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Economie mondiale : le spectre de la récession

WILNO Henri

mercredi 23 janvier 2008

23 janvier 2008
Au départ, la crise des « subprimes » a été traitée avec désinvolture par les économistes officiels. Depuis, le ton a changé. Une récession se profile aux États-Unis et George Bush a annoncé un plan de relance de l’économie.
Sommaire

À l’origine de la crise, des officines de crédit immobilier américaines qui prêtent à des clients disposant de bas revenus. Elles exigent un taux d’intérêt plus élevé et variable (en fait, le système est plus pervers : dans un premier temps, pour appâter le client, les remboursements sont parfois extrêmement faibles, avant d’augmenter). L’une des conditions de viabilité de ces opérations est que les prix de l’immobilier n’arrêtent pas de monter – en cas de difficulté à rembourser, l’emprunteur ou la banque pourra vendre le bien et éponger le prêt.

En contrepartie de leurs prêts, ces organismes détiennent des créances. Ces titres de créance, fragiles – car risquant de ne pas être remboursés –, ont été vendus à d’autres agents financiers puis, éventuellement, revendus par eux, noyés dans des produits financiers sophistiqués. Il en résulte que des produits financiers comportant une part de risque non négligeable peuvent se retrouver dans les portefeuilles d’organismes qui n’en sont pas vraiment conscients et qui, parfois, ne devraient pas détenir de produits risqués. Mais ils les ont acquis sans trop se poser de questions, parce qu’ils étaient particulièrement rentables.

Or, à partir de 2005, les prix de l’immobilier américain ont plafonné, puis baissé, le nombre de logements neufs invendus commençant à atteindre un niveau record. De son côté, la Banque fédérale américaine augmentait ses taux d’intérêt, ce qui se répercutait sur les charges de remboursement (dans la mesure où les prêts étaient à taux variable). Des ménages ont commencé à ne pas pouvoir rembourser. D’où des difficultés pour les organismes de crédit immobilier, puis pour les détenteurs des titres émis à partir des créances de ceux-ci. Ces titres sont devenus des « actifs toxiques », pour reprendre l’expression d’un universitaire américain.

Croissance limitée

À partir de là, la crise s’est propagée par trois canaux : le retournement du marché immobilier américain a entraîné un recul du secteur de la construction et des activités périphériques (équipement des logements), des licenciements, etc. ; le secteur financier a supprimé des dizaines de milliers d’emplois aux États-Unis ; du fait de la diffusion des créances, la « maladie » a affecté des établissements non directement liés au marché des « subprimes », puis elle a pris une dimension internationale. Beaucoup d’établissements financiers sont exposés directement ou indirectement. Des rumeurs circulent, dans les marchés financiers, sur des banques qui seraient particulièrement touchées. Certaines ont dû faire appel à des investisseurs pour les soutenir. C’est ainsi qu’un fonds d’investissement lié à l’émirat pétrolier d’Abu Dhabi a pris une part du capital de la banque américaine Citigroup, et que l’Union des banques suisses a été soutenue par un fonds lié à l’État de Singapour. Certains des établissements ont « embelli » leur comptabilité pour cacher leurs pertes.

Au-delà des banques, un cas particulièrement caricatural d’institution exposée est celui du fonds de pension de l’État de Floride, qui gère les retraites des fonctionnaires de cet État. Il a acheté des titres gagés sur des crédits, notamment immobiliers, sans trop se poser de questions car ils étaient bien notés par les agences. Mais ces titres ont récemment été déclassés et sont invendables, à moins d’entraîner des pertes considérables (jusqu’à 2 milliards de dollars). D’autres fonds du même type, comme celui de l’État de Californie, seraient également exposés.

Si la croissance mondiale moyenne a été élevée en 2006, et qu’elle le reste en 2007, c’est en raison des performances chinoise, asiatiques et de celles des pays pétroliers. En fait, la crise des « subprimes » intervient sur un fond économique de croissance limitée dans plusieurs des principaux pays capitalistes développés, et notamment dans l’Union européenne. Le scénario le plus probable est celui d’un ralentissement supplémentaire de la croissance des grandes économies capitalistes et, en premier lieu, de celle des États-Unis, où une récession se profile. Le taux de chômage y est passé de 4,4 % en décembre 2007 à 5 % neuf mois plus tard. La banque d’affaires Goldman Sachs a publié une prévision selon laquelle le taux de chômage américain atteindrait 6,5 % en 2009, tandis que la croissance moyenne de 2008 tomberait à moins de 1 %, avec deux trimestres de croissance négative. Du coup, pour tenter d’enrayer le processus, dans cette année électorale, Bush a annoncé un plan de soutien à la consommation d’un montant de 140 milliards de dollars. Mais, en cohérence avec sa politique réactionnaire, ce plan comporte essentiellement des baisses d’impôts, et il ne priorise pas ceux qui sont le plus atteints par la crise : les ménages dont le logement est saisi pour cause de surendettement, les salariés qui perdent leur emploi, les retraités en difficulté.

Mesures injustes et inadaptées

Un tassement de la consommation des ménages américains affecterait aussi les pays exportant vers les États-Unis (Europe, Japon, Chine…). En Europe et au Japon, certains établissements financiers seront également touchés par les retombées des « subprimes » (comme le Crédit agricole et la Société générale en France). D’ores et déjà, on constate que les banques européennes ont resserré les critères d’octroi de leurs crédits aux entreprises et aux particuliers. En outre, la zone euro souffre du haut niveau de sa monnaie par rapport au dollar et au yen japonais, ce qui rend les produits européens moins compétitifs. Enfin, la Banque centrale européenne est plus obnubilée par les risques de dérapage des prix (dans le contexte de hausse du prix du pétrole et des matières premières) et par les revendications des salariés qui défendent leur pouvoir d’achat, que par les risques pour la croissance et l’emploi. S’amorce ainsi, en Europe, le ralentissement d’une croissance déjà fragile, les différents pays commençant à réviser leurs prévisions pour 2008. L’année 2008 sera difficile, mais un scénario plus négatif est peut-être possible : une récession sévère de l’économie américaine, qui affecterait d’autres pays. Aux États-Unis, la crise de l’immobilier s’approfondirait, s’étendrait à d’autres secteurs de l’économie et les investissements des entreprises baisseraient fortement. La croissance deviendrait négative durant plusieurs trimestres. Les économies du reste du monde ralentiraient fortement, à des degrés divers, en raison de la baisse de la demande en provenance des États-Unis et de la poursuite des difficultés du système bancaire, lequel restreindrait encore plus son offre de crédit. Tandis que, face à l’incertitude, les ménages limiteraient leurs dépenses. Une crise de confiance envers le dollar deviendrait envisageable.

S’il est trop tôt pour trancher, une chose est claire : les politiques qui, comme celles de Bush et de Sarkozy, prétendent relancer la consommation par des baisses d’impôts (ou des mesures comme les heures supplémentaires, le rachat des jours de RTT ou le déblocage de la participation de Sarkozy) sont non seulement socialement injustes, mais inadaptées à la situation. Pour préserver la consommation, il faut arrêter de comprimer les salaires et les allocations des chômeurs.

Instabilité

Le capitalisme de l’après-Deuxième Guerre mondiale s’était doté de mécanismes stabilisateurs : intervention des États, contrôle des mouvements de capitaux, système de protection sociale. Dans le contexte de l’après-guerre (force des mouvements ouvriers, compétition avec l’URSS), il ne pouvait s’offrir le luxe d’une nouvelle crise comparable à celle de 1929. Le néolibéralisme a démantelé une grande partie de ces régulations, et son système financier va de soubresauts en soubresauts. Le capitalisme couvre désormais l’ensemble de la planète : ce qui se passe dans un pays (en premier lieu, dans la première économie du monde, les États-Unis) affecte les autres... L’équilibre du système est donc de plus en plus instable. Les établissements de crédit qui ont lancé les « subprimes » ne sont pas des filous marginaux, mais des financiers qui, dans leur champ d’activité, font comme tous leurs confrères des banques respectables : sauter sur toutes les occasions de profit en rusant avec la réglementation. Naturellement, à chaque à-coup de la croissance, c’est aux travailleurs et aux pauvres du monde qu’il revient, pour l’essentiel, de payer le prix de leurs turpitudes. n


Le capital a-t-il encore des marges ?

Les capitalistes vont indéniablement tout faire pour reporter le poids de la crise sur les salariés, mais il ne faudrait pas penser que les difficultés actuelles empêchent le capital de satisfaire les revendications.

1. Les profits restent élevés.

Il faut avoir en mémoire les deux éléments suivants : les taux de profit des entreprises demeurent en moyenne à un niveau élevé ; dans les dernières années, les entreprises ont privilégié la rémunération des actionnaires sur l’investissement. Les profits doivent être décomposés entre les capitaux réinvestis dans l’entreprise, les intérêts versés en contrepartie de l’endettement et les profits distribués aux actionnaires.

Ces dernières années, la part des revenus allant aux actionnaires s’est nettement accrue. En France, de 2001 à 2005, « les revenus distribués nets rapportés à l’investissement (FBCF) passent de moins de 31 % à plus de 36 % entre les deux sous-périodes (1993 à 2000 et 2001 à 2005). La contrainte de rendement financier des capitaux investis et, pour les sociétés cotées, la politique de soutien des cours après la dépression boursière de 2001, ont conduit ainsi à privilégier la distribution de revenus (en particulier de dividendes) sur l’investissement » (« La France en transition, 2001-2005 », document du Cerc).

2. Le capital exige un revenu garanti.
La logique capitaliste est désormais telle que ce n’est plus la rémunération du capital qui doit s’ajuster aux aléas économiques mais, en permanence, les salaires et l’emploi.

Les propriétaires du capital raisonnent désormais en fonction d’une norme de revenu, indépendamment des caractéristiques ou de l’activité de l’entreprise. Comme l’écrit l’économiste Frédéric Lordon : « Classiquement, la légitimité du capitaliste à accaparer la plus-value reposait sur l’endossement du risque économique. […] Le risque évidemment ne disparaît pas […] Et c’est le salariat qui devient lieu de report et de concentration de tous les risques […]. »

Face à la baisse du dollar, et pour certaines entreprises confrontées à de vraies difficultés, les actionnaires vont continuer à exiger ce revenu garanti. Et donc faire payer le prix aux salariés en supprimant des postes, en allongeant les horaires ou en délocalisant. Les 8 000 suppressions d’emplois annoncées fin décembre 2007 chez BMW en Allemagne constituent une illustration extrême de cette logique. 2007 a été une année record, du point de vue des ventes du groupe (+8,3 % sur les onze premiers mois contre 1,9 % pour le rival Mercedes). Quant à la marge, elle avoisine 6 %. Ce qui n’est pas rien mais, paraît-il, moins que chez les autres constructeurs, d’où les coupes dans les effectifs pour remonter la marge à 8-10 %.


WILNO Henri
* Paru dans Rouge n° 2236 du 24 janvier 2008.
Mis en ligne le 23 janvier 200