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Brésil

Convient-il au Parti des travailleurs de gouverner ?

Par Martin Granovsky

dimanche 27 octobre 2002

L’article de Martin Granovsky [1] publié dans le quotidien de centre gauche argentin décrit bien les évolutions du PT et les contradictions qui vont peser avec force sur ce parti. Derrière l’aspect journalistique, ce sont ces éléments qui doivent attirer l’attention. - Réd.

Jamais une force de gauche n’a obtenu tant de suffrages lors d’une élection libre : le PT en a réuni quelque 39 millions. Né en 1980, le PT de Lula peut gagner la présidence du Brésil le 27 octobre. Comment ce parti s’est-il renforcé ? Comment prend-il des décisions ? Quel est son système de discussion interne ? Qui sont les acteurs clés du PT ? Qu’envisage-t-il face aux Etats-Unis ?

Au troisième petit café (cafezinho), le dirigeant du PT fait un diagnostic que doivent partager déjà presque tous les militants : tous les gouvernements sont examinés à la loupe, pour le nôtre ils vont utiliser un microscope. Puis il continue : Et le 27 octobre, Luiz Inacio Lula da Silva sera probablement élu président lors du second tour. Mais pour le PT, cela va-t-il lui convenir de gouverner ?

Peu d’heures après avoir obtenu le 46% des votes au premier tour - c’est-à-dire le double de José Serra (le candidat du gouvernement de Cardoso), mais moins de 50% des votes valides - Lula s’est lancé dans une course frénétique afin de chercher des appuis pour le second tour et pour mobiliser les forces du Parti des travailleurs. Pour le second objectif, il a multiplié les réunions publiques et privées en répétant les trois points qui selon lui doivent permettre une victoire.

Le premier : le professionnalisme de la campagne avec la participation décisive de Fernando Duda Mendonça (son conseiller en communication et en look). Le deuxième : le programme industrialisateur et social du PT. Le troisième : la politique d’alliance symbolisée par le choix du méga-entrepreneur du textile José Alencar (propriétaire d’une société au chiffre d’affaires de 300 millions de dollars) comme candidat à la vice-présidence.

Pour Lula, ces trois éléments clés permettront au PT de ne plus être un parti réunissant 25 à 30% de l’électorat et, dès lors, le PT pourra s’approcher de l’objectif gouvernemental. Une semaine de discussions et de voisinage avec les dirigeants du PT à tous les niveaux, depuis la direction centrale jusqu’aux responsables locaux, m’a permis de vérifier que ce scénario préoccupant n’effraie pas les militants au point de les faire hésiter face à la question de la gestion présidentielle.

Or, le Brésil a une dette de 240 milliards de dollars. Et Lula s’est engagé à accroître le rythme de croissance de l’économie - au cours des trois dernières années, le Brésil n’a pas dépassé une croissance annuelle de 1,75% - afin de pouvoir changer la réalité. Lors de la campagne électorale, le PT a préféré ne pas parler de restructuration de la dette. Pourtant, le financier George Soros (dont l’un des anciens collaborateurs est à la tête de la banque centrale du Brésil) a affirmé le 8 octobre qu’il y a 50% de chances que la dette brésilienne doive être restructurée (rediscussion avec les banques, moratoire sur le paiement d’une partie de la dette, etc.) et 50% qu’elle ne doive pas l’être. C’était sous une forme diplomatique une façon de dire qu’elle devra l’être. Dans tous les, le PT ne désire pas aujourd’hui mettre l’accent sur ce point quand bien même en privé certains de ses experts envisagent un scénario de négociations pour une reprogrammation de la dette. Le chômage ouvert [c’est-à-dire le chômage qui ne tient pas compte du sous-emploi chronique ou du chômage non enregistré] est de 14%. En réalité, si l’on tient compte du sous-emploi caractéristique en Amérique latine, ce chiffre devrait au moins doubler. Néanmoins, ce panorama n’a pas persuadé le PT qu’il serait préférable de ne pas de gagner.

Dans le PT, ceux qui incarnent la supposée , en général des courants venant du trotskisme ou liés à l’Eglise catholique, qui disposent d’une force dans le PT de Rio Grande do Sul, ont perdu (dans le débat interne) face aux partisans d’un élargissement des alliances politiques allant jusqu’aux grands entrepreneurs nationaux, alliances nécessaires pour accéder au gouvernement. La crainte du secteur favorable à cette orientation était non seulement que le PT pourrait rester figé dans une posture d’opposition, mais que, par effet d’usure, il pourrait reculer. Ce n’est pas un hasard si un ex-guérillero comme José Genoino, le candidat du PT pour le poste de gouverneur de Sao Paulo, qui a passé de 4% dans les sondages à un résultat de plus de 32% - qui lui permet de se présenter lors du second tour -, a été l’un des plus enthousiastes lorsqu’il s’est agi d’affirmer une vocation de pouvoir gouvernemental, de pouvoir concret. Genoino ne pleure pas face aux échecs passés de ce type d’expériences gouvernementales.

Lula est personnellement convaincu de la nécessité de faire le grand saut. Depuis 1995, le PT a comme président un constructeur qu’y compris ses adversaires qualifient de monstre de la négociation politique : José Dirceu. , dit-on avec humour dans le PT. Réveillé ou endormi, Dirceu a joué un rôle important dans la décision de projeter le PT comme une force nationale avant ces élections ; il l’a fait en concentrant l’effort dans les batailles pour les exécutifs municipaux et les postes de gouverneur.

Y compris ceux qui ont des doutes face au spécialiste de la communication Duda Mendonça doivent lui reconnaître aujourd’hui qu’il a été capable de renforcer la dimension de contact émotif du PT avec son électorat. Avec Lula est apparu un politicien charismatique capable de créer une ambiance émotionnelle en quelques minutes à partir de rien. Mais cela s’appuyait aussi sur les quelque 2500 postes assumés à l’échelle locale par des membres du PT.

Selon la vision de la direction du PT, cette présence aussi étendue a assuré un lien d’identité entre le PT et les Brésiliens. Dans cette relation d’identité, il y a aussi un rapport affectif qu’a permis le saut d’un parti des quadragénaires qui a garanti le bond vers les quinquagénaires. Le PT, à la différence des partis de la gauche traditionnelle en Argentine, n’a jamais été une force ayant une matrice idéologique. Jamais une décision politique n’a été prise en discutant, en faisant référence à Lénine ou Trotsky ou à Guevara ou Gramsci. Néanmoins, le manque (pendant toute une période) d’une implantation locale étendue laissait un trou à partir duquel le votant le moins informé pouvait s’imaginer des gauchistes abstraits ou d’anciens syndicalistes inefficaces. Cet élargissement de l’influence territoriale sera crucial pour le second tour du 27 octobre. Tout aussi cruciale que le furent à l’origine du PT, en 1980, ses cadres syndicalistes, avant tout de la métallurgie, les légendaires 113 dirigeants réunis autour de Lula, les chrétiens de base, les militants des divers courants de gauche du Brésil.

Est-ce à cause de ses origines que jusqu’à maintenant au moins l’accession à des postes exécutifs locaux ou étatiques n’a pas abouti à une bureaucratisation du PT et ne l’a pas converti en une force corrompue et clientélaire comme toutes les autres ? De même, la discussion interne n’a pas été éliminée... La caractéristique du PT, plus que le pragmatisme, l’esprit pratique pour ce qui a trait aux questions internes du Brésil et à la politique extérieure. Le spécialiste du Brésil des Etats-Unis, Kenneth Serbin, de l’Université de Californie, vient de déclarer à la revue de Sao Paulo Carta Capital que l’axe Brésil-Venezuela-Cuba est une folie. "Cette histoire ne tient pas debout, dit-il. Seule une petite partie de l’extrême droite nord-américaine voit, aujourd’hui, le monde selon l’optique du terrorisme. Ce qu’il y a de commun entre Lula, Fidel Castro et Hugo Chavez est un nationalisme plus conscient et le fait qu’ils sont des leaders populaires. Mais la formation d’un axe anti-américain n’existe que dans la tête de l’extrême droite." Serbin dit aussi qu’il voit l’émergence d’un . A part cela, il pense que Lula évitera tout affrontement gratuit avec les Etats-Unis, un pays avec lequel le Brésil entrera en conflit matériel lorsqu’il essaiera de freiner l’intégration accélérée dans le cadre de l’Alca [grand marché unifié allant du Canada à la Patagonie, unification à laquelle s’oppose un secteur de la bourgeoisie brésilienne qui craint de perdre ses positions sur le marché interne et dans le Mercorsur, c’est-à-dire le marché réunissant Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay...].

Ce thème des relations avec les Etats-Unis fut abordé par le PT comme un élément à ne pas traiter sous un angle fondamentaliste. Il est devenu un thème de campagne qui, peu à peu, a reçu l’appui de personnes peu suspectes de gauchisme. Ainsi, l’ex-ministre Celso Amorim, ambassadeur du Brésil à Londres, se voulait subtil et profond en disant : ; et le Brésil, dit-il, .

Ce parti hétérogène, vivant, à l’implantation étendue, fortement au cours des dernières années à des secteurs d’entrepreneurs qui désirent préserver le marché interne, c’est le parti qui, le 27 octobre, sera mis à l’épreuve à l’occasion du grand duel entre Lula et le Serra. Un duel où Lula, en plus de la base militante du PT, pourra compter sur les voix du premier tour et les promesses d’appui qui lui ont été données par Ciro Gomes (candidat au premier tour), José Sarney (ancien président du Brésil) et Leonel Brizola (figure d’un certain nationalisme populaire brésilien)...

(tiré du site A l’encontre, voir notre page de liens)


[1Martin Granovsky est un des journalistes connus du quotidien argentin Pagina12, le 13 octobre 2002

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