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Éléments d’une nouvelle conjoncture

Par Inprecor América Latina*

lundi 28 juillet 2003

Dire que le Brésil est entré dans une « nouvelle étape » politique et historique avec la victoire du dirigeant du Parti des travailleurs, Luiz Inacio da Silva "Lula" lors de la présidentielle de 2002, est devenu un lieu commun. Bien que le gouvernement formé par Lula n’a pas encore atteint six mois, nous pouvons d’ores et déjà affirmer que des « éléments d’une nouvelle conjoncture » sont en train d’émerger dans le cadre de cette étape. Jusqu’à présent la politique économique du gouvernement a été marquée par un ton très conservateur (fort ajustement fiscal pour obtenir un excédent budgétaire brut élevé, hausse des taux d’intérêt comme remède contre l’inflation, intention d’accorder l’autonomie à la Banque centrale, etc.), à l’exception de quelques domaines (négociations commerciales internationales, quelques mesures dans le secteur de l’énergie et des télécommunications, initiatives conçues avec les mouvements sociaux dans le cadre de la réforme agraire).

Ce que nous appelons les « éléments de la nouvelle conjoncture » surgissent en opposition à cette orientation politique conservatrice. Cette opposition se manifeste au sein des secteurs sociaux et politiques qui furent au centre de la trajectoire du Parti des travailleurs au cours des deux décennies précédentes.

Cette opposition croissante a pris la forme de manifestes rendus publics par des individus représentatifs de l’aire politique, sociale et culturelle du PT ainsi que des initiatives des organisations de masse fortement liées à ce parti. En voici un rapide aperçu ;

Manifestes

 Le 1er Mai 2003, dans une lettre ouverte adressée au président Lula quatre évêques (dont Dom Paulo E. Arns), des artistes, des critiques littéraires, des militant(e)s des droits humains, des féministes, etc. - tous historiquement liés à la construction du Parti des travailleurs au cours des deux décennies écoulées - se sont prononcés contre le projet de la ZLÉA et contre l’autonomie de la Banque centrale (1)

 Le 29 mai 2003 a été rendu public le manifeste signé par 30 députés du groupe parlementaire du PT, qui remet en cause la politique ultra-monétariste de la Banque centrale et du Ministère des Finances, qui sous prétexte de combattre l’inflation plonge le pays dans une récession et conduit à l’augmentation du chômage. Il s’agit d’une initiative commune des tendances de la gauche du PT (Démocratie Socialiste, Force Socialiste, Articulation de Gauche) et d’indépendants (2).

 Le 10 juin 2003 a été rendu public un « Manifeste d’alarme » contre le projet gouvernemental de réforme des retraites, signé par des intellectuels historiquement liés à Lula et au Parti des travailleurs, parmi lesquels le sociologue Octavio Ianni, la philosophe Marilena Chaui, le juriste Fabio Konder Comparato, le sociologue et économiste Chico de Oliveira, l’économiste Wilson Cano, le géographe Aziz Ab’Saber… Les auteurs exigent le retrait du projet gouvernemental et l’ouverture d’une discussion sur des bases saines (3)

 Le 12 juin 2003 des dizaines d’économistes progressistes et liés au PT ont demandé dans un Manifeste une « inversion de la matrice de la politique économique » actuelle. Ce manifeste est en particulier signé par certains des économistes brésiliens les plus connus, dont beaucoup avaient collaboré à la formulation des programmes électoraux de Lula entre 1989 et 2002 ou l’ont conseillé au sein de l’ONG Institut de la Citoyenneté. Il s’agit en particulier de Luis Gonzaga Belluzo, Joao Manuel Cardoso de Mello, Ricardo Carneiro et Reinaldo Gonçalves. Parmi les économistes liés à la gauche du PT on note les signatures de João Machado (Démocratie Socialiste) et Plinio de Arruda Sampaio Jr. (Mouvement de Consultation Populaire). (4)

Initiatives des organisations de masse liées au PT

 Les 2700 délégué(e)s, réunis du 3 au 7 juin 2003 au VIIIe Congrès national de la Centrale Unique des Travailleurs (CUT, principale confédération syndicale du Brésil) furent unanimes pour remettre en cause la proposition gouvernementale de réforme des retraites. Notons que 80 % d’entre eux s’identifient au PT et que 90 % s’identifient aux partis qui forment le gouvernement.
Des divergences sont toutefois apparues parmi les délégué(e)s en ce qui concerne la tactique de la conduite de ce débat dans le congrès et dans la société ainsi que sur le contenu d’un projet de réforme alternatif. La résolution présentée par le courant majoritaire (Articulation syndicale, proche de la tendance majoritaire du PT) fut adoptée par environs 53 % des délégué(e)s. Jusqu’au dernier moment divers courants ont tenté de formuler une proposition qui puisse aboutir à un vote très largement majoritaire. Cela ne fut pas possible du fait, entre autres, des divergences concernant le « plafond » des retraites. Le courant CUT socialiste et démocratique (CSD), au sein duquel militent les militant(e)s « pétistes » de la tendance Démocratie socialiste, a donc défendu un projet de résolution alternatif, soutenu également par le Courant syndical classiste (au sein duquel militent les militant(e)s du PCdoB - Parti communiste du Brésil) et par ceux de la Tendance marxiste du PT.

Notons cependant que la résolution approuvée majoritairement par le Congrès exige une modification profonde du projet gouvernemental (élargissement des droits en ce qui concerne l’âge de la retraite, le montant des pensions, etc.). (5)

 Le 11 juin, plus de 30 000 travailleurs venus de tout le Brésil ont manifesté dans la capitale Brasilia contre le projet de réforme des retraites du gouvernement. Convoquée à l’origine par la Confédération nationale des travailleurs de l’Éducation (CNTE, partie prenante de la CUT), dont la direction est liée à la majorité du PT, cette manifestation fut soutenue par tous les syndicats du secteur public, puis par le congrès de la CUT. La très grande majorité des manifestants étaient « pétistes ». A l’issue du congrès de la CUT et de cette manifestation, la pression du groupe parlementaire du PT et de ceux des autres partis de gauche alliés est très forte pour amender le projet gouvernemental en y intégrant le point de vue syndical et modifiant ainsi sa nature.

Riposte organique

Ces prises de position, qui témoignent d’une riposte plus organique des secteurs « pétistes » historiques à la politique « continuiste » du gouvernement Lula, convergent en bien des points avec les critiques formulées par la sénatrice HeloIsa Helena (membre de la Tendance Démocratie socialiste du PT), qui lui ont valu la menace de sanction de la part du secteur majoritaire du parti (pouvant aller d’un avertissement à l’exclusion du parti). HeloIsa a été l’étoile de la manifestation du 11 juin, à laquelle elle a participé aux côtés des député(e)s signataires du « Manifeste des 30 », dont certains font partie du « Camp majoritaire » (la tendance de Lula et de José Dirceu, secrétaire général de la présidence, dont la fonction est proche de celle d’un Premier ministre dans d’autres pays) tout en étant étroitement liés avec le syndicalisme « cutiste » et avec les trois député(e)s déjà sanctionné(e)s ou menacés de sanctions par la direction du parti.

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1. Le texte intégral est disponible sur le site web du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST) : <http://www.mst.org.br/informativos/...>
2. Nous reproduisons ce texte ci-après en p. …
3. Le texte intégral peut être consulté sur le site web <http://www.adusp.org.br/previdencia...>
4. Nous reproduisons ce texte ci-après en p. …
5. Nous reproduisons, en p. … la résolution majoritaire et en p. … le projet de résolution soumis par le courant CSD.

(tiré d’Inprecor)