La décroissance soulève de vraies questions mais son fondement scientifique est erroné »
TANURO Daniel
1er avril 2008
* Interview publié dans le cadre d’un dossier intitulé « La décroissance : consommer moins pour vivre mieux ? » sur le site : Espace citoyen :
http://www.espace-citoyen.be/site/index.php ?EsId=1&Module=mod-produit&Indice=1-12-62
Selon vous, la base scientifique de la décroissance est erronée. Pourquoi ?
La décroissance est basée sur les travaux de Nicolas Georgescu-Roegen, qui est un des premiers à avoir envisagé l’économie sous l’angle de la thermodynamique. Selon Georgescu-Roegen, il y a une contradiction entre la loi de l’entropie (deuxième loi de la thermodynamique) et une croissance économique matérielle illimitée. Il faudrait donc absolument ralentir la croissance économique pour freiner l’augmentation de l’entropie, c’est-à-dire la dégradation inévitable de l’énergie du fait de son usage.
Pour moi, c’est un non-sens parce que le 2e principe de la thermodynamique (l’augmentation inévitable de l’entropie) s’applique à des systèmes énergétiques fermés. Or, la biosphère n’est pas un système fermé. D’une part, elle est ouverte sur les rayonnements cosmiques (notamment sur le rayonnement solaire, un flux d’énergie quasi inépuisable à l’échelle humaine puisqu’on sait que le soleil va encore briller pendant 4,5 milliards d’années au moins). D’autre part, elle est traversée dans l’autre sens par le flux de la géothermie. Il y a un apport constant d’énergie. La biosphère est un système ouvert. Au sein d’un tel système, la croissance du désordre (ce que mesure l’entropie) n’est pas une fatalité. La vie est d’ailleurs source d’ordre, pas de désordre.
Rien ne s’oppose donc à la croissance illimitée ?
Je n’ai pas dit cela ! Il y a un très gros problème, au contraire, je suis entièrement d’accord sur ce point avec les partisans de la décroissance. Mais le problème ne vient pas d’une espèce de fatalité découlant du fait que tout processus vivant entraînerait une augmentation de l’entropie, comme le dit Georgescu-Roegen. Le problème vient du fait que l’humanité consomme des ressources à un rythme incompatible avec la vitesse de reconstitution de ces ressources. Elle consomme notamment des combustibles fossiles. C’est-à-dire une énergie de stock qui, en brûlant, dégage du CO2. Celui-ci s’accumule dans l’atmosphère et dépasse les capacités d’absorption par les écosystèmes. C’est un problème très grave mais que l’on peut résoudre sans tout expliquer par la hausse de l’entropie. La chimie de l’atmosphère suffit. Il faut donc se départir de ce discours sur l’entropie qui augmente fatalement et qui conduit inévitablement à la mort du système.
La planète ne serait donc pas en danger ?
Il est évident que la planète va mourir, que l’espèce humaine va disparaître un jour. Et sans doute avant même que le soleil ait fini de fonctionner comme une centrale à fusion thermonucléaire. Mais ça, ce n’est pas pour tout de suite. Il faut se garder de cet espèce de millénarisme sur l’entropie. Cela n’aide pas à poser correctement les problèmes, qui sont réels, et donc à les résoudre.
Donc vous contestez le fondement scientifique de ce mouvement tout en étant d’accord avec lui sur certains points ?
Oui, exactement. Le fondement scientifique est contestable mais ça ne permet pas de régler d’un coup de cuillère à pot le débat avec les partisans de la décroissance. C’est une tout autre question, car ces gens-là disent des choses très justes et font des choses éminemment correctes et utiles. Ils dénoncent la surconsommation, le système de la voiture, des transports routiers, des 4X4, la publicité, etc. Et ça, c’est tout à fait pertinent. Les actions qu’ils mettent en place ont toute ma sympathie et, dans une certaine mesure, j’y participe (ne pas prendre l’avion pour des courts trajets, ne pas manger des haricots du Kenya, ne pas acheter des oignons qui viennent de Tasmanie en avion). Ils ont raison. C’est très important de créer une résistance culturelle face à la culture de surconsommation qui est celle du capitalisme tardif.
Vous avez cependant des critiques à formuler à l’encontre de certaines revendications…
Oui, je suis en désaccord avec certaines réponses immédiates qu’ils proposent. La volonté de certains décroissants de lutter contre la surconsommation les amène à prendre position pour l’augmentation des prix (taxes sur l’énergie, augmentation du prix du pétrole). Selon eux, au plus c’est cher, au plus les gens sont obligés de comprendre qu’il y a quelque chose qui cloche.
Je pense que ce genre de solution est inadéquat, contre-productif. Nous vivons dans une société divisée en classes. Les solutions avancées par certains décroissants seraient judicieuses dans une société égalitaire. Elles ne le sont plus dès lors que nous sommes dans une société où il y a des très riches et des très pauvres. Dans une telle société, les changements structurels passent par une redistribution de la richesse, pas par une hausse des prix qui frappe davantage les moins nantis.
Le risque qui apparaît avec des solutions basées sur la hausse des prix, c’est de retourner les exclus, les défavorisés, le monde du travail contre une politique environnementale. En partant du principe « au plus c’est cher, au plus les gens sont forcés de réduire leur consommation », on fait abstraction de toute une série de choses de la vie concrète. On oublie que se sont les plus pauvres qui ont les maisons les moins bien isolées, et qu’ils n’ont pas l’argent pour investir dans une isolation thermique de qualité. Là, il y a un vrai problème dont il faut débattre avec les partisans de la décroissance.
TANURO Daniel
* Interview publié dans le cadre d’un dossier intitulé « La décroissance : consommer moins pour vivre mieux ? » sur le site : Espace citoyen :
http://www.espace-citoyen.be/site/index.php ?EsId=1&Module=mod-produit&Indice=1-12-62