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À PROPOS DES CARICATURES DANOISES

Ni racisme, ni obscurantisme

Christian Picquet

jeudi 9 février 2006

Des manifestations secouent le monde musulman à la suite de la publication, par un quotidien danois, le « Iyllands-Posten », de caricatures de Mahomet. Leur violence, de Kaboul à Beyrouth, de Gaza à Jakarta, de Téhéran à Damas, de Nairobi au Caire, ouvre un débat, notamment en Europe.

Ne tournons pas autour du pot : certains des dessins danois s’avèrent destinés à générer l’amalgame entre islam, intégrisme et terrorisme. Il en va ainsi de celui qui représente le prophète coiffé d’un turban... en forme de bombe à la mèche allumée. Le parti-pris idéologique est parfaitement clair, ce qui n’étonne pas de la part d’une publication très marquée à droite, toujours prompte à entonner le credo bushien du « choc des civilisations » et à souffler sur les braises de la xénophobie et du racisme antimusulman. Un créneau porteur dans un ensemble scandinave en proie à la poussée des populismes conservateurs et de l’extrême droite.

La provocation n’aura d’ailleurs pas tardé à produire ses effets lorsque, en un jeu presque parfait de miroirs, les ambassadeurs d’États qui ne sont souvent que des théocraties rétrogrades ou des régimes dictatoriaux, puis les pays de l’Organisation de la conférence islamique, se seront emparés de l’affaire. Pour des potentats aujourd’hui discrédités auprès de leurs peuples, l’occasion était trop belle de se poser en vertueux défenseurs de l’islam bafoué par l’Occident. Ils auront vite trouvé leurs relais auprès des réseaux intégristes les plus réactionnaires...

Il en découle que la question posée par les surenchères des derniers jours n’est pas de nature religieuse, mais politique. Si certaines des caricatures du Iyllands-Posten doivent être dénoncées, ce n’est nullement en raison de leur caractère dérangeant pour quelque dogme établi, mais parce qu’elles encouragent les discriminations à l’encontre de toute une population. Les organes de presse qui, ici, les reproduisent au nom de la liberté d’expression devraient, pour le moins, y regarder à deux fois.

Il n’en demeure pas moins que la liberté de conscience, la critique de toutes les croyances et de toutes les superstitions, la caricature et même le blasphème sont des droits indissociables des principes de démocratie et de laïcisation de la société. Ils sont donc imprescriptibles et ne sauraient s’effacer derrière l’autocensure, la pression des hiérarchies religieuses, la raison des États. Aucun « appel à la responsabilité », voire à l’interdiction légale, ne sera jamais acceptable pour remettre en cause des libertés... par définition toujours dérangeante pour tel ou tel groupe d’intérêt. Aussi, tout comme nous nous sommes dressés contre les entreprises du lobby catholique traditionaliste lorsqu’il voulait faire interdire le film de Martin Scorcese, La Dernière tentation du Christ, ou encore la représentation iconoclaste de la Cène par un publicitaire, nous ne saurions admettre les manifestations d’obscurantisme dont l’œuvre des caricaturistes danois est le prétexte dans le monde arabo-musulman.

La fraternité entre les peuples restera notre ligne de conduite. Contre tous ceux qui voudraient les opposer au nom de leur religion. Quelle qu’elle soit...

(tiré de Rouge)