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Busharon : le Compte à Rebours

Uri Avnery

dimanche 16 mai 2004

15 mai 2004

L’étrange créature qu’on appelle Busharon a de sérieux problèmes.

La partie face de l’animal - George W. Bush - a des problèmes avec des photos de nus. Non seulement celles de ces infortunés prisonniers irakiens, avec l’exubérante soldate montrant leurs parties génitales, mais aussi celle de Bush lui-même dont la nudité a été exposée aux yeux de tous.

Celui qui a sauvé le peuple irakien d’un cruel tyran, le courageux leader apportant la démocratie en Mésopotamie, le représentant de la civilisation occidentale se battant contre la barbarie - est apparu tel qu’il était, un barbare cruel.

Ne le laissons pas se faire d’illusions : ce n’est pas un problème de quelques sadiques, hommes et femmes, qui se seraient trouvés là. Il apparaît déjà clairement qu’il y a eu des sévices systématiques sur des prisonniers - les laisser nus, les humilier sexuellement, leur envoyer des chiens méchants qui les ont probablement mordus, les priver de sommeil, les garder enchaînés dans des positions pénibles durant de longues périodes, leur couvrir la tête de cagoules crasseuses, les menacer d’électrocution - toutes ces choses ayant été photographiées. Mais il ne fait aucun doute que, étant donné un tel comportement à l’égard des prisonniers, des tortures bien pires leur ont été infligées sans être photographiées.

Il est maintenant tout à fait clair que c’est devenu une méthode courante utilisée pour « rendre plus doux » les prisonniers. Pas seulement dans cette prison-là, pas seulement dans toutes les autres prisons d’Irak, mais aussi en Afghanistan, dans l’île infernale de Guantanamo et dans tous les autres endroits où de semblables victimes sans défense, la plupart d’entre elles des gens innocents pris par accident, sont emprisonnées : autrement dit, c’est un problème politique émanant du plus haut niveau.

Les soldats, hommes et femmes, qui se sont complaisamment laissé photographier dans ces scènes pornographiques sont certainement haïssables, mais tous ceux qui connaissent la vie militaire savent que cela ne relevait pas de l’initiative personnelle. De tels actes, montrés sur des centaines de photos, ne peuvent pas se poursuivre longtemps sans que toute la chaîne de commandement soit impliquée.

Tout simple soldat est influencé par l’état d’esprit de ses supérieurs, en tout cas jusqu’au niveau de la brigade. Le commandant de brigade, quant à lui, est influencé par l’état d’esprit de ses supérieurs, jusques et y compris le chef d’état-major. En l’occurrence, il a été confirmé que les chefs du Pentagone et le ministre de la Défense connaissaient les faits depuis longtemps. Le général chargé de l’enquête n’a trouvé aucun ordre écrit, mais de tels ordres sont toujours transmis oralement, et quelquefois par un simple geste ou un clignement de l’œil.

Ces soldats, la plupart venant de familles normales, se sont conduits comme dans des scènes de lynchage, et pour la même raison : le déni de l’humanité des autres races alors considérées comme infra-humaines. Le racisme transforme les membres de la race supérieure eux-mêmes en sous-hommes.

À l’occasion de la publication de ces photos, George Bush a montré son vrai visage. Il aurait pu renvoyer toute la chaîne de commandement, du secrétaire d’État au directeur de prison. Il ne l’a pas fait, bien sûr.

Tous les arguments tendant à justifier cette guerre contre l’Irak se sont effondrés. Ni démocratie, ni libération, ni civilisation. Il ne reste qu’une pure et simple agression de magnats voleurs, cyniques et cruels, exactement comme les hommes de main de Saddam Hussein.

Si je peux me permettre un pronostic : cette semaine commence le compte à rebours de la fin de la carrière de George W.

La partie arrière de l’animal - Ariel Sharon - a également de sérieux problèmes.

Ceux-ci ont commencé avec le rejet du plan de « désengagement unilatéral » par les membres du Likoud, une infime partie de la population manipulée par les colons. Depuis lors, Sharon tourne en rond comme un animal en cage. Il n’a pas la majorité parmi ses ministres et les membres du Parlement (tenus par le référendum du parti), il est incapable de former un autre gouvernement (les députés de son parti ne le lui permettront pas), il est incapable de remplir sa promesse à Bush (et il a ridiculisé Bush).

Il a commencé à blablater sur « d’autres plans » qu’il serait en train de concevoir - ce qui rappelle une des blagues de Groucho Marx : « Ce sont mes principes. Si vous ne les aimez pas, j’en ai d’autres. »

Si Sharon avait vraiment eu l’intention de quitter Gaza, il l’aurait fait tout de suite et sans tout ce raffut, en fixant un calendrier précis et sans en changer les termes tous les deux jours. Il aurait inclus dans son plan l’évacuation de l’« Axe Philadelphie », l’étroite bande large de quelques centaines de mètres entre Gaza et l’Égypte, qui coûte presque chaque jour des vies humaines.

Une semaine après le référendum du Likoud, deux coups terribles ont été subis. Un véhicule blindé transportant une grande quantité d’explosifs est entré à Gaza-Ville pour faire sauter des immeubles et il a été atteint par une bombe placée au bord de la route par la guérilla palestinienne. Elle a explosé, déchiquetant les six soldats israéliens. Le jour suivant, exactement la même chose a eu lieu sur l’« Axe Philadelphie » : un camion blindé de transport de troupes plein d’explosifs, envoyé là pour faire sauter des tunnels sous la frontière, a été touché par une fusée palestinienne et a explosé avec ses cinq occupants.

La puissance de chacune des deux explosions a été telle que des morceaux de corps ont été éparpillés sur des centaines de mètres. Tout le pays a vu à la télévision la façon dont les soldats israéliens accroupis filtraient le sable à mains nues pour rassembler les morceaux des corps de leurs camarades. Les médias ont fait de la surenchère dans l’orchestration d’une hystérie nécrophile, les commentaires interminables sur les débris humains alternant avec des scènes de funérailles.

Il était impossible de ne pas faire le lien direct entre le rejet du Likoud par référendum du retrait et la mort des soldats. L’acteur Shlomo Vischinsky, dont le fils Lior a été tué dans le second véhicule, l’a exprimé de la façon la plus simple quand il a rendu les membres du Likoud responsables de la mort de son fils.

Pour la première fois, les Israéliens ont vu la véritable image de Gaza : ni « terreur », ni « terroristes », mais une classique guerre de guérilla, toute la population participant à la lutte contre les forces d’occupation. Gaza d’aujourd’hui, Cisjordanie de demain.

Dans une telle lutte, nous ne pouvons pas gagner. On peut tuer des Palestiniens à grande échelle, détruire des quartiers entiers comme aujourd’hui. Mais on ne peut pas gagner. Les gens commencent à le comprendre. La « gauche sioniste », semble-t-il, est également en train de se réveiller d’un coma qui dure depuis quatre ans.

Israël va quitter la Bande de Gaza comme il a quitté la « Bande de Sécurité » au Sud-Liban. La similitude entre les deux bandes est tellement évidente que les gros titres le proclament dans tous les médias.

Si je peux me permettre un second pronostic : cette semaine commence le compte à rebours de la fin de la carrière d’Ariel Sharon.


(tiré du site http://www.solidarite-palestine.org/)

[ Traduit de l’anglais - RM/SW ]
Le texte anglais de cet article, Busharon : the Countdown,
peut être consulté sur le site de Gush Shalom :
http://www.gush-shalom.org/