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Interview de Michel Chossudovsky

Assurer l’hégémonie !

dimanche 16 mars 2003

Interview de Michel Chossudovsky réalisée par Christoph FLEISCHMANN pour le Wochenzeitung (Stuttgart) Traduction. Annie Michèle Mialane. Coorditrad, traducteurs bénévoles (*)

WoZ : Qu’est-ce qui pourrait encore empêcher la guerre qui menace en Irak ?

M.C. : D’abord il faut bien comprendre les causes et les conséquences de cette guerre. Il s’agit d’une guerre de conquête qui ne fait que commencer. L’administration Bush l’a clairement indiqué : d’abord l’Irak, ensuite l’Iran. Cette guerre conduira à la militarisation de vastes régions : de la côte Est de la Méditerranée jusqu’aux frontières occidentales de la Chine. Et ce n’est pas seulement une guerre contre l’Irak ou l’Iran, mais aussi contre les intérêts pétroliers des Etats européens. Il existe d’énormes rivalités entre les firmes pétrolières, en particulier entre les firmes anglo-américaines BP, Chevron-Texaco, Exxon d’une part et des entreprises européennes telles que Total-Fina-Elf et l’italienne ENI de l’autre. Nous assistons donc à un affrontement entre le bloc Grande-Bretagne-USA d’une part, France-Allemagne d’autre part. Et qui ne concerne pas seulement le pétrole, mais aussi l’armement.

WoZ : Cette rivalité entraîne-t-elle automatiquement une guerre contre l’Irak ?

M.C. : Il faut d’abord comprendre les causes et les conséquences d’une guerre. Il s’agit d’occuper militairement les champs pétrolifères. C’est le plus important. Les Européens doivent décider s’ils participent à l’opération, qui leur permettrait d’être présents militairement au Proche-Orient - de façon analogue à ce qui s’est produit en Yougoslavie. Mais en ce moment la forte rivalité entre grandes puissances exclut une action militaire commune.

WoZ : Mais cette rivalité entraîne-t-elle automatiquement une guerre contre l’Irak ? L’administration Bush a-t-elle d’autres raisons économiques de faire la guerre ?

M.C. : L’hégémonie qu’exercent les USA sur le système monétaire international devrait être renforcée par la guerre de conquête qu’ils projettent. La création de l’euro a entraîné une concurrence pour le dollar. Dans certains pays de l’ancien bloc Est, par exemple les ex-républiques soviétiques d’Asie Centrale, le dollar s’est imposé. En Europe de l’Est, Yougoslavie et quelques Etats de l’ex-Union soviétique, c’est l’euro qui l’a emporté.

WoZ : Mais le chef de la Banque Centrale des Etats-Unis, Alan Greenspan, met en garde contre une guerre en Irak qui pourrait affaiblir encore la conjoncture.

M.C. : Les contradictions sont légion, et nous vivons dans un monde très complexe. Mais je suis fermement convaincu que les opérations militaires et stratégiques du gouvernement des USA visent aussi à déstabiliser d’autres systèmes monétaires souverains afin d’assurer la domination des Etats-Unis sur le monde.

WoZ : Quel est le degré d’intrication du politique et du militaire aux USA ?

M.C. : Aux USA les fonds publics sont massivement détournés vers les budgets militaires. Une firme d’armement ne produit pas pour le marché libre, mais pour vendre au ministère de la Défense. Si l’Etat n’achète plus, elle est morte. Les montants affectés à l’industrie de l’armement plutôt qu’aux affaires sociales sont énormes : le budget militaire américain est de 30% supérieur à la totalité du PIB brut total de la CEI, qui compte plus de 150 millions d’habitants. Les entreprises d’armement, de même que les firmes pétrolières et pharmaceutiques et les établissements financiers exercent sur l’Etat une énorme influence. L’appareil militaire ainsi que des services tels que la CIA ou les ministères sont très fortement liés aux intérêts de ces derniers. Dans les Conseils d’administration des entreprises d’armement on rencontre d’anciens directeurs de la CIA ; des généraux travaillent pour le compte des firmes pétrolières.

WoZ :Est-ce que cela ne ressemble pas un peu à une théorie du complot ?

M.C. : Les liens entre intérêts militaires et économiques, ainsi que la manipulation de l’opinion publique par les services secrets sont évidents. C’est pourquoi j’ai concentré mes études économiques les plus récentes sur les opérations que mènent dans l’ombre les services secrets afin de préparer les guerres. L’administration Bush affirme contre toute évidence que la guerre en Irak sera conduite au nom des droits de l’homme. Elle affirme qu’il y a des liens entre le gouvernement irakien et l’organisation Al-Qaida d’Oussama ben Laden, ce qui est de la propagande pure et simple. Ce qui n’en est pas, en revanche, c’est que la CIA, par anticommunisme, a aidé les moudjahidines à prendre le pouvoir en Afghanistan. Sous la présidence de Bill Clinton, le gouvernement US poursuivait encore son soutien à des groupes islamistes de la mouvance Al-Qaida.

WoZ : Mais ces faits ont trait à la guerre contre la Yougoslavie et sont antérieurs au 11 septembre ?

M.C. : Oui, c’était en Bosnie, mais après la fin de la guerre froide. D’un autre côté l’ISI, le service secret pakistanais, entretenait jusqu’au 11 septembre de bonnes relations aussi bien avec le régime taliban qu’avec les services US. Je n’en tire aucune conclusion relative à des faits concrets, mais il est impossible de faire l’impasse sur de tels faits dans le débat politique.

Sand Im Getriebe 18 Contact pour cet article : Sand.im.Getriebe@attac.org

Tiré de Grain de Sable (ATTAC)