Bush a de bonnes raisons d’être « inquiet de l’érosion de la démocratie au Venezuela et en Bolivie ». Il désespère de voir le continent poursuivre son basculement vers la gauche. Et la politique internationale de Chavez n’y est pas pour rien. D’où le placement du Venezuela sur la liste des pays ne collaborant pas à la lutte contre le terrorisme et l’annonce d’un embargo sur les ventes d’armes au Venezuela - dont Chavez n’a que faire puisque s’installera, dans les prochains mois, une usine de Kalachnikovs en partenariat avec la Russie.
La présence du Venezuela sur la scène internationale s’est considérablement accrue. En Bolivie, l’élection d’Evo Morales est le fruit du soutien sans relâche que lui a apporté le président vénézuélien depuis trois ans. Les deux pays ont engagé une collaboration de grande envergure dans les domaines sociaux, avec l’aide de Cuba (éducation et médecine), ainsi que dans le domaine économique. Le Venezuela va investir en Bolivie les deux milliards de dollars que le Brésil a été obligé de retirer avec la nationalisation de l’industrie gazière. Dans le même mouvement, Cuba, le Venezuela et la Bolivie ont signé un traité de commerce entre les peuples, extension du projet anti-Zone de libre-échange des Amériques défendue par les États-Unis. Dans le Pérou voisin, malgré sa défaite, la percée remarquable de Ollanta Humala (lire Rouge n°2162) traduit l’influence croissante de Chavez dans la région et la progression de la résistance anti-impérialiste des peuples latino-américains. Ainsi, Alan Garcia, élu au deuxième tour avec l’appui de la bourgeoisie péruvienne, a autant fait campagne contre son challenger que contre le « petit dictateur de l’Amérique latine », accusé de financer la subversion grâce à ses pétrodollars. Seule la Colombie, alliée des États-Unis, semble relativement épargnée par ce mouvement politique, malgré les progrès spectaculaires de la gauche.
Trublion international
À une échelle plus large, le Venezuela vient de quitter la Communauté andine des nations (CAN), la blessant à mort, afin de dénoncer les signatures de la Colombie, du Pérou et de l’Équateur de traités de libre-échange avec les États-Unis, compromettant ainsi toute perspective d’intégration régionale. Morales et Chavez ont proposé de la remplacer par la Communauté anti-impérialiste des nations.
Les réactions amères du Brésil, au lendemain de la nationalisation des hydrocarbures boliviens, appuyée par Cuba et le Venezuela, montre que deux options différentes s’affirment en Amérique latine. Malgré tout, le Venezuela a décidé de maintenir un front unique international entre ces différentes orientations. Washington est d’autant plus irrité que Chavez ne se limite pas à une politique latino-américaine. Après avoir accueilli le Forum social mondial à Caracas, le Venezuela poursuit une offensive sur tous les fronts. De passage en Algérie, Hugo Chavez a réaffirmé son hostilité à une baisse des quotas de production de pétrole de l’Opep, contribuant à alourdir la facture pétrolière des pays les plus consommateurs tandis qu’il pratique des réductions aux pays les plus pauvres, voire aux communautés défavorisées des États-Unis. Il s’assure du soutien de son « ami » Khadafi, qui vient de redevenir fréquentable pour les États-Unis, et il défend le droit des Iraniens à maîtriser l’énergie atomique.
Constituante pétrolière
Aussi, le Venezuela infléchit sa politique européenne. Conscient de l’importance des mouvements sociaux dans les pays impérialistes pour une rupture anticapitaliste, Chavez ne privilégie plus uniquement les relations intergouvernementales. Ainsi, à l’occasion du sommet Europe-Amérique latine à Vienne, il boycotte les discussions intergouvernementales et déclare que le véritable sommet est le contre-sommet « Enlazando Alternativas », où il s’affiche en compagnie de Morales et du vice-président cubain. Puis il se rend à Londres, à l’invitation du maire, Ken Livingstone. Il ne rencontre pas Tony Blair, mais tient meeting dans la capitale pour dénoncer la politique impérialiste et guerrière du gouvernement britannique, tout en offrant du pétrole aux communautés pauvres européennes. Il propose à Livingstone d’être la première ville européenne à rejoindre une alliance socialiste internationale.
Pour autant, ses réussites en politique internationale ne peuvent masquer les difficultés auxquelles sont confrontés, dans plusieurs domaines, les partisans de la « révolution dans la révolution » au Venezuela même. Contrairement aux aspirations de développement du contrôle ouvrier dans l’industrie vénézuélienne, celle-ci demeure gérée selon des schémas traditionnels hiérarchiques et assez opaques, alors que ce sont les travailleurs du pétrole qui sauvèrent le pays en reprenant le contrôle de PDVSA au moment du lock-out patronal de 2003. La bataille menée par les syndicalistes et le meilleur du mouvement populaire vénézuélien pour une constituante pétrolière qui permettrait que l’ensemble du peuple décide de la gestion de cette immense richesse demeure d’actualité. En déclarant l’industrie élément de la sécurité nationale, l’État vénézuélien se protège de toute ingérence des travailleurs dans la politique pétrolière.
Unir les luttes
Saluée par le Mouvement des sans-terre (MST) du Brésil qui conseille depuis quelques mois le gouvernement vénézuélien, la réforme agraire est une grande victoire de la « révolution bolivarienne ». Des centaines de milliers d’hectares ont été remis en production sous des formes diverses de propriétés collectives. Cependant, en plus d’un déficit criant de paysans formés, la réforme s’affronte aux anciens réseaux de grands propriétaires qui ont su conserver une influence, y compris dans les institutions chavistes, donnant corps à l’idée que la prise du pouvoir n’est que partielle si on ne s’en prend pas aux structures et à la culture politique héritées de plusieurs dizaines d’années de clientélisme et de corruption à grande échelle. L’arrestation récente de dirigeants du Frente campesino Ezequiel Zamora par la police d’un État du sud-ouest du Venezuela montre à quel point la bourgeoisie vénézuélienne conserve une capacité d’influence au sein même de l’État.
Radicaliser la révolution, avancer vers une forme de socialisme, tel est le défi auquel est confronté le mouvement populaire. En la matière, les travailleurs traditionnellement organisés, issus des concentrations industrielles, ont une responsabilité de premier plan. Une des grandes conquêtes de la révolution au Venezuela est la construction et le développement d’une grande centrale syndicale, l’UNT, qui a balayé la CTV, notoirement corrompue. Mais, dans ce domaine aussi, les contradictions s’accroissent (lire ci-contre). Le deuxième congrès de l’UNT a mis à jour de façon brutale cette fracture et donne raison à ceux qui privilégient les luttes sociales sur la défense du gouvernement.
Dans ces circonstances, le défi qui est posé est de regrouper au sein d’une force politique l’ensemble des mouvements sociaux qui défendent la radicalisation de la révolution, bâtir un programme et des pratiques en rupture avec l’appareil d’État et ses pratiques bureaucratiques. En la matière, l’initiative de la gauche vénézuélienne visant à lancer une campagne nationale intitulée « Unissons toutes nos luttes » semble de bon augure.