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Le prochain directeur du FMI ne doit pas être européen !

Damien Millet et Isabelle Likouka

dimanche 28 mars 2004

Au début du mois de mars, le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), l’Allemand Horst Köhler, a démissionné pour pouvoir briguer la présidence de la République allemande. Sa succession est aujourd’hui ouverte, remettant en lumière le processus antidémocratique en vigueur au FMI (tout comme à la Banque mondiale), où les pays les plus industrialisés se partagent le pouvoir et imposent leur domination au reste du monde.

Traditionnellement, le directeur du FMI est un Européen (tandis que son numéro 2 et le président de la Banque mondiale sont désignés par les Etats-Unis), au mépris des règles élémentaires de justice et de démocratie. Cette fois encore, l’Europe trouve que "les traditions ont du bon" (Francis Mer), et se prépare - avec difficulté d’ailleurs - à désigner son candidat. Cependant, les critères de choix relèvent exclusivement d’une stratégie géopolitique, et non d’une compétence particulière à respecter par exemple les statuts du Fonds. Or, cette question mériterait d’être posée puisque ses statuts stipulent qu’il doit contribuer à "l’instauration et au maintien de niveaux élevés d’emploi et de revenu réel", alors que les politiques qu’il impose depuis vingt ans les contredisent en répandant le chômage parmi les classes moyennes et la misère parmi les populations les plus fragiles.

Ce n’est pas là le seul point choquant au FMI. Au sein de son Conseil d’administration, composé de 24 membres et presque exclusivement masculin, seuls huit pays ont le privilège d’être représentés par un administrateur chacun (Etats-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Arabie saoudite, Chine et Russie), tandis que les seize autres administrateurs représentent des groupes de pays. Par exemple, un administrateur espagnol représente le groupe formé par le Costa Rica, l’Espagne, le Guatemala, le Honduras, le Mexique, le Nicaragua, El Salvador et le Venezuela. Ainsi, l’Espagne, pays riche, peut-elle voter au nom de pays du Sud comme le Venezuela ou le Nicaragua !

Par ailleurs, le mode de fonctionnement du FMI est plus proche de celui d’une entreprise que d’une institution démocratique. Tout pays qui devient membre du FMI se doit de verser un droit d’entrée appelé " quote-part " : il devient donc actionnaire du FMI puisqu’il contribue à son capital. Mais cette quote-part n’est pas libre : elle est calculée en fonction de l’importance économique et géopolitique du pays. A partir de cette quote-part, un savant calcul permet de déterminer le nombre de droits de vote de chaque pays. Ainsi, contrairement à l’Assemblée générale de l’ONU où chaque pays possède une voix et une seule (avec une exception de taille au Conseil de sécurité où cinq pays détiennent chacun un droit de veto), le système adopté par le FMI revient à 1$=1 voix !

De ce fait, le conseil d’administration accorde une place prépondérante aux États-Unis (plus de 17 % de droits de vote), suivis par le Japon, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni. À titre de comparaison, le groupe de 24 pays d’Afrique en possède moins de 1,5 %. Avec un tel système, les pays les plus riches parviennent sans mal à réunir la majorité : les représentants des dix pays les plus puissants détiennent plus de 60% des droits de vote.

Proche de celui d’une entreprise, ce système en diffère tout de même par un élément important : alors qu’un actionnaire classique peut décider d’acheter de nouvelles actions en Bourse pour devenir plus puissant, un pays ne peut pas décider d’un coup d’accroître sa quote-part au FMI pour peser davantage au sein de l’institution. Le système est donc parfaitement verrouillé par les plus gros actionnaires qui veillent jalousement sur leurs intérêts.

Mais le scandale ne s’arrête pas là : en pratique, les États-Unis règnent en maître absolu. Ils sont parvenus à imposer qu’une majorité de 85 % soit requise pour toutes les décisions importantes engageant l’avenir du FMI. Or, étant le seul pays à détenir plus de 15 % des droits de vote, il s’est donc arrogé un droit de veto de fait qui permet au Trésor américain de bloquer toute réforme contraire à ses vues. La présence du siège à Washington n’est pas fortuite...

En outre, les cotisations des États permettent au FMI de se constituer des réserves qui sont prêtées aux pays en déficit temporaire. Mais ces prêts sont conditionnés à la signature d’un accord dictant les mesures que le pays doit prendre pour recevoir l’argent attendu : les fameux plans d’ajustement structurel. Cet argent est mis à disposition par tranches, après vérification que les mesures exigées, néo-libérales bien sûr, sont bien mises en œuvre. La stratégie de domination est à peine dissimulée.

Tout ceci car le FMI ne doit surtout pas déroger à la tâche qui lui a été confiée voilà vingt ans : utiliser le mécanisme de la dette pour contraindre les pays du Sud à une ouverture aux forceps de leur économie. Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie et ancien numéro 2 de la Banque mondiale, donc témoin privilégié, confirme cette analyse : "Si l’on examine le FMI comme si son objectif était de servir les intérêts de la communauté financière, on trouve un sens à des actes qui, sans cela, paraîtraient contradictoires et intellectuellement incohérents." En effet du point de vue des populations du Sud et de la satisfaction de leurs besoins fondamentaux, les politiques du FMI sont effectivement contradictoires et intellectuellement incohérentes.

Malheureusement, une fois encore, le débat aujourd’hui se déplace sur une querelle de personnes alors que le choix d’un nouveau directeur doit plutôt être l’occasion d’un grand débat public mondial sur le rôle de cette institution financière essentielle, à la légitimité très incertaine et aux choix si discutables. Cette institution spécialisée de l’ONU doit enfin se soumettre effectivement aux textes internationaux comme la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et cesser d’imposer des politiques économiques qui vont à l’encontre de l’intérêt des peuples.

Ainsi le FMI tient-il de beaux discours sur une bonne gouvernance qu’il n’a jamais été capable de promouvoir en son propre sein. Pourquoi l’intérêt des pays du Sud n’est-il jamais réellement pris en compte ? Pourquoi est-ce si incongru d’envisager un directeur du FMI argentin ou congolais ?


Damien Millet et Isabelle Likouka, du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM France)