, une certaine participation des pays dominés, en priorité des grands pays émergents, est devenue indispensable. Les chiffres du GIEC, établis sur base des responsabilités historiques différenciées, stipulent que ces pays doivent « dévier substantiellement par rapport au scénario de référence » à l’horizon 2020 (2050 pour l’Afrique). Une déviation de 15 à 30% par rapport au scénario d’émissions « business as usual » peut être réalisée par une combinaison de protection des forêts et de hausse de l’efficience énergétique. Mais, indépendamment des stratégies sociales, la concrétisation du droit fondamental au développement social et économique nécessite impérativement la mise en œuvre de technologies propres, afin que ces pays puissent sauter par-dessus le schéma économique basé sur les combustibles fossiles.

14. Il ne suffit pas de lutter contre les changements climatiques, il faut s’adapter à la partie désormais inévitable du phénomène. C’est un enjeu majeur pour les peuples du Sud.

Même une réduction extrêmement radicale et rapide des émissions de gaz à effet de serre ne permettrait plus d’empêcher le changement climatique, dont les effets se font déjà sentir. Toute stratégie de lutte, quelle qu’elle soit, doit donc articuler l’atténuation (mitigation) du phénomène et l’adaptation à la partie désormais inévitable de ses effets, et ce à l’échelle mondiale, en fonction des responsabilités historiques des pays et de leurs capacités. D’une manière générale, atténuation et adaptation sont liées de telle sorte que, au plus la première sera forte et rapide, au plus la seconde sera limitée, et inversement. Au-delà de 2°C de hausse de la température par rapport à la période pré-industrielle, l’adaptation deviendra de plus en plus problématique et coûteuse. A partir d’un certain niveau, elle sera impossible - sauf au prix de catastrophes humaines faisant des centaines de millions de victimes et des désastres écologiques de très grande ampleur.

L’adaptation ne se limite pas à la construction ou au renforcement d’infrastructures de protection des populations (digues contre les inondations ou la montée du niveau des eaux, bassins d’orage, systèmes d’égoûtage, etc), d’une part, et à l’accroissement des moyens mobilisables en cas de catastrophe, d’autre part. Le changement climatique affecte toutes les sphères de la vie sociale et tous les écosystèmes, et risque de les affecter encore plus à l’avenir. Des mesures d’adaptation doivent être prises dans de très nombreux domaines : gestion des ressources hydriques, aménagement du territoire, agriculture, sylviculture, santé publique, politique environnementale (sauvegarde des zones humides et des mangroves, notamment), habitudes alimentaires, assurance contre les risques, etc.

L’adaptation constitue un défi majeur pour les pays dominés, où les effets du changement climatique se font déjà sentir de la façon la plus nette. Les pays développés investissent massivement dans l’adaptation chez eux. Or, étant les principaux responsables du CC, il leur revient de payer les frais afférents à l’adaptation des pays moins développés. Selon l’estimation du PNUD, cela implique un transfert financier Nord-Sud de 86 milliards/an à l’horizon 2015.

Au-delà des aspects techniques, la mesure d’adaptation la plus importante est en réalité la suppression de la pauvreté et la réduction drastique des inégalités sociales. En effet, la capacité d’adaptation est directement fonction des ressources, des droits sociaux et de l’efficacité des systèmes de protection sociale. L’adaptation constitue donc un enjeu particulièrement important pour les femmes des pays les plus pauvres, et partant pour la société dans son ensemble, puisque le travail des femmes assure quelque 80% de la production alimentaire.

15. Le niveau de la population est un paramètre de l’évolution du climat, pas une cause du changement climatique. La poursuite de la transition démographique est souhaitable, mais aucune politique de contrôle de la population ne permet de relever le défi climatique.

L’évolution de la population mondiale influe évidemment sur les scénarios de stabilisation du climat : pour une population de six milliards, diviser les émissions par deux revient à dire que chaque être humain peut émettre 0,5 tonnes de carbone par an ; pour une population de neuf milliards, toutes autres choses étant égales, les émissions devraient être divisées par trois, de sorte que le quota annuel de carbone serait ramené à 0,25 tonnes/personne environ. Mais cette présentation agrégée escamote le fait qu’un pays comme les USA, par exemple, avec 5% de la population mondiale, consomme 25% des ressources énergétiques et est responsable d’un quart des émissions de gaz à effet de serre.

Les pays développés émettent entre huit et vingt fois plus de CO2/habitant et par an que les pays dominés. Si on considère la période 1950-1990, on constate que : (i) la hausse de la population dans les pays dits « en développement » a contribué nettement moins à l’augmentation des émissions de CO2 que la hausse de la consommation dans les pays développés, et même que la hausse de la population dans ces pays ; (ii) si les pays du Sud avaient bloqué leur population au niveau de 1950 tout en adoptant le niveau d’ émissions de CO2 par habitant du Nord, le réchauffement serait beaucoup plus grave que ce que nous connaissons ; (iii) par contre, si les émissions par habitant des pays du pays du Nord avaient été égales aux émissions par habitant des pays du Sud, le réchauffement serait nettement moins grave que ce que nous connaissons, même en l’absence de toute politique de contrôle démographique.

La démographie, celle des pays en développement en particulier, ne peut donc pas être désignée comme la cause principale, ni même comme une cause majeure du changement climatique. L’augmentation de la population, dans les pays développés d’abord, dans les pays dominés ensuite, est elle-même un produit du mode de production et de consommation créé avec la Révolution industrielle. La surpopulation relative est un trait majeur de la loi de population du capitalisme, qui a besoin en permanence d’une « armée de réserve ». Il ressort des rapports du GIEC que ce système menace de provoquer une catastrophe climatique. Il faut donc le mettre en cause, d’urgence. C’est le seul moyen de relever le défi du réchauffement dans les délais très brefs qui nous sont impartis, d’une part, et dans le respect des droits humains, des droits des femmes en particulier, d’autre part.

La transition démographique est largement entamée dans les pays en développement, où elle progresse plus vite que prévu. Pour une série de raisons environnementales, il est souhaitable que cette transition se poursuive. Cela passe par le progrès social, le développement de systèmes de sécurité sociale, l’information des femmes et l’extension de leur droit à contrôler leur propre fécondité (y compris le droit à l’avortement dans de bonnes conditions). Il s’agit forcément d’une politique de long terme. Sauf à recourir à des moyens d’une barbarie inouïe, aucune politique de contrôle de la population ne permet de répondre à l’urgence climatique.

III. LA REPONSE CAPITALISTE

16. L’action des lobbies capitalistes a fait perdre 30 ans dans la lutte pour le climat

Les premiers avertissements scientifiques relatifs au risque d’un réchauffement global remontent à 1957. En 1958 fut fondé l’Observatoire de Mauna Loa (Hawaï) qui, depuis sa création, confirme l’accumulation accélérée des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Il fallut pourtant attendre plus de 20 ans pour que l’ONU convoque une première Conférence mondiale sur le climat (Genève 1979) et plus de 30 ans pour que soit fondé le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC). Deux ans après sa fondation, le GIEC adoptait son premier rapport d’évaluation (Genève, 1990), dont les conclusions n’ont fait qu’être confirmées par les trois rapports ultérieurs.

Un premier pas symbolique dans le sens de l’action internationale préconisée par le GIEC fut franchi lors du Sommet de la Terre (Rio 1992), au cours duquel 154 pays signèrent la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC). La Convention adopta l’important principe des « responsabilités communes mais différenciées » et fixa pour « objectif ultime » de « stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique ». Mais ce niveau n’était pas précisé et le texte se contentait de formuler le vœu que les Etats diminuent volontairement leurs émissions afin que celles-ci reviennent en 2000 à leur niveau de 1990. Il faudra attendre 1997 – quarante ans après les premiers avertissements des chercheurs – pour que soit conclu à Kyoto le premier traité climatique contraignant.

L’extrême lenteur de la prise de conscience du danger a pu s’expliquer dans un premier temps par l’incertitude et par le caractère très différé des effets du changement climatique. Mais, dans un deuxième temps, un rôle clé a été joué par les lobbies capitalistes. Dès les années ’80, en effet, des représentants des secteurs du capital US les plus liés aux combustibles fossiles ont mis sur pied et financé généreusement des structures de lobbying qui ont littéralement acheté des scientifiques sceptiques, des journalistes et des représentants politiques afin d’éviter que le consensus croissant parmi les climatologues ne gagne les décideurs et l’opinion publique.

Jouant tantôt sur « la Science », tantôt sur la méfiance à l’égard de celle-ci, tantôt sur les sacrifices exigés par le protocole de Kyoto, tantôt sur l’insignifiance de celui-ci, ces lobbies ont tout mis en œuvre pour que la réalité du changement climatique soit ramenée systématiquement au rang d’hypothèse incertaine et contestée, voire de lubie religieuse apocalyptique ou de complot international contre l’American way of life.

Par leur action diversifiée, les lobbies ont gagné une influence hégémonique sur les représentants politiques étatsuniens à tous les niveaux. Vu le rôle dominant des USA en tant que superpuissance impérialiste, cela leur a permis (i) de peser de façon déterminante à des moments-clés du processus international de négociation climatique (conférence de La Haye, 2000), (ii) d’alimenter en « arguments » de nombreuses forces capitalistes sur la scène internationale. En fin de compte, la « vérité qui dérange » s’est imposée, y compris à la classe dominante américaine. Mais l’action des lobbies a fait gagner 30 ans aux multinationales des énergies fossiles, et perdre 30 ans à l’humanité.

17. Seul traité international contraignant à ce jour, le Protocole de Kyoto n’est pas seulement totalement insuffisant : le marché du carbone mis en œuvre augmente l’injustice sociale et climatique.

Première tentative des gouvernements de fournir une réponse d’ensemble au changement climatique, le Protocole de Kyoto (1997) enjoint aux pays industrialisés de réduire leurs émissions de 5,2% par rapport à 1990 au cours de la période 2008-2012. C’est une banalité de dire que ce traité est totalement insuffisant. Les 5,2% de réduction des émissions ne mettent pas les pays développés sur la voie d’une réduction de 25 à 40% en 2020 et de 80 à 95% d’ici 2050 . La non-ratification étasunienne implique une réduction effective de 1,7% à peine. Les objectifs sont encore affaiblis par le fait que sont mises sur le même pied les réductions structurelles d’émissions, d’une part, et les augmentations temporaires de l’absorption du carbone par les forêts, d’autre part. De plus, les émissions du transport aérien et maritime (2% du total des émissions) ne sont pas prises en compte.

Les quotas de réduction assignés aux Etats sont encore assouplis par trois « mécanismes de flexibilité » : le Mécanisme de Développement Propre (MDP), la Mise en Oeuvre Conjointe (MOC) et le Commerce des Droits d’Emission (Emission Trading). Le commerce des droits permet aux entreprises des pays développés soumises à des objectifs de réduction, et qui dépassent ceux-ci, de vendre des droits d’émettre les tonnes de carbone correspondantes. Le MDP (et la MOC accessoirement) permettent aux pays développés de remplacer une partie des efforts à réaliser par des investissements réduisant les émissions dans les pays du Sud (et de l’Est). Ces investissements sont générateurs de « crédits d’émission » (ou de droits certifiés) négociables. Tout ce dispositif est présenté comme la preuve que le climat peut être sauvé par des mécanismes capitalistes, en créant un marché du carbone pour échanger les droits et les crédits d’émission. En réalité, une bonne partie des droits et crédits ne correspondent à aucun effort de réduction structurelle et plus de 50% des crédits du MDP ne correspondent même à aucune réduction réelle d’émissions. Quant à l’échange des droits, l’expérience du système mis en œuvre par l’Union Européenne depuis 2005 (ETS) montre que, en pratique, le « cap and trade » a pour résultat que les objectifs de réduction (cap) sont fixés en fonction des impératifs de rentabilité des groupes, et que les plus grands pollueurs se renforcent en réalisant d’énormes surprofits (qu’ils ne sont même pas tenus d’investir dans des technologies propres).

Par ses mécanismes, le Protocole s’insère dans l’offensive mondiale des classes dominantes contre le monde du travail, dans l’offensive impérialiste vis-à-vis des pays dominés et dans la bataille capitaliste pour l’appropriation et la marchandisation des ressources naturelles : Les pays impérialistes peuvent acquérir des crédits de carbone à bas prix plutôt que de réduire leurs propres émissions, tout en handicapant la capacité future des pays en développement de réduire les leurs ; le MDP et la MOC, liés au commerce de droits, permettent aux multinationales d’ouvrir de nouveaux marchés à leurs investissements dans les pays en développement ou en transition et d’intensifier les chantages en direction des travailleurs ; le développement de ce marché du carbone ouvre un champ d’activités supplémentaire au Fonds Monétaire International et à la Banque Mondiale, les bases sont ainsi jetées d’un néocolonialisme du carbone ; la répartition entre pays de quotas d’émissions sur base des volumes de gaz à effet de serre dégagés en 1990 entérine l’inégalité de développement Nord-Sud ; la privatisation et la marchandisation du droit d’émettre du carbone ainsi que l’appropriation des écosystèmes capables d’en absorber constituent une prise de contrôle capitaliste sur le cycle du carbone terrestre, donc une appropriation potentielle globale de la biosphère, qui régule ce cycle ; Kyoto ne prend pas en compte les efforts que de grands pays en développement réaliseraient dès maintenant. Les classes dominantes de ces pays ont ainsi un prétexte commode pour brûler des combustibles fossiles ou pour détruire les forêts le plus longtemps possible, au nom du développement.

En même temps, le Protocole comporte certain nombre de mesures de régulation : la réduction d’émissions est chiffrée et liée à des échéances ; des sanctions sont prévues en cas de non respect ; les mécanismes de flexibilité ne peuvent être utilisés qu’en « complément » des réductions domestiques ; les investissements dans l’énergie nucléaire ne sont pas éligibles dans le cadre du MDP ; le recours aux crédits provenant d’investissements dans les puits forestiers est limité (bannis même par certains Etats)... La pression constante que les lobbies capitalistes exercent contre ces mesures indispensables exprime l’antagonisme entre les limites physiques à respecter pour stabiliser le climat, d’une part, et la logique d’accumulation pour le profit, d’autre part :

18. Tout en aiguisant la concurrence intercapitaliste, la réalité du changement climatique et les défis de l’approvisionnement énergétique contraignent les classes dominantes à envisager une réponse globale au CC.

Face à l’étendue et à la solidité croissantes du consensus scientifique, aux manifestations de plus en plus évidentes du réchauffement et sous la pression des opinions publiques, les classes dominantes ont dû commencer à envisager une stratégie contraignante, plus ambitieuse que le Protocole de Kyoto et de plus long terme.

Le fait que ce tournant ait commencé plus tôt en Europe et au Japon qu’aux Etats-Unis s’explique par la situation spécifique des trois grands blocs capitalistes. Le Japon et l’UE cherchent à réduire leur forte dépendance énergétique en améliorant l’efficience énergétique et en diversifiant leurs ressources. Ils espèrent en tirer des avantages compétitifs sur le marché du carbone en formation, sur le marché des technologies « vertes » et sur le marché du nucléaire, notamment. Par contre, les secteurs pétrolier et charbonnier pèsent d’un poids fort important dans la structure du capitalisme US, qui a en outre construit une alliance géostratégique avec les monarchies pétrolières du Golfe.

L’Union Européenne est aux premiers rangs. Après le sommet de La Haye (2000) elle a joué un rôle moteur dans la mise en œuvre du Protocole de Kyoto sans les Etats-Unis par la négociation des accords de Marrakech. En 2005 était lancé le marché européen d’échange de droits, dont l’expérience servira probablement de modèle à un futur marché mondial des droits. La même année, au sommet du G8, Tony Blair avançait pour la première fois la proposition d’une réduction de 50% des émissions globales d’ici 2050, adoptée au sommet de Toyako, en 2008.

Dans ce contexte, la position des Etats-Unis et de leurs alliés dans le dossier climatique est devenue de plus en plus intenable. Tandis que l’administration Bush continuait de refuser des réductions obligatoires liées à des échéances précises et à contester le traitement différencié des pays impérialistes et des pays dominés, un nombre croissant de secteurs du grand capital US commencèrent à plaider pour une politique de contingentement des émissions. Quatre raisons combinées sont intervenues dans ce basculement progressif : (i) la crainte que le coût de l’inaction dépasse à terme celui de l’action, (ii) la conviction qu’une réduction planifiée des émissions étant inévitable, il vaut mieux l’anticiper et l’organiser selon des règles globales ; (iii) la crainte que la politique climatique de l’UE et du Japon donne une avance significative aux concurrents dans le domaine des technologies « vertes » ; (iv) la preuve apportée par l’UE des avantages d’une stratégie de « cap and trade » couplée au système du MDP.

Ce réalignement de la classe dominante US s’est concrétisé à travers de très nombreuses initiatives au niveau des entreprises, des fédérations d’entreprises, des municipalités et des Etats. Petit à petit, les sceptiques du changement climatique ont perdu leur emprise, au point que huit propositions de loi en faveur d’un contingentement plus ou moins important des émissions ont été déposées à la Chambre des Représentants. Cette évolution s’est traduite avec des nuances dans le programme des deux candidats à la succession de GW Bush.

Une évolution parallèle s’est produite parmi les classes dominantes des grands pays émergents, en particulier la Chine, le Brésil, l’Afrique du Sud, le Mexique et l’Inde (dans une moindre mesure). Dans un premier temps, les bourgeoisies de ces pays se contentaient d’affirmer leur droit au développement et de renvoyer aux pays développés toute la responsabilité de l’action à mener pour sauver le climat. Ce positionnement est devenu intenable du fait de l’accélération du changement climatique et de ses impacts socio-économiques concrets, de la place accrue de la problématique climat/énergie dans la politique générale de l’impérialisme, et de la vive inquiétude des populations dans certains pays… Sans oublier ce double constat incontournable : le réchauffement frappe et frappera le plus durement les pays dominés, or une stabilisation à un niveau non dangereux pour l’humanité est impossible sans une certaine participation de ces pays à l’effort de réduction des émissions. Amenées à accepter le principe d’une collaboration à l’effort mondial, les classes dominantes des grands pays émergents se préparent à en négocier durement les conditions face à l’impérialisme, dans le but de défendre leurs propres intérêts capitalistes. Certains gouvernements (Chine, Mexique) prennent les devants en fixant unilatéralement leurs propres objectifs de réduction des émissions, afin d’éviter au maximum de se faire dicter des conditions trop défavorables par les puissances impérialistes.

D’une manière générale, une évolution est favorisée dans tous les pays par la perspective de tensions croissantes dans le domaine de l’approvisionnement en hydrocarbures, dues à l’appauvrissement des réserves. Au-delà des hauts et des bas dus à la conjoncture et aux mouvements spéculatifs, cette tension aura pour effet de maintenir le prix du pétrole à un niveau élevé, et par conséquent de tirer vers le haut aussi les prix des autres combustibles fossiles ainsi que celui des agrocarburants, et par conséquent des produits agricoles. L’ensemble de ces éléments explique que la ligne de l’administration américaine ait été débordée lors de la conférence de Bali (déc. 2007), et que celle-ci ait débouché sur un déblocage relatif des négociations en vue d’un nouveau traité international censé prendre le relais du protocole de Kyoto.

19. Les politiques capitalistes en voie d’élaboration pour la période 2012-2050 sont encore plus libérales que Kyoto et laissent présager une hausse de la température moyenne de surface comprise entre 2,8 et 4°C, voire plus. C’est un crime majeur contre l’Humanité et contre son environnement naturel.

La « feuille de route » adoptée à Bali référait de façon précise aux conclusions chiffrées à tirer du rapport 2007 du GIEC (cf. supra, pt. 8). L’encre de ce texte n’était pas encore sèche que le G8 se prononçait en faveur d’une réduction des émissions globales de 50% en 2050, sans mentionner ni la partie haute de la fourchette de réduction globale avancée par le GIEC (85%), ni l’objectif de réduction concernant les pays développés (de 80 à 95% d’ici 2050), ni les objectifs de réduction intermédiaires pour ces pays (de 25 à 40% d’ici 2020), ni la diminution des émissions globales dès 2015.

Début 2008, la Commission Européenne proposait aux Etats membres et au Parlement un « paquet énergie-climat » (20% de réduction des émissions, 20% de gain d’efficience énergétique et 20% d’énergie renouvelable - dont 10% d’agrocarburants dans les transports, d’ici 2020). Ce « paquet » est inférieur aux recommandations du GIEC et incompatible avec l’objectif adopté par le Conseil en mars 1996 d’une hausse maximum de 2°C [7]. A l’automne 2008, dans le contexte de la ‘crise financière’ déclenchée par l’affaire des subprimes et de la récession capitaliste, plusieurs Etats membres (Italie, Pologne et Tchéquie notamment) et secteurs industriels (automobile, sidérurgie) ont contesté le contenu et surtout les modalités du « paquet ». Le Conseil de décembre 2008 a maintenu la formule symbolique 20-20-20(10), mais, pour l’essentiel, il ne s’agit plus que d’une façade. Les patrons ont obtenu très largement satisfaction sur deux points clés : la gratuité des droits d’émission pour les secteurs « exposés à la concurrence internationale » et pour les centrales au charbon des nouveaux Etats membres, ainsi que l’externalisation massive des efforts vers les pays en développement, par le truchement du MDP (près de 70% des réductions d’émission pourront être délocalisées au Sud).

Une orientation analogue se dessine aux Etats-Unis. Le programme « énergie climat » de Barack Obama prévoit de réduire les émissions de 80% d’ici 2050. L’objectif paraît impressionnant mais il correspond à peine au chiffre inférieur de la fourchette de réduction mise en avant par le GIEC pour les pays développés (alors que les USA devraient être dans la partie supérieure de cette fourchette, vu leurs niveaux d’émission). Pour 2020, Obama a promis de ramener les émissions US à leur niveau de 1990, ce qui implique une réduction de 20% par rapport au présent. Encore une fois, l’objectif semble impressionnant. En réalité, il est nettement inférieur aux chiffres du GIEC, et inférieur au but que les USA auraient dû atteindre en 2012, s’ils avaient ratifié le Protocole de Kyoto. Obama a encore annoncé un système « cap-and-trade » avec vente aux enchères de tous les droits d’émissions et utilisation du produit de cette vente pour financer une réforme du système énergétique, d’une part, des programmes d’atténuation des coûts de cette réforme pour les couches sociales les plus défavorisés, d’autre part. Comme en Europe, on peut prévoir que le patronat US exercera une pression maximale sur ce projet et qu’il obtiendra satisfaction, au nom de la compétitivité. Dès lors, la facture sociale de la politique « énergie-climat » ne peut ici aussi que s’alourdir, et son efficacité écologique se réduire, suivant en cela la trajectoire du « paquet » européen. De même, il est probable que, comme en Europe, la possibilité pour les entreprises américaines de remplacer les réductions d’émission par des achats de crédits de carbone du MDP augmentera au fur et à mesure que les objectifs climatiques deviendront plus ambitieux et contraignants. C’est ainsi que des principales La proposition de loi Dingell-Boucher, par exemple, offre la possibilité aux entreprises d’acheter assez de crédits de carbone pour différer toute réduction d’émissions jusqu’en 2029.

La politique climat-énergie présentée par Barack Obama lors de la campagne présidentielle constitue un élément décisif d’une orientation visant à tenter de sauvegarder l’hégémonie déclinante de l’impérialisme US. Le tournant par rapport à l’administration Bush se marque notamment sur les points suivants : (i) volonté d’indépendance énergétique par rapport au pétrole du Moyen-Orient et aux régimes instables de la région ; (ii) développement d’un mix de solutions alternatives dont les axes principaux sont le charbon, les agrocarburants, le nucléaire et l’efficience énergétique ; (iii) acceptation de la nécessité d’objectifs de réduction contraignants et chiffrés des émissions US en tant que condition indispensable pour reprendre la main dans la négociation d’un accord climatique international impliquant les grands pays émergents ; (iv) recherche d’une alliance avec l’UE face aux pays émergents sur la question de la participation de ceux-ci à l’effort climatique, et avec les pays émergents face à l’UE sur d’autres questions, telles que les filières énergétiques ; (v) soutien massif au capital US dans le domaine des technologies énergétiques dites « bas carbone ».

20. Les conditions à remplir pour sauver le climat équivalent à la quadrature du cercle pour le capitalisme. Incapable de résoudre la difficulté, il va tenter de la repousser par une fuite en avant technologique, couplée à une nouvelle extension de la sphère marchande.

Commencer à réduire les émissions globales au plus tard en 2015, réduire les émissions des pays développés de 80 à 95% en un peu plus de quarante ans, diminuer radicalement les besoins énergétiques de ces pays, transférer massivement des technologies propres vers les pays en développement et y financer l’adaptation indispensable : ces conditions à remplir pour stabiliser le climat au meilleur niveau possible ptr équivalent à la quadrature du cercle pour un système productiviste.

Incapable de résoudre la difficulté, le capitalisme va tenter de la repousser par un fuite en avant. Sur le plan technologique, sa réponse s’appuie principalement sur les éléments suivants :

(i) Exploitation des importantes réserves connues de charbon (200 ans environ au rythme d’extraction actuel) comme source d’énergie de plus en plus importante pour la production d’électricité (avec développement des techniques de capture et de séquestration du carbone), voire pour la production de carburants de substitution au pétrole dans le secteur des transports ;

(ii) Développement massif des agrocarburants de première génération (éthanol à base de sucres, diesel à base d’huiles végétales) et de seconde génération (éthanol à base de cellulose) dans le secteur des transports, impliquant une importante modification dans l’utilisation des terres, en particulier dans les régions tropicales et sub-tropicales, plus productives, ainsi qu’un recours accru aux technologies du « génie génétique » ;

(iii) Développement de l’offshore pétrolier profond et exploitation des ressources pétrolières non conventionnelles (huiles lourdes, sables et schistes bitumineux) ;

(iv) Exploitation du gisement d’économie d’énergie par hausse de l’efficience énergétique, en priorité dans les secteurs de la production électrique et de l’industrie (gros potentiel de réduction des émissions dans les pays émergents et en transition), mais aussi dans les secteurs du bâtiment et des transports (en fonction de la demande solvable). Mais la capacité du capitalisme d’exploiter ce potentiel est limitée par la demande solvable ;

(v) Développement combiné du nucléaire, de l’éolien et du solaire (thermique et photovoltaïque). Assimilation de fait du nucléaire aux renouvelables, augmentation importante du nombre de centrales et développement de nouvelles technologies nucléaires (centrales de 4e génération, surgénérateur) permettant de faire face aux limites des gisements d’uranium connus (environ 60 ans dans l’état actuel du parc de centrales) ;

(vi) Utilisation maximale des puits de carbone (plantations d’arbres, protection des forêts existantes et des zones humides, pratiques culturales bas carbone,…), valorisation des déchets comme source d’énergie. La mise en œuvre de ces réponses technologiques passe par la création d’un marché mondial du carbone avec fixation d’un prix unique du carbone, un accord sur l’équivalence entre hausse de l’absorption et réduction des émissions, des accords commerciaux, l’établissement de normes, de quotas (y compris de quotas individuels échangeables, le cas échéant), de taxes et d’incitants ainsi que de mécanismes de mesure et de rapportage, etc. Elle implique aussi et surtout un nouveau traité international encore plus néolibéral que le Protocole de Kyoto, associant les pays impérialistes, les pays émergents et le reste du monde, fixant la contribution de chacun à l’effort global et permettant la délocalisation maximale des réductions d’émissions des pays capitalistes développés vers les pays en développement.

Cette délocalisation constitue un élément clé de la politique climatique capitaliste. Pour l’impérialisme, il s’agit d’atténuer au maximum les coûts de la transition énergétique en utilisant les pays dominés comme exportateurs d’agrocarburants et de crédits de carbone à bon marché. Ceux-ci peuvent être générés soit par la sauvegarde des forêts existantes, soit par de nouvelles plantations d’arbres, soit surtout par des investissements « propres » dans les renouvelables ou dans l’efficience énergétique. Ce projet cadre ainsi avec l’offensive générale de l’impérialisme envers les pays en développement, telle qu’elle est menée à travers le FMI, la BM et l’OMC. Mais sa mise en œuvre est compliquée par le réajustement des rapports de forces mondiaux résultant de la montée en puissance des grands pays émergents.

Tout en concédant du bout des lèvres que le changement climatique est « l’échec le plus large du marché » (N. Stern), la réponse capitaliste basée sur plus de marché, donc plus de marchandises, tend à inverser complètement la priorité : au lieu de servir à réduire la consommation énergétique tout en satisfaisant les besoins humains réels, le développement des renouvelables et les progrès de l’efficience énergétique servent à ouvrir de nouveaux créneaux à l’accumulation capitaliste, donc à la hausse de l’offre énergétique. La réduction des émissions est subordonnée aux impératifs de profit. En pratique, l’objectif de hausse du pourcentage d’énergie d’origine renouvelable se substitue à celui de baisse globale des émissions de gaz à effet de serre.

21. Outre qu’elle est totalement insuffisante à la stabilisation climatique, la réponse capitaliste est grosse d’autres conséquences écologiques extrêmement menaçantes pour l’humanité.

L’option nucléaire fait peser une menace majeure sur la survie du genre humain. La question des déchets reste sans solution, le risque de fuite radioactive est impossible à éliminer totalement, et le danger de prolifération de l’armement nucléaire – donc d’emploi effectif de cet armement - est inséparable de la technologie. Il y a lieu d’ajouter que la technologie nucléaire représente un choix techniquement irrationnel, inefficient du point de vue de la protection du climat, incohérent avec la révolution énergétique nécessaire. L’efficience énergétique d’une centrale nucléaire (30%) est inférieure à celle d’une centrale à gaz ; le bilan carbone, médiocre à l’échelle de l’ensemble de la filière, ne peut que s’alourdir du fait de l’exploitation de gisements d’uranium de moins en moins riches ; les ressources en minerai sont limitées (les réserves connues d’uranium représentent 60 ans de consommation dans l’état actuel du parc) ; une réponse au CC basée sur le nucléaire est totalement impraticable, vu le nombre de centrales qu’il faudrait construire (une par semaine environ pendant 50 ans), le temps de construction et le coût ; le tout-nucléaire est impossible, cette technologie (2,7% de l’énergie consommée dans le monde, 17% de l’électricité) ne pourrait jamais couvrir plus qu’une fraction limitée des besoins humains ; enfin, l’axe de l’alternative énergétique ne peut être fondé que sur les renouvelables et l’efficience énergétique, or ceux-ci impliquent une décentralisation radicale du système énergétique, complètement antagonique à l’ultra-centralisation nucléaire. Ceci vaut également pour le coûteux projet de recherche sur la fusion nucléaire (ITER). Un projet complètement inutile, puisque l’humanité a déjà la chance de bénéficier d’une centrale à fusion nucléaire sans danger, gratuite, qui fonctionnera entre 4,5 milliards d’années et qui recycle elle-même ses déchets : le Soleil.

Bien que les agrocarburants ne couvrent qu’une infime fraction des besoins énergétiques dans le domaine du transport, ils ont déjà amplement démontré leurs effets pervers. Inévitablement, la logique de la production pour le profit conduit en effet à ce que la production d’éthanol et de biodiesel pour la demande solvable passe avant la satisfaction du droit fondamental à l’alimentation, avant les droits des communautés indigènes et avant la protection de l’environnement. Ici aussi, l’irrationalité technique est au rendez-vous, dans la mesure où le bilan énergétique global de la production d’agrocarburants est négatif dans la plupart des cas. Le passage aux agrocarburants de seconde génération, en soi, n’élimine pas les dangers. A supposer même que des règles suffisamment strictes interdisent d’affecter des terres de culture à la production d’éthanol cellulosique, la demande émanant des transports est telle qu’il faudrait consacrer d’énormes superficies d’autres terres – ou de zones marines - à la monoculture productiviste, avec toutes les conséquences qui en découlent en termes de pollution aux pesticides et de destruction de la biodiversité.

La critique formulée par rapport aux agrocarburants vaut, mutatis mutandis, pour les ressources pétrolières non conventionelles : l’exploitation des huiles lourdes, des sables et des schistes bitumineux nécessite une énorme dépense d’énergie ainsi qu’un fort gaspillage d’autres ressources (eau notamment) et son impact environnemental est particulièrement lourd. De plus, dans de nombreux cas, les gisements sont situés dans des régions habitées par des communautés indigènes dont les droits sont ainsi menacés.

Vu l’urgence et pour des raisons sociales, la capture et séquestration du carbone pourrait être acceptable à titre transitoire, dans le cadre d’une stratégie de sortie rapide des combustibles fossiles : elle permettrait notamment de planifier la reconversion des mineurs. Mais ce n’est pas dans cette optique qu’elle est envisagée actuellement. Il s’agit au contraire d’une nouvelle tentative capitaliste de repousser les limites physiques sans se soucier des conséquences. Les gouvernements parlent de « charbon propre », mais c’est un mythe si l’on prend en compte la pénibilité de l’extraction, la pollution par les poussières, les conséquences sur la santé, et l’impact écologique des houillères.

La lutte contre le changement climatique risque de donner une impulsion majeure au « génie génétique », entraînant une augmentation qualitative des risques inhérents à cette technologie. C’est ainsi que la production d’arbres génétiquement modifiés (OGM à croissance rapide pour accroître la capacité des puits de carbone, OGM à basse teneur en lignine ou à haute teneur en cellulose, etc.) augmente considérablement les risques d’allergies. La menace la plus dangereuse pourrait cependant venir du « génie génétique » dans la production d’agocarburants de deuxième génération, où la mise au point de bactéries et de micro-algues génétiquement modifiées multiplie les menaces en termes de dissémination et d’hybridation.

22. La réponse capitaliste implique des attaques redoublées contre les salariés, les paysans pauvres, les femmes, les communautés indigènes et les pauvres en général, ainsi qu’une accentuation des inégalités sociales.

Quel que soit le « mix énergétique » choisi, il impliquera un renchérissement de l’énergie qui frappera doublement le monde du travail : au niveau de ses propres besoins énergétiques, d’une part, au niveau des produits de consommation d’autre part, les patrons répercutant la hausse des prix de l’énergie sur les prix des marchandises.

L’énergie étant une composante du capital constant, son renchérissement grèvera le taux de profit, ce qui amènera le patronat à multiplier les attaques contre les salaires, les mécanismes d’indexation, la protection sociale et, d’une manière générale, l’incitera encore plus à tenter d’augmenter le taux d’exploitation par tous les moyens possibles.

Dès maintenant, on constate que le marché mondial du carbone offre aux capitalistes de nouveaux moyens d’exacerber la concurrence entre travailleurs. Ceux-ci sont notamment soumis à une nouvelle forme de chantage à l’emploi et à l’investissement visant soit à les faire plier devant les diktats néolibéraux des multinationales, soit à les manipuler pour tenter d’imposer des mesures protectionnistes ou des cadeaux aux entreprises. Par contre, les divers incitants et autres instruments de marché visant à ouvrir le marché des énergies renouvelables et à améliorer l’efficience énergétique favorisent non seulement le patronat mais aussi les classes moyennes aisées, la petite-bourgeoisie salariée ainsi que les couches supérieures du prolétariat, aggravant de ce fait l’inégalité dans la distribution des revenus, dans l’accès à la mobilité, etc.

L’instauration encore hypothétique de quotas de carbone individuels et échangeables intensifierait encore cette tendance inégalitaire, dans la mesure où les plus pauvres seraient amenés à vendre leurs quotas pour acquérir des biens de consommation.

Dans les pays dominés, la politique climatique capitaliste donne une nouvelle impulsion à la séparation des producteurs et de leurs moyens de production traditionnels - en premier lieu la terre - avec pour résultat soit l’exode rural, soit la transformation en ouvriers (plantations énergétiques, exploitations d’hydrocarbures…) soit le déplacement vers des zones moins favorables ou la reconversion dans « l’industrie touristique ». Tous ces cas de figure entraînent une dégradation de l’autonomie et des conditions d’existence du plus grand nombre – en particulier des femmes vu leur rôle clé dans la production vivrière - ainsi que des attaques accrues contre les communautés indigènes et leurs droits.

23. Incapables de créer les conditions sociales d’une réduction structurelle des émissions, les gouvernements capitalistes des pays développés utilisent la lutte contre le changement climatique comme prétexte pour faire accepter l’austérité.

Pour la bourgeoisie, la thèse du changement climatique « provoqué par l’Homme » tombe à pic pour tenter de justifier au nom de la science l’austérité et les sacrifices, tandis que la popularisation des menaces du réchauffement crée un terrain propice à la promotion des marchandises du secteur « vert » de l’économie. Mais, en imputant à « l’Homme » ce qui est un produit de la Révolution industrielle capitaliste, la propagande bourgeoise contribue à créer une ambiance mortifère et irrationnelle, combinant misanthropie, fatalisme, cynisme individualiste et nostalgie réactionnaire.

Le résultat le plus dangereux de cette confusion délibérément orchestrée est le regain des thèses malthusiennes ou néomalthusiennes imputant la « crise écologique » principalement ou exclusivement à la population… donc aux pauvres puisqu’ils font plus d’enfants que les riches… donc aux pays en développement puisque le taux de fécondité des femmes y est généralement plus élevé que dans les pays développés. Jadis parées de considérations religieuses, ces thèses sont aujourd’hui emballées dans une pseudo-science qui détourne des concepts de l’écologie scientifique (tels que la « capacité de charge ») pour naturaliser les relations sociales. Certaines de ces campagnes peuvent compter sur la collaboration de scientifiques dont les travaux dans le domaine de l’écologie ne font en réalité que traduire les a priori bourgeois, comme on le voit clairement dans le cas de la thèse dite de la « tragédie des communs ». Des forces politiques ultra-réactionnaires tentent ainsi d’utiliser la peur du changement climatique pour donner plus d’écho à leurs campagnes de haine contre les immigrés, contre les demandeurs d’asile, contre le droit des femmes à disposer de leur corps, ou contre l’aide aux pays en développement. Des sectes religieuses et des courants religieux réactionnaires intègrent la menace climatique dans un discours eschatologique prêchant la soumission à l’ordre établi.

A terme, on peut craindre que l’échec prévisible de sa politique climatique amène le capitalisme à opter pour des régimes forts menant une politique dirigiste, afin de mobiliser tous les moyens disponibles, comme en période de guerre. Une telle politique impliquerait inévitablement de nouvelles attaques contre les droits sociaux et démocratiques.

24. La réponse capitaliste au défi climatique multiplie les risques de guerre pour les ressources.

Dans les pays les plus fragilisés par la mondialisation capitaliste et l’ajustement structurel, les impacts des changements climatiques accroissent la probabilité de crises débouchant sur des situations chaotiques, avec conflits armés entre chefs de guerre. En aggravant la pénurie dans un certain nombre de régions déjà soumise à un stress hydrique intense, le changement climatique aiguise l’importance du contrôle des ressources en eau et crée les conditions de guerres de l’eau entre Etats. Mais le plus grand danger pourrait venir de l’exacerbation de la concurrence pour l’appropriation non seulement des ressources énergétiques fossiles déclinantes, mais aussi des nouvelles ressources énergétiques. L’enjeu climat-énergie s’insère ainsi dans le cadre plus vaste du glissement d’un monde bipolaire (impérialisme-pays dominés) sous hégémonie US vers un monde tripolaire (impérialisme-pays émergents-pays les moins avancés) au sein duquel la bataille pour le leadership impérialiste fait rage.

IV. CONSTRUIRE UN MOUVEMENT DE LUTTE CONTRE LE CHANGEMENT CLIMATIQUE

25. La lutte contre le changement climatique ne sera pas gagnée par une combinaison de lobbying , d’actions médiatiques spectaculaires et de campagnes en faveur de changements comportementaux des consommateurs individuels, mais par la mobilisation de masse.

Le combat pour le climat est politique et requiert en priorité la construction de rapports de forces sociaux. Ce combat peut être gagné, comme le montre l’exemple de l’Australie où la mobilisation de masse (150.000 manifestants en novembre 2007) a débouché sur un premier succès partiel : la défaite du gouvernement conservateur aligné sur la politique de GW Bush, et la ratification du Protocole de Kyoto par la nouvelle équipe au pouvoir. Face à l’urgence climatique et à la politique criminelle des gouvernements capitalistes, nous oeuvrons dans tous les pays à la construction d’un puissant mouvement de masse unitaire, coordonné à l’échelle mondiale, dans la tradition des mobilisations contre la guerre et contre la course aux armements (« single issue campaign »).

Le but de ce mouvement n’est pas d’élaborer des plateformes sophistiquées mais de contraindre les gouvernements à agir au minimum conformément aux conclusions les plus prudentes découlant des rapports d’évaluation du GIEC, dans le respect du principe des « responsabilités communes mais différenciées », des droits sociaux et démocratiques ainsi que du droit de toutes et tous à une existence humaine digne de ce nom. Nous défendons ce but contre les courants qui rabaissent les objectifs de réduction des émissions au nom du réalisme, mais aussi contre ceux qui les dénoncent comme insuffisants (nous tentons de rallier ces derniers en demandant « au minimum » le respect des conclusions « les plus prudentes » du GIEC). Notre préoccupation est de tirer avantage de la légitimité du GIEC pour réaliser l’unité d’action la plus large tout en mettant en accusation la duplicité des gouvernements - qui adoptent les « résumés pour les décideurs » dans les conférences internationales sur le climat, mais n’en tiennent pas compte en pratique.

La mobilisation de masse en défense du climat est une tâche ardue. La difficulté découle des caractéristiques du changement climatique, en particulier sa relative progressivité actuelle, ainsi que du double décalage spatial et temporel entre causes et effets. Un ample travail de diffusion de l’information scientifique sur le réchauffement et sur ses impacts est donc nécessaire . Il doit viser en particulier les équipes militantes des différents mouvements sociaux et des formations politiques de gauche. Ces équipes jouent en effet un rôle décisif : elles seules sont capables d’établir le lien concret entre la menace climatique globale et les problèmes sociaux particuliers, notamment sur le plan local, et d’en déduire des stratégies permettant de combiner lutte sociale et lutte pour le sauvetage du climat. C’est dire que la construction du mouvement doit être conçue comme un maillage des résistances sociales existant sur différents terrains, avec actions convergentes coordonnées et manifestations occasionnelles pluralistes, sur une plateforme minimale commune. Ce travail de maillage sera facilité par la mise sur pied de comités, de fronts ou de coalitions pour le climat, tels qu’ils peuvent se développer dans le cadre de la Global Climate Campaign.

26. Au sein du mouvement pour le climat, il est nécessaire de construire un courant de gauche, qui lie la lutte pour le climat et la justice sociale.

La mutation nécessaire est d’une ampleur telle qu’elle ne peut être gagnée sans la mobilisation et la participation active des exploités et des opprimés qui constituent l’immense majorité de la population. La politique climatique capitaliste rend cette participation impossible parce qu’elle est inacceptable sur le plan social tout en étant nuisible sur le plan environnemental. Elle implique en effet le renforcement de la domination impérialiste, de la concurrence et de la violence capitalistes ; donc de l’exploitation, de l’oppression, de l’inégalité sociale, de la concurrence entre travailleurs, de la violation des droits et de l’appropriation privée des ressources.

En particulier, la stratégie capitaliste n’apporte aucune réponse au défi majeur de l’emploi, des salaires et des acquis des millions de travailleurs occupés dans les secteurs gros émetteurs de gaz à effet de serre, tels que l’industrie pétrolière, charbonnière, cimentière, verrière, sidérurgique, ainsi que le secteur des transports. Une telle politique ne peut que se heurter à des résistances sociales légitimes. Au lieu de favoriser la prise de conscience du danger climatique, elle risque de jeter certains secteurs de la population dans les bras des sceptiques du changement climatique. Ce risque est particulièrement important dans les catégories professionnelles qui sont touchées de plein fouet par la hausse des prix de l’énergie et où le poids social des petits patrons (agriculteurs, pêcheurs, camionneurs) pourrait favoriser des réactions corporatistes violentes et désespérées, exerçant une pression forte sur les gouvernements.

Les grandes ONG environnementales tentent de radicaliser les objectifs climatiques des gouvernements sans voir que cette radicalisation entraîne du même coup l’accentuation des attaques contre les exploités et les opprimés. C’est une voie sans issue. Nous défendons la nécessité d’une lutte combinée en faveur du climat et de la justice sociale. Au sein du mouvement large, nous oeuvrons à la constitution d’un pôle de gauche qui lie ces deux dimensions et qui plaide par conséquent contre les recettes basées sur les instruments de marché (prix du carbone, primes et incitants fiscaux en faveur des renouvelables, achat de droits et de crédits, etc.), l’accumulation, la domination néocoloniale et la fuite en avant technologique. Ce pôle cherche à regrouper des éléments des gauches syndicale, écologiste, altermondialiste, féministe, tiers-mondiste, la gauche des « décroissants », des membres d’organisations de la gauche radicale, des scientifiques critiques, etc. Il contribue à la construction du mouvement large en pratique et sur le plan politique, en prenant toute initiative permettant de faire progresser l’idée d’une politique climatique alternative.

27. La défense du climat doit prendre une place importante dans les plateformes et les luttes des mouvements sociaux.

Dans la perspective d’une mobilisation large enracinée dans les luttes existantes, nous agissons pour que la défense du climat devienne une préoccupation majeure des mouvements sociaux et qu’elle trouve une traduction concrète dans leurs plateformes de revendications, sur tous les terrains. Par exemple :

(i) la lutte pour la paix : la production d’armes et l’emploi des armes constituent une folie inacceptable au regard au regard du changement climatique… qui est lui-même une cause possible de conflits supplémentaire ;

(ii) la lutte contre la pauvreté, pour le droit au développement et la protection sociale : la capacité d’adaptation aux CC est directement proportionnelle au niveau de ressources et de développement. L’inégalité sociale accroît la vulnérabilité et handicape la mutation énergétique ;

(iii) la lutte des femmes : les besoins de l’adaptation au changement climatique, en particulier, renforcent l’importance et l’urgence des revendications spécifiques des femmes pour l’égalité des droits, pour une prise en charge sociale des enfants, contre la double journée de travail, pour le droit à l’avortement et à la contraception ;

(iv) la lutte pour l’emploi : réduire radicalement la consommation d’énergie, réaménager le territoire, les villes, prendre soin de la biodiversité, développer les transports publics et substituer les sources renouvelables aux fossiles offre un gigantesque réservoir d’emplois ;

(v) la lutte pour l’accès à la terre, à l’eau et aux ressources naturelles, ainsi que pour une agriculture organique paysanne : les communautés rurales pratiquant une agriculture organique intensive en main-d’œuvre sont les mieux à même d’augmenter la capacité des puits de carbone et de réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole ;

(vi) la lutte contre la mondialisation et la libéralisation des marchés agricoles : cause de ruine des populations rurales, de famine, d’exode rural et/ou de pillage des écosystèmes, la libéralisation des marchés agricoles est aussi une importante sources d’émissions, directes (transport des produits d’exportation) et indirectes ;

(vii) la lutte pour le droit d’asile : face à l’accroissement du nombre de réfugiés environnementaux, notamment climatiques, la liberté de circulation est indispensable et constitue la seule réponse digne de l’humanité ;

(viii) les luttes des communautés indigènes pour leurs droits : par leur savoir et leur mode d’exploitation des écosystèmes, notamment forestiers , ces communautés sont les mieux à même de préserver et développer les puits de carbone ;

(ix) la lutte contre la flexibilité et la précarisation du travail, contre l’allongement du temps de travail : les horaires coupés, flexibles, les campagnes capitalistes en faveur de la mobilité accrue de la main-d’œuvre, contraignent les salariés à l’usage la voiture. La production « just in time » est une source majeure d’émissions de GES dans le secteur des transports. La réduction du temps de travail est une condition nécessaire à l’éclosion à une échelle de masse de comportements alternatifs en matière de consommation et de loisirs ;

(x) la lutte contre les privatisations, pour un secteur public de qualité dans les domaines des transports, de l’énergie et de l’eau. Un secteur public de transport gratuit et de qualité peut seul concilier le droit de toutes et tous à la mobilité et la réduction des émissions. La libéralisation de la production d’électricité complique l’introduction sur le réseau des sources renouvelables intermittentes. Seule une entreprise publique ne travaillant pas pour le profit peut relever le défi consistant à supprimer en 2 ou 3 décennies la totalité des émissions dans le secteur du logement. Pour des quotas individuels gratuits d’eau et d’énergie, fixés en fonction des besoins sociaux vitaux, non échangeables, couplés à une tarification rapidement croissante au-delà des quotas et à un plafond de consommation absolu.

28. Le défi climatique est essentiel pour la gauche syndicale. Il implique d’aller au-delà de la lutte pour la redistribution des richesses.

Les directions des grandes confédérations syndicales internationales ont pour orientation d’accompagner la politique climatique capitaliste en échange de la possibilité pour elles d’en négocier certaines modalités. Cette orientation se concrétise dans la proposition d’un « Green Deal » basé sur l’illusion que les technologies vertes permettront de résorber le chômage et donneront l’impulsion à une nouvelle onde longue de prospérité et d’expansion capitaliste. Les conditions sociales et les répercussions environnementales d’une relance durable du capitalisme ne sont pas prises en considération. Au contraire, les bureaucraties syndicales intègrent les impératifs productivistes et de rentabilité capitalistes ainsi que les outils de la politique climatique dominante : aides publiques aux entreprises « vertes », « fiscalité écologique », Mécanisme de Développement Propre , Echange de Droits d’Emission, voire soutien à l’énergie nucléaire et aux agrocarburants. Cette politique cogestionnaire risque de rendre le mouvement syndical, en particulier le mouvement syndical des pays développés, co-responsable des catastrophes climatiques et de leurs répercussions sur les pauvres dans les pays pauvres. Elle ne peut que semer la division parmi les travailleurs à l’échelle internationale, et entre secteurs au sein des différents pays.

Vu l’importance du défi climatique et énergétique, il est décisif pour la gauche syndicale de s’en emparer et d’en faire un élément central de sa lutte pour un changement de cap des organisations de travailleurs. Ce combat est d’autant plus difficile que, du point de vue stratégique, il ne passe pas en premier lieu par le développement de nouvelles productions, de nouvelles marchandises et de nouveaux marchés dans le domaine des technologies vertes - donc par la « relance économique » - mais par la lutte prioritaire pour la diminution de la consommation d’énergie, la suppression des productions inutiles ou nuisibles, la reconversion des travailleurs et travailleuses employés dans ces secteurs, etc. Il y a là un obstacle considérable, qui illustre le drame de l’enchaînement des salariés au mode de production capitaliste dont ils dépendent pour leur existence quotidienne. Cet obstacle ne peut être surmonté qu’en mettant en cause la propriété capitaliste au moyen de revendications telles que (i) la mise sous statut public des activités décisives du double point de vue du sauvetage du climat et de la satisfaction des besoins humains fondamentaux, c’est-à-dire en priorité l’expropriation sans rachat des entreprises capitalistes qui contrôlent l’extraction, la conversion et la distribution de l’énergie (ii) la mise sous statut public de la recherche et des résultats de la recherche, couplée à un refinancement dans le cadre de programmes internationaux visant à la mise au point prioritaire d’alternatives technologiques, en priorité dans le domaine des renouvelables et de l’efficience énergétique, (iii) un plan de transition à tous les niveaux (global, régional, national, local) vers une société sans combustibles fossiles, où la production et la consommation sont relocalisées dans la mesure du possible et où les salariés des secteurs « fossiles » bénéficient d’une reconversion avec maintien des acquis, sous contrôle ouvrier. Face au défi, la gauche syndicale doit sortir d’une vision étriquée axée sur la redistribution des richesses pour contester la conception même de la richesse et la manière dont les richesses sont produites, c’est-à-dire le mode de production dans ses fondements. Alors seulement pourront être dégagées les ressources d’imagination et de créativité nécessaires à la mobilisation des travailleurs autour d’objectifs concrets. Cette approche rehausse l’importance de revendications telles que la réduction du temps de travail (avec baisse des cadences, sans perte de salaire et avec embauche proportionnelle) et le contrôle ouvrier (sur les cadences, la production, l’énergie, etc.).

29. Le transfert massif de technologies propres vers les pays dominés et le financement de l’adaptation aux effets du changement climatique dans ces pays requièrent l’annulation de la dette ainsi qu’un fonds spécial, alimenté par des ponctions substantielles sur les profits capitalistes. Ces moyens doivent être placés sous le contrôle démocratique des populations et de leurs organisations sociales. Dès lors qu’il implique la participation des pays dominés, le sauvetage du climat nécessite un partage des avoirs et des savoirs, à l’échelle mondiale. Il doit donc être lié à :

(i) l’annulation de la dette du tiers-monde et la restitution aux peuples des avoirs que les dictateurs de pays du Sud ont placés dans les banques occidentales ;

(ii) la levée du secret bancaire, la suppression des paradis fiscaux, l’imposition des patrimoines, la taxation des mouvements spéculatifs, etc. ;

(iii) l’augmentation substantielle des budgets des pays impérialistes consacrés à l’aide publique au développement ;

(iv) la création, en plus de cette aide, d’un fonds mondial unique pour l’adaptation des pays en développement aux effets inévitables du CC et pour le transfert des technologies propres vers le secteur public de ces pays, sans conditions financières ;

(v) l’alimentation de ce fonds par une ponction sur les profits et les surprofits des secteurs économiques les plus responsables du changement climatique (secteur pétrolier, charbonnier, automobile, production d’électricité, notamment) ;

(vi) la suppression du régime des brevets dans la santé et dans les technologies permettant de produire des biens de consommation et des services essentiels (transports, industrie légère, eau et énergie, communications) afin que toutes les populations de la planète puissent accéder aux biens fondamentaux ;

(vii) un système de compensation financière pour les pays du Sud qui renoncent à exploiter leurs ressources en combustibles fossiles.

Cependant, la redistribution des richesses entre Nord et Sud ne suffit pas, ici non plus, à relever le défi climatique. Le modèle capitaliste de développement qui subordonne les économies des pays du Sud aux impératifs de l’accumulation, dans le cadre de la mondialisation de la production et des échanges, est rigoureusement incompatible avec la nécessaire déviation des émissions de 15 à 30% d’ici 2020 (2050 pour l’Afrique). Cet objectif ne peut être atteint que par un développement endogène, répondant aux besoins de la grande masse de la population, donc lié à une réforme agraire en faveur de l’agriculture paysanne et à une réorientation de la production vers le marché intérieur. Concilier droit au développement humain et sauvetage du climat nécessite donc des mesures contre les classes dominantes locales, qui tirent prétexte du droit au développement pour refuser toute entrave à la combustion des combustibles fossiles, pillent des ressources naturelles, s’approprient les forêts, jouent les intermédiaires pour la vente des crédits de carbone, produisent des agrocarburants, et exportent des denrées agricoles ou des produits industriels à bas prix pour les marchés des pays développés. Pour empêcher qu’ils servent à alimenter ce modèle de développement socialement et écologiquement nuisible, les fonds et moyens technologiques mis à disposition des pays du Sud doivent être placés sous le contrôle démocratique des populations ainsi que de leurs mouvements sociaux. La lutte contre le changement climatique valide ainsi la théorie de la révolution permanente dans les pays coloniaux et semi-coloniaux.

30. La riposte au changement climatique doit intégrer tous les grands défis écologiques dans une perspective de développement vraiment soutenable.

L’histoire du capitalisme est jalonnée de crises environnementales « résolues » sans vision écologique d’ensemble, par la mise en œuvre de réponses technologiques partielles subordonnées aux impératifs de rentabilité, dont les effets environnementaux néfastes apparaissent plus tard. La destruction totale des forêts européennes a été évitée par l’exploitation du charbon, cause majeure du changement climatique ; l’épuisement des sols a été évité par l’usage massif des engrais, source de gaz à effet de serre, cause de pollution et d’eutrophisation des eaux ; le développement du trou dans la couche d’ozone a été freiné par le recours à des gaz réfrigérants qui contribuent de façon significative à la hausse de l’effet de serre, etc… Résoudre la crise climatique/énergétique en suivant la même méthode d’apprenti-sorcier risque d’avoir des conséquences encore plus redoutables, en particulier dans deux domaines : le recours accru au nucléaire et aux organismes génétiquement modifiés. S’opposer à ces est une tâche des plus importantes pour la gauche. Il faut les dénoncer comme symbolisant la folie de la croissance capitaliste sans limites, comme la tentative absurde du système de sauter par-dessus sa propre tête pour maintenir malgré tout l’accumulation génératrice de profit.

D’une manière plus générale, le défi climatique fédère toutes les questions environnementales. La riposte doit donc intégrer tous les grands défis écologiques, notamment : (i) la défense de la forêt tropicale dans le respect des droits des communautés indigènes qui vivent de ses ressources (puits de carbone) ; (ii) la défense de la biodiversité ; (iii) la gestion rationnelle et publique des ressources en eau ; (iv) la lutte contre l’empoisonnement de la biosphère par les quelques 100.000 molécules issues de la pétrochimie, qui n’existent pas dans la nature et donc certaines ne peuvent être décomposées par ses agents réducteurs ; (v) l’élimination des gaz destructeurs de l’ozone stratosphérique et leur remplacement par des composés n’ayant pas d’autre impact écologique dangereux ; (vi) la lutte contre la pollution atmosphérique et ses conséquences pour la santé humaine (asthme, maladies cardiovasculaires,) ainsi que pour les écosystèmes (acidification, ozone troposphérique).

31. Dénoncer l’écart entre les plans capitalistes et les recommandations des scientifiques. A partir des mouvements sociaux, nouer des liens avec des scientifiques critiques. Poser les questions de la propriété du savoir et du rôle social de la recherche.

La prétention des gouvernements qui tentent de faire croire que leur politique climatique capitaliste et libérale est fondée sur « la science » doit être combattue vigoureusement. Pour ce faire, il s’agit de dénoncer le gouffre séparant les objectifs des gouvernements des conclusions les plus prudentes à tirer des rapports du GIEC. Cependant, cette dénonciation implique d’assimiler l’essentiel de l’expertise scientifique tout en critiquant les présupposés idéologiques et sociaux dominants qui sont véhiculés par la grande majorité des experts. La gauche doit donc nouer des relations avec des scientifiques, les inviter à communiquer leur expertise aux mouvements sociaux, les interpeller à partir de ceux-ci sur leur positionnement politique général, les pousser à s’exprimer sur la contradiction entre les solutions rationnelles globales que demande la lutte contre le réchauffement, d’une part, et l’ultra-cloisonnement des sciences au service de la rationalité capitaliste partielle, d’autre part. Vu la place prise par l’expertise scientifique dans l’élaboration de la politique climatique, il est d’une importance non négligeable de nouer des relations entre les mouvements sociaux et des chercheurs critiques et humanistes, des laboratoires, ou des associations.

Dans ce cadre, nous développons un point de vue plus général sur le rôle de la science et de la recherche dans la lutte pour les sauvetage du climat dans la justice sociale. Nous ne refusons pas les solutions technologiques, ni les concepts de développement et de progrès. Nous plaidons au contraire pour que la recherche scientifique et technique soit libérée de l’emprise du capital afin que son potentiel puisse être massivement et rapidement au service du développement soutenable des sources énergétiques renouvelables, du progrès dans l’efficience énergétique et de la gestion rationnelle des ressources. Pour cette raison, nous exigeons le refinancement public massif de la recherche, l’arrêt des contrats qui lient les universités à l’industrie et au capital financier, la définition démocratique des priorités de la recherche en fonction de la transition, dans la justice sociale, vers une société soutenable écologiquement.

32. Combattre la culpabilisation, mais assumer la sobriété énergétique dans la mesure du possible social.

La gauche combat les discours culpabilisants des gouvernements qui attribuent la responsabilité du réchauffement et du sauvetage du climat au comportement individuel de chacun, toutes classes confondues. Ces discours escamotent l’inégalité sociale, la culpabilité du capitalisme et détournent l’attention des profonds changements structurels nécessaires dans le mode de production. Mais il n’en découle pas que la gauche pourrait éviter de poser la question des comportements individuels, ou refuser toute action dans la sphère de la consommation, au contraire.

C’est une illusion de croire que le climat pourrait être sauvé par un mouvement de « contagion culturelle » contre la surconsommation : faute de changements structurels, les ruptures individuelles ne peuvent déboucher que sur un style de vie monacal, très peu « contagieux ». Mais il est également irrationnel de miser sur d’hypothétiques percées scientifiques révolutionnaires pour ne pas mettre en question la surconsommation et les pratiques individuelles qui en découlent. L’urgence climatique impose de prendre ici et maintenant les décisions nécessaires sur la base des solutions technologiques connues et du diagnostic scientifique existant. Une attitude basée sur la foi dans le progrès, la croyance en un deus ex machina technologique, ne sert qu’à justifier l’inaction, alors que les tenants de la contagion culturelle ont au moins le mérite d’agir pour sauver le climat.

Au lieu d’opposer les actions dans la sphère de la consommation aux changements structurels dans la sphère de la production, la gauche doit concevoir les premières comme un moyen de souligner la nécessité des secondes. D’une part, la conscience de la gravité du réchauffement et de ses impacts est incompatible avec la poursuite de certains comportements qui traduisent un mépris flagrant et cynique pour l’environnement : dans la mesure du possible social, une exigence éthique élémentaire veut que ceux dont les besoins fondamentaux sont satisfaits fassent preuve de sobriété énergétique et agissent de façon conséquente pour éviter de contribuer au basculement climatique. D’autre part, les pratiques sociales alternatives, les campagnes et les mobilisations démocratiques, même minoritaires, qui contestent le productivisme et le consumérisme, peuvent jouer un rôle positif et important dans la formation de la conscience collective que des changements structurels sont nécessaires, aussi dans la sphère de la production, et que ces changements peuvent s’accompagner d’une plus grande qualité de vie.

Nous soutenons donc les campagnes et les actions démocratiques contre l’envahissement publicitaire, l’appropriation capitaliste de l’espace public, le gaspillage des ressources naturelles, le tout automobile, l’explosion du transport aérien, pour le boycott des produits issus de la destruction de la forêt équatoriale, etc., en les liant à la nécessité de changements structurels.

33. Développer une pratique de secours populaire en cas de catastrophe.

Le changement climatique accroît considérablement les risques de sécheresses, inondations, glissements de terrain et autres catastrophes frappant plus particulièrement les travailleurs et les pauvres. Dans les pays en développement, ces catastrophes pourraient dans certains cas prendre une ampleur extrême. Face à cette menace, nous devons nous préparer à intervenir avec les mouvements sociaux sur deux terrains différents : le terrain revendicatif consistant à mettre les Etats devant leurs responsabilités ; et le terrain des secours directs, populaires et solidaires, pris en charge par les populations locales et leurs organisations avec l’aide des réseaux militants au niveau mondial. L’expérience acquise dans les catastrophes naturelles montre en effet que ces secours populaires sont plus rapides, plus directement orientés vers les pauvres et les besoins réels et peu coûteux. De plus, ils sont favorables à l’éclosion d’autres rapports sociaux, de contestation de l’ordre établi.

V. OUVRIR LA VOIE A UNE ALTERNATIVE ANTICAPITALISTE

34. L’incapacité des gouvernements à prendre les mesures nécessaires pour sauver le climat est ancrée structurellement dans les lois fondamentales du capitalisme.

La concurrence pousse chaque propriétaire de capitaux à remplacer les travailleurs par des machines qui, en augmentant la productivité du travail, permettent de dégager un surprofit en plus du profit moyen, et de gagner ainsi un avantage compétitif. Cette course à la rente technologique, qui s’accélère au fil du développement, accentue la tendance du système à la surproduction, et par conséquent à la surconsommation. Surproduction et surconsommation impliquent inévitablement un élargissement du volume de la production matérielle. Celui-ci à son tour nécessite des prélèvements accrus de ressources (notamment énergétiques), d’une part, et des rejets plus importants de déchets, d’autre part. La tendance à la dématérialisation, à l’efficience dans l’utilisation des ressources et à la transformation des déchets en matières premières peut freiner ce mouvement d’ensemble, pas l’empêcher. Un capitalisme stationnaire constitue une contradiction dans les termes : l’économie capitaliste ayant pour but la production de valeur, càd. d’une forme générale et abstraite des valeurs d’échange, il en découle que le capitalisme, selon la formule de Marx, ne connaît d’autre limite que le capital lui-même.

C’est dans ce cadre qu’il convient d’analyser le changement climatique. Tout au long de ses quelques 200 ans d’histoire, le système a prélevé dans l’environnement naturel les ressources énergétiques fossiles abondantes qui lui ont assuré un élément de capital constant à bas prix. Déchet invisible de cette consommation productive, le CO2 s’est accumulé dans l’atmosphère au point que la quantité globale émise actuellement équivaut deux fois la capacité d’absorption par les écosystèmes. Sur une longue période, on observe logiquement une forte corrélation entre les tonnages de CO2 émis et les ondes longues d’expansion ou de stagnation capitalistes. C’est ainsi que les « trente glorieuses » tirées par la production massive d’automobiles et d’autres biens de consommation de masse coïncident avec une hausse si importante des émissions que la concentration atmosphérique en gaz à effet de serre a été portée à un niveau durablement proche de celui qui peut entraîner une catastrophe climatique de grande ampleur. Après un léger recul et une stabilisation dans les années 70-80, les émissions globales ont recommencé à croître ensuite, du fait de la mondialisation capitaliste de la production et des transports, de la transformation de la Chine en « atelier du monde » et de la relance US tirée par l’endettement. Le réchauffement planétaire et l’épuisement inévitable à terme des ressources fossiles surviennent alors comme des obstacles physiques, des limites sur lesquelles la machine bute sans être capable d’en admettre l’existence et, surtout, d’en tirer toutes les conclusions pratiques indispensables. Le CC montre que le système capitaliste, basé sur l’accumulation potentiellement illimitée de valeur entraînant une rotation accélérée du capital, se révèle incapable d’intégrer effectivement les notions de limites physiques et de rythmes écologiques.

35. Le CC porte la crise du capitalisme contemporain à un niveau de globalité sans précédent et contribue à en faire une crise systémique majeure, une crise de civilisation.

Le réchauffement traduit en termes physiques la thèse formulée en termes politiques par les marxistes révolutionnaires, il y a plus de 60 ans : les conditions objectives pour une société non-capitaliste ne sont pas seulement mûres, elles ont commencé à pourrir. La crise climatique est la manifestation la plus éclatante et la plus globale de ce pourrissement. Faute d’avoir été éliminé et remplacé par un système non productiviste, le « capitalisme du troisième âge » a amené l’humanité à franchir des pas décisifs et irréversibles vers une dégradation extrêmement sérieuse de l’environnement, qui menace d’aggraver les conditions d’existence de centaines de millions d’êtres humains. Si les mesures radicales susceptibles d’arrêter cet engrenage ne sont pas prises à très court terme, l’humanité devra affronter une série de catastrophes de grande ampleur, aux conséquences sociales et politiques incalculables.

Sur le plan économique, la politique d’austérité brutale menée dans le cadre de l’onde longue récessive ouverte au début des années 70 du siècle passé a débouché sur une situation sans précédent, qui se prolonge depuis 25 ans : une relance du taux de profit sans relance du taux d’accumulation du capital, avec maintien d’un chômage massif, croissance de la misère, explosion des inégalités. Cette incapacité prolongée du système à renouer avec une onde longue expansive traduit un épuisement historique qui renvoie en dernière instance à la difficulté croissante de compenser la chute tendancielle du taux de profit moyen par la hausse du taux d’exploitation, et aux contradictions qui en résultent pour la réalisation de la plus-value.

Sur le plan social, le capitalisme n’a pu sortir de la Grande Dépression que par l’écrasement du mouvement ouvrier, le fascisme, la guerre, et au double prix d’une inflation permanente ainsi que d’un déséquilibre irréversible du système climatique. L’ouverture d’une nouvelle période historique de prospérité de la société capitaliste nécessiterait de passer par un « choc exogène » d’une ampleur au moins comparable à ce remède de cheval des années trente. La récession ouverte par l’affaire des subprimes indique que, en dépit des défaites du mouvement ouvrier, les conditions d’une nouvelle onde longue d’expansion ne sont pas réunies.

Sur le plan environnemental, même dans l’hypothèse où des aides publiques massives aux entreprises (càd. un nouveau transfert de richesse du travail vers le capital ) accélèreraient la diffusion des technologies propres, une relance capitaliste durable – sur le modèle des « trente glorieuses » - impliquerait inévitablement plusieurs années de consommation accrue d’énergies fossiles, donc une accélération des émissions de gaz à effet de serre plus que suffisante pour précipiter la catastrophe climatique. En d’autres termes, la lutte contre le CC pose un choix de civilisation fondamental : poursuite du productivisme capitaliste aux dépens de l’environnement et de la majorité sociale, ou alternative non capitaliste ?

36. Résoudre conjointement et structurellement la crise climatique et la crise sociale ne peut se faire qu’en rompant avec la logique de l’accumulation de valeur, en substituant la production d’utilités (valeurs d’usage) à la production de marchandises.

La stabilisation du climat à un niveau cohérent avec le principe de précaution requiert que les émissions globales commencent à diminuer au plus tard en 2015 pour être réduites de 50 à 85% d’ici 2050, et plus d’ici la fin du siècle. Il s’agit d’atteindre cet objectif sans nucléaire, sans production massive d’agrocarburants pour le marché mondial et en ne recourant que marginalement à la capture-séquestration du carbone. Dans l’état actuel des connaissances, ce n’est possible, on l’a vu, qu’en réduisant significativement la consommation globale d’énergie, condition pour l’introduction des renouvelables. Pour ce faire, la hausse de l’efficience énergétique et la baisse de l’intensité en carbone fossile de l’économie ne suffiront pas. Indépendamment de la question socialement et politiquement décisive de la répartition des efforts (Nord-Sud, Nord-Nord, Sud-Sud), une certaine décroissance de la production matérielle globale est donc objectivement nécessaire. Or, le capitalisme est fondamentalement productiviste. Il n’est capable de répondre aux besoins sociaux, à sa manière (pervertie par la marchandise) que lorsque les exploités et les opprimés l’obligent par leurs luttes à laisser tomber les miettes de la croissance de la table de l’accumulation. Dans le cadre de ce système, une décroissance de la production et de la consommation matérielles ne peut se concrétiser que temporairement, par le truchement des crises de surproduction qui entraînent l’aggravation de la crise sociale, la misère, le chômage, la croissance des inégalités.

C’est dire que le défi climatique confère objectivement une urgence impérieuse à l’alternative anticapitaliste, et disqualifie les stratégies de participation aux institutions bourgeoises dans le but d’une hypothétique transformation graduelle. En effet, casser la spirale d’accumulation incompatible avec le sauvetage du climat n’est possible qu’en substituant la production de valeurs d’usage pour la satisfaction des besoins réels (forcément limités) à la production de marchandises pour l’accumulation de valeur (potentiellement illimitée). Des changements structurels dans la sphère de la production (et des transports en tant qu’activité productive) sont donc décisifs. Ce sont eux qui créeront la base matérielle de changements dans la sphère de la consommation. Ces changements nécessitent non seulement un transfert massif de richesse du capital vers le travail mais aussi une remise en cause du droit de propriété capitaliste. Ces deux dimensions se rejoignent dans la revendication de nationalisation avec expropriation de l’ensemble du secteur du crédit (banques et assurances), qui acquiert dès lors une importance stratégique majeure. La lutte contre le CC ouvre ainsi la possibilité de revitaliser la démarche du programme de transition : d’une part en refondant la nécessité pour l’humanité d’une issue non capitaliste, d’autre part en donnant une justification objective solide à un ensemble cohérent de revendications concrètes qui, prises globalement, sont incompatibles avec le fonctionnement normal du système capitaliste.

Les demandes précises peuvent varier fortement de pays à pays, de région à région, en fonction notamment du niveau de développement, de la formation sociale, des caractéristiques des écosystèmes, des spécificités des systèmes énergétiques, etc. D’une manière générale, leur caractère transitoire sera déterminé par le fait qu’elles apparaîtront comme pouvant contribuer effectivement à résoudre à la fois la crise écologique/climatique et la crise sociale. La création d’emplois dans des activités socialement utiles, le droit à l’énergie, au logement et à la mobilité (transports publics gratuits), la lutte contre la pollution et ses impacts sur la santé, le prélèvement responsable sur les ressources des mers, des forêts et des lacs,… sont autant de domaines clés où des propositions peuvent être mises en avant qui articulent réduction des émissions, gestion rationnelle des flux d’énergie et de matière, réduction des inégalités sociales, accroissement des droits démocratiques et recul de l’emprise de la marchandise.

Dans cette articulation, la question de l’efficacité écologique/climatique (réduction des émissions) n’est pas un supplément d’âme. Elle doit au contraire recevoir une attention particulière. Du fait de l’importance objective de la lutte contre le réchauffement en tant que question globale, aux implications sociales majeures, mais aussi parce que les propositions anticapitaliste sont plus efficaces climatiquement que les recettes capitalistes, ce qui ne peut qu’approfondir la crise de légitimité du système face à un défi qu’il est lui-même contraindre de reconnaître comme décisif.

37. Du fait même de sa nature de problème global gigantesque, à résoudre dans l’urgence pour éviter des catastrophes encore plus graves, le CC offre une opportunité exceptionnelle d’introduire la nécessité d’une alternative anticapitaliste « par le haut », en des termes éminemment pratiques, rationnels et immédiats.

Face au CC, l’ampleur colossale des mesures à prendre dans un délai très court (deux générations) peut avoir des effets contradictoires sur l’état d’esprit des masses : mécanismes de censure et d’incrédulité, réponses cyniques, exacerbation de l’angoisse latente engendrée par l’insécurité d’existence dans le capitalisme du troisième âge. Ces sentiments peuvent être récupérés et manipulés par les gouvernements bourgeois, mais aussi par des tendances mystiques offrant de pseudo-issues irrationnelles et eschatologique. Ils peuvent être récupérés également par des courants réactionnaires qui naturalisent les rapports entre l’humanité et son environnement et, à partir de là, tendent invariablement à déboucher sur des conclusions néomalthusiennes, potentiellement barbares. Ces risques de récupération sont d’autant plus réels que le niveau de la lutte des classes est bas, avec une forte prédominance de conflits à caractère défensif (dans lesquels les considérations environnementales tendent le plus souvent à être marginalisées).

Il serait pourtant erroné d’arguer de cette situation difficile pour se contenter de revendications très immédiates face au CC (pour ne pas parler de faire l’impasse sur la question, en la renvoyant à des temps meilleurs, ou aux lendemains qui chantent). La situation requiert au contraire de combiner audacieusement l’agitation sur les revendications immédiates à une propagande anticapitaliste large, radicale, globale, simple et directe. C’est indispensable pour se hisser au niveau objectif du défi, dans sa double dimension écologique et sociale, et donc pour se présenter comme offrant une issue. Et c’est possible parce que, du fait même de sa nature de problème global gigantesque, à résoudre dans l’urgence pour éviter des catastrophes encore plus graves, le CC offre une opportunité exceptionnelle d’introduire la nécessité d’une alternative anticapitaliste « par le haut », en des termes éminemment pratiques, rationnels et immédiats. Du fait de l’urgence, en effet, il est possible de toucher directement le sens éthique, la conscience et la raison de larges masses de gens sur des questions fondamentales telles que l’indispensable nécessité, pour combattre efficacement le CC, de mettre en œuvre tous les moyens pertinents disponibles, indépendamment de leur coût ; de considérer l’atmosphère, l’eau, le sol, les ressources génétiques, le rayonnement solaire et l’énergie en général comme des biens communs de l’humanité ; de redistribuer les richesses et de développer le secteur public pour mobiliser tous les moyens disponibles. Il est possible de le faire avec une grande autorité, en s’appuyant de façon critique sur les conclusions scientifiques des experts, ce qui confère une légitimité supplémentaire à l’alternative anticapitaliste.

La crise du projet socialiste, dont le bilan écologique très négatif du « socialisme réel » constitue un élément incontournable, pèse lourdement sur les capacités de résistance et de contre-attaque des exploités et des opprimés. En utilisant pleinement les possibilités qu’offre le CC de refonder la perspective anticapitaliste tout en l’enracinant dans une problématique totale, à la fois écologique et sociale, les marxistes révolutionnaires peuvent contribuer à la recomposition du mouvement ouvrier international autour d’un projet global de société, et même de civilisation.

38. La saturation du cycle du carbone et l’épuisement de ressources non renouvelables signifient que, à la différence du passé, l’émancipation des travailleurs n’est plus concevable sans prise en compte des principales contraintes naturelles.

L’opposition à la croissance, en soi, ne constitue ni un projet de société ou de civilisation, ni une stratégie pour la mobilisation sociale large en faveur d’une autre société (surtout pas si la décroissance se mesure par la diminution du Produit Intérieur Brut , qui ne considère que la quantité de valeur, indépendamment de la qualité des besoins humains et écologiques). La diminution de la production et de la consommation matérielle est immédiatement nécessaire au sauvetage du climat, parce que le capitalisme a entraîné l’humanité trop loin dans une voie sans issue. D’une part, elle ne préjuge en rien des possibilités de développement futures, une fois que le système climatique aura été stabilisé. D’autre part, elle ne constitue qu’un critère quantitatif de la transition nécessaire vers une économie sans carbone fossile. Sous peine de déboucher sur des conclusions réactionnaires, ce critère quantitatif doit être combiné à des critères qualitatifs : redistribution des richesses, réduction du temps de travail sans perte de salaire, développement du secteur public. Si ceux-ci sont satisfaits, et pour peu qu’elle cible les productions inutiles ou nuisibles, la réduction de la production matérielle est compatible avec la croissance du bien-être, de la richesse et de la qualité de vie de l’immense majorité de l’humanité, via des investissements sociaux dans les secteurs de l’éducation, de la santé, de la culture, de la vie associative, des transports en commun, de l’aménagement du territoire, et la gratuité des services vitaux.

Le système capitaliste est certes inséparable de la croissance de la production et de la consommation matérielles, mais celle-ci constitue un effet, pas une cause. C’est la production de valeur, en tant que forme abstraite des valeurs d’échange, qui entraîne la tendance permanente à l’accumulation sans limites de la richesse à un pôle, et provoque en même temps l’accumulation ininterrompue de misère à l’autre. Une politique climatique qui ne prendrait pas en compte cette double réalité serait presque certainement vouée à l’échec. Le point crucial et le levier de l’alternative anticapitaliste restent donc fondamentalement ceux que le projet socialiste a définis : la mobilisation des exploités et des opprimés contre un système basé sur la course au (sur)profit, la propriété privée des moyens de production, la production de marchandises, la concurrence et le salariat. Mais ce point crucial et ce levier ne suffisent plus à définir l’alternative. La saturation du cycle du carbone constitue en effet la démonstration la plus évidente et la plus globale du fait que, à la différence du passé, l’émancipation des travailleurs n’est plus concevable sans prise en compte des principales contraintes naturelles : limites des stocks de ressources non renouvelables à l’échelle historique, vitesse de reconstitution des ressources renouvelables, lois de conversion de l’énergie, conditions de fonctionnement des écosystèmes et des cycles biologiques, rythmes de ceux-ci. La courte définition de Lénine – le socialisme, c’est les soviets plus l’électricité - est donc obsolète : une électricité produite comment (à partir de renouvelables ou de fossiles ?), en quelles quantités, avec quels impacts environnementaux ?

S’il veut constituer une alternative globale à la hauteur du double défi écologique et social – en réalité un seul et même défi écosocial - le projet socialiste doit élucider ces questions. Pour ce faire, il ne suffit pas d’affirmer que le socialisme doit intégrer les questions écologiques, autrement dit que les socialistes doivent mieux comprendre les enjeux écologiques, développer des revendications écologiques et participer à des mobilisations en défense de l’environnement. Le véritable défi consiste plutôt à intégrer le projet socialiste à l’écologie globale du super-écosystème terrestre. Cela signifie que le développement doit être conçu non seulement dans le but de satisfaire les besoins humains mais aussi en fonction de sa soutenabilité par l’environnement, et en acceptant de surcroît que la complexité, les inconnues et le caractère évolutif de la biosphère confèrent à cette entreprise un degré d’incertitude irréductible.

Intégrer le socialisme à l’écologie implique de la part des socialistes une « révolution culturelle ». Celle-ci est indispensable pour dépasser la vision cloisonnée, utilitariste et linéaire de la nature comme la plateforme physique à partir de laquelle l’humanité opère, comme le magasin où elle puise les ressources nécessaires à la production de son existence sociale et comme la décharge où elle entrepose les déchets de cette activité. En réalité, la nature est tout à la fois la plateforme, le magasin, la déchetterie et l’ensemble des processus vivants qui, grâce à l’apport extérieur d’énergie solaire, font circuler la matière entre ces pôles en la réorganisant constamment. Les déchets et leur mode de dépôt doivent donc être compatibles en qualité comme en qualité avec les capacités et les rythmes de recyclage par les écosystèmes, afin de ne pas compromettre le bon fonctionnement de cette fine pellicule que représente la biosphère. Or, ce bon fonctionnement dépend du nombre et de la diversité des opérateurs, ainsi que de la qualité et de la complexité des multiples chaînes de relations qui les unissent, l’équilibre des flux déterminant en fin de compte l’approvisionnement de l’humanité en ressources.

Dans ce contexte, la notion de « maîtrise humaine sur la nature », pleine d’assurance positiviste, doit être abandonnée. Le seul socialisme réellement possible désormais est celui qui satisfait les besoins humains réels (c’est-à-dire débarrassés de l’aliénation marchande), démocratiquement déterminés par les intéressés eux-mêmes, en prenant soin de s’interroger prudemment sur l’impact environnemental de ces besoins et de la manière dont ils sont satisfaits.

39. L’erreur écologique majeure de Marx n’est pas d’avoir considéré la nature comme un réservoir illimité de ressources, mais de ne pas avoir appliqué son propre concept de « gestion rationnelle des échanges » au domaine particulier de l’énergie, alors qu’il l’avait appliqué au domaine des sols.

Au 19e siècle, les travaux de Liebig sur l’épuisement des sols consécutif à la rupture du cycle des nutriments due à l’urbanisation et à l’internationalisation des marchés agricoles avaient amené Marx à poser que, le travail étant la médiation obligée entre l’être humain et la nature, la seule liberté possible résidait dans la gestion rationnelle des échanges de matières entre l’humanité et l’environnement. Cette idée que le « métabolisme » entre la société et la nature est déterminé historiquement et que le genre humain, parce qu’il produit consciemment son existence sociale, doit assumer la responsabilité d’une « gestion rationnelle » des échanges avec la Terre, est d’une actualité remarquable et peut rivaliser avec les meilleures conceptualisations contemporaines de la problématique écologique globale. Elle atteste que Marx, en dépit de certaines formulations ambiguës, n’était pas ignorant des cycles naturels et qu’il avait conscience du caractère fini des ressources dans un environnement fini. S’agissant de la « gestion rationnelle » des sols, cette conscience trouvait une traduction programmatique forte : c’est en effet pour rétablir le cycle des nutriments, notamment, que Marx et Engels plaidaient pour abolir la séparation entre villes et campagnes. Cette revendication était aussi importante à leurs yeux que l’abolition de la séparation entre travail manuel et intellectuel, à laquelle elle est d’ailleurs liée.

L’erreur écologique majeure de Marx n’est donc pas d’avoir considéré la nature comme un réservoir illimité de ressources à exploiter, mais de ne pas avoir appliqué son propre concept de « gestion rationnelle des échanges » au domaine particulier de l’énergie, alors qu’il l’avait appliqué au domaine des sols. Dans l’analyse de la Révolution industrielle, Marx n’a pas saisi que le passage du bois à la houille signifiait l’abandon d’une énergie de flux renouvelable au profit d’une énergie de stock épuisable, dont l’exploitation ne pouvait que contrevenir à la « gestion rationnelle » des échanges de carbone entre la société et son environnement. Alors qu’ils avaient vu clairement la tendance capitaliste à épuiser les deux seules sources de toute richesse –« la Terre et le travailleur », alors que cette grille de lecture leur avait permis d’anticiper magistralement la dynamique qui amènerait la grande industrie et l’agriculture capitalistes à se donner la main pour appauvrir à la fois l’ouvrier des villes, l’ouvrier des champs et la fertilité des sols, les auteurs du Manifeste Communiste n’ont pas vu que la ruée capitaliste sur les sources fossiles épuisables entraînerait inévitablement l’humanité dans une voie énergétique sans issue.

Dans la conception matérialiste de l’histoire, les technologies n’échappent pas à la règle qui veut que les activités humaines sont déterminées socialement et historiquement. On citera notamment le fait que Marx lui-même a dénoncé violemment le caractère de classe du machinisme capitaliste. Cependant, le fait de ne pas avoir noté l’importance du passage du bois à la houille l’a amené à laisser dans le flou la question du caractère de classe des sources d’énergie. A l’époque de la Révolution industrielle, ce flou ne prêtait guère à conséquences pratiques : les mêmes machines à vapeur étaient employées pour transformer l’énergie chimique du bois et de la houille en énergie mécanique et en chaleur. Mais la donne a changé avec l’utilisation du pétrole, et surtout avec l’énergie nucléaire. Celle-ci oblige en effet à se prononcer clairement : soit la technologie est à rejeter, et les sources énergétiques ne sont pas neutres ; soit les sources énergétiques sont neutres et les technologies pour les exploiter ne sont pas à rejeter en tant que telles. Dans le second cas, on se met en contradiction avec la thèse de départ sur la détermination historique/sociale des technologies, ce qui revient à dire qu’on fait rentrer par la fenêtre le technocratisme que Marx avait fait sortir par la porte.

Les successeurs de Marx portent une responsabilité importante pour le fait que le concept de « gestion rationnelle des échanges de matières entre l’humanité et la nature » et la problématique connexe de la séparation entre villes et campagnes aient sombré dans l’oubli au 20e siècle. A partir de la fin du 19e, l’invention des engrais de synthèse semblait avoir résolu le problème de la fertilité des sols, élément clé de la réflexion écologique menée dans Le Capital. Or, aucun auteur marxiste ne s’est préoccupé de savoir si cette solution était compatible avec la « gestion rationnelle des échanges de matières » entre l’humanité et la nature. Surtout, aucun d’eux, y compris parmi les révolutionnaires, ne s’est emparé des concepts que Marx avait appliqués à la question des sols pour analyser la combustion des combustibles fossiles (ou le pillage d’autres ressources non renouvelables) sous l’angle du « métabolisme social ». Les causes de cette carence étonnante restent à analyser en détails. L’arriération de la Russie, la contre-révolution stalinienne, le productivisme social-démocrate et une certaine prise de distance des marxistes du 20e siècle par rapport à l’évolution des sciences de la nature ont joué un rôle. Mais il faut critiquer aussi un optimisme exagéré, un espoir irrationnel que les sciences et les techniques permettront toujours de trouver une issue « par le haut » aux impasses écologiques capitalistes. Le changement climatique questionne radicalement cette foi dans le progrès, qui est la raison la plus importante pour laquelle les marxistes, depuis les années 70 du siècle dernier, ont eu et continuent d’avoir des difficultés considérables à se positionner par rapport aux défis environnementaux. C’est pourquoi intégrer le projet socialiste à l’écologie conditionne fondamentalement la vitalité révolutionnaire du marxisme.

40. La question énergétique est au centre de l’alternative. La perspective d’un « communisme solaire » s’inscrit dans la continuité de la pensée de Marx sur le « métabolisme social » tout en l‘approfondissant et en en tirant des conclusions nouvelles. Cet approfondissement justifie substantiellement l’usage du concept nouveau d’écosocialisme.

La question énergétique est au centre du défi climatique et de l’alternative. Il est donc décisif pour les marxistes de dépasser les ambiguïtés et les impasses de leurs prédécesseurs (y compris Marx) en cette matière. La notion de système énergétique - défini comme le mode de production vu sous l’angle de la conversion de l’énergie – permet de poser que le système capitaliste se caractérise par :

(i) l’appropriation quasi-totale des sources d’énergie, des convertisseurs ainsi que des vecteurs, et leur transformation en marchandises (y compris la marchandisation de la force de travail mise à disposition des employeurs par les convertisseurs humains) ;

(ii) l’utilisation prépondérante des combustibles fossiles générateurs de rente et de gaz à effet de serre ;

(iii) la centralisation et la concentration du capital propriétaire des sources ainsi que des convertisseurs, débouchant sur une centralisation de plus en plus poussée du système lui-même ;

(iv) une efficience énergétique médiocre et un gaspillage important, dus à la recherche prioritaire du profit, mais aussi à la structure centralisée, à la séparation des sites de production d’avec les principaux marchés, aux productions inutiles, au manque de planification économique entre secteurs, à la mécanisation à outrance ;

(v) la mondialisation de l’approvisionnement, la protection militaire des voies d’accès aux sources énergétiques et la volonté de tutelle impérialiste sur les pays producteurs ;

(vi) la formation de réseaux de plus en plus interconnectés et centralisés ;

(vii) la constitution autour des sources fossiles, principalement du pétrole, d’un puissant complexe énergético-industriel regroupant l’automobile, l’aéronautique, la construction navale ainsi que la pétrochimie ;

(viii) l’intégration croissante de l’agrobusiness à ce complexe par le biais des engrais, de la production de biomasse énergétique et de la mise en œuvre des technologies de « génie génétique » ;

(ix) la tendance, inhérente à la logique d’accumulation du capital, à augmenter sans cesse l’offre et la demande, ce qui se traduit dans le domaine énergétique par le recours à la technologie nucléaire, notamment.

Considérée du point de vue énergétique, la transformation socialiste de la société nécessite impérativement la destruction de ce système centralisé, anarchique, gaspilleur, inefficient, intensif en travail mort, basé sur des sources non renouvelables, et orienté vers la surproduction tendancielle de marchandises. Il doit être remplacé par un système décentralisé, planifié, économe, efficient, intensif en travail vivant, basé exclusivement sur l’énergie solaire et orienté vers la production d’utilités réelles, durables, recyclables et réutilisables. Cette transformation ne concerne pas seulement la « production » d’énergie au sens étroit mais l’ensemble de l’appareil industriel, l’agriculture, les transports, les loisirs et l’aménagement des territoires.

Le défi énergétique/climatique amène à concevoir la révolution socialiste non seulement comme destruction du pouvoir d’Etat bourgeois, création d’un Etat prolétarien qui commence à dépérir dès sa formation et instauration progressive de l’autogestion par les masses, mais aussi comme amorce d’un processus de destruction du vieil appareil productif capitaliste et de remplacement par un appareil alternatif, mettant en œuvre d’autres technologies et d’autres filières au service de buts démocratiquement déterminés. Ce bouleversement historique extrêmement profond ne peut commencer réellement qu’après la victoire de la révolution socialiste au niveau mondial, une fois que l’abolition des principales inégalités de développement aura permis de satisfaire le droit fondamental de chaque être humain à une existence digne de ce nom. Il postule notamment la réalisation préalable de l’autonomie alimentaire et de l’autonomie énergétique des différents pays. Loin d’être synonyme de stagnation, ou d’arrêt du développement humain, il implique au contraire un progrès important des sciences et des techniques ainsi que de la capacité sociale de les mettre en œuvre démocratiquement, avec la participation active de toutes et tous, dans le cadre d’une culture du « prendre soin avec prudence » de la biosphère pour laquelle l’apport des communautés indigènes sera précieux.

Le marxisme révolutionnaire a généralement considéré que, une fois satisfaits les besoins humains fondamentaux, le développement qualitatif de l’humanité prendrait le pas sur le développement quantitatif. Cette conception est cohérente avec celle de Marx, pour qui la vraie richesse réside dans le temps libre, les relations sociales et la compréhension du monde. La perspective d’un « communisme solaire » s’inscrit dans la continuité logique de cette pensée non productiviste tout en l‘approfondissant et en en tirant des conclusions nouvelles en termes de revendications, de tâches et de programme. Cet approfondissement justifie substantiellement l’usage du concept nouveau d’écosocialisme. Expression concentrée du combat commun contre l’exploitation du travail humain et contre la destruction des ressources naturelles par le capitalisme, l’écosocialisme ne procède pas d’une vision idéaliste et chimérique sur « l’harmonie » à établir entre l’humanité et la nature mais de la nécessité matérialiste de gérer les échanges de matière entre la société et l’environnement selon la raison écologique, càd. de la manière la plus compatible possible avec le bon fonctionnement des écosystèmes.

TANURO Daniel
Notes
[1] SPM, IPCC 2007. NB : les écarts de température sont donnés par rapport à 1999 et doivent donc être augmentés de 0,7°C pour indiquer l’écart par rapport à la période pré-industrielle.

[2] PNUD, rapport mondial sur le DH, 2007/2008 .

[3] Les « équivalents CO2 » prennent en compte l’ensemble des gaz à effet de serre en faisant comme s’il s’agissait de CO2.

[4] Une « déviation substantielle » correspond à un écart de 15 à 30% par rapport au scénario de référence.

[5] L’intensité en énergie et l’intensité en carbone désignent respectivement la quantité d’énergie consommée et la quantité de carbone émise sous forme de gaz pour produire une unité de PIB.

[6] Il convient d’ajouter la géothermie, seule source énergétique non solaire, mais son potentiel est marginal.

[7] Objectif porté à 30% en cas d’accord international comportant des réductions analogues de la part des autres pays industrialisés et une participation significative à l’effort de la part des pays émergents. Cet objectif resterait cependant dans la partie basse de la fourchette de recommandations des experts.