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Carton rouge pour le G8

Damien Millet - Eric Toussaint

mercredi 19 juillet 2006

Qui peut sérieusement affirmer que le dernier sommet du G8, qui vient de s’achever à Saint-Pétersbourg (Russie), aura été utile ? « Sans avancée notable », ce « G8 sans ampleur » (dixit la presse) est momentanément impuissant et disqualifié.

Proche-Orient ? Personne ne croit une seconde que les incantations du G8 sur un Liban en proie aux représailles militaires d’Israël seront suivies d’effets.

Energie ? Le jour de l’ouverture du G8, l’Iran a annoncé qu’il refusait de suspendre l’enrichissement de l’uranium. Suite aux récentes interruptions dans les livraisons de gaz russe et aux obstacles mis aux sociétés transnationales pour investir en Russie, le G8 a voulu « promouvoir des marchés de l’énergie ouverts et transparents », conformément à la Charte européenne de l’énergie. Mais la Russie a refusé de la ratifier, protégeant le monopole de Gazprom. Le G8 s’est inquiété du cours élevé du pétrole, mais le jour de la clôture du G8 a vu le pétrole atteindre son cours le plus haut à Londres...

Commerce ? Les négociations du cycle de Doha au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sont en panne. Le G8, accompagné par les présidents de quelques pays émergents (Chine, Brésil, Inde, Afrique du Sud, Mexique), a décidé de se donner un délai d’un mois pour trouver les bases d’un accord qui fait - heureusement - défaut depuis 2001. Heureusement, car un tel accord serait très néfaste : libéralisation accrue de l’économie mondiale, ouverture des marchés la plus large possible, dépouillant les Etats d’un maximum de prérogatives au profit des entreprises multinationales souvent basées dans des pays du G8. De plus, les Etats-Unis n’ont pas encore signé l’accord avec la Russie qui ouvrirait la voie à son adhésion à l’OMC.

Dette ? Le sommet 2005 du G8, à Gleneagles (Ecosse), avait fait grand bruit par l’annonce d’une initiative « historique » d’annulation de la dette de certains pays pauvres envers la Banque mondiale, le FMI et la Banque africaine de développement. Cette mesure ne fait plus illusion désormais : un an plus tard, la liste des pays concernés comporte seulement 19 noms (sur 165 pays dits « en développement »). Au final, elle va déboucher sur une réduction des remboursements de dette inférieure à 50 milliards de dollars sur les 40 prochaines années pour ces 19 pays. Les sommes libérées chaque année, légèrement supérieures à 1 milliard de dollars, sont ridicules face aux dépenses militaires mondiales des seuls pays du G8 (plus de 800 milliards de dollars par an). Surtout cet allégement est obtenu après un processus de plusieurs années qui permet au FMI et à la Banque mondiale d’imposer des réformes drastiques : libéralisation économique, privatisations, réduction des budgets sociaux, suppression des subventions aux produits de base... Pour les 19 pays concernés, la situation a continué de se dégrader : les allégements consentis n’ont même pas réussi à contrecarrer la hausse du prix du pétrole, durement ressentie par les populations du Sud, même dans certains pays producteurs de pétrole comme le Congo-Brazzaville.

Sur tous ces points, l’instance profondément illégitime qu’est le G8 a signé un échec cuisant. Héritier des rapports de force des années 1970, le G8 a actuellement perdu la main. Mal en point, il avait fait le vide autour de lui en éloignant et en réprimant les mouvements sociaux qui voulaient se faire entendre... Mais c’est toute sa logique qui prend l’eau. De nouveaux acteurs ont émergé, les rapports de force se modifient.

Grâce aux exportations de matières premières dont les cours ont connu une hausse importante ces deux dernières années, les réserves en monnaies fortes (dollars, euros notamment) des pays en développement atteignent des sommets : plus de 2100 milliards de dollars, dont 925 milliards de dollars pour la seule Chine. C’est très supérieur aux réserves de change des Etats-Unis et de l’Union européenne réunies. Constitués pour partie de bons du Trésor des Etats-Unis ou de pays européens, ces réserves peuvent changer durablement la donne. Aujourd’hui, le Sud est prêteur net pour les pays développés et aurait tout à fait la possibilité de rompre avec les diktats du G8. Encore faut-il que les dirigeants du Sud aient la volonté de s’opposer à ces exigences, ce qui est loin d’être le cas. Seule l’action des citoyens du Sud peut mener leurs gouvernants dans la bonne direction.

Posons les bases d’une logique très différente. Les pays en développement devraient quitter le FMI, la Banque mondiale et l’OMC, les rendant dès lors caduques. Ces pays pourraient mettre en commun la moitié de leurs réserves de change pour construire de nouvelles institutions centrées sur la satisfaction des besoins humains fondamentaux, ce qui n’est pas le cas des institutions actuelles. La dette extérieure des pays en développement est plus élevée que jamais : 2800 milliards de dollars . Elle organise la poursuite d’une domination qui rend impossible toute forme de développement juste et durable. Les citoyens du Sud ont été forcés de rembourser plusieurs fois une dette largement odieuse, contractée par des gouvernements qui ne les ont jamais consultés. Les pays en développement devraient constituer un front pour le non paiement de la dette.

Il faut vite s’engager sur cette autre voie, sinon le G8 finira par reprendre la main. Comment ? Une nouvelle crise de la dette, avec des taux d’intérêt en hausse et des cours des matières premières qui peuvent se retourner brutalement, comme à la fin des années 1970 ? Une dépendance par rapport aux céréales exportées par les pays du Nord ? Les grandes sociétés agro-alimentaires ont réduit délibérément les surfaces destinées aux céréales pour faire monter les prix. Or, sur recommandation de la Banque mondiale et du FMI, les pays du Sud ont remplacé progressivement leur production céréalière par des productions d’exportation (café, cacao, coton, bananes...). Verra-t-on dans l’avenir des famines programmées à partir du Nord, alors que les remises de dette concédées d’une main par les organismes multilatéraux sont reprises de l’autre par les sociétés agro-exportatrices du Nord ?

Le G8 défend depuis trois décennies un modèle économique structurellement générateur de dette, de pauvreté, d’inégalités, de corruption, y compris au Nord. Le FMI ne vient-il pas d’estimer que la France devrait accroître l’écart entre le salaire minimum et le salaire médian, et que « l’écart entre les revenus de l’inactivité et le salaire minimum doit être augmenté pour mieux récompenser le retour au travail » ? C’est maintenant qu’il faut adresser un carton rouge définitif à ce G8 momentanément hors du jeu international. Non pour y placer d’autres acteurs du même type, mais pour modifier radicalement la logique qu’il défend.