Entrevue avec Amir Khadir
du journal Résistance !
mardi 24 février 2009, par Benoît Renaud
"Le parlement n’est pas un but en soi mais un levier. Par exemple, le gouvernement Charest avec l’appui unanime de l’Assemblée nationale a obtenu du fédéral certaines améliorations à l’assurance-emploi et d’autres concessions dans le dernier budget fédéral. C’est Québec solidaire, par le biais de ma présence à l’Assemblée, qui avait insisté pour inclure l’AE dans la liste de demandes du Québec. "
R ! - Comment interprètes-tu ton élection historique dans le comté de Mercier le 8 décembre dernier ?
AK – C’est d’abord le fruit d’une longue accumulation politique qui s’inscrit dans une détermination de la gauche depuis une dizaine d’années pour faire un travail terrain autant que sur le plan des idées. On se rappelle que la gauche a tenté à quelques reprises de percer sur la scène électorale. Mais l’essentielle du travail se concentrait sur les débats d’idées et de programme. Nous avons en revanche mené un travail de terrain depuis environ 10 ans, en partant du PDS en 1998 qui avait fait une campagne importante dans Mercier notamment, l’arrivée du RAP, puis Cliche en 2001, coïncidant avec l’apogée des conquêtes du mouvement social qui s’était exprimée par les formidables mobilisations de la Marche mondiale des femmes, le Sommets des peuples et les mobilisations anti-guerre. L’origine de cette victoire tient aussi à la sociologie particulière de ce comté dont l’électorat est fier de son statut de contestataire, ouvert à la différence. Rappelons que c’est ce comté qui en 1976 avait élu un poète pour chasser le premier ministre de l’époque ! C’est encore Mercier, qui avait donné une leçon au PQ en 2001. Il y avait donc un bon alignement des planètes sur le plan du travail terrain de la gauche dans un comté qui se trouve être le premier terrain de sympathie pour la gauche, un électorat à forte composition de jeunes et de femmes- chez qui nous avons de l’influence- et de gens plus éduqués mais pas assez nantis pour être tenté par le conformisme politique.
R ! - Quelle est ton évaluation de la situation politique québécoise au lendemain de cette élection ?
AK – J’ai l’intime conviction que nous sommes dans une phase de mutation, le calme avant la tempête. Il faut reconnaître que l’équipe libérale de Charest jouit d’une embellie due en bonne partie à la participation paritaire des femmes au conseil des ministres, et par l’abandon, au moins au niveau du langage public, de ses pires relents néolibéraux (réingénierie de l’état, privatisation des services publics, etc.).
Mais on sent aussi une extrême volatilité de l’opinion publique qui explique les expériences de mars 2007 puis de décembre 2008, avec la montée spectaculaire de l’ADQ puis son passage à vide.
La population n’est pas simplement insatisfaite de certains partis mais de l’ensemble de la classe politique ; une opportunité à saisir pour QS de reprendre l’initiative et sortir des à priori politiques notamment par rapport au PQ, pour développer une gauche forte, qui serait utile à une gauche sociale déjà forte pour imposer son agenda politique au cœur du pouvoir. Dans l’immédiat, la gauche politique demeure faible, nous sommes sortis de la marginalité mais, comme on dit, on a des croutes à manger. La crise économique va faire réfléchir beaucoup de gens. À nous d’être le plus clair et le plus pertinent dans nos propositions. Il y a une véritable ouverture politique, dont témoigne le recul profond de l’ADQ, qui n’est pas qu’un phénomène passager. Certains de ses supporteurs, comme les animateurs de radio-poubelles de la région de Québec, le sentent bien et sont fou de rage contre nous.
R ! - L’ADQ est-elle sur le point de disparaître ?
AK - Disparaitre complètement non, mais l’ADQ va se retrancher dans sa place historique comme représentant de secteurs traditionnels dans un bataille d’arrière-garde sur le plan des acquis sociaux, comme l’avortement et la place des femmes. Il y a de ça au Québec.
Aussi, il y a des gens qui ont appuyé l’ADQ par rejet des partis traditionnels mais qui se rendent compte maintenant que ce parti n’est pas pour eux. L’ADQ bénéficie toujours d’un soutien dans certains milieux économiques influents comme l’Institut économique de Montréal (IEDM) dont l’ancien président, maintenant président du Conseil du Patronat du Québec, considère se présenter à la chefferie.
Mais sur le plan électoral, l’ADQ va rester dans une situation difficile pour une longue période. La question est si Québec solidaire peut représenter une nouvelle alternative et remplir le vide laissé par l’ADQ.
R ! - Qu’avez-vous appris sur le terrain en menant la campagne ?
AK – Quelque chose qui m’a fasciné, dans un contexte d’élection québécoise, en l’absence d’un problème particulier touchant le comté qui puisse accaparer l’attention de la localité, les gens n’abordent pas les enjeux locaux. Seules deux personnes m’ont demandé ce qu’étaient mes engagements pour Mercier sur des questions locales spécifiques. La plupart des préoccupations étaient nationales, la politique sur les changements climatiques, la pérennité du système de santé publique, le salaire minimum, etc. Peu de gens m’ont demande ce que j’allais faire pour régler un problème sur leur rue par exemple. Mercier est un terrain politique où les gens s’identifient à l’ensemble du Québec et non pas à leur quartier ou à leur arrondissement. Est-ce que c’est vrai de tous les comtés au Québec ? Probablement pas avec la même intensité. Mais ça marque quand même la modernité d’un Québec décloisonné. Les gens s’identifient au Québec dans son ensemble et pas seulement à leur coin de pays. Sans négliger la nécessité de décentraliser le pouvoir vers les régions et les localités, ce phénomène est positif et porteur d’un projet collectif national, car comme le veut l’adage, pour bien agir localement il faut penser globalement. L’autre chose que j’ai apprise est que malgré tout notre soucis d’être aussi écologique que possible dans nos campagnes, l’affichage massif est très important. On a gagné cette bataille de l’affichage en réutilisant les pancartes de 2007, avec nos dizaines de pancartes de balcon notamment. Cette visibilité a eu un impact et créé l’impression que nous pouvions être victorieux. Par conséquent, notre vote est sorti.
Ailleurs au Québec on a fait peu d’affichage et il y a bien des gens qui sont venus me voir pour dire qu’ils auraient voté pour QS si on avait eu un candidat chez eux. Bien des gens croyaient à tort que nous étions absents sur les listes uniquement parce que nous n’avions pas affiché des pancartes dans ces comtés.
Troisièmement, une campagne électorale est un moment politique privilégié. Des gens qui ne voulaient pas participer aux activités du parti en temps ordinaire arrivaient au local et se portaient volontaire pour aider, ouvraient leurs carnets de chèques, etc. C’est une opportunité sans égal de mettre de l’avant nos idées. Autrement dit, une campagne électorale est un moment privilégié pour capter l’attention politique des gens, mobiliser les consciences et les actions.
R ! - Quelles sont les prochaines étapes pour le développement de Québec solidaire ?
AK – À court terme, il faut utiliser le levier du parlement pour faire parler de nous le plus possible. J’ai confiance que quand les gens vont mieux nous connaitre, notamment sur le plan des politiques économiques – nous sommes les seuls à avoir des choses consistantes à dire – ça va nous gagner des appuis. Le parlement n’est pas un but en soi mais un levier. Par exemple, le gouvernement Charest avec l’appui unanime de l’Assemblée nationale a obtenu du fédéral certaines améliorations à l’assurance-emploi et d’autres concessions dans le dernier budget fédéral. C’est Québec solidaire, par le biais de ma présence à l’Assemblée, qui avait insisté pour inclure l’AE dans la liste de demandes du Québec.
Nous devons faire élire d’autres députés, notamment à l’occasion d’élections partielles. Il faudra faire preuve d’imagination à ce niveau et tenter de faire entrer une autre personne bientôt, lorsqu’un comté favorable sera disponible. Souhaitons que ce soit Françoise.
Et bien sur on doit développer nos associations sur le terrain. Nos meilleurs résultats étaient dans les comtés où on était le mieux organisé. Et le nerf de cette guerre c’est l’argent. Il faut dire aux gens qu’on a besoin d’outils. On peut s’inspirer de ce qui a fait le miracle Obama, des centaines de milliers de gens ordinaires qui, à tort ou à raison, en on fait le véhicule de tous leurs espoirs. Obama a eu aussi des dons corporatifs, mais 50% de ses ressources sont venues de petits dons de gens ordinaires.
R1 - Que propose Québec solidaire comme vision pour faire face à la crise économique ?
AK – La vision de QS est que cette crise économique n’est pas le fruit du hasard. C’est une crise structurelle et largement prévisible qui est d’abord une crise des inégalités, une crise d’un système politique particulier qui produit des inégalités, sans parler de l’utilisation abusive des ressources .Ce système a un nom, c’est le capitalisme. On doit chercher une voie de sortie de ce système. Il y a eu une vie avant le capitalisme et il devrait y avoir une vie après. QS ne s’est pas encore entendu sur une réponse à la question de ce qui pourrait succéder au capitalisme, mais ce qui est certain est qu’on droit aborder cette crise comme une opportunité de réaliser des changements pour combattre des inégalités, et durablement changer nos rapports économiques de manière à ne pas détruire l’environnement. On doit miser notamment sur les créations d’emplois dans secteurs économiques plus verts, comme l’efficacité énergétique, les transports collectifs, les énergies renouvelables, etc. On doit aussi investir dans les services sociaux : plus d’enseignants, plus de garderies. Bref, on propose une série de mesures qui visent à augmenter l’emploi surtout dans des secteurs sociaux et écologiques.
Aussi, il faut changer le mandat de la Caisse de dépôt pour en faire un outil de développement et de structuration de notre économie à plus longe terme.
Dans notre plan de sortie de crise, une série de mesures sur 5 ans visent à modifier la structure de notre économie. C’est une plan de 10 milliards qu’on a présenté le 24 novembre et dont le cadre budgétaire n’a pas été mis en doute jusqu’à maintenant. Un plan beaucoup plus énergique que tout ce qui a été proposé depuis par les gouvernements Harper ou Charest et qui ressemble aux propositions de l’administration Obama, sauf sur le plan des réductions d’impôt présentées pour amadouer les républicains. Si on ôte le 350 milliards de réductions d’impôt, le niveau de dépenses per capita face à la crise du plan Obama est semblable à ce que QS propose, environ 1500$ par personne. D’ailleurs, le 24 novembre Obama dévoilait son plan un peu plus tard que nous la même journée. Et les journalistes nous disaient que notre plan venait de la planète mars !
Réalisée le 29 janvier 2009