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Pourquoi nous ne signons pas l’Appel aux syndicats à rompre avec le productivisme

Le Sécrétariat de la Direction Nationale de la LCR (Belgique)

jeudi 14 octobre 2010

Le Mouvement politique des Objecteurs de Croissance a adressé à une série de forces progressistes une proposition de déclaration commune, destinée aux organisations syndicales, afin de remettre en question le mot d’ordre "pour la croissance" avancé dans le cadre de l’euro-manifestation du 29 septembre.

Afin d’entamer un dialogue nécessaire et utile sur le sujet, nous publions ci-après la réponse de direction de la LCR à cette demande ainsi que, ci-dessous, le texte de cet appel (LCR-Web)

Chères amies, chers amis, cher(e)s camarades,

Votre proposition d’Appel aux syndicats dans le cadre de l’Euromanifestation du 29 septembre a retenu toute notre attention.
Nous partageons l’essentiel de vos constats sur la gravité de la crise environnementale et l’urgence d’y apporter des solutions radicales, mettant fondamentalement en cause le productivisme.

Nous considérons comme vous que les syndicats doivent être soutenus dans la mesure où ils résistent à l’offensive d’austérité du capital, et critiqués dans la mesure où ils considèrent que la relance du système capitaliste pourrait être une « piste de sortie de crise » pour le monde du travail.

Vous avez raison d’écrire que, pris au piège de la logique capitaliste, les syndicats « se trouvent désormais réduits à négocier la limitation de la vitesse à laquelle les conditions de travail et de solidarité sont détériorées ». Une alternative à cette ligne de cogestion du système est en effet indispensable.

En tant qu’anticapitalistes et écosocialistes, nous luttons contre cette société qui produit toujours plus de valeurs d’échange (marchandises) sources de profits pour une minorité d’exploiteurs, en détruisant les deux seules sources de toute richesse : la terre et le travailleur. Nous voulons y substituer une société qui produira des valeurs d’usage (des utilités) afin de satisfaire les besoins humains réels, démocratiquement déterminés, dans le respect des contraintes écologiques. Vous pouvez donc nous considérer comme des « objecteurs de croissance », quoique nous ne nous définissions pas comme tels.

Cependant, nous ne pouvons souscrire à votre Appel. La raison principale est que nous sommes en désaccord avec vos conclusions sur les « objectifs » que les syndicats (notamment) devraient « viser simultanément » « pour que la nécessaire transition vers une société soutenable soit socialement possible et juste ».

Vous citez trois objectifs :
 Réévaluation profonde des croyances qui soutiennent les politiques actuelles et changement d’objectifs ;
 Forte réduction du temps de travail rémunéré ;
 Garantie d’un revenu d’existence suffisant pour tout être humain.
Lors d’une audition devant le congrès des Etats-Unis, James Hansen, climatologue en chef de la NASA, a déclaré que les dirigeants des entreprises du secteur énergétique devraient être traînés en justice pour crime majeur contre l’humanité et la nature, parce qu’ils bloquent la transition nécessaire vers un système énergétique économe et efficient, basé sur les renouvelables, et qu’ils le font en pleine connaissance des conséquences catastrophiques de leurs actes. Or, cette capacité de blocage dont parle Hansen plonge ses racines, non dans des « croyances », mais, plus fondamentalement, dans la propriété privée capitaliste sur les ressources, qu’elles soient naturelles ou financières.

Il en découle que, selon nous, les principales conditions pour que la transition soit possible et juste sont beaucoup plus structurelles : il s’agit avant tout de briser le pouvoir des monopoles capitalistes, en particulier dans les secteurs de l’énergie et de la finance. Ces secteurs doivent être expropriés et mis sous statut public, selon des modalités permettant un réel contrôle démocratique par les travailleurs et les usagers.

Sans cela, il nous semble rigoureusement impossible de relever le double défi auquel l’humanité est confrontée aujourd’hui : satisfaire les besoins humains réels de trois milliards d’êtres humains qui manquent de l’essentiel mais dont la demande est non solvable, d’une part, et réduire la consommation finale d’énergie, donc aussi, dans une certaine mesure, la production matérielle, afin de sortir des combustibles fossiles en deux générations, d’autre part.

Dans votre Appel, cet élément central est abordé par la bande, lorsque vous évoquez brièvement « des droits d’accès garantis aux biens communs et publics gérés collectivement (sécurité sociale, éducation, accès à l’énergie, l’eau, etc. » Nous soutenons l’idée que l’eau, l’énergie, etc. sont des biens communs auxquels l’accès devrait être gratuit jusqu’à un certain seuil, déterminé en fonction des besoins sociaux. Mais il nous semble indispensable de dire clairement la vérité, à savoir que de telles revendications passent par l’expulsion des puissants groupes capitalistes présents dans ces secteurs-clés, donc par une confrontation majeure avec le capitalisme.
Or, plutôt que de dénoncer le capitalisme, vous dénoncez la « croissance », que vous définissez de façon assez vague comme un « dogme », un « culte », ou une série de « mythes », c’est-à-dire comme un phénomène dont les racines sont avant tout idéologiques. Nous ne nions pas l’utilité d’un combat d’idées contre la culture du « toujours plus », le consumérisme, l’envahissement publicitaire, etc. Mais, si la croissance constitue aujourd’hui un « dogme », c’est parce qu’elle est inséparable d’un mode de production où la concurrence pousse chaque propriétaire de capitaux à remplacer des travailleurs par des machines plus productives, afin de toucher un surprofit en plus du profit moyen.
Par conséquent, une autre société, visant le « bien vivre » et non le « toujours plus » (nous tenons à préciser : de biens matériels), ne saurait découler simplement de la « déconstruction des mythes économistes », ou d’une « rupture avec le productivisme », permettant un autre « mode d’organisation de notre société ». C’est le mode de production lui-même qui doit être mis au banc des accusés.
Nous trouvons très positif que vous vous adressiez aux syndicats. Mais nous décelons une contradiction dans votre démarche : d’un côté vous écrivez que « la situation actuelle se caractérise par l’austérité pour le plus grand nombre » et vous soutenez les syndicats en lutte « contre la volonté du capital de faire payer la crise aux travailleurs » ; de l’autre, vous posez « la sobriété » comme alternative à la « croissance », vous invitez les syndicats à faire passer le « bien-vivre » avant le « toujours plus », et la réduction du temps de travail que vous proposez semble devoir s’accompagner d’une perte de salaire. Ainsi formulé, nous craignons que votre Appel puisse sonner comme une invitation résignée à accepter la modération salariale et à laisser tomber les revendications pour une redistribution des richesses.

Le « capitalisme vert » est une contradiction dans les termes. Selon nous, c’est une vérité incontestable que le sauvetage de l’environnement dans la justice sociale nécessite une alternative anticapitaliste. Celle-ci à son tour nécessite la participation active du monde du travail. Le problème auquel nous devons faire face est que, au sein de celui-ci, le niveau de conscience écologique est malheureusement fort bas. Mais il tombera encore plus bas si les travailleurs sont battus par l’offensive capitaliste actuelle et, dans ce cas, le monde du travail s’écartera encore davantage des solutions anticapitalistes qui sont indispensables pour éviter de très sérieuses catastrophes écologiques.

Il n’y a donc pas de raccourci. En définitive, le progrès de la conscience écologique dans les syndicats dépend de la reconstruction d’une conscience de classe, anticapitaliste parmi les travailleurs. Et celle-ci, selon nous, ne se fera pas autour de revendications ambiguës telles que la réduction du temps de travail avec perte de salaire, qui impliquent que les travailleurs porteraient malgré tout une part de responsabilité dans la crise. Elle ne peut se faire qu’autour de revendications claires pour faire payer la crise à ceux qui en sont les seuls responsables : le grand Capital.

Chères amies, chers amis, cher(e)s camarades,
Il est possible que certaines de nos critiques reposent sur des malentendus ou des formulations maladroites. Si la possibilité nous en avait été donnée, nous aurions pris la peine de proposer des amendements à votre Appel, dont la démarche générale nous semble pertinente, rappelons-le. Le temps nous manque pour réaliser cet exercice de convergence. Nous espérons que d’autres occasions se présenteront, et tenons à vous assurer de notre grand intérêt pour ce débat.

Dans l’espoir de vous rencontrer pour l’approfondir, recevez, chèr(e)s ami(e)s, cher(e) camarades, nos salutations écosocialistes.
Le Sécrétariat de la Direction Nationale de la LCR

22 septembre 2010


Résistons à la croissance de l’austérité Appel aux syndicats

Un front européen d’organisations d’objecteurs de croissance interpelle les syndicats à l’occasion de l’euro-manifestation du 29 septembre 2010. Les objecteurs de croissance demandent aux forces syndicales de réaliser une rupture antiproductiviste sans laquelle ils ne pourront sortir du rôle d’accompagnateurs actifs de la logique destructrice qui est aujourd’hui celle de l’économie. Les objecteurs de croissance proposent de viser le « bien vivre » plutôt que le « toujours plus », de réduire fortement le temps de travail et de défendre un revenu garanti suffisant pour tous.
La Confédération européenne des syndicats organise une Journée d’action européenne le 29 septembre prochain à Bruxelles. Le mot d’ordre de l’Euro-manifestation est : « Non à l’austérité. Priorité à l’emploi et à la croissance ! »
Les organisations d’objecteurs de croissance et personnalités signataires (voire liste ci-dessous) de ce communiqué soutiennent la lutte des syndicats contre la volonté du capital de faire porter le poids de la crise par le monde du travail mais regrettent l’appel à la croissance qui n’est pas une piste de sortie de crise et met la CES dans une posture intenable.
Les objecteurs de croissance signataires du présent communiqué :
1. Dénoncent la logique du productivisme et de la croissance. La logique du « toujours plus » matériel est une impasse car il n’est ni possible ni souhaitable de produire et consommer toujours plus.
2. Estiment que l’austérité pour le plus grand nombre est la conséquence logique de la croissance économique et du productivisme. Par conséquent, refuser l’austérité en réclamant plus des causes qui en sont à l’origine n’est pas une solution.
3. Appellent les forces syndicales à ouvrir les yeux sur le caractère suicidaire du dogme de la croissance économique et du productivisme et à opérer une rupture antiproductiviste.
4. Proposent une autre voie plus réaliste qui vise le « bien vivre » et non le « toujours plus » : déconstruire les mythes économistes et changer d’objectifs, réduire le temps de travail, garantir un revenu suffisant à tous.
1. Dénoncent la logique du productivisme et de la croissance. La logique du « toujours plus » matériel est une impasse car il n’est ni possible ni souhaitable de produire et consommer toujours plus.

Garantir la croissance suppose de pouvoir augmenter continuellement et de manière infinie la production de biens et services marchandisés. La production de ces biens et services nécessitant l’exploitation de ressources naturelles et de travail humain, la croissance infinie suppose nécessairement l’exploitation infinie de la Terre et des Hommes. Aujourd’hui, cette course folle arrive à son terme et montre l’ampleur catastrophique des innombrables dégâts qu’elle génère : la planète Terre qui est la condition de toute activité sociale et humaine est à l’agonie, sa dévastation provoque les effets les plus violents d’abord chez les peuples et les personnes les plus vulnérables.
Les personnes sont chaque jour davantage ravalées au rang de consommateurs/producteurs pour faire tourner une machine qui produit de plus en plus de mal-être, cela au détriment du bien-être individuel et collectif. Le lien social est rongé par la marchandisation et la folle concurrence, qui agressent simultanément les rapports entre les personnes, les peuples et les générations. Les inégalités sociales augmentent partout dans le monde, la misère ne cesse de se propager de façon d’autant plus violente que les dérèglements environnementaux liés aux excès de production, engendrés à la base par l’Occident en deviennent une cause première. Il est désormais clair que l’universalisation du mode de vie des pays matériellement riches n’est pas possible. Quoiqu’en pensent les économistes les plus orthodoxes, il est par exemple impossible que l’ensemble des habitants de l’Inde et de la Chine disposent d’une voiture, d’un poste de télévision et d’un réfrigérateur comme nous en disposons en Occident. La planète n’y survivrait tout simplement pas et les Hommes non plus par conséquent.

Face à ce constat d’échec aussi bien économique qu’humain et écologique, la poursuite de la croissance économique ne peut pas être une solution : pour se maintenir, cette logique implique nécessairement de surconsommer toujours plus de ressources et d’exploiter les travailleurs avant de s’en débarrasser une fois devenus inutiles ou trop chers aux yeux des actionnaires, avec comme corollaire une dégradation incessante de la planète Terre et des relations humaines.

2. Estiment que l’austérité est la conséquence logique de la croissance économique et du productivisme. Par conséquent, refuser l’austérité en réclamant plus des causes qui en sont à l’origine n’est pas une solution.
La vague d’austérité qui s’abat sur les peuples d’Europe est imposée par les institutions financières avec l’assistance active des Etats socio-démocrates. Ce qui est aujourd’hui appelé « austérité » est une nouvelle étape de cette dégradation nécessaire pour produire de « la croissance » , : les spéculateurs cherchant à maximiser toujours plus leurs profits et le culte de la croissance à tout prix imposant la compétition entre les travailleurs du monde entier, le peuple est prié de trimer et de se serrer la ceinture pour faire tourner la machine. Toute croissance économique supplémentaire à venir ne pourra être réalisée qu’au prix de la répétition toujours plus violente de cette logique de dévastation. La croissance garantit l’austérité aux pays riches alors qu’elle plonge déjà des millions de personnes de par le monde dans la misère la plus noire.

3. Appellent les forces syndicales à ouvrir les yeux sur le caractère suicidaire du dogme de la croissance économique et du productivisme et à opérer une rupture antiproductiviste.

Les forces syndicales ont réalisé un compromis historique avec le capital quand les fruits de la croissance et du productivisme ont pu profiter à tous grâce aux améliorations substantielles des conditions de travail obtenues par de dures négociations, singulièrement au sortir de la seconde guerre mondiale. Mais depuis la fin des années 1970, la logique de croissance du capital a mené celui-ci à rompre l’équilibre. Depuis lors le bien-être matériel des populations de nos pays riches décline malgré l’augmentation presque continue du PIB, alors que les personnes les plus pauvres le restent, et que l’écart se creuse entre riches et pauvres, au sein de nos régions comme dans le monde entier.
Pris au piège de la logique close de la croissance infinie, les syndicats se trouvent désormais réduits à négocier la limitation de la vitesse à laquelle les conditions de travail et de solidarité sont détériorées. Ainsi, l’appel pour des emplois de qualité lors de l’euro-manifestation du 29 septembre s’oppose aux objectifs de rentabilité et de croissance que la CES semble appeler de ses vœux dans le même slogan.

Pour préserver la force des systèmes de solidarité conquis de haute lutte et mis en place au sortir de la seconde guerre mondiale, il est désormais indispensable de sortir de la logique de l’accumulation sans fin.
Nous appelons les membres syndiqués des différentes composantes nationales et régionales de la CES à revendiquer haut et fort, au sein de leurs organisations, un changement de cap radical qui prenne une orientation antiproductiviste en faveur du « bien vivre » et de la solidarité et non du « toujours plus » et de la compétition généralisée.
Il est temps que les syndicats ouvrent les yeux sur le caractère suicidaire du dogme de la croissance économique et du productivisme et qu’ils initient sans tarder un profond changement de cap pour s’opposer frontalement à ces deux logiques socialement, humainement et écologiquement dévastatrices.

4. Proposent une autre voie plus réaliste qui vise le « bien vivre » et non le « toujours plus » : dénoncer les mythes économistes et changer d’objectifs, réduire le temps de travail, garantir un revenu suffisant à tous.
Selon nous, pour que la nécessaire transition vers une société soutenable soit socialement possible et juste, trois objectifs doivent être visés simultanément :
 Une réévaluation profonde des croyances qui soutiennent les politiques actuelles et un changement d’objectifs : dénoncer le mythe économique de la croissance infinie ; substituer la coopération et le bien vivre à la compétition et au toujours plus.
 Sortir du travaillisme pour partager le travail et retrouver du temps et du sens : organiser une réduction forte du temps de travail rémunéré,
 Garantir un revenu d’existence suffisant pour tout être humain (et instaurer symétriquement un revenu maximal), notamment en garantissant des droits d’accès aux biens communs et publics gérés collectivement (sécurité sociale, éducation, accès à l’énergie, l’eau, etc.).
Nos pays n’ont jamais été aussi riches mais notre mode d’organisation est inéquitable et destructeur. Un changement de cap est urgemment nécessaire. Les moyens sont disponibles, il nous faut organiser la force collective qui sera capable de s’opposer aux puissances installées et mettre en œuvre les alternatives. Les syndicats doivent reprendre le rôle émancipateur qui fut le leur au cours de l’histoire en rompant clairement avec la logique destructrice du productivisme et de la croissance.
Cet appel est également une invitation au dialogue fraternel avec les forces syndicales.

Une initiative du Mouvement politique des objecteurs de croissance (Belgique) : www.objecteursdecroissance.be