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Face à la crise : Le « laissez-faire » économique de la gauche

mercredi 22 avril 2009, par Antoine Casgrain

En France et en Grèce, les travailleuses et travailleurs ont combattus dans la rue le plan de relance de leur gouvernement. Au Québec, pourtant, ni les centrales syndicales ni les mouvements sociaux sont des critiques crédibles du plan de relance des deux paliers de gouvernement. Devant la catastrophe économique, la gauche semble en panne d’idées, prête à « laisser faire » les ingénieurs du néolibéralisme.

La métaphore de Jean Charest sur la tempête économique exprime la pensée que partage également d’une partie des organisations de gauche. Les syndicats des secteurs industriels retiennent leur souffle, se disant prêts à faire des concessions pour sauver des emplois. Parmi les groupes populaires, on espère des mesures pour aider les plus démunis, les plus affectés par la crise. Chacun cherchant le meilleur abri, se disputant les bouées de sauvetage d’un petit navire qui s’aventure sur l’économie globalisée comme sur un océan dangereux. Plusieurs en sont réduits à saluer, comme les centrales l’ont fait la semaine dernière, les « bon points » du budget québécois.

Abandon de l’économique aux néolibéraux - et la stratégie du social

Les organisations de gauche (partis, syndicats ou mouvements sociaux) ont-ils un projet de société de sortie de crise ? Un projet qui dépasse leur action actuelle qui se limite à communiquer leur demande à l’État sans questionner son orientation historique.

Dans la tourmente de l’économie mondiale, les appels à l’aide sonnent de toute part. Tous quémandent à la fenêtre du gouvernement : PME, marchés boursiers, sans-abris, banques, faible revenu, chômeur, industrie, tourisme, régions... Dans la cacophonie, doit-on se contenter d’être un « acteur social » de plus ? En agissant comme des « acteurs sociaux », ou des « groupes de pression », les syndicats et les organisations lient leur destin aux réponses d’un gouvernement gestionnaire de portefeuille. Cette carence de la gauche est d’autant plus manifeste lorsqu’on prétend jouer le « social » contre « l’économie ». D’un côté, l’économie : une activité sale mais nécessaire. De l’autre, le social : un domaine non-rentable dans lequel l’État devrait s’investir (santé, éducation et lutte à la pauvreté). Les mesures sociales se déploient à côté de la sphère économique et doivent s’adapter à la création des profits.

La fiscalité est un rouage important de l’inégalité entre les classes sociales. Lutter pour les programmes sociaux implique une redistribution de la richesse par l’impôt sur les richesses. Au cours des années, les mouvements sociaux ont adopté des revendications budgétaires, en se gardant d’intervenir sur les politiques économiques. Concrètement les demandes à l’État se sont multipliées afin de répondre à des besoins de plus en plus précis.

Le ralentissement de la croissance économique laisse croire qu’il n’y a plus de richesse que l’État peut taxer. Les acteurs sociaux sont invités à modérer leur demande et de s’adapter à la conjoncture économique. L’économie parait trop menaçante pour que la gauche daigne de s’y aventurer.

Face au chômage galopant, l’entreprise privée impose son hégémonie sur les solutions et les divers plans de relance. Tandis que les centrales syndicales, liés à leur fonds d’investissement, acceptent l’idée que le capitaliste crée l’emploi. La division qui existe en Amérique du Nord entre les travailleurs du secteur privé et ceux du secteur public. La combativité des derniers est souvent perçue comme la cause du fardeau fiscal des seconds, accentuant la tendance de ces derniers à s’identifier aux discours de l’entrepreneur privé « le vrai créateur de richesse ». Le « laissez-faire » de la gauche consiste justement à ne pas parler au travailleur, à la travailleuse, du secteur public ou privé, comme le véritable moteur de la richesse, et non un bénéficiaire de la providence de l’État. Or, c’est une erreur de voir la création de richesse et la redistribution comme deux moments distincts.

Les leçons de la crise

Au fondement de cette crise économique se dessine le recul des revenus réels des travailleuses et des travailleurs. La baisse de la part de richesse redistribuée à la société correspond à la hausse de la part accaparée par le capital. À son tour, le capital a favorisé les rentes honteusement gonflées d’une minorité de capitalistes et la création de capital spéculatif. Si les salaires baissent, comment les multinationales arrivent-elles à vendre leur produit ? Les travailleuses et les travailleurs ont utilisé leur carte de crédit et les hypothèques à perpétuité pour maintenir leur pouvoir d’achat. L’endettement a été favorisé par un système de crédit structuré par les banques, les fonds de placements et les réglementations laxistes de l’État. Aujourd’hui les banquiers s’aperçoivent que les capacités d’endettement n’étaient pas infinies. Le système se trouve aujourd’hui dans l’impossibilité de mettre en relation la production et la demande, crise caractéristique de l’économie capitaliste.

Les plans de relance, aux États-Unis ou au Canada, tentent de faire payer aux salarié-e-s le poids de la récession. Les plans sont constitués pour une bonne part de dépenses pour renflouer les banques et les compagnies, tout en maintenant les baisses d’impôts. Les gouvernements favorisent leurs investissements tout en diminuant leurs recettes. Ces lourds déficits seront autant d’arguments pour poursuivre les opérations tronçonneuses dans les programmes sociaux. De plus, en récupérant les actifs pourris des institutions financières, l’État cherche à relancer le crédit en ne laissant en place les mécanismes boursiers qui ont fait défaut. Alors que les entreprises reçoivent des milliards, les travailleurs son sommé de faire des concessions.

Abandon des retraites aux fonds spéculatifs

Le projet des élites économiques visait à faire participer l’ensemble des acteurs de la société au processus de financiarisation du capital. Les travailleurs et les travailleuses des pays développés ne tirent plus uniquement leur revenu de leur « force de travail ». Une grande partie d’entre eux, particulièrement les secteurs syndiqués du Canada et des États-Unis, ont investi leur retraite dans les fonds spéculatifs. Ce qu’on a appelé les « investisseurs institutionnels » sont devenus des joueurs importants de la finance mondiale. Le Fonds de solidarité de la FTQ et le Teachers - le fonds de retraite des professeur-e-s de l’Ontario - ont cru que la bourse et la finance pouvait servir l’intérêt de leurs travailleurs. Quant à la Caisse de dépôt du Québec, on sait aujourd’hui comment elle a joué au casino boursier une bonne partie des retraites des employé-e-s et des pensions de l’ensemble des Québécois.

À la source de la débâcle financière se trouve la demande de plus en plus massive de placements, notamment par la multiplication de la gestion privée des retraites. Les edge fund et les subprime, ainsi que le papier commercial adossé à des dettes, sont des produits qui sont nés de surplus de capital qui désirait être investi. Ces produits boursiers, rappelons-le, étaient faits de rentes usuraires sur l’endettement individuel de la majorité des ménages à faible revenu. Un surendetettement nécessaire, par ailleurs, à financer le cycle de surconsommation auquel nous soumettent les compagnies transnationales.

La course au placement est le résultat d’un politique volontaire des États à céder la responsabilité de la retraite à l’individu. La création des REER, et aujourd’hui du CELI (compte d’épargne libre d’impôt, sont des exemples de cette politique. Contrairement à plusieurs pays européens, où la privatisation des retraites a fait l’objet de luttes de la part de la classe ouvrière, au Canada les organisations syndicales ont accepté le virage mercantile. Au Québec, il faut rappeler le gouvernement du Parti québécois qui a permis le virage financier de la Caisse de dépôt et de placement. Le PQ a créé, soutenu par ses alliés syndicaux et les organisations de la jeunesse, le Fonds des générations, un outil considéré progressiste contre la menace supposée du vieillissement de la population. Or, ce fonds ne règle rien au problème de la dette. Il propose de remplacer le déficit des revenus de l’État pour rembourser sa dette par des revenus sur les marchés boursiers, qui rappelons-le, se sont avérés fictifs. Pourtant, cette part manquante de revenus, l’État la cède en baisse d’impôt pour les riches et les grandes entreprises.

Le mythe du « laissez-faire » de l’État

Contrairement au mythe répandu, l’État, sous l’influence du néolibéralisme, n’a pas « laissé faire » le marché. L’action active de l’État est toujours nécessaire à la création du marché. Les pouvoirs publics agissent activement sur le cadre qui structure les rapports économiques. Par exemple, les coupures dans les programmes sociaux sont tout le temps suivies de mesures incitatives et réglementaires favorisant l’émergence du secteur privé dans le milieu social. Si l’État n’investit plus dans le logement social, il agit activement en faveur d’une politique de support à la demande d’accès à la propriété : allégement fiscal, flexibilisation réglementaire et facilitation d’accès au crédit. Les accords de libre échange sont un autre exemple de l’action de l’État afin de favoriser les investissements internationaux qui touchent surtout les grandes entreprises.

Dans les faits, depuis la gouverne du trio Reagan-Thatcher-Mulroney, beaucoup d’eau a passé sous les ponts. La situation politique actuelle ressemble bien plus à l’architecture laissée par la « Troisième voie », préconisée par Anthony Blair en Grande-Bretagne mais repris depuis par les partis de centre-gauche partout dans le monde. Ce que plusieurs appellent aujourd’hui le social-libéralisme. Ce courant politique croit en l’intervention étatique dans le domaine social. Il s’agit de fonder un filet social dans le respect du libéralisme économique et de s’adapter à l’individualisation du salariat. En résumé, il s’agit : dans le domaine économique, de faire des investissements publics dans les secteurs compétitifs de l’économie en ne touchant pas à l’accumulation privée du capital ; dans le domaine social, investir dans un filet social, en partenariat public-privé, et transformer en priorité l’éducation et l’assurance-chômage en des programmes de formation de la main d’ouvre.

Aujourd’hui, une partie de la gauche s’est mise à travailler dans le réinvestissement social, caractéristique des programmes de l’État social-libéral : concours de projets, intervention en partenariat d’ONG et recherche subventionnée. La résolution de problèmes sociaux, de plus en plus spécialisés, cherche moins à intervenir sur le champ économique, qu’à s’y adapter ou en modérer ses conséquences. Les politiques économiques sont laissés dans les mains des ingénieurs des sciences de la gestion. Les demandes des groupes de gauche, si bien elle touche la question fiscale, délaissent le contrôle démocratique de l’économie. En ce sens, la question n’est pas « plus ou moins » d’État, mais « quel État ? »

« Nous ne voulons pas quêter, nous voulons lutter »

En plus de réactiver la formation et la discussion sur les enjeux économiques à l’intérieur de leur structure, les mouvements sociaux nécessitent plus que jamais un programme économique commun. Le député de Québec solidaire pourrait investir son temps dans des commissions citoyennes sur l’économie, sur la base de la proposition des chantiers écologistes et solidaires. Cette tâche est d’autant plus importante pour Québec solidaire, dont les plates-formes sont la somme - quand ce n’est pas l’énumération - des demandes progressistes. Le parti de gauche doit dépasser les demandes ponctuelles par un projet économique qui les englobe.

Dans le contexte que nous venons d’évoquer, la gauche anticapitaliste fonde son projet de société sur une nouvelle économie au service de l’humanité. Sortir du capitalisme signifie dompter une économie du profit qui mène non seulement au désastre environnemental et social, mais à la dépression économique pour la majorité. Le programme économique « proactif » de la gauche comprend donc les éléments suivants.

Refuser catégoriquement le sauvetage des escrocs de la finance. Gregor Madoff ne devrait pas être le seul à se retrouver sous les barreaux, mais tous les dirigeants des firmes comptables et des grandes banques qui ont conçus les échafaudages financiers risqués. Pas une cenne de plus à injecter dans le sauvetage des banques et des fonds de placement.

L’État doit nationaliser les institutions financières, banques et assurances, afin d’assainir les pratiques financières et contrôler le crédit. Cette mesure ne doit pas être temporaire, juste pour ramasser les pots cassés. Il s’agit d’une nécessité pour pouvoir mettre en place une politique d’investissement centrée sur les besoins sociaux et écologiques de la majorité : le logement, le transport alternatif et la valorisation des écosytèmes. Le nouveau système financier devrait interdire d’utiliser l’argent qu’il reçoit pour la spéculation.

Contre les déréglementations financières et taxations des paradis fiscaux. Les États ont délibérément signé des accords et adopter des politiques qui ouvrent la voie au vol de capitaux. La globalisation de l’économie doit être maîtrisée par de nouvelles organisations internationales égalitaires (un État, un vote), non par des groupes élitistes qui visent la soumission des nations aux dictats des multinationales comme le G-20 ou le FMI.

La défense de l’emploi et l’interdiction les licenciements. Dans toutes les branches de l’industrie et du commerce, l’activité économique doit s’orienter sur une juste rétribution des travailleurs et des travailleuses, non des actionnaires. L’État doit imposer des restrictions à la délocalisation et la sous-traitance, notamment au moment d’accorder des bénéfices fiscaux. Pour défendre le droit au travail, créer un fonds d’assurance, à la charge exclusive des employeurs, qui financerait la permanence de l’emploi au-delà des alléas de la vie de tel ou telle entreprise.

Des chantiers solidaires et écologistes. À l’image des la plate-forme de Québec solidaire, nous avons besoin d’investissements publics pour soutenir une économie qui répond aux demandes sociales et écologiques du peuple québécois. En priorité, les chantiers se chargeront de logement social, de transport en commun et d’efficacité énergétique. Les chantiers pourront prendre la forme d’une conversion des industries : conversion de l’industrie militaire de Bombardier dans le transport en commun, conversion des industries biotechnologiques dans la prévention en santé et la recherche pharmaceutique sans brevet, construction de places publiques et rénovation des écoles, au lieu de construire des autoroutes. La nationalisation des entreprises qui ont cette mission, avec gestion démocratique des salarié-e-s et de la communauté.

Une nouvelle répartition des richesses. La lutte à la pauvreté doit prendre le chemin de la lutte aux inégalités. Une majoration immédiate du salaire minimum et des prestations d’assurance-chômage et assurance sociale. La syndicalisation sectorielle des employé-e-s des grandes chaînes (McDo, Wal-Mart), l’abolition des lois antisyndicales dans le secteur public et des mesures pour faciliter l’organisation des travailleuses et travailleurs précaires.

Défense des services publics et refus de la privatisation de la santé. La privatisation de la santé et la dérive commerciale de l’éducation vise à vendre nos acquis sociaux à rabais aux grands intérêts corporatifs. L’égalité des citoyen-ne-s devant les services publics n’est possible que si ceux-ci demeurent hors du système marchand.

Une des conséquences du « laissez-faire » de la gauche est l’abandon du projet d’indépendance du peuple québécois. Les syndicats et les mouvements sociaux québécois ont oublié qu’une société doit résister au contrôle des grandes corporations. À force de ne demander que des mesures sociales au palier provincial, dans le respect des ses « compétences », la nécessité d’un pays indépendant est devenue absurde. Pour protéger nos droits sociaux, il est nécessaire de fonder une société libre. Insoumis aux dictats des multinationales, un Québec indépendant participera à un projet émancipateur, socialiste et écologiste.